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Le symbolisme du sang et de l'eau en Jn 19, 34

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Le symbolisme du sang et de l'eau

en Jn 19, 34

Depuis l'antiquité chrétienne, le verset johannique sur le côté transpercé de Jésus d'où «sortit du sang et de l'eau» (Jn 19, 34) a toujours éveillé des résonances profondes dans la Tradition, d'abord chez les Pères de l'Eglise, puis plus spécialement dans la théologie et la spiritualité du Cœur du Christ au moyen âge, et jusqu'à l'époque moderne. Dans ce Symposium de Théologie, dont le but est de mieux mettre en lumière les fondements de la dévotion au Cœur de Jésus et au Christ-Roi, une étude de ce texte capital était indispensable.

Dans une première partie, pour mieux faire voir sur quel arrière-fond se détache notre propre analyse, nous rappellerons les interpré-tations majeures qui ont été données de ce passage, aux trois grandes périodes de la Tradition. On verra mieux de la sorte que l'exégèse que nous allons proposer se situe dans le prolongement de celles qu'on a données jusqu'ici, mais qu'elle apporte aussi des précisions nouvelles; celles-ci sont dues à un examen plus attentif des corrélations multiples qui existent entre ce verset et divers autres thèmes de la théologie johannique, suggérées par le contexte immédiat. Dans la deuxième partie, nous indiquerons brièvement les principaux problèmes que soulève le verset pour l'exégète. La troisième étape sera celle de l'analyse du texte; nous en proposerons aussi une interpré-tation théologique.

I. Quelques repères dans l'histoire de l'exégèse de Jn 19,34

Pour l'époque patristique, citons deux témoignages significatifs, l'un pour l'Orient, l'autre pour l'Occident. Voici d'abord, selon un spécialiste anglais, quels étaient «les mystères cachés dans le côté du Christ» d'après l'Eglise syrienne; il écrit: «Cet unique verset,

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Jn 19, 34, peut être considéré comme le point focal de l'ancienne exégèse syriaque: elle regarde en arrière, vers le récit du Paradis de la Genèse, et en avant, vers le nouveau Paradis, la vie sacramentelle de l'Eglise. Les associations typologiques de ce verset sont d'une incroyable richesse et nous tenterons simplement d'en dégager les aspects les plus saillants»1. Cette interprétation, on le voit, est avant

tout typologique; elle cherche à éclairer le sens du verset en indiquant les corrélations de ses thèmes avec l'ensemble de l'histoire du salut. Il en va de même, dans l'Eglise occidentale, chez saint Augustin: il apporte cependant un élément nouveau (l'ouverture du côté), par lequel il se situe au point de départ d'une tradition mystique qui, le moment venu, allait faire éclore la dévotion au Cœur du Christ2.

Citons son commentaire de Jn 19, 34; ce texte, d'après H. Rahner, est sans doute celui qui eut le plus d'influence sur l'histoire de la vénération de la plaie du côté3:

«Un des soltats lui ouvrit (aperuit) le côté avec sa lance. L'évangéliste

a été attentif au choix du verbe. Il n'a pas dit: il frappa, il blessa le côté ou

rien d'analogue; mais: il ouvrit.

Il voulait indiquer qu'à cet endroit, pour

ainsi dire, était ouverte la porte de la vie

(vitae ostium), par où se sont écoulés les

sacrements de l'Eglise, sans lesquels on ne peut entrer dans la vie, dans la vraie vie: ce sang a été répandu pour la rémission des péchés; cette eau se mélange à la coupe du salut, mais elle est à la fois un breuvage et un bain. Ce mystère était annoncé à l'avance par la porte que Noé reçut l'ordre d'ouvrir dans le flanc de "arche, afin d'y faire pénétrer les êtres

vivants, qui ne devaient pas périr dans le

déluge: ils étaient la préfiguration de l'Eglise».

(Tract, in Iok, 120, 2: PL, 35, 1953).

1 S. P. BROCK, The mysteries hidden in the side of Christ, Sobornost 7 / 6 (1978) 462-472

(cf. p. 462). Voir aussi R . MURRAY, The Lance which Re-opened Paradise: A Mysterious Reading in the Early Syriac Fathers, OrChrPer 39 (1973) 224-234.491; ID., Symbols of Church and Kingdom, Cambridge, 1975, 124-127.

2 R . MURRAY, Symbols of Church, 125-126.

3 H. RAHNER, Symbole der Kirche. Die Ekklesiologie der Väter, Salzburg, 1964, 504-547;

«Antenna Cruris. VIII: Die Arche Noe als Schiff des Heils»; cf. p. 537: «Das vielleicht einfluss-reichste Wort in der Geschichte der frommen Verehrung der Seitenwunde des Herrn steht in den Predigten des Augustinus zum Johannesevangelium und schaut das Geheimnis in den Bildern von der Seite des schlafenden Adams und der Tiere an der Seite der Arche».

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LE SYMBOLISME DU SANG ET DE L'EAU EN JN 19, 34 2 0 3

Des sacrements, Augustin passe ensuite à l'Eglise, nouvelle Eve, sortie du flanc du nouvel Adam, endormi sur la croix. C'est là, indubitablement, un grand texte. Mais on a l'impression qu'ici s'accumulent trop de richesses: pour expliquer le verset de Jean, Augustin recourt, d'une part, à une double typologie biblique (Adam/Christ et Eve/Eglise; l'arche de Noé), d'autre part à une double perspective ecclésiale (la naissance de l'Eglise, les sacrements).

Mais la véritable dévotion à la plaie du côté et au Cœur du Christ ne devait voir le jour qu'au moyen âge, dans la spiritualité monastique (saint Bernard, Guillaume de St-Thierry) 4, surtout dans

la mystique allemande; il faut citer ici avant tout les deux moniales bénédictines d'Helfta, sainte Mechtilde (f 1298) et sainte Gertrude la Grande (f 1303)5. Ici passe tout à fait à l'avant-plan l'aspect de

l'expérience personnelle: le Cœur de Jésus devient le point de départ du mouvement intérieur de l'amour mystique. Voyons par exemple comment sainte Gertrude parle du côté transpercé dans Le Héraut de l'amour divin 6. Pour Gertrude, le cœur de la personne

humano-divine du Seigneur est la source de l'Amour infini. De plus, le cœur, par la plaie du côté, répand comme un flot vivant le don de l'Esprit, qui découle en nos âmes, pour parfaire entre le Seigneur et nous l'incorporation et l'union.

Elle dit au Christ: «(On m'a conseillé) d'honorer par une constante dévotion l'amour de votre Cœur, quand vous étiez suspendu sur la Croix, et de puiser à cette source de charité qui jaillit sous l'effort d'un amour ineffable, l'eau de la

vraie piété»7.

4 Voir CH. A. BERNARD, Le Cœur du Christ et ses symboles, Paris, Téqui, 1981, 55-59;

cf. p. 55: dans cette tradition médiévale, «une autre démarche se fait jour qui porte à mettre en valeur le rapport personnel avec le Christ et donc le mystère d'amour que le cœur symbolise». Pour illustrer cette théologie monastique, citons un texte de Guillaume de St-Thierry (sur «la porte ouverte»), où l'on perçoit clairement l'écho de l'interprétation d'Augustin: «... pour que, par la porte ouverte, nous entrions tout entiers jusqu'à votre Cœur, ô Jésus... jusqu'à votie âme sainte.... Ouvrez, Seigneur, la porte latérale de votre arche, afin qu'y entrent tous ceux qui doivent être sauvés..., ouvrez-nous le cité de votre corps, afin qu'y entient ceux qui désirent voir les secrets du Fils, qu'ils reçoivent les sacrements qui en découlent et le prix de leur rédemption»,

Meditativae orationes (PL, 180,225D-226A). Notons le progrès par rapport à Augustin: «la porte

de la vie» (Aug.) devient celle qui donne accès à l'«âme sainte» de Jésus.

5 Cf. l'étude de C. VAGAGGINI, O . S. B., La dévotion au Sacré-Cœur chez sainte Mechtilde

et sainte Gertrude, dans: Cor Jesu (edd. A. Bea, H. Rahner, etc.), II, Roma, Herder, 1959, 29-48.

6 Les éditions précédentes sont citées dans l'article de C. Vagaggini (cf. n. 5). Nous

suivons l'édition plus récente préparée par P. DOYÈRE, Gertrude d'Helfta: Oeuvres spirituelles. I—II: Le Héraut (Livres I-IV), (SC, 139; 143; 255). Sur le culte du Cœur de Jésus chez Gertrude, voir l'introduction au premier volume (SC, 139), pp. 36-37.

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2 0 4 DIDASKALIA

En la fête de la Pentecôte, elle entendit

les paroles de Ac 1,8 (Accipietis virtutem

supervenientis Spiritus Sancti in eos), puis

elle vit que du Cœur du Fils de Dieu s'épan-chait goutte à goutte une veine très pure: «Elle comprit qu'était par là symbolisée la douceur de l'Esprit Paraclet qui, à travers le cœur du Fils de Dieu, se répand dans le cœur

des élus» 8.

Retenons de ces textes l'insistance de Gertrudc sur le Cœur du Christ comme source de l'amour9, mais aussi comme source de

l'Esprit, deux thèmes que nous retrouverons dans l'analyse exégétique dejn 19, 34.

Pour l'époque moderne, il suffira de citer l'encyclique Haurietis

aquas (1956) de Pie XII1 0, qui synthétise divers éléments de la

Tradition, surtout celle des Pères:

«C'est du Cœur blessé de notre Rédempteur qu'est née l'Eglise, comme dispensatrice du sang de la Rédemption, et c'est aussi de lui que coule avec abondance la

grâce des sacrements où les fils de l'Eglise puisent la vie d'en haut, comme nous le lisons dans la sainte lituigie: 'C'est du Cœur transpercé que l'Eglise, épouse du Christ, prend naissance; ... de ton Cœur, (Jésus), tu répands la grâce'» (n.° 39). Et à propos de l'épisode de Jn 19,34 (le côté du Christ

ouvert par le coup de lance du soldat): «C'est pourquoi la blessure du Cœur transpercé de Jésus (...) restera pendant le cours des siècles l'image vivante de cet amour, manifesté de plein gré, par lequel Dieu a donné son Fils urique pour racheter les hommes; amour dont le Christ nous a tous aimés si fortement qu'il s'est immolé pour nous sur le Calvaire en hostie sanglante: 'Le Christ nous a aimés et s'est livre

lui-même à Dieu pour nous, comme une oblation et un sacrifice d'agréable odeur (Eph 5,2)'» l'ibid.).

8 Le Héraut, IV, 38,1 (SC, 255,313).

9 CH. A. BERNARD, Le Cœur du Christ, 57: «Pour tout le Moyen-Age, la représentation

du Cœui de Jésus renvoie au mystère de l'amour». Et il cite encore des textes de sainte Lutgardc et d'un prédicateur qui s'inspite de sainte Catherine de Sienne.

1 0 AAS 48 (1956) 309-353 (cf. 333-34); DocCath 53 (1956) 726 (traduction retouchée).

On pourrait aussi citer deux textes de Vatican II qui vont dans le même sesns: Sacrosanctum

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LE SYMBOLISME DU SANG ET DE L'EAU EN JN 19, 34 2 0 5

2. Malgré la richesse de ces données de la Tradition, il reste qu'à notre époque — il faut le constater avec réalisme — existe une certaine allergie envers le culte do Cœur de Jésus. Plusieurs auteurs en ont cherché les raisons. K. Rahner par exemple faisait observer que le culte du Sacré-Cœur portait trop les marques d'une époque: l'état de la théologie, de la spiritualité et du langage du xvne siècle1 1.

On a aussi souligné le fait que cette théologie, même dans les efforts récents pour la renouveler, est une construction basée sur un raison-nement abstrait1 2: on part d'une image du cœur (ou plutôt du mot

«cœur») dans le langage courant, mais surtout dans la Bible, et on en applique le contenu à la contemplation du Cœur du Christ; on espère atteindre ainsi le centre intime de la personne humano-divine du Verbe incarné, ouvert à son Père et ouvert à tous ses frères1 3. Et l'on

s'efforce d'illustrer cela en citant la plupart des textes de l'Ecriture sur les «sentiments» d'amour et de miséricorde de Dieu envers les hommes ou ceux de Jésus pendant sa vie terrestre.

Pour notre part, nous voudrions observer que, malgré les apparences, cette théologie n'est pas assez concrète, pas encore assez fondée sur l'Ecriture; elle est insuffisamment rattachée à l'événement de la transfixion du Christ à la Croix. Rappelons-nous que, d'après le Concile, la Parole de Dieu devrait être «veluti anima totius theologiae» (Dei Verbum, 24). Le ressourcement biblique qui se cherche aujourd'hui pour la mariologie doit se réaliser aussi pour la christologie, plus particulièrement pour la théologie du Cœur du Christ1 4. Cependant, ici on se heurte immédiatement à une difficulté:

s'il est vrai, comme nous l'avons vu, que la scène du côté transpercé est la page de l'Ecriture la plus importante pour la théologie et le culte du Cœur de Jésus, une étude poussée de ce passage s'impose. Mais on est obligé de constater que Jean n'y emploie pas le mot cœur, à première vue, il semble donc quelque peu arbitraire de fonder

1 1 K. RAHNER, Einige Thesen sur Theologie der Herz-Jesu-Verehruttç, dans Schriften zur

Theologie, III, Benziger V., 19572, 391-415.

1 2 Cela vaut aussi en partie pour l'Encyclique Haurietis aquas (cf. n. 10), où Pie XII

insiste sur «le symbolisme du Cœur de Jésus» ( n 2 6 - 2 8 : AAS, 327-28; DocCath, 722): ce cœur est le principal symbole du tliple amour du Rédempteur (amour divin, amour humain, amour sensible). Comme nous le disions déjà au Congrès de Toulouse en 1981, «on désirerait aujourd'hui une présentation moins scolastique, plus biblique»; cf. Le Cœur de Jésus, cœur du

monde, FAC éditions, 1982. 165, n. 5.

1 3 Cf. E. CARMINATI, Èvenuto nell'acqua e nel sangue. Riflessione biblico-patristica, Bologna,

Ed. Dehoniane, 1979,13-17; CH. A. BERNARD, Le Cœur du Christ, 36.

1 4 Cf. notre étude Fondement biblique de la théologie du Cœur du Christ: la souveraineté

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sur ce texte une théologie du cœur de Jésus, sauf peut-être si le sang et l'eau de la plaie du côté doivent s'interpréter plus ou moins dans le même sens. D'autre part, on insiste sur l'«ouverture» du cœur, avec toute la poésie et tout le symbolisme qu'elle dégage; mais on ne peut oublier que ce thème vient d'Augustin, qui s'appuyait sur la traduction fautive de la Vulgate (aperuit, «il ouvrit»), tandis que, d'après le grec, il faut dire que le soldat, avec sa lance, «perça» le côté de Jésus1 5.

Néanmoins, malgré ces difficultés, nous croyons que la scène de Jn 19, 31-37, replacée dans son contexte, n'a pas encore été suffisamment exploitée du point de vue exégétique, quoique plusieurs travaux lui aient été consacrés16; nous croyons aussi qu'une telle

étude peut aider à retrouver et à approfondir les grandes intuitions de la Tradition sur le mystère du Cœur du Christ. Depuis la mystique médiévale, sans aucun doute, il n'est plus possible de renoncer à ce thème du «cœur» de Jésus. Or, ici, le ressourcement biblique nous place devant un curieux paradoxe: à première vue, disions-nous, l'étude exégétique soulève plutôt un problème, en raison de l'absence du mot «cœur» en Jn 19, 34; mais on est frappé de voir qu'on en retrouve pratiquement l'équivalent par une analyse précise du contexte, surtout par l'étude du symbolisme du sang. Ici une compa-raison avec la spiritualité de sainte Catherine de Sienne pourrait être fructueuse; car chez elle, précisément, c'est le symbole du sang qui a une importance primordiale, tandis que celui du cœur ne vient qu'à un second degré dans la mystique de l'union au Christ1 7.

Quant à la nouveauté de l'interprétation que nous voudrions proposer, par rapport à l'exégèse patristique, elle consistera en ceci: tandis que les Pères faisaient une lecture typologique, ecclésiale ou sacra-mentelle du verset1 8, le contexte immédiat nous invite à en faire

plutôt une lecture avant tout christologique: le double signe du sang et de l'eau qui sortent du côté de Jésus après sa mort, éclairent

1 5 Dans la vieille latine, on trouve plusieurs traductions qui rendent correctement

l'idée: percussit, perfodit, pupugit.

1 6 Ces travaux sont connus. Rappelons les principaux: F.-M. BRAUN, L'eau et l'Esprit,

RevThom 49 (1969) 5-30; A. LEFÈVRE, La blessure du côté, dans: Le Cœur (Études carméli-taines), Paris, 1950, 109-122; surtout J. HEER, Der Durchbohrte. Johamieische Begründung der

Herz-Jesu-Verehrung, Roma, 1966.

1 7 Cf. Ch. A . BERNARD, Le Cœur du Christ, 60. Sur le symbole du sang du Christ

chez sainte Catherine, voir les textes de la Sainte réunis dans l'ouvrage II messaggio di santa

Catarina da Sietia Dottore delia Chiesa (a cura di un missionário vincenziano), Roma, 1970,

sezione quarta, cap. I: «Il sangue di Cristo» (pp. 543-551).

1 8 Cf. les références au Paradis, à l'arche de Noé ou aux sacrements de l'Eglise (voir

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LE SYMBOLISME DU SANG ET DE L'EAU EN JN 19, 34 2 0 7

singulièrement le mystère de ce qu'était auparavant sa vie profonde; or, c'est précisément ainsi qu'ils intéressent très directement ce qu'on appellera plus tard la théologie du Cœur du Christ. Mais il est temps de montrer plus en détail tout ce que nous venons d'annoncer.

Pour préparer l'analyse et l'interprétation de Jn 19, 34, nous devons voir d'abord quels problèmes ce verset soulève.

II. Les problèmes

Ils sont de deux ordres: exégétique et théologique.

1. Les problèmes exégétiques

a) Il faut rappeler en premier lieu la problématique soulevée

par R. Bultmann. Sa théorie est bien connue: dans la théologie de Jean, la mort de Jésus n'a plus le sens qu'elle avait dans la première

tradition chrétienne. Auparavant on interprétait sa mort comme un sacrifice expiatoire pour nos péchés (cf. Rom 3, 25; Eph 5, 2; Héb 7, 27, etc.). Mais d'après les écrits johanniques, Jésus dans sa mort est le révélateur. Par conséquent, Jn 19, 34 et les autres passages où il est question du sang de Jésus (Jn 6, 53-56; 1 Jn 1, 7) ou du Christ, victime d'expiation pour nos péchés (1 Jn 2, 2; 4, 10), doivent être considérés comme des interpolations postérieures, car l'idée de sacri-fice expiatoire est étrangère à la pensée johannique 1 9.

Cette position radicale, certes, est inacceptable. Elle contient cependant un élément de vérité, dont on n'a pas assez tenu compte: il ne fait pas de doute que la théologie johannique est fondamenta-lement une théologie de révélation, même dans le récit de la Passion. La vraie question dès lors est de savoir si une théologie de la révélation et une théologie du sacrifice s'excluent nécessairement. Sous-jacente à la théorie bultmannienne se trouve une conception erronée du sacrifice: c'est là un point fort important, et de grande actualité; nous y reviendrons dans un instant. D'autre part, si Jésus sur la croix est le Révélateur, Bultmann n'explique pas ce que cette mort révèle: il refuse absolument d'indiquer l'objet et le contenu de cette révélation2 0. La personne de Jésus est vidée de son mystère.

1 9 R. BULTMANN, Theologie des neuen Testaments, 4.« Aufl., Tiibingen, 1961, 406-407;

pour Jn 19, 34, voir son commentaire (17." éd., 1962), 525-526.

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b) Comment le sang et l'eau sont-ils interprétés par les commen-tateurs contemporains? Il faut le reconnaître: comparé au foisonne-ment des interprétations anciennes, le bilan est ici plutôt décevant, du moins en ce qui concerne le sang. On a l'impression d'un certain désarroi chez les exégètes2 1. D'après R. E. Brown, l'eau est un

symbole de l'Esprit; le sang, par contre, n'aurait pas de valeur symbolique: le sang répandu indique simplement que Jésus est mort2 2.

R. Schnackenburg observe que le passage doit être interprété à la lumière de celui de 7, 37-39. Mais là, il est uniquement question de l'eau vive qui s'écoule du sein de Jésus; et si l'on veut distinguer ultérieurement, ajoute l'auteur, on peut penser que le sang est un signe de la mort salvifique de Jésus (cf. 1 Jn 1, 7), et l'eau un symbole de l'Esprit et de la vie2 3. On retrouve également de nos jours l'exégèse

sacramentelle qui était courante à l'époque patristique: l'eau et le sang symbolisent le baptême et l'eucharistie2 4. Mais l'ordre inverse

des mots («du sang et de l'eau») est une sérieuse difficulté contre cette interprétation; elle demanderait plutôt qu'on lise «de l'eau et du sang». Certains auteurs s'efforcent de préciser davantage le symbolisme du sang. D'après l'ouvrage classique de J. Heer, le sang indique la valeur expiatoire de la mort de Jésus2 5. Mais il semble imprudent

d'introduire ici ces catégories rituelles, qui sont étrangères au contexte immédiat. On a aussi proposé de voir dans le sang du côté transpercé une allusion au sang de l'agneau pascal2 6. Cette explication

2 1 Cf. ce qu'écrivait déjà le P. Lagrange: «Il n'est pas aisé de définir ce symbole, et les

Pères ont proposé de nombreuses explications», Evangile selon saint Jean, 499.

2 2 R. BROWN, The Gospel according to John, XUI-XXl (Anchor Bible, 29 A), New York,

1970, 950.

2 3 R . SCHNACKENBURG, Das Johannesevangelium, III, Freiburg, 1975, 344-345.

2 4 Cf. la note de la Bible de Jérusalem: «Non sans fondement, de nombreux Pères ont

vu dans l'eau le symbole du baptême, dans le sang celui de l'eucharistie, et dans ces deux sacrements le signe de l'Eglise, nouvelle Eve naissant du nouvel Adam». Voir les commentaires de Lagrange, de Bultmann (double interprétation sacramentelle, attribuée à celui qui a interpolé le texte) et de Panimolle (pour le sang seulement: il désigne l'eucharistie).

2 5 J. HEER, Der Durchbohrte. Johanneische Begründung der Hcrz-Jesu-Verehrung, Roma,

1966; cf. déjà le P. Lagrange: «il semble que, d'après Jo. lui-même, le sang du Christ est un instrument de propitiation (1 Jo. 1,7; Apoc. 7,14): lorsque le sang coule, la rédemption esj consommée» (p. 499).

2 6 S. LYONNET, Il sangue nella trajittura di Gesù : Gv 19,34 ss., in: Sangue e antropologia

biblica, 1/2, Roma, 1981, 739-793; S. CIPRIANI, Il sangue di Cristo in S. Giovanni, ibid., 721-737. Sur le sang de l'agneau pascal s'est développée, sans doute, toute une typologie chré-tienne, mais dans une tout autre direction: le «Signum sanguinis» de Ex 12,7.13 n'a jamais été rapproché du sang du côté de Jésus (Jn 19,34). On a plttöt été attentif à l'ution pratiquée par les Israélites enEgypte au moment de l'Exode: ils mettaient le sang de l'agneau sur les linteaux de leurs portes, pour échapper au massacre; ce geste, interprété par les Pères comme une «onction» (le veibe -riÖTjfxi de Ex. 12,7 LXX était remplacé par j^pCoi), piéfiguiait l'onction baptismale pratiquée durant la veillée pascale. Cf. notre article L'onction du chrétien par la foi, dans La vie

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LE SYMBOLISME DU SANG ET DE L'EAU 3N JN 11, 54 210

n'est pas convaincante: si la référence à l'agneau pascal est certaine pour les jambes non brisées de Jésus, elle ne convient guère pour le sang qui sort du coté, car l'image, dans le cas de l'agneau pascal, est toute différente: d'après Ex 12, 13, les Israélites devaient prendre le sang de l'agneau et le mettre sur les linteaux de leurs portes pour échapper à l'exterminateur; il n'y est pas question du sang qui s'écoule de l'agneau.

Plus satisfaisante, quoique avancée sans preuves, est l'interpré-tation proposée dans le commentaire de J. Mateos et J. Barreto: «le sang qui sort du côté de Jésus est l'image de sa mort qu'il accepte pour le salut de l'humanité (...): le sang, c'est la mort acceptée»27. L'intérêt de cette interprétation, c'est qu'elle tâche de percevoir les résonances du verset dans son contexte immédiat, sans recourir directement à la typologie biblique ou à la vie sacramentelle de l'Eglise: le sang qui s'écoule du côté de Jésus déjà mort est ici comme un symbole de ce qu'avait été la libre acceptation de cette mort par Jésus, quand il était encore vivant. C'est dans cette ligne que nous

développerons notre propre interprétation.

2. Le problème théologique

Ici, nous serons brefs, car nous nous écartons quelque peu de notre sujet. Nous devons cependant dire un mot d'un problème délicat: celui de la méconnaissance actuelle de la notion de sacrifice, surtout depuis la publication des ouvrages de R. Girard: La violence

et le Sacré, et Des choses cachées depuis la fondation du monde 2 8. D'après

un théologien de renom, nos contemporains sont profondément allergiques à la notion de sacrifice expiatoire: «La doctrine du sacrifice propitiatoire pour nous péchés, écrit-il, nous paraît ... irrecevable»29.

Au même titre que la théorie de Bultmann, cette mise en question de la selon l'Esprit, condition du chrétien, Paris, 1 9 6 5 , 1 4 4 - 1 4 7 (surtout p. 147, nn. 2 et 3); R . CANTALA-MESSA, L'omelia «In S. Pascha» dello Pseudo-Ippolito di Roma, Milano, 1967, 306-320: V. Loi,

La tipologia dell'Agnello pasquale e l'attesa escatologica in età patristica, Sal 33 (1971) 187-204:

le signe du sang qui sauva les Hébreux était la figure du signe de la croix tracé sur les fronts des néophytes durant la consignatio baptismale.

2 7 J. MATEOS-J. BARRETO, El Evangelio de Juan, Madrid, Cristiandad, 1979, 828-829. 2 8 La violence et le Sacré, Paris, Grasset, 1972; Des choses cachées depuis la fondation

du mond, Paris, Grasset, 1978.

2 9 A. Vergote, dans l'ouvrage collectif de X. LÉON-DUTOUR et al., Mort pour nos

péchés. Recherche pluridisciplinaire sur la signification rédemptrice de la Mort du Christ, Bruxelles,

1976, 53. 14

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2 1 0 DIDAS KALIA

notion de sacrifice intéresse notre problème, car, d'une manière ou d'une autre, la mention du sang de Jésus en Jn 19, 34 est liée au thème de la rédemption.

Tâchons de présenter en peu de mots l'essentiel de la pensée de R. Girard. Son point de départ est l'étude de l'histoire des religions. Il constate que, partout dans le monde, la société est menacée par la violence (qu'on se rappelle, au début de l'histoire humaine, l'exemple éloquent du meurtre de Caïn). Pour se délivrer de cette tension, les hommes, mus par une «mimêsis d'antagonisme», mettent en oeuvre le mécanisme de la «victime émissaire», en pratiquant un sacrifice; celui-ci est encore une violence, mais d'un autre ordre; c'est une transfiguration sacrale, illusoire, d'un meurtre; pour se libérer de la "violence impure", la société pratique une "violence purificatrice". Or, la grande nouveauté du christianisme, d'après Girard, est d'être une religion non sacrificielle: Jésus a rompu le lien entre la violence et le sacré, en annonçant la loi universelle de l'amour. La mort de Jésus n'est pas à interpréter comme un sacrifice.

La critique fondamentale qu'il faut faire à cette théorie de R. Girard, à notre sens, c'est qu'il part d'une conception qu'il a trouvée dans l'histoire des religions (mais, ici encore, bien des réserves s'imposent)3 0, et qu'il l'applique telle quelle au christianisme; il ne

semble pas se rendre compte que, déjà dans l'A.T. et dans le judaïsme (Philon), puis surtout dans le N.T., en particulier dans l'épitre aux Hébreux3 1, la notion de sacrifice a été profondément réélaborée et

intériorisée. Que dans l'histoire de la théologie chrétienne, il y ait eu parfois des pénibles déviations et des théories étranges, c'est indéniable. Mais Girard est inexcusable d'ignorer les explications les plus profondes du sacrifice données par des grands docteurs comme saint Augustin et saint Thomas3 2. Contentons-nous ici de rappeler un

principe fondamental d'Augustin: «Sacrificium ... visibile invisibilis sacrificii sacramentum, id est sacrum signum est»3 3. Déjà pour Philon

d'Alexandrie, toute offrande visible, tout sacrifice accompli suivant les rites de la Loi, n'est pas autre chose que le symbole d'une offrande invisible de l'âme.

3 0 Voit la réaction véhémente de L. BOUYER, Cosmos, Paris, Cerf, 1982, 57-62. 3 1 Cf. A . VANHOYE, Prêtres anciens, Prêtre nouveau, Paris, Seuil, 1 9 8 32, 260, n. 55;

Sacerdoce du Christ et culte chrétien selon l'épitre aux Hébreux, Christus 28 (1981) 216-230. 3 2 S. AUGUSTIN, De civitate Dei, X , 5-6 (PL, 41, 281-284; C C , 47, 276-279); S. THOMAS,

S. th., III, 48, 3, c.

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LE SYMBOLISME DU SANG ET DE L'EAU EN JN 19, 34 2 1 1

C'est à partir de telles prémices de la tradition judéo-chrétienne qu'il faut se demander si la mort du Christ était un sacrifice; ces mêmes principes nous aideront à mieux comprendre la portée symbolique et le sens de l'effusion du sang de Jésus à la Croix.

III. Portée symbolique et interprétation théologique du sang

et de l'eau

Nous procéderons ici en trois étapes: nous attirerons d'abord l'attention sur quelques aspects de la structure littéraire du passage, puis sur la valeur symbolique des termes «sang» et «eau»; ainsi se dégagera également toute la portée théologique de l'expression.

1. Corrélations des thèmes dans la structure de Jn 19, 28-37

Il n'est pas question d'entreprendre ici une analyse détaillée de la structure littéraire du passage. Nous nous bornerons à souligner quelques points essentiels, en commentant le texte structuré qui se trouve ci-après3 4.

Soulignons tout d'abord qu'il y a une étroite unité entre les deux péricopes 19, 28-30 et 19, 31-37, c'est-à-dire entre la mort de Jésus et l'épisode des soldats. Le double comportement de ceux-ci (le fait de ne pas rompre les jambes de Jésus, la transfixion) a évidemment une portée symbolique: il indique le sens salvifique de la mort de Jésus. On découvre ainsi une étroite connexion entre les vv. 28.30 et 34. Au v. 28, «Sitio» est à prendre aussi au sens spirituel: cette soif exprime le désir de Jésus mourant de donner l'Esprit à l'Eglise3 5. Cela va se réaliser par sa mort: «tradidit spiritum» (v. 30);

ces mots signifient à la fois «il rendit l'esprit» et «il communiqua l'Esprit». D'autre part, nous savons, par les deux épisodes de la Samaritaine (4, 10-14) et de la proclamation de Jésus au Temple, à la fête des Tabernacles (7, 37-39) — deux passages où il est aussi question de la soif— que l'eau vive qui s'écoule du sein de Jésus est un symbole

3 4 Pour une étude plus détaillée, cf. notre article, II costato trajitto (Gv 19,34): senso

rivelatorio e senso sacrificale del sangue di Gesù, in: Sangue e antropologia biblica nella liturgia

(IV Settimana di Studi promossa dalla Pia Unione del Preziosissimo Sangue), II, Roma, 1984, 625-649.

3 5 Voir notre article La sete di Gesù morente e l'interpretazione giovannea délia sua

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LE SYMBOLISME DU SANG ET DE L'EAU EN JN 19, 34 2 1 3

de l'Esprit: précisément c'est ce que Jean voit s'accomplir au v. 34, quand l'eau sort du côté transpercé de Jésus. Au point de vue de la structure, on voit donc se dessiner ici une continuité thématique entre ces trois versets (vv. 28.30.34): la soif de Jésus encore vivant, le don de l'Esprit par sa mort, l'eau vive comme symbole permanent de ce don après sa mort.

Ces premières constatations nous invitent à une analyse du même genre pour le mot «sang» au v. 34: ici aussi on découvre une corrélation de ce verset avec les mêmes vv. 28 et 30 qui précèdent; dans cette marche régressive du v. 34 vers le v. 28, nous rencontrons d'abord le «c'est achevé» du v. 30, qui est la toute dernière parole de Jésus avant sa mort; mais ce même mot avait déjà été anticipé au v. 28 par l'évan-géliste, qui l'avait renforcé par le pronom tout: «Tout est achevé».

Nous obtenons ainsi entre ces trois textes deux lignes thématiques parallèles: l'une présente l'aspect directement christologique de la mort de Jésus, et elle aboutit au symbole du sang («tout était achevé» — «c'est achevé» — «du sang»); l'autre, dans le bas du schéma, développe le thème pneumatologique, et se termine par le symbole de

l'eau («j'ai soif» — «il remit l'Esprit» — «de l'eau»). Le première

trouve son point d'aboutissement au v. 34; cependant, cette mention du sang, après la mort de Jésus, pointe en arrière, vers ce qu'avait été la vie de Jésus; l'autre ligne, par contre, commence par le «Sitio» du v. 28; étant un désir de Jésus mourant, sa soif du don de l'Esprit pointe vers l'avant, vers ce qui sera nécessaire à la vie de l'Eglise.

L'ensemble de ces corrélations thématiques entre les trois vv. 28. 30. 34 va être d'une importance décisive pour l'interprétation du sang et de l'eau qui sortent du côté de Jésus. Mais il nous faut d'abord attirer l'attention sur la portée symbolique générale des deux termes.

2. Portée symbolique du sang et de l'eau

Nous ne nous arrêterons pas au problème de l'historicité, pas davantage à l'explication physiologique de cet écoulement de sang et d'eau: naguère, c'étaient les seuls aspects du problème qui intéressaient certains commentateurs. Il n'y a aucune raison de nier l'historicité du fait; mais il est clair que, pour Jean, si ce fait acquiert tant d'importance, c'est en raison de sa portée

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2 1 4 DIDASKALIA

symbolique. Au reste, c'est une loi générale: la réalité des événements est la condition même du symbolisme johannique3 6.

a) Dans le cas présent, la portée symbolique du sang et de l'eau

est directement suggérée au v. 35, par la triple insistance du disciple sur son témoignage. Or, dans S. Jean, le témoin n'est pas seulement celui qui atteste la réalité d'un fait: de ce qu'il a vu, il passe à ce qu'on ne peut pas voir: le visible est signe de l'invisible, et c'est sur cette réalité cachée que porte l'affirmation de foi du témoin3 7. Ainsi par

exemple pour Jean-Baptiste au Jourdain: il voit la colombe, symbole de l'Esprit, qui «demeure» sur Jésus; par ce signe il comprend que Jésus est l'Elu de Dieu (1, 32-33), et c'est de cela qu'il témoigne. Il en va de même à la croix: le disciple voit que du côté transpercé «sort du sang et de l'eau»; et il témoigne avec force, non de ce fait matériel pris en lui-même, mais de ce qu'il symbolise, de ce que lui-même a compris dans son regard de foi. De plus, son témoignage devrait aussi susciter la foi de tous les chrétiens: «ut et vos credatis» (19, 35). Cette foi est encore décrite en finale: «Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé» (v. 37).

Il faut donc conclure qu'au v.34 les mots «sang» et «eau» appar-tiennent au langage symbolique de l'évangéliste; si l'événement qu'il raconte a ici une souveraine importance, c'est en raison de ce qu'il

symbolise, en raison de son sens.

b) Comment préciser quelle est la valeur symbolisante du sang

et de l'eau? Commençons par le symbole de l'eau, qui est plus facile à expliquer, en raison de ses attaches bibliques et des explications fournies par l'évangéliste lui-même.

Tout indique que l'eau est ici un symbole de l'effusion de l'Esprit. En 7, 38, Jésus avait annoncé que des fleuves d'eau vive couleraient de son sein: et d'anrès le commentaire de l'évanp-élistc.

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LE SYMBOLISME DU SANG ET DE L'EAU EN JN 19, 34 2 1 5

lui aussi, dit que l'eau «sort» du côté transpercé: Jésus est pour lui le Temple eschatologique, d'où s'écoule l'eau vive du salut. C'était déjà l'exégèse d'Hippolyte: «Par le sang nous avons l'eau de l'Esprit» 3 8;

ce qui s'accorde parfaitement avec le «tradidit Spiritum» de Jean au v. 30, auquel précisément notre verset renvoie.

c) Quelle portée symbolique faut-il attibuer au sang qui sort du côté de Jésus ? Ici, il faut partir d'une donnée biblique fonda-mentale: le sang est le siège de la vie (Lév 17, 11.14). Mais le sang

répandu est signe de mort. Il ne faudrait pourtant pas conclure trop

vite au caractère bivalent du symbolisme du sang (vie et mort)3 9.

On doit distinguer ici entre signe et symbole: le sang qui coule du côté transpercé de Jésus est simplement le signe du fait matériel que sa mort est déjà survenue (cf. le v. 30; voir plus haut, l'exégèse de Brown); mais puisque le sang est aussi un symbole, il est nécessaire-ment un symbole de vie. C'est ce que suggère tout le contexte du récit johannique. L'exégète anglais Westcott a trouvé la formule exacte:

«Le sang du Christ représente la vie du Christ»4 0. Le sang qui sort

du côté de Jésus déjà mort devient pour les témoins l'évocation et le symbole de la vie profonde de Jésus avant sa mort; il est le signe visible de ce qui était demeuré invisible: la conscience de Jésus. Le sang qui «sort» de son côté transpercé nous laisse «pénétrer» dans son intimité, dans ce que la spiritualité, à partir du moyen âge, appellera le «cœur» de Jésus. Ici par conséquent on peut redonner toute sa valeur à un thème traditionnel depuis saint Augustin, celui du côté ouvert: non pas, certes, en raison de l'expression «latus eius

aperuit», qui n'est pas de saint Jean, mais en raison du verbe «sortit», qui

oriente équivalemment l'attention vers ce qui était «à l'intérieur», en raison aussi du symbolisme du sang, qui évoque ce qu'était la vie profonde de Jésus. Ceci est d'ailleurs confirmé et précisé par l'indi-cation que nous retirions tout à l'heure de la structure littéraire: le mot «sang» du v. 34 nous renvoie à ce qui était dit aux vv. 28 et 30 de Jésus avant sa mort.

Mais c'est cela qu'il nous faut maintenant examiner de plus près.

3 8 Texte cite par H. RAHNEK, «Flumina de ventre Christi». Die patristische Auslegung

von Joh. VII, 37-38, Bib 22 (1962) 269-302.367-403 (cf. p. 370).

3 9 Comme le fait par exemple V. VATTIONI, Sangue: vita o morte nella Bibbia?, in:

Sangue e Antropologia Biblica (Studi Sanguis Christi), 1/2, Roma, 1981, 367-378; il ne faut pas

oublier, dit-il, «il carattere bivalente (vita e morte) del simbolismo del sangue» (p. 372). Voir à ce sujet ce que nous disons plus avant dans le texte.

4 0 B. F. WESTCOTT, The Epistles of St John, ed. 1966, 34-37: «The idea of Christ's

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2 1 6 DIDASKALIA

3. Interprétation christologique du symbolisme

Nous voici finalement arrivés au cœur de notre sujet. Nous devons maintenant tâcher de mieux comprendre le symbolisme du sang et de l'eau d'un point de vue strictement christologique: celui du mystère de la vie profonde de Jésus. Toute cette péricope, propre à Jean, sur le corps de Jésus mort, prend son sens par tout ce qu'elle nous révèle de Jésus vivant.

a) Partons de ce que nous indique la structure littéraire du

passage: le «sang» qui sort du côté de Jésus après sa mort (v. 34) est le symbole du double «Consummatum est» avant sa mort (vv. 28 et 30); ici nous voyons clairement, comme nous l'avons marqué dans le texte structuré, ce qui est «symbolisé» par le sang de Jésus. Mais ces deux emplois du verbe TeréAsaTai («Consummatum est») ne sont pas sur le même plan: au v. 30, et là seulement, c'est une parole de Jésus lui-même; c'est la toute dernière qu'il prononce avant de mourir: elle se trouve au centre de la structure. Par ce mot, Jésus exprime un jugement d'ensemble sur toute son œuvre. Mais au v. 28, cette parole de Jésus avait déjà été anticipée par l'évangéliste: là, elle était accompagnée d'une série de détails importants qui en fournissaient un commentaire, en ouvrant un large horizon sur l'œuvre du salut accomplie par le Christ. Analysons-les brièvement.

Remarquons en premier lieu l'ajout du pronom «tout» (Vulg.:

«omnia consummata sunt»), par lequel la perspective s'élargit à

l'ensemble de la mission de Jésus. Cette ampleur devient encore beaucoup plus vaste avec les mots qui suivent: «... pour que l'Ecriture

fût parfaitement accomplie»; à juste titre, beaucoup d'exégètes récents

rattachent cette phrase — qui exprime une intention, un sens — non pas au «Sitio» qui suit, mais au verbe précédent: «Tout était achevé»4 1.

Il ne s'agit donc pas de la réalisation d'une prophétie particulière sur la soif de Jésus, mais de l'accomplissement parfait (îva TSASIMOT))

de l'Ecriture dans son ensemble, c'est-a-dire du programme messia-nique de Jésus: celui-ci était décrit, comme Jésus le dira aux disciples d'Emmaiis, dans «tout ce qu'ont déclaré les prophètes», dans ce qui avait été écrit par «Moïse et tous les prophètes»; il s'agit en somme de ce que «toutes les Ecritures avaient dit à son sujet» (Le 24, 25-27). Mais deux expressions temporelles, au début de la phrase, ont aussi leur importance: «après quoi ... désormais». Elles se rapportent l'une

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LE SYMBOLISME DU SANG ET DE L'EAU EN JN 19, 34 217

et l'autre à l'épisode précédent, celui de la mère de Jésus et du disciple bien-aimé au pied de la croix. Dans sa manière de rédiger le début du v. 28, l'évangéliste intègre cet événement antérieur dans le programme messianique de Jésus, dont il constitue pour ainsi dire le tout dernier acte: «désormais, l'Ecriture était parfaitement accomplie». Or, la scène décrite aux vv. 25-27 est celle, peut-on dire, de la nais-sance de l'Eglise, en la personne de Marie et du disciple bien-aimé. Comme l'a dit admirablement un auteur médiéval, Gerhoh de Reichersberg, la mère de Jésus est ici «de l'Eglise toute sainte, le nouveau commencement», Ecclesiae sanctae nova inchoatio42. L'acte

par lequel Jésus achève son oeuvre est celui d'indiquer que sa mère est désormais la «Femme», la Fille de Sion eschatologique dont parlaient les prophètes; par là même, elle devient aussi la figure de l'Eglise, comme l'a si fortement souligné une longue tradition patris-tique4 3. Et le disciple bien-aimé devient la figure des croyants.

On saisit la multiplicité des résonances de la dernière parole de Jésus: «C'est achevé», sur laquelle tombe ici tout l'accent. Avant de mourir, Jésus pouvait dire qu'il avait parfaitement accompli toute son œuvre

messianique, en fondant l'Eglise.

Arrêtons-nous maintenant au tout premier verbe du v. 28: «sachant» (îîScoç). Ce participe est appliqué par trois fois à Jésus, au cours de cette deuxième partie de l'évangile: dans le verset d'intro-duction du récit de la cène (13, 1); au début des deux chapitres sur la Passion, au jardin (18, 4); et en finale, à la Croix (19, 28). Jean veut souligner par là que, tout au long du récit de la Passion, Jésus marche à la mort, en pleine conscience de la signification de l'événe-ment; et ceci nous permet d'entrer dans le mystère de son cœur, dans celui de sa conscience. Le premier et le troisième de ces textes sont plus solennels:

«Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant

que son heure était venue de passeï de ce inonde à son Père, ayant aimé les siens qui

étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin».

Et à la Croix: «Après quoi, sachant que désormais tout était achevé pour que l'Ecriture

fût parfaitement accomplie, Jésus dit: "C'est achevé'».

4 2 G. DE REICHERSBERG, Liber de gloria et honore Filii hominis, 10,1 (PL 194, 1105 13) 4 3 Cf. A. MUELLER, Ecclesia-Maria. Die Einheit Marias und der Kirche, Freibtirg, 1955; O . SEMMELROTII, Marie, archétype de l'Eglise, Paris, 1965.

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2 1 8 DIDASKALIA

Il importe de bien mesurer de quoi Jésus était parfaitement

conscient: sur quoi tombe ici la clarté de son regard intérieur? Tout

d'abord sur le fait que «tout était achevé pour que fût parfaitement

accomplie l'Ecriture». Dans la prière sacerdotale, Jésus avait utilisé le

même verbe en s'adressant au Père: «Je t'ai glorifié sur la terre, en ayant parfaitement accompli l'œuvre que tu m'as donné de faire» (17, 4). Le mot «tout est achevé» de la Croix exprime donc essentiellement la parfaite obéissance de Jésus au dessein du Père, sa conscience d'avoir mené à bonne fin la réalisation de son programme messianique, décrit dans l'Ecriture. Cette obéissance de Jésus au Père, jointe à l'amour du Père pour lui, est également décrite dans l'allégorie du Pasteur: «C'est pour cela que le Père m'aime, parce que je donne ma vie pour la reprendre; ... je la donne de moi-même, j'ai pouvoir de la donner et j'ai pouvoir de la reprendre: tel est le commandement que j'ai reçu

de mon Père» (10,17-18).

Mais le mot TSTéXsaToa («Consummatum est») prononcé par Jésus mourant (v. 30) décrit également la conscience qu'il avait d'avoir accompli son œuvre de salut par amour pour la communauté des frères. Le verbe utilisé ici (reXéco) dérive du substantif zéXoç

(fin, but), qui se lisait précisément en 13, 1, dans le verset solennel

d'introduction de toute la section de la Passion: «In finem dilexit illos», ce qui doit se comprendre en deux sens: «Il aima les siens juqu'à la fin»; et «Il les aima jusqu'à la manifestation suprême de son amour pour eux». Cet amour suprême, Jésus le manifesta à la Croix, lorsque dans la personne de sa mère et du disciple bien-aimé, il constitua le nouveau peuple de Dieu et leur communiqua de don de l'Esprit. L'élévation de Jésus sur la croix devenait une «exaltation»: il commençait à exercer sa royauté messianique sur la nouvelle communauté chré-tienne. Le dernier mot de Jésus, son «Consummatum est», est donc comme un cri de triomphe du roi messianique sur le trône de la Croix.

Notons enfin, en 19, 28, une dernière corrélation de «omnia consummata sunt» avec «Sitio» à la fin du verset, où Jésus exprime son désir de donner l'Esprit à l'Eglise. Observons attentivement les arti-culations multiples de ce v. 28. Il est composé de quatre membres. Le trois premiers, où c'est l'évangéliste qui commente l'épisode, sont orientés vers l'arrière, vers un passé qui s'étend toujours plus au loin: les premiers mots («après quoi») se réfèrent directement à la

scène précédente; la deuxième formule («tout était achevé») veut montrer

que ce dernier acte de Jésus mourant est comme la conclusion de l'œuvre messianique de toute sa vie; enfin la perspective s'élargit

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LE SYMBOLISME DU SANG ET DE L'EAU EN JN 19, 34 2 1 9

encore beaucoup plus dans la dernière proposition: Jean nous dit ici qu'était ainsi portée à son terme la réalisation de l'œuvre messianique décrite dans tout l'A. T. («l'Ecriture»). Tout cela fait partie des réflexions de l'évangéliste. Par contre, le dernier mot du verset est une parole de Jésus: <J'ai soif»; celle-ci est orientée en sens inverse: elle ouvre une perspective nouvelle, sur le temps à venir, l'époque qui va commencer après la mort de Jésus: ce sera l'ère de l'Esprit. L'œuvre de Jésus, point d'aboutissement de l'A.T., va être relayée par l'action de l'Esprit, tout au long du temps de l'Eglise. Nous sommes ici, dans cette conscience messianique de Jésus, au point de jonction des deux grandes parties de l'économie du salut (4 3 b i s).

Mais il faut remarquer que de désir de communiquer l'Esprit à l'Eglise est encore exprimé par Jésus lui-même avant de mourir; c'est l'avant-dernière parole qu'il prononce avant le «Consummatum est» final: dans ces vv. 28-30, les mots «J'ai soif» se trouvent donc insérés entre les deux emplois de TSTÉXÔCTTXI («C'est achevé»): l'un,

rappe-lons-le, faisait partie du commentaire de l'évangéliste (v. 28); l'autre, qui vient après «Sitio» (v. 30), est un mot de Jésus lui-même (c'est sa toute dernière parole). Cela veut dire que le désir de donner l'Esprit à l'Eglise appartient encore, lui aussi, à l'accomplissement de l'œuvre messianique de Jésus.

On reste émerveillé de voir tout ce qu'impliquent ces deux mots «Sitio» et «Consummatum est», par lesquels Jésus termine sa mission: or c'est précisément de ce •zszëkea-zct.i final, avec tout ce qu'il dévoile sur «l'âme sainte» de Jésus (Guillaume de St-Thierry), sur sa vie profonde, sur sa conscience messianique au moment de sa mort, que le sang du côté de Jésus va être le symbole, d'abord pour les témoins au Calvaire, puis pour tous les hommes, jusqu'à la fin des temps.

« bis C'est dans cette conscience messianique de Jésus que se réalise la continuité entre l'Ancien Testament et le Nouveau. Voir à ce sujet une très belle page de H. de Lubac: «Cette continuité objective de la figure à la réalité se traduit bien cependant, sur terre, par une continuité de conscience. Mais celle-ci ne doit pas être cherchée ailleurs, si on l'entend en plénitude, que dans la conscience messianique de Jésus. Là, dans ce lieu sacré, tout se noue, tout s'unifie. Là tout îevêt sa signification définitive. Là s'opère en toute clarté le passage d'un Testament à l'autre, l'aichimie qui transforme l'un dans l'autre. Là toute la dialectique des deux Testaments se resserre: le Nouveau tout entier est enfanté par l'Ancien, et du même coup l'Ancien tout entier se trouve interprété par le Nouveau. (...) Jésus a conscience qu'il accomplit la religion d'Israël, et qu'elle devient alors en lui toute spirituelle. Il a conscience d'accomplir et de transfigurer à la fois, d'accomplir en transfigurant. (...) C'est cette intuition de Jésus, identique à la conscience de son rôle de Sauveur, que la tradition chrétienne monnaiera en mille traits ...»,

Histoire et Esprit. L'interprétation lie l'Ecriture d'après Oriqène (Théologie, 16), Aubier, 1940,

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2 2 0 DIDASKALIA

b) Passons maintenant de nouveau au thème pneumatologique: le

don de l'Esprit, désiré par Jésus et symbolisé par l'eau vive. Nous en avons déjà parlé. Mais 'nous voudrions à présent mieux comprendre son rapport précis au thème christologique (voir la structure). Apres tout ce qui a été dit précédemment, quelques brèves indications sufffiront.

Dans chacun des trois versets (vv. 28.30.34) tout est ramené à Jésus. C'est lui qui dit: «J'ai soif»; c'est lui qui «remet l'Esprit»; et c'est également du côté de Jésus que sort «l'eau» qui symbolise l'Esprit. C'est vraiment de son sein à lui que coulent les fleuves d'eau vive de l'Esprit (cf. 7, 38), comme l'eau vive sortait du Temple escha-tologique dans la vision prophétique. Jésus est vraiment de Temple de l'Esprit; avec Origène on peut dire qu'il est «la source de l'Esprit»4 4.

Mais un autre détail encore doit être noté, pour le v. 34: l'étroite unité — on dirait même la fusion, le mélange — entre le sang et l'eau. Le verbe «sortit», qui évoque l'eau du Temple dans Ez 47, se trouve ici en position emphatique, avant les deux substantifs: «il sortit du sang et de l'eau» (que le verbe soit au singulier est normal, quand le sujet est un pluriel neutre: aïu,x xai uScop). Au texte prophétique qui annonçait uniquement des flots d'eau vive (cf. Jn 7, 38), Jean ajoute le mot sang: c'est-à-dire qu'entre le côté de Jésus, percé par la lance, et l'eau de l'Esprit, s'intercale, si l'on peut dire, le sang de Jésus. Ou plutôt, les deux éléments semblent se mêler pour n'en plus former qu'un seul. C'est peut-être ce que la tradition suggère, même inconsciemment, quand elle observe que le mélange de sang et d'eau donnait une couleur rosée: «du sang rosé» (cruorem roseum), dit l'hymne des Vêpres du temps pascal; et sainte Gertrude, dans la contemplation de «la plaie sacro-sainte du côté», raconte qu'elle «fut purifiée de toute tache dans l'eau rosée (in aqua illa rosacea) que fit jaillir la lance du soldat»4 5. Qu'est-ce à dire? Si ce n'est pas trop raffiner de vouloir

donner une portée théologique à de si menus détails, on peut se demander quelle est la réalité symbolisée par cette étroite union (il faut même dire ce «mélange» du sang et de l'eau), car elle est clairement indiquée dans le texte. Le sens ne peut être que le suivant: l'Esprit n'est pas seulement communiqué par Jésus, comme un don autonome et séparé, totalement indépendant de Jésus lui-même; mais c'est l'Esprit de Jésus; mieux encore: cet Esprit communiqué par Jésus

4 4 ORIGÈNE, In Ioan., fragm. 48 (GCS, Origcncs, IV, 523, 8-9).

4 5 Le Héraut, IV, 2,5 (SC, 255, 30). Cf. aussi S. CYRILLE D'ALEXANDRIE, In Joan.

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à l'Eglise (= la réalité symbolisée par «l'eau»), c'est la vie profonde de Jésus lui-même («le sang»), actualisée dans l'Eglise par l'Esprit; c'est le Christ, qui demeure présent dans l'Esprit. Dans une conférence récente prononcée à Rome, l'abbé Cl. Dagens disait: «Le mystère

de l'Esprit Saint est inséparable du mystère de la Croix du Christ»;

la tâche la plus urgente de l'Eglise aujourd'hui, c'est «de révéler et de manifester au monde dans la force de l'Esprit Saint (...) que la Croix du Christ est pour toujours le centre et le sommet de notre histoire» 4 6.

A la lumière des analyses précédentes, nous pouvons encore préciser: c'est «l'eau vive» de l'Esprit qui rend présent dans l'Eglise «le sang» de Jésus; l'Esprit pousse les croyants à s'unir au Christ Jésus et à vivre à leur tour ce que ce sang symbolise, à savoir la vie filiale de Jésus, son obéissance au Père, son oblation intérieure, son amour salvifique pour les siens; et le sang qui sort du côté de Jésus après sa mort est le signe que, dans l'Esprit, il a accepté cette mort pour le salut du monde (Jn 3,14-17). Contre R. Girard il faut donc maintenir que cette oblation intérieure de Jésus constitue un «véritable sacrifice»: elle est ce «sacrifice invisible» dont parlait saint Augustin.

Ainsi se prolonge et s'actualise dans la communauté chrétienne l'action rédemptrice du Christ, parce qu'il transmet aux croyants sa propre vie profonde et leur donne la possibilité d'y communier dans l'Esprit. L'Eglise, en effet, n'est rien d'autre que le Christ continué (cf. Gai 2, 20); l'Esprit Saint est l'actualité du Christ4 7. La vie de

foi des chrétiens, dans l'Esprit, est une participation à la vie du Christ.

Conclusion

1. Deux aspects sont neufs dans cette interprétation de Jn 19, 34. Le premier consiste dans l'insistance sur la concentration christolo-gique du passage; le sang et l'eau du côté transpercé de Jésus symbo-lisent — et font comprendre — ce que Jésus vivait au plus profond de lui-même, au moment de sa mort, à savoir son obéissance au Père, son amour pour les hommes, l'action de l'Esprit. Le symbole du «sang»

4 6 Claude DAGENS, L'Esprit Saint Paraclet dans l'histoire des hommes et la vie de l'Eglise

(texte ronéotypé d'une conférence prononcée le 5 avril 1984, au Centre d'Etudes Saint-Louis-de-France, à Rome), p. 2.

4 7 Cf. B. GILLIÉRON, Le Saint-Esprit, actualité du Christ, Genève, 1978; A. NOSSOLI,

Der Geist als Gegenwart Jesu-Christi, in: W. KASVER (Hrsg.), Gegenwart des Geistes. Aspekte der Pneumatologie, Freiburg, 1979, 132-154.

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qui sort du côté nous permet ainsi d'accéder, par cette «porte de la vie», à la conscience de Jésus, à son «âme sainte». Malgré l'absence des deux mots «ouvrit» et «cœur», nous retrouvons donc, par le biais du symbolisme du sang et de l'analyse du contexte, les thèmes tradi-tionnels de l'ouverture du côté, et du «cœur» de Jésus. L'«eau» du côté, par ailleurs, symbolise l'Esprit dont Jésus était le temple et dont il devient la source. L'étroite conjonction des symboles du «sang» et de l'«eau» résulte des analyses précédentes; il ne fait que renforcer ce qu'indiquait déjà la structure: l'étonnant parallélisme du

thème christologique et du thème pneumatologique. Comme on le sait,

l'étroite relation entre la christologie et la pneumatologie est un sujet fort étudié ces dernières années4 8. Notre passage en fournit une

nouvelle illustration. Nous voudrions maintenant confronter ces résultats avec les interprétations dejn 19, 34 dans la tradition médiévale et patristique, brièvement esquissées dans la première partie de cet article.

2. L'étude du symbole du «sang» nous a orientés, disions-nous, vers «l'intériorité» de Jésus mourant; cette intériorité s'exprimait dans ses deux dernières paroles: «Sitio» et «Consummatum est». En raison de cet accent sur la dimension existentielle de la scène, c'est-à-dire sur la subjectivité de Jésus, sur sa conscience, il est normal que ces aspects aient été surtout perçus et vécus dans la mystique médiévale. Voici quatre exemples:

a) On se rappelle le sens du «Consummatum est» auquel

renvoyait le symbolisme du sang: Jésus déclarait qu'il avait accompli la mission qui lui était assignée dans l'Ecriture; il manifestait ainsi son obéissance filiale au Père. Ce thème se retrouve chez sainte Catherine de Sienne, mais sans être rattaché à notre passage. Dieu dit à la Sainte: «Que votre lieu soit le Christ crucifié, mon Fils unique; habitez et cachez-vous dans la caverne de son côté (...). Dans ce cœur

ouvert, vous trouverez l'amour, car (...) pour m'honorer, moi, le Père

éternel, et pour accomplir l'obéissance que j'avais mise en lui pour votre

salut, il courut à la mort ignominieuse de la très sainte croix»4 9.

b) L'aspect filial de cette vie profonde de Jésus a été très bien

4 8 Cf. p. es. M. BORDONI, Cristologia e pneumatologia. L'evetito pasquale come atto di

Cristo e dello Spirito, Lateranum n. s. 47 (1981) 432-492; I. de la POTTERIE, Christologie et

pneumatologie dans S.Jean, in; COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, Bible et Christologie, Paris,

Cerf., 1984,271-287.

4 9 Dialogo delia Provvidenza, a cura del P. Innocenzo Taurisano, II, Firenze, 1928,

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LE SYMBOLISME DU SANG ET DE L'EAU EN JN 19, 34 2 2 3

souligné par Guillaume de St-Thierry dans un texte déjà cité5 0;

il nous exhorte: «que, par la porte ouverte, nous entrions tout entiers jusqu'à votre Cœur, ô Jésus, ... jusqu'à votre âme sainte»; et il

demande au Sauveur d'ouvrir le côté de son corps, «pour qu'entrent

ceux qui désirent voir les secrets du Fils»51.

c) D'autre part, dans S. Jean, les fleuves d'eau vive qui

s'écou-lent du sein de Jésus sont un symbole de l'Esprit (Jn 7, 38-39): Jésus est le Temple de l'Esprit, ou comme disait Origène, «la source de l'Esprit». Le thème reparaît dans Le Héraut de sainte Gertrude d'Helfta, dans une section intitulée «Le Cœur du Christ demeure de

l'Esprit»52.

d) Le rapprochement enfin de Jn 19, 28.30 et de 13,1 faisait

encore apercevoir que, pour l'évangéliste, la mort librement acceptée par Jésus était également la manifestation suprême de son amour

pour les siens. Cette idée, déjà présente dans le texte de sainte

Catherine de Sienne que l'on vient de lire5 3, est surtout fréquente

chez sainte Gertrude: «Voici comment, à cause de l'amour que j'ai

pour toi, j'ai été suspendu pour toi, nu et méprisable, le corps couvert

de blessures et tous les membres disloqués. Mon cœur est ému d'une telle doucer à'amour pour toi que...»5 4.

3. Passons maintenant à l'époque des Pères. Comment situer notre exégèse face aux interprétations patristiques, dont on a pu lire ci-dessus quelques échantillons représentatifs? Les Pères, pour expliquer Jn 19, 34, plaçaient d'ordinaire le verset dans une perspective beaucoup plus ample5 5 : d'une part, celle de toute l'histoire du salut

5 0 Voir plus haut, p. 203, n. 4.

5 1 «Aperi nobis latus corporis tui, ut ingrediantur qui desiderant videre occulta Filii»,

Meditativae orationes, 6 (PL, 180,226 A).

5 2 Voici le passage le plus important: «Tel un aigle qui, d'un vol rapide, fond sui un

cadavre, il (l'Esprit-Saint) se précipita, sous la forme d'une colombe, d'un coup d'aile très rapide, sur le racrement ae vie, chex chant pour ainsi dire le Coeur tiès doux de Jésus, et il y pénétra, pour bien montrei qu'il est lui-même enclos de manière parfaite, en la demeure de cette très sainte poitrine», Le Héraut, IV, 38,6 (SC, 255, 399). Et un peu plus haut (IV, 38,1), dans le second des deux textes que nous avons cités au début, elle dit que «l'Esprit-Paiaclet, à travers le Cœur du Fils de Dieu, se répand dans le cœur des élus».

5 3 Voir encore, de sainte Catherine de Sienne, Le orazioni, a cura di G. Cavallini,

Roma, 1978, Oratio XII, p. 140 et n. 21.

5 4 Le Héraut, III, 41,3 (SC, 143, 191); voici le texte latin: «Ecce quomodo oausa tui

amoris pependi in cruce (...). Et jam tali dulcore charitatis afîflcitur Cor meum erga te,

quod...»(p. 190).

Voir ancore sainte CATHERINE DE SIENNE, Epistolario, III, Sienne, 31913, 68, lettre 168:

«... (il) sangue del Figliuolo di Dio, il quale fu sparso con tantofuoco d'amore. E pensate che nel

fuoco délia sua carità ...».

5 5 Cf. P. BEAUCHAMP, Le récit, la lettre et le corps. Essais bibliques (Cogitatio fidei, 114),

Paris, 1982, 18: «L'exégèse des Pères honore (...) les dimensions du Livre biblique et du mystère chrétien. Elle s'attache au commencement et à la fin de l'histoire».

(24)

2 2 4 DIDASKALIA

(l'entrée dans le Paradis ou dans l'arche, qui préfigurait l'entrée dans la vraie vie, par l'ouverture du côté); et d'autre part, celle de l'Eglise et de la vie sacramentelle, par quoi se réalisait cette entrée dans la vie. Un aspect surtout prit une grande importance, aussi bien dans la liturgie que chez les Pères; on le retrouve aussi chez Pie XII, dans

Haurietis aqitas: «C'est du Cœur blessé de notre Rédempteur qu'est

née l'Eglise»5 6. Et l'on cite souvent à ce propos l'hymne des Vêpres

de l'ancienne fête du Sacré-Cœur: «C'est du Cœur déchiré que l'Eglise, épouse du Christ, prend naissance (ex Corde scisso Ecclesia,

Christo iugata nascitur). Ce Cœur est la porte du flanc de l'arche (hoc ostium arcae in latere est) pour le salut des hommes». Mais si on veut ne

pas en rester aux métaphores, il faut expliquer ce qu'on entend dire quand on affirme que l'Eglise «est née» du côté transpercé de Jésus5 7.

Ici d'ailleurs jaillit spontanément une autre question: ces déve-loppements postérieurs de la théologie patristique et de la liturgie ont-ils encore quelque fondement dans le texte de Jean ? Car s'ils lui étaient totalement extrinsèques, ils seraient fragiles aux yeux de la critique moderne; beaucoup d'exégètes, par rigueur de méthode ou peut-être par indifférence, voire même avec dédain, les écarteraient comme étrangers au texte de l'évangile. Par contre, si la tradition ne fait que dégager et amplifier des virtualités du texte que l'on peut mettre à jour par une rigoureuse analyse de la structure du passage, le cas est différent: alors, ces interprétations postérieures sont précieuses pour le bibliste lui-même, car elles peuvent l'aider à mieux percevoir les différentes harmoniques, et donc la profondeur du texte. Mais l'inverse est tout aussi vrai: l'étude exégétique du passage lui-même, bien situé dans son contexte, demeure indispensable pour le patrologne et pour le théologien-, elle leur fournit une indication précieuse que leur permet de dégager ce qu'il y a de plus valable dans les thèmes patristiques; car ceux-ci restent assez souvent au niveau des préfigurations, des symboles, qui n'ont pas tous la même valeur.

Nous nous contenterons d'examiner ici le thème de l'ouverture du côté de Jésus, exploité typologiquement par les Pères en deux directions: vers l'arrière (Adam, l'arche) et vers l'avant (l'Eglise).

5 6 Ce texte de Pie XII est cité plus longuement p. 204. Sur ce thème, l'étude

fondamentale reste celle de S. TROMP, De Nativitate Ecclesiae ex Corde Iesu in Cruce, Greg 13 (1932) 389-527 (moisson très abt. ndante de textes patristiques et liturgiques); cf. suitout p. 503: «Frequentissime docent Patres, Ecclesiam ut novam Evarn prodiisse et aedificatam esse ex latere novi Adae, somnum mortis dormientis in Cruce» (nombreuses références).

5 7 Voir à ce sujet G. de BROGLXE, L'Eglise, nouvelle Eve née du Sacré-Cœur, N R T 68

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LE SYMBOLISME DU SANG ET DE L'EAU 3N JN 11, 5 4 2 2 5

a) Un des textes les plus synthétiques semble être celui

d'Augustin cité au début. Pour mieux faire comprendre le mystère du côté «ouvert» de Jésus, il recourt à deux images bibliques: celle du côté d'Adam (et de la côte d'Adam!), d'où a été tirée Eve, figure de l'Eglise; et celle de la porte de l'arche, qui fournit un refuge aux animaux et les sauva du déluge. Mais on doit remarquer que l'image joue ici simultanément en deux sens opposés: Eve sort du côté d'Adam; les animaux entrent dans l'arche. Quand donc cette double «ouverture» du côté — celle d'Adam et celle de l'arche — est appliquée à l'Eglise, comme dans l'hymne de la fête du Cœur de Jésus, elle est, dans un

cas, symbole de «sortie», de naissance (ex Corde scisso Ecclesia... nascitur), dans l'autre, symbole de salut (ostium arcae... ad salutem positum), mais

d'un salut qu'elle est supposée trouver en entrant à l'intérieur du Cœur (même si cela n'est pas dit). Pour l'arche, Augustin ajoute une précision: l'ouverture était «la porte de la vie». Mais, ici encore, on est gêné par un certain excès dans la dialectique: par cette «porte», il s'agit d'«entrer» dans la vie (intratur); néanmoins, Augustin explique que par cette porte «se sont écoulés (manaverunt) les sacrements», ce qui est encore un mouvement de sortie. Ce va-et-vient de mouvements contraires désoriente. On se demande aussi quel est ce salut, cette vie. L'auteur ne le dit pas, et on comprend pourquoi. Si dans tout ce déve-loppement il ne parle pas du Christ, c'est qu'il reste ici au plan des

figures.

Or, c'est précisément sur ces deux points que Jean concentre toute son attention et nous apporte des précisions importantes. Chez lui aussi, une fois seulement, on passe de l'extérieur à l'inté-rieur, du symbole au mystère; mais il s'agit du mystère du Christ sur la croix. D'une part, le sang qui sort de son côté se montre à l'extérieur, mais comme symbole; il oriente vers l'intérieur, vers le mystère de la vie profonde de Jésus. De plus, ce qu'était cette vie est précisé à son tour par deux paroles de Jésus: <J'ai soif» et «C'est achevé», dont nous avons montré les multiples implications théologiques. Ce qui frappe, dans ce texte de Jean, c'est d'une part quil n'y a aucune incohérence au plan de l'image (cf., dans la structure, le mouvement opposé des deux séries de flèches): il n'y a qu'un seul mouvement de l'extérieur vers l'intérieur (au niveau du thème christologique), et un unique mouvement de l'intérieur vers

l'extérieur (au deuxième niveau celui du thème pneumatologique);

d'autre part, Jean nous fait dépasser le plan des images, pour arriver à la réalité elle-même: l'eau symbolise l'Esprit qui est donné; et le

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2 2 6 DIDASKALIA

sang, la vie profonde de Jésus, à laquelle nous avons accès grâce à la valeur symbolisante du sang. Semblablement, Jésus a dit ailleurs qu'il était la Porte (10, 9), mais c'est parce qu'il donne la vie en abondance (10, 10); ou encore, il a dit qu'il était la Voie, mais il est aussi la Vie, lui, Jésus (14, 6). C'est uniquement dans cette lumière du Christ que les préfigurations empruntées à la Genèse prennent leur vrai sens.

Néanmoins, cela ne veut pas dire que cette typologie biblique a désormais perdu toute valeur. Bien loin de là. Car une fois que la scène du côté transpercé de Jésus a été exploitée christologiquement dans son contexte johannique, le recours aux préfigurations de l'A.T. permet de lui donner beaucoup plus d'ampleur, et de la situer dans l'ensemble de l'histoire du salut; ainsi il nous aide à mieux comprendre que, vraiment, «le Cœur de Jésus (est le) cœur du monde»5 8.

h) Une remarque analogue doit se faire pour la perspective

ecclésiale qu'ouvrent d'ordinaire les Pères à propos de Jn 19, 34. Rappelons que, d'après l'interprétation la plus traditionnelle, en Orient comme en Occident, l'Eglise est née au Calvaire, du flanc du nouvel Adam5 9. L'explication la plus courante consistait à dire

que l'eau et le sang du côté représentent les sacrements du baptême et de l'eucharistie, qui sont la porte d'accès à l'Eglise et au salut6 0.

Mais dans cette présentation des choses, on déplace l'accent: le Christ en croix n'est plus lui-même objet direct de contemplation; il n'est vu que comme le point d'origine de la vie de l'Eglise. Il ne s'agit plus d'«entrer» dans le Cœur ouvert, comme semblerait le demander la comparaison avec l'entrée dans l'arche du salut, et comme le diront plus tard les mystiques médiévaux (voir plus haut, le texte de Guillaume de St-Thierry), mais d'entrer dans l'Eglise (intrat in

Ecclesiam). Dans l'évangile de Jean, au contraire, comme nous

pensons l'avoir montré, la perspective est directement christologique, pas encore sacramentelle ou ecclésiale. Ce sens immédiat du texte est important pour l'interprétation ecclésiale elle-même, qui était

5 8 Voir le titre du volume des Actes du Congrès de Toulouse de 1981, cité plus

haut n. 12.

5 9 Voir S. TROMP, De Nativitate Ecdesiae, loc. cit. Ajoutons ce témoignage de S. EPHREM, Commentaire de l'évangile concordant, 21,11: «Il en sortit du sang, qui nous délivia de la

servitude, et de l'eau, pour laver et purifier de la servitude mauvaise quiconque accéderait au sang rédempteur. Il en sortit du sang et de l'eau, c'est-à-dire l'Eglise elle-même, édifiée sur le Christ» (SC, 121,380).

6 0 Cf. p. ex. S. AUGUSTIN, Contra Faustum, 12,16: «Nemo quippe intrat in ecclesiam,

nisi per sacramentum remissionis peccatorum: hoc autem de Christi latere aperte manavit» (CSEL, 25/2, 345-346); voir nn. 57 et 59.

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