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L’inspecteur du travail: dynamiques identitaires des inspecteurs-élèves du travail en formation

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L’inspecteur du travail: dynamiques identitaires des

inspecteurs-élèves du travail en formation

Work inspector: identity dynamics of work student inspectors under formation

Mokhtar Kaddour1

Les données empiriques mobilisées dans le cadre de cet article proviennent des résultats d’une étude commanditée, en 1998-1999, au Centre de Recherche sur la Formation du CNAM, par l’Institut National du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle ( INTEFP ) du Ministère du Travail. Cette étude avait pour objectif l’évaluation de la formation initiale des inspecteurs du travail, en vue d’une refonte en profondeur. A cette occasion, avait été effectuée une série d’interviews collectives et d’entretiens individuels avec les différents acteurs de la formation : les différentes administrations centrales du Ministère, les organisations syndicales représentatives du personnel, des directeurs régionaux et départementaux, des directeurs adjoints, des maîtres de stage, des inspecteurs du travail en fonction, des chefs de projets, des formateurs et des inspecteurs-élèves du travail en formation à l’INTEFP. Avec l’accord des différents acteurs, deux types d’informations avaient été recueillis. Le premier type de données collectées concernait l’évaluation des différentes composantes du dispositif de la formation initiale au métier d’inspecteur du travail ; il a donné lieu à un document qui a servi de base à la refonte de la formation en question et à l’accompagnement de ses acteurs dans le processus de sa conception. Le deuxième type de renseignements rassemblés était relatif aux dynamiques identitaires des inspecteurs du travail, à la conception qu’ils avaient de leur métier et au processus de leur professionnalisation. Ce deuxième type d’information a fait l’objet d’une exploitation tardive et a conduit à la rédaction d’un rapport de recherche (Kaddouri, 2007) dont seront extraits quelques fragments d’interview, pour illustrer le propos de cette contribution à l’appréhension des dynamiques identitaires. Trois principaux points seront ici abordés : 1. Le premier est centré sur les recompositions sociales du métier d’inspecteur du travail ; 2. Le second est plus particulièrement dédié aux dynamiques identitaires des inspecteurs-élèves du travail, alors que le troisième, en référence aux deux précédentes questions traite de leur rapport à la formation initiale qui était organisée antérieurement à cette réforme, pour les préparer à l’exercice de leurs nouvelles fonctions.

1 Doutor em Letras e Ciências Humanas – Ciências da Educação (Université de Nanterre - Paris X/1994). Chaire de Formation des Adultes, LISE (Laboratoire Interdisciplinaire

de Sociologie Economique), CNAM, Centre de Recherche sur la Formation (EA.1410). kaddouri@cnam.fr.

2 Les enjeux de métier et d’identité des inspecteurs chargés du contrôle de la formation professionnelle ne seront pas analysés dans le cadre de cette contribution.

Mots-clés: dynamiques identitaires; formation professionnelle; reorganization du travail. Key words: identity dynamics; professional formation; work reorganization.

1 LA RECOMPOSITION SOCIALE DU MÉTIER D’INSPECTEUR DU TRAVAIL

L’inspection du travail a été créée en 1892, avant même l’apparition du ministère du Travail et de la prévoyance, auquel elle a été rattachée, à sa création en 1906. Il s’agit d’un service de l’État que régit, en tant que corps interministériel, un statut particulier de 1975 (décret du 21 avril, permettant la fusion des trois corps d’inspection des Ministères du Travail, de l’Agriculture et des Transports). Si la gestion de ce nouveau corps fut attribuée à la Direction de

l’Administration Générale et de la Modernisation

(DAGEMO), ses agents sont placés, selon leur fonction,

sous l’autorité respective de chacun des trois ministères en question. Selon le journal le Monde du 16/03/06, les effectifs de ce corps de fonctionnaires sont au nombre de 340 inspecteurs au ministère de l’Agriculture, 210 aux Transports et 1 400 (950 contrôleurs et 450 inspecteurs) au ministère du Travail, ce qui donne un total de moins de 2 000 agents, pour 1,5 million d’entreprises et 15 millions de salariés. Rien qu’au Ministère du Travail, en question ici, chaque inspecteur ou contrôleur avait, en 2003, une charge moyenne de 1 133 établissements et de 11 250 salariés (le Monde du 21/ 03/06). Les inspecteurs y sont affectés sur l’une des trois fonctions suivantes: le contrôle de la formation professionnelle2; le contrôle de l’application de la

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inspecteurs du travail en section; la mise en œuvre

des politiques d’emploi et de la formation professionnelle, fonction dévolue aux inspecteurs du

travail hors section. Ce troisième type d’inspecteur

est né d’un plan ministériel qu’il convient de présenter maintenant.

1.1 Le plan de transformation des emplois

Jusqu’au début des années 1990, l’inspection du travail avait pour mission l’exercice de la fonction originelle du corps, à savoir la défense des travailleurs exploités et mis en danger par de mauvaises conditions de travail. Dans un premier temps, aux XIX° et début du XX° siècles, cette mission a consisté en la lutte contre l’exploitation des enfants3 et des femmes au

travail4, pour s’étendre par la suite à la protection de

l’ensemble des travailleurs. Dès sa naissance, cette charge a été conçue

[...] comme un service de contrôle et de coercition destiné à assurer l’application des dispositions, tant légales que réglementaires, concernant la protection des travailleurs […] (PRÉVESTEAU, 1998, p. 67);

elle a été consacrée par

[...] les textes fondateurs (loi du 2 novembre 1892), fondamentaux (convention OIT n° 81 du 11 juillet 1947, articles L. 611 et suivants du Code du travail) et organisationnels (décret du 28 novembre 1994) (BESSIÈRE, 2006, p. 1).

Le plan de transformation de l’emploi d’inspecteur du travail, mis en place par le Ministère en 1992, a fortement contribué à “brouiller” cette mission. Ce plan avait un double objectif: répondre aux revendications de carrières des contrôleurs du travail et accompagner la politique gouvernementale en matière d’emploi et de formation professionnelle. Il a consisté en la transformation de 325 postes d’agents de catégorie B auxquels il a permis l’accès à la catégorie A (inspecteurs du travail) en trois ans, sous condition de réussir à un concours interne exceptionnel ou de bénéficier d’une promotion au

choix, sur liste d’aptitude. Ces 325 postes ont été dénommés, par défaut, “inspecteur de travail hors

section” ou “inspecteurs dit non inspectant”. Ils ont

exclusivement servi au renforcement des secteurs autres que les sections d’inspection.

L’émergence de ce nouveau type d’inspecteurs et la forte implication des services extérieurs du Ministère dans la mise en œuvre des politiques d’emploi ont déplacé le “centre de gravité” des Directions Départementales du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (DDTEFP), ainsi que le point d’ancrage de leur légitimité. En effet,

[...] les enjeux les plus sensibles de la société contemporaine se jouent désormais autant (voire plus?) hors des relations de travail classiques qu’à l’intérieur. Bref, l’Administration du travail, placée au cœur du vis-à-vis droit du travail/droit au travail, a désormais deux publics de référence: les travailleurs qui ont du travail et ceux qui n’en ont pas ou plus [...] (CHRISTIAN LENOIR, 96/97, p. 150).

1.2 La nouvelle réorganisation de l’inspection du travail

Le plan de transformation de l’emploi d’inspecteur du travail se traduit de fait par une réorganisation de l’inspection du travail et par une nouvelle culture professionnelle au sein des services du Ministère du Travail. En effet, si la “section” a historiquement constitué la circonscription territoriale de l’inspection du travail, avec la mise en place du plan de transformation des emplois, la “hors section” est apparue comme nouvel espace d’exercice professionnel pour une partie des inspecteurs.

La section délimite les zones de compétence et de responsabilité de l’inspecteur du travail. Elle constitue, au sein de la DDTEFP, l’échelon territorial et opérationnel d’intervention dans l’entreprise. On estime généralement qu’en moyenne une section représente 30 000 salariés. L’inspecteur du travail y est chargé d’assurer le respect de la législation du travail et de constater, le cas échéant, les infractions à celle-ci. Il est assisté, en la matière, d’un ou de plusieurs contrôleurs du travail et de quelques agents administratifs, les uns et les autres, sous son autorité, dans les actes qu’ils posent. C’est à partir de la section

3 Dès 1841, en raison de la grande mortalité infantile, des mesures de protection sont prises en faveur des enfants : Loi du 22 mars 1841 « relative au travail des enfants dans les

manufactures, usines et ateliers », fixant 8 heures par jour pour les enfants de 8 à 12 ans et 12 heures pour les enfants de 12 à 16 ans. Les employeurs commençaient en effet à craindre de manquer de main-d’œuvre.

4 La II° République tenta de réduire le temps de travail des travailleurs exténués par des journées de 14h de travail : Décret du 2 mars 1848, signé par Louis Blanc, fixant la journée

de travail à 10 heures à Paris et 11h en province, pour tous les travailleurs adultes ; mais Loi du 9 septembre1848 reportant le maximum quotidien à 12 heures pour tous les travailleurs adultes. La III° République remit la question en chantier, car les lois n’étaient pas respectées : Loi du 19 mai 1874 « sur le travail des enfants et des filles mineures dans l’industrie », fixant à 12 heures par jour le travail pour les enfants de 12 à 16 ans et pour les filles mineures. Lors du vote de la Loi du 2 novembre 1892 « sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels » fixant 10 heures par jour pour les enfants de 13 à 16 ans, 11 heures pour les enfants de 16 à 18 ans et les femmes, et 12 heures pour les travailleurs adultes, il est décidé de prendre des mesures pour en vérifier l’application, en créant le corps des inspecteurs du travail.

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que s’organise et se réalise le plan de visites de l’ensemble des entreprises du secteur géographique. Sachant que les inspecteurs sont chargés des entreprises de plus de cinquante salariés5alors que

les contrôleurs ont la responsabilité de celles qui n’ont pas atteint cet effectif. Il faut également signaler que c’est au sein de la section que se tiennent les permanences d’accueil et d’information des usagers de la section, qu’ils soient employeurs, représentants du personnel ou simples salariés.

Quant à la “hors-section”, elle constitue le lieu d’action des inspecteurs du travail hors section qui sont, selon les cas, affectés par les directeurs départementaux et régionaux à des fonctions d’encadrement dans les domaines des politiques de l’emploi et de la formation professionnelle, de la coordination des services, de la communication, […] Ces inspecteurs du travail hors section sont considérés comme les chevilles ouvrières de l’action de l’État, dans toutes les questions qui concernent le développement local, la politique de la ville et l’insertion. Ils sont mobilisés et mobilisables de façon forte auprès du directeur départemental, pour assister le Préfet dans son rôle de coordination du service public de l’emploi. Ils jouent les interfaces et les intermédiaires incontournables dans la mobilisation des partenaires locaux autour des questions d’insertion sociale. Ainsi, un inspecteur du travail hors section, “non seulement collecte les fonds et apprend à ses partenaires les ficelles du montage des projets, mais, ce faisant, il tente d’établir un langage commun entre les protagonistes”, selon les propos rapportés par Pauline RABILLOUX, journaliste de la revue Compétences (n.18, 1996).

Mais ce nouveau rôle dévolu à une partie des inspecteurs du travail ne se fait pas sans douleur. La recherche acharnée d’un partenariat avec les entreprises pour créer des emplois s’effectue, par moment,

[...] au prix de perturbations, plus ou moins consenties, aux règles instituées quant aux relations du travail et aux formes d’emploi […] (CHRISTIAN LENOIR, 96/97, p.151). Cette nouvelle fonction contribue à exacerber les interrogations existentielles qui, depuis des décennies, traversent, pour ne pas dire déchirent, le corps de l’inspection du travail. Ce déchirement s’exprime notamment à travers des traits culturels et des logiques d’action qui co-existent de façon très conflictuelle, mettant ainsi face à face, d’un côté les inspecteurs en section, avec leur culture “travail”, de l’autre les inspecteurs hors section, avec leur culture “emploi”.

1.3 Culture “travail” et logique d’action des inspecteurs du travail en section

La culture “travail” constitue la culture professionnelle des inspecteurs du travail en section, figu-re historiquement emblématique des services territoriaux du Ministère du Travail. Dans la section, le geste professionnel qui caractérise le métier est le contrôle de l’application de la législation du travail, dans le cadre de la fonction régalienne de l’État. L’inspecteur du travail a pour mission de vérifier le respect d’une “règle légale, historiquement fondée et relativement stable”. Pour exer-cer sa tâche, il s’appuie sur l’indépendance que lui confèrent les lois nationales et internationales, sur sa connaissance spécifique des entreprises dont il a la charge, et sur ses outils d’intervention, orientés de façon dominante par son approche et sa vision juridiques des situations. En effet, comme le dit l’un d’entre eux, “nous, en section, on a le code du travail, la réglementation du travail; on a des réflexes permettant de qualifier juridiquement tel ou tel fait qui se serait passé dans l’entreprise et les réactions par rapport à ces faits-là; donc quelque chose de bien ciblé”. Bref, au regard du flou qui entoure les fonctions des inspecteurs du travail hors section, les inspecteurs du travail

en section, grâce aux règles à appliquer, savent ce qu’ils ont

à faire: “la règle est là” et “si on ne sait pas négocier”, disent-ils, “cela ne nous empêche pas de faire notre travail. C’est la loi; c’est comme ça. On a des gens en face, qui savent; un langage qui parle”. Les fondements juridiques des actes qu’ils posent constituent la base de la légitimité de leur action; ils “n’ont rien à vendre”, mais “une loi à faire respecter”. Ce qui les inscrit dans une logique de recherche de l’illégalité et de l’infraction.

La culture du contrôle et de l’indépendance que revendiquent les inspecteurs du travail vis-à-vis de l’employeur, s’appuie sur des compétences technico-juridiques, caractérisées par un vocabulaire spécifique que véhicule le discours des inspecteurs du travail interviewés. Voici quelques mots-clefs qui reviennent régulièrement et qui constituent, en quelque sorte, un fond sémantique commun aux inspecteurs du travail

en section: aller en entreprise, contrôler, vérifier que

tout est bien respecté, contrôle de la légalité, contrôle de l’effectivité du droit, vérification de l’effectivité du droit, remise en cause du droit du travail, infraction, entreprise en infraction, délinquance patronale, procès-verbal, mise en demeure, sanction, sanction pénale, intervention politique, hygiène et sécurité, contrôle des abus, indépendance, autonomie, rapport de force, organisations syndicales, défense des droits des salariés, code du travail, réglementation du travail, pouvoirs propres, moyens d’action, salarié protégé, enquête contradictoire, licenciements, […] etc.

5 «Cinquante salariés et plus» est le seuil fixé par la loi pour l’obligation de l’instauration d’un comité d’entreprise et d’un délégué syndical. Les enquêtes sur les relations du travail

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La conception de son métier et la représentation qu’il se fait de sa mission historique font que l’inspecteur

du travail en section adopte une attitude méfiante, pour

ne pas dire hostile, aux employeurs qu’il s’agit de surveiller, voire de punir des infractions qu’ils commettent, le plus souvent, de façon délibérée. Certains parlent même de délinquance patronale. Dans cette représentation du métier, l’inspecteur du travail est “quelqu’un du terrain”. Quand il se trouve face à des licenciements de salariés, il ne va “pas rester dans son bureau”. Il s’agit, pour lui, de mettre “les bottes dans le chantier et non pas de mettre en place des attitudes relationnelles adaptées aux interlocuteurs”. Il prend l’employeur par surprise et cela consolide son pouvoir. Comme le dit l’un d’eux: “l’entrepreneur ne sait pas pour quoi on vient, ni quand on vient; on est plus fort que lui”. L’inspecteur, c’est quelqu’un qui, non seulement regarde, mais “fouille”; “tous ses sens sont en éveil”. Il ne représente “ni le ministre, ni le préfet, ni le directeur départemental”, mais “d’abord sa section”. Ainsi, dans les réunions externes à la Direction départementale, il se présente comme “inspecteur du travail” et non pas comme “direction du travail”6.

A l’intérieur de sa propre section, qu’il ne considère pas comme un service à “manager”, il refuse d’assumer une fonction hiérarchique et d’animation des personnes qui sont sous sa responsabilité. Il préfère l’informel et les opportunités du quotidien pour faire fonctionner sa section. C’est ce que dit l’un d’entre eux: “dans une section qui fonctionne, on n’a pas besoin d’animation; les gens connaissent leur boulot”. Pour certains, “l’animation se fait d’échanges constants, en prenant le café, en traitant un dossier; c’est complètement déstructuré”, car “c’est l’opportunité qui fait l’animation, en fonction des dossiers à traiter”. D’autres affirment que “dans les 9/10 èmes des sections, il n’y a pas de poids hiérarchique” et “quelqu’un qui harcèle ses contrôleurs, c’est marginal”. Dans cette vision, l’inspection du travail, ainsi que les valeurs qui sous-tendent son action, sont mises à mal par les logiques et les modes d’intervention des inspecteurs du travail hors section.

1.4 Culture “emploi” et logique d’action des inspecteurs du travail hors section

La culture “emploi” caractérise le deuxième type d’inspecteur du travail, dit “non inspectant”, c’est-à-dire les inspecteurs du travail hors section. Ici, le geste professionnel symptomatique du métier est la

gestion et la conduite de projet où prédominent une approche et une vision socio-économique et financière des situations. L’inspecteur du travail hors section a pour mission d’orchestrer les conditions de la mise en œuvre des politiques d’emploi, de formation, de modernisation des entreprises et de développement local. Pour cette tâche, il s’appuie sur sa connaissance des dispositifs “qui se créent et se modifient, en fonction du besoin”, sur les aides publiques qu’il dispense, sur la mise en place d’outils d’intervention, des instruments et des décisions financières.

Dans les actes qu’ils posent, les inspecteurs hors section s’appuient sur des compétences relationnelles, des capacités de gestion et d’ingénierie de projet, caractérisées par un vocabulaire spécifique. Voici quelques mots-clefs récurrents dans le discours des interviewés de cette catégorie, qui, en quelque sorte, constituent un fond sémantique commun aux inspecteur du travail hors section: Ingénierie, conduite, pilotage, montage, évaluation, agrément; financement d’un projet, d’une action ou d’un dispositif; gestion et suivi d’une mesure, d’un programme, d’une politique; instruments et mesures de la politique de l’emploi, animation d’une équipe, coordination d’un groupe de travail ou d’un réseau; susciter des synergies, cahier des charges, travail en partenariat, diagnostic, pilotage des services, communication, conseil, suivi, médiation, régulation; insertion des publics en difficulté, lutte contre le chômage et l’exclusion, professionnalisation, approche globale, accès au marché du travail, accompagnement du bénéficiaire vers l’emploi, prise en charge, capacité d’expertise, promouvoir l’emploi, dispositif d’incitation et d’accompagnement, combinaisons de mesures, aides de l’État, ligne budgétaire, distribution des aides, insertion par l’économique; chômeurs de longue durée, demandeurs d’emploi, publics en difficulté, Rmistes, publics prioritaires de la politique de l’emploi, publics fragilisés.

Les bases de la légitimité de l’inspecteur du travail hors section lui sont conférées par le Directeur du Travail, dont il est le subordonné. Ce dernier dépend lui-même, dans les actes qu’il pose, du pouvoir du préfet (avec délégation de signature). La légitimité de l’inspecteur du travail hors section auprès de ses partenaires locaux est également tributaire des aides publiques qu’il leur distribue (le pouvoir de l’argent), ainsi que de la compétence et de l’expertise qu’il met à leur disposition, afin de répondre à leurs besoins et à leurs attentes. Contrairement aux inspecteurs du travail en section, la dimension juridique de leur légitimité est moins forte dans l’exercice de leurs fonctions d’inspecteurs hors section, car ils sont attendus sur “un rôle de

6 Les DDTEFP (Directions départementales du Travail de l’Emploi et de la Formation Professionnelle) «veillent au respect du droit du travail par une mission de contrôle (inspection

du travail) et exercent une fonction d’information et de conseil auprès des différents acteurs du monde du travail. Elles mettent en oeuvre une politique active de l’emploi en assistant le Préfet dans son rôle de coordination du service public de l’emploi. Elles participent à la gestion des mesures d’insertion et de formation des publics en difficulté et elles encouragent le développement local en collaboration avec les différents acteurs socio-économiques”.

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représentation, de cadrage et d’animation”, et non pas sur l’application de la loi. Dans certaines situations, ils peuvent être conduits à “aménager” les textes pour tenir compte de la singularité des problèmes à traiter. Par ailleurs, ils se considèrent comme des chefs de service ayant à gérer, en interne, des agents individuels et collectifs et, en externe, à fédérer des partenaires locaux autour de préoccupations d’emploi.

Les mutations de la culture travail à la culture emploi, relatées ci-dessus, ne se font pas sans interroger les fondements de la mission historique et de l’identité originelle de l’inspection du travail. Les reconfigurations sociales du métier auxquelles elles conduisent, ne vont pas non plus se faire, sans interpeller les

inspecteurs-élèves du travail en formation initiale à l’INTEFP. Elles

constituent, en quelque sorte, l’un des surdéterminants de leurs rapports aux dispositifs de professionnalisation les préparant à l’exercice de leur futur métier d’inspecteur du travail. Les tensions qu’elles génèrent sont tout autant révélatrices, que sources, du malaise identitaire qu’ils expriment au sein même de l’espace de leur formation initiale. Ce sont ces tensions, ainsi que les dynamiques identitaires dans lesquelles elles s’inscrivent, qu’il convient d’analyser maintenant.

2 DYNAMIQUES D’INSCRIPTIONS IDENTITAIRES DES INSPECTEURS-ÉLÈVES DU TRAVAIL

L’analyse de contenu des informations recueillies en parallèle de l’enquête d’évaluation de la formation des inspecteurs-élèves du travail a permis de repérer quatre types de dynamiques identitaires ayant des incidences sur le rapport des inspecteurs-élèves du travail7 à la formation

qui leur est proposée. Il s’agit des dynamiques de

confirmation, de reconfiguration, de transformation et

d’acquisition identitaire, dont sont développés maintenant les grands traits en attendant de présenter dans le chapitre III, les caractéristiques de la formation en question, ainsi que les enjeux qui la sous-tendent.

2.1 Les dynamiques de confirmation identitaire

Les dynamiques de confirmation identitaire se rencontrent chez certains inspecteurs-élèves du travail, issus du concours interne, qui sont, pour la

plupart, des ex- contrôleurs ayant exercé leur métier en section et qui ont le projet de continuer à l’exercer en tant qu’inspecteur de travail. Pour certains d’entre eux, ce choix n’est pas récent. Il a été, dès le départ, à l’origine de leur engagement dans les services de contrôle de l’application de la législation dans les entreprises au Ministère du travail. C’est ce qu’affirme cette interviewée: “de toute façon, moi, j’ai passé le concours pour être inspecteur en section, c’est clair. Déjà, quand j’ai passé le concours de contrôleur, pour moi, c’était uniquement contrôleur en section: le contrôleur qui va dans les entreprises et qui vérifie l’application du droit”. Les inspecteurs-élèves du travail du type de la dynamique de confirmation identitaire perçoivent une différence de degré et non de nature entre les activités d’un contrôleur et celles d’un inspecteur. Celle-ci tient à la taille des entreprises à contrôler. Si cette taille marque l’espace matériel de l’action de chacun, elle n’implique nullement une différence de gestes professionnels posés. Dans les deux cas, la logique d’action reste pratiquement la même. Cette vision du métier conduit les inspecteurs-élèves du travail de ce type à situer leurs différences, non pas au niveau des compétences mobilisées dans le travail, mais au niveau du positionnement dans la ligne hiérarchique et vis-à-vis de l’employeur. Pour eux, l’inspecteur du travail jouit d’une indépendance dans l’exercice de son métier. Il est responsable des actes qu’il pose, autonome dans la gestion de son temps, auteur de ses décisions. Il détient une autorité et une responsabilité que ces ex-contrôleurs jugent ne pas avoir. Ils situent clairement la différence entre les deux emplois au niveau du statut social et institutionnel de chacun, c’est-à-dire dans la responsabilité, la prise de décision et le pouvoir de la signature. Ils ont le sentiment d’une injustice. C’est ce que laisse entendre l’un d’eux : “tu fais le même boulot, tu n’as ni le même salaire, ni la même considération”. Ils trouvent aberrant ce pouvoir déséquilibré qui les rend tributaire de la décision de l’inspecteur du travail. L’exemple-type qu’ils avancent est celui du contrôleur qui engage un arrêt de chantier, sans pouvoir décider de sa reprise, et cette impuissance constitue “une aberration totale, parce qu’il lui faut l’autorisation de l’inspecteur”. C’est ce positionnement social et institutionnel, ainsi que toute la reconnaissance qui s’en suit et les actes qu’il autorise, que les inspecteurs-élèves viennent chercher, en passant le concours et en s’engageant dans la formation à l’INTEFP. Ils ont l’impression qu’en tant que catégorie B, ils n’influent pas sur le cours des choses, parce qu’ils ne prennent pas de décision et que leur initiative est très réduite. “J’étais contrôleur, donc j’ai fait beaucoup de choses que je voulais approfondir, mais juridiquement je n’en avais pas les

7 Les dynamiques identitaires sont ici analysées uniquement pour les inspecteurs-élèves du travail ; pour le positionnement identitaire des inspecteurs du travail déjà en fonction,

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pouvoirs, donc je me suis dit: pourquoi ne pas essayer de passer le concours d’inspecteur du travail?”.

La confrontation avec le cadre institutionnel de la formation proposée aux inspecteurs-élèves et avec son contenu les fait déchanter et provoque, en eux, la désillusion. Ils se trouvent face à un raisonnement inverse au leur, qui leur semble être tenu par les responsables et par les cadres pédagogiques de l’INTEFP. A leurs yeux, ces derniers, en les soumettant au primat de l’acquisition des compétences comme préalable à l’acquisition du statut et du positionnement de l’inspecteur du travail, leur signifient l’existence d’une différence de nature, et non pas seulement de degré, entre les activités de l’inspecteur du travail et celles du contrôleur. On le voit bien, cette tension entre légitimité des compétences et légitimité de positionnement est sous-tendue par une bataille identitaire. Alors que les inspecteurs-élèves sont inscrits dans une dynamique de confirmation et de légitimation d’une identité qu’ils supposent existante, les responsables de l’INTEFP et les cadres pédagogiques les inscrivent dans une logique d’acquisition d’une nouvelle identité. Pour les premiers, il s’agit d’acquérir le statut social qui permet de faire reconnaître, au niveau institutionnel, des compétences professionnelles dont ils jugent être détenteurs, mais dont la légitimité d’exercice ne leur est pas donnée. Pour les seconds, il s’agit préalablement d’acquérir les compétences qui permettent de conquérir le statut social et le positionnement qui vont avec. Tout se passe comme si deux mondes séparaient les inspecteurs-élèves du travail et les responsables de formation de l’INTEFP. Alors que les premiers se considèrent comme professionnels, engagés en formation pour confirmer une identité déjà existante, les seconds les considèrent comme des inspecteurs-élèves inscrits en formation pour acquérir une identité en devenir.

A cette tension relative au positionnement, s’ajoute l’angoisse de l’impossibilité de voir le projet identitaire, à l’origine de leur engagement en formation, se réaliser. Ces anciens contrôleurs, faut-il le rappeler?, ont passé le concours pour exercer le métier d’inspecteur en section, c’est-à-dire d’un inspecteur inspectant et non d’un inspecteur du travail hors section, dont ils refusent l’identité. C’est ce que déclare cette interviewée: “c’est le côté un peu donner du fric aux entreprises pour des problèmes d’emploi”, des choses comme ça, ce n’est pas pour ça que j’ai passé ce concours-là; c’est vraiment pour aider les salariés, pour faire que leurs conditions de travail soient un peu meilleures”. “Personnellement, c’est comme ça que je vois le métier d’inspecteur du travail, ce n’est pas en étant dans un service, dans un bureau sédentaire; ce n’est pas en étant à l’emploi que j’arriverai à ça”. Le discours qui accompagne les mesures d’emploi les révolte. Ils affirment connaître la réalité des entreprises aidées. Celles-ci ne respectent pas la législation, alors que “les autres (entendre les

inspecteurs du travail hors section) viennent avec leurs mesures pour l’emploi, pour aider les entreprises. Alors là, déjà, rien que le mot “aider les entreprises”, ça pose problème. On n’arrive pas à faire régner la loi là-dedans et, en plus, il faut les aider! ça te heurte, ça te hérisse”. Ou encore, renchérit un autre: “à chaque fois que tu vois que le Directeur Départemental file du pognon à la boite, alors que tu n’arrives pas à faire régner un minimum de droit à l’intérieur, tu as l’impression qu’on te tire dans les pattes”.

Cette conception de la fonction d’inspecteur du travail s’inscrit dans l’une des quatre figures d’inspecteur du travail examinées dans notre rapport de recherche déjà cité. Il s’agit de la figure identitaire de l’inspecteur militant. Là aussi, les inspecteurs-élèves du travail concernés refusent d’endosser l’identité d’inspecteur du travail hors section qui agit dans le cadre des politiques de l’emploi, sans disposer d’une “fonction de contrôle”; un inspecteur du travail hors section qui “n’a pas de pouvoir propre, qui ne peut pas contrôler les entreprises auxquelles il distribue l’argent public”. En hors section, l’inspecteur dépend de ses supérieurs hiérarchiques pour les actes qu’il pose et reste tributaire de leur volonté politique. En effet, il suffit que “le Directeur Départemental lui dise: c’est pas votre boulot d’aller voir dans les entreprises si les aides sont bien utilisées[…]”. Il ne faut pas oublier, ajoute un autre interviewé, que “tout ce qui concerne l’emploi et la formation professionnelle, c’est le Directeur Départemental et le préfet qui est au-dessus de lui qui décident pour l’inspecteur du travail hors section”. Sachant la menace qui pèse sur eux (être obligé d’aller en hors section), certains inspecteurs-élèves du travail envisagent de mettre en place une stratégie en deux temps:

a) Accepter, puisqu’ils n’ont pas le choix (ou parce que cela les arrange géographi-quement), d’occuper, en hors section, des fonctions qui les rapprochent des inspecteurs en section et qui leur permettent d’exercer du contrôle sur les aides publiques;

b) Se mettre en situation d’attente de la première opportunité pour rejoindre une section d’inspection. C’est ce que dit cet interviewé qui appréhende cette éventualité: “ma volonté est d’aller en section; je pense: si, par malheur, je dois aller sur un poste à l’emploi, en sortant de l’INTEFP, je pense que j’essaierai d’aller faire du contrôle dans les entreprises avec les inspecteurs en section”. Se rendant compte de la difficulté de réaliser de tel contrôle, il reprend en disant: “c’est une question d’entente avec l’inspecteur de la section, pour savoir si le contrôle peut se faire seul ou s’il doit se faire automatiquement avec un contrôleur ou un inspecteur de la section”.

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2.2 Les dynamiques de reconfiguration identitaire

S’inscrivent dans une dynamique de reconfiguration identitaire certains inspecteurs-élèves du travail, anciens contrôleurs du travail, ayant exercé plusieurs années de suite dans une section d’inspection. Contrairement aux précédents interviewés, les inspecteurs-élèves du travail concernés ont passé le concours en ayant pour objectif d’avoir, à la sortie de l’INTEFP, un poste d’inspecteur du travail hors section affecté au pôle “entreprise”. Ils distinguent, au sein des directions départementales, deux pôles susceptibles de les accueillir: le pôle “marché de l’emploi” et le pôle “entreprise”. Dans le premier pôle, les inspecteurs “ne font que gérer des mesures et, c’est vrai, ça peut être frustrant, parce que là on tombe sur des consignes qui peuvent venir directement du Ministère ou des consignes qui viennent de la préfecture; on est un exécutant; on gère une mesure; on la gère bien ou mal, mais on la gère comme on nous dit de la gérer”. Dans le second pôle, le pôle “entreprise”, les inspecteurs “font éventuellement les recours hiérarchiques, l’étude des plans sociaux; font, pourquoi pas, la loi sur les 35 heures; font tout ce qui est organisation, harmonisation au niveau des sections”. C’est ce deuxième type de fonction qui intéresse les personnes inscrites dans cette dynamique de reconfiguration. Voici ce que dit l’un d’entre eux: “Je suis plus prêt à passer de la section à un poste sédentaire, mais pour l’entreprise, que de passer directement à l’emploi où, là, c’est un problème […]”. Son intérêt pour le poste en question est doublement justifié. Non seulement celui-ci ne l’empêche pas d’avoir un contact avec le terrain et avec les inspecteurs en section, mais il lui permet d’acquérir une vision plus élargie du métier, sans perdre les compétences dont il dispose. C’est le choix qu’a fait également cet ex-contrôleur qui dit: “j’aurais dix ans de moins, je dirais: la malchance d’aller en hors section; maintenant, j’ai quarante-cinq ans; aller me coltiner avec des employeurs, ça ne me gêne pas; mais bouffer du patron, je n’en ai plus tellement besoin; je préfère, à la limite, plus jouer sur les mesures “emploi” […]”.

Mais cette reconfiguration n’est pas simple à admettre ou à faire admettre à son entourage. Celle-ci donne lieu à l’expression de différentes tensions, intra et intersubjectives, dont la gestion n’est pas toujours évidente. Elle se fait au prix d’un certain nombre de renoncements et de remaniements cognitifs et affectifs. Tout se passe comme si les inspecteurs-élèves du travail concernés avaient besoin de se tenir un discours à eux-mêmes et à leur entourage, afin de justifier leur choix et d’être en mesure de faire le deuil de la section, pour s’investir dans les nouvelles fonctions envisagées. Ainsi, tous

affirment leur affiliation à l’inspection du travail en section. Ils ont le sentiment qu’agir au sein du pôle “entreprise” permet d’être fidèle à son passé (identité antérieure) et que la “culture de la section” est là, en eux, pour servir de repère dans les actes qu’ils auront à poser. C’est le cas de cet interviewé qui se dit sûr de son choix et ne redoute pas d’être accusé de trahison. Il envisage de collaborer avec les inspecteurs du travail en section et ne pas écouter spécialement le Préfet. Même s’il est obligé d’obéir aux ordres du Préfet, chaque fois qu’il le pourra, il mettra “les bâtons dans les roues”. Cette attitude de “désobéissance déguisée” lui semble naturelle, car il ne supporte pas de voir la Direction Départementale distribuer l’argent public à des entreprises qui ne respectent pas le droit du travail. Aller en hors section, dans une fonction qui ne l’éloigne pas de l’entreprise est un choix mûrement mesuré. C’est une fonction dans laquelle il compte mobiliser sa culture du travail, acquise en section. “Cela fait 13 ans au Ministère du travail, avec douze en section, dit-il, donc j’ai été déformé et donc j’ai une certaine indépendance, une certaine autonomie, donc c’est dur à perdre; c’est vrai que ça déforme”. L’importance de la culture de la section est affirmée avec force par cet autre interviewé pour qui elle constitue un préalable avant l’exercice d’une fonction en hors section. En effet, explique-t-il: “[...] si tu ne connais pas l’entreprise, si tu ne t’es pas coltiné des petits employeurs, des gros employeurs, des syndicats, des délégués du personnel, des ouvriers, si tu n’as pas eu la possibilité d’abord de te faire manipuler, d’avoir réussi des trucs dans les boites, d’avoir eu des relations conflictuelles avec les employeurs ou des relations normales, tout ça, c’est un aspect que tu ne possèdes pas et quand on va te demander de mettre en œuvre des politiques de formation professionnelle, des mesures d’emploi, tu ne verras pas l’entreprise dans sa réalité; tu vas avoir une masse de pognon à donner et tu vas dire: on va organiser ça [...] sans savoir qu’à l’intérieur de la boite, ça ne marchera pas peut-être ou ça risque d’être détourné”. Ils reprochent aux porteurs de la culture “emploi” d’agir sans discernement, en gérant de l’argent, en donnant des crédits, en veillant à atteindre des objectifs et des résultats. C’est ce discernement qu’ils sont sûrs d’avoir, car la culture de la section est une culture conflictuelle, qui permet à l’inspecteur d’exercer autrement sa fonction en hors section.

Les inspecteurs-élèves du travail concernés affirment unanimement l’existence d’un seul et même métier d’inspecteur du travail. Quand on rappelle à l’un d’entre eux les différences de posture entre

inspecteurs du travail en section et inspecteur du travail hors section, il répond, de façon catégorique,

en disant: “il y a eu, suite au plan de transformation, l’apparition d’inspecteurs du travail sédentaires, qui supposerait un deuxième métier, mais je me refuse à vouloir considérer que l’on a affaire à deux métiers; je préférerais que l’on garde un métier qui peut-être

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peut s’enrichir”. Ils envisagent leurs futures fonctions d’inspecteur du travail hors section comme un enrichissement et un élargissement de leurs activités, mais toujours dans le cadre du même métier, celui d’inspecteur du travail. Il s’agit d’un partage d’activité et non d’un nouveau métier, car l’entreprise consti-tue toujours la cible visée. Les inspecteurs du travail en section s’occupent des salariés dans l’entreprise et les inspecteurs du travail hors section s’occupent d’y faire revenir les exclus. Ils sont très critiques vis-à-vis des inspecteurs du travail en section qui refusent d’élargir le champ d’activité de l’inspection du travail. Il faut, dit l’un d’entre eux, “faire comprendre aux inspecteurs du travail en section que nous ne sommes pas la “pensée unique” dans l’entreprise, qu’il faut s’arrêter de se prendre pour les Zorro, pour avoir la science infuse et la pensée unique”. Car, ajoute un autre interviewé, c’est “très facile pour un inspecteur de s’enfermer dans sa section et d’être complètement isolé et d’avoir une petite vision”.

Les inspecteurs-élèves du travail en question sont conscients des concessions auxquelles conduit une telle reconfiguration identitaire. Ils sont conscients qu’ils vont perdre en indépendance dans leur positionnement, par ce passage de section en hors section. Comme on l’a vu dans le groupe des inspecteurs-élèves inscrits dans une dynamique de confirmation identitaire, certains envisagent de résister aux pressions politiques (Préfet, Direction Départementale), tout en étant conscients des limites d’une telle résistance. Celle-ci ne permettra qu’ ”une indépendance volée” et “ne sera pas statutaire”.

Ce choix de passage de la section en hors section est également accompagné d’un discours de valorisation du combat que peut mener l’inspecteur en hors section contre l’exclusion et la marginalité. C’est ce qu’affirme cet interviewé: “est-ce que nous, on pourrait pas être la mouche du coche; dire: il y a une dimension sociale; est-ce qu’on ne pourrait pas être les Zorro du social? On veut bien se prétendre les Zorro du social dans l’entreprise; on pourrait être les Zorro du social hors entreprise, les Zorro de la solidarité”. Ils sont convaincus de l’importance des enjeux de lutte contre la pauvreté. C’est ce qu’exprime l’un d’entre eux: “le fait de pouvoir faire des programmes, de sortir des gens de la mouise, ça peut être aussi une mission intéressante. Il s’agit de repêcher des salariés qui se retrouvent sur la touche et de les remettre dans le bain”. Pour cela, la “désobéissance déguisée” et “l’indépendance volée”, pourraient être utiles, car, dit l’un d’entre eux: “il y a toute une marge de liberté qui fait que l’on pourrait l’exploiter, si on arrive à calmer le jeu vis-à-vis de la Préfecture, à nous imposer; ça peut être un enjeu intéressant”. Se retrouve ici l’une des figures de l’inspection du travail suggérée dans l’étude de l’interview des inspecteurs du travail en fonction: il s’agit de la figure de l’inspecteur du travail

intervenant social.

2.3 Les dynamiques de transformation identitaire

Se comptent dans le groupe des inspecteurs-élèves investis dans une dynamique de transformation identitaire un certain nombre d’inspecteurs-élèves du travail qui, avant leur engagement en formation, disposaient déjà d’une identité professionnelle dans le secteur public ou privé. Certains venaient déjà du Ministère du travail. Leur caractéristique principale est d’avoir exercé un autre métier, complètement différent de celui des métiers de l’inspection. Leur enjeu principal est de changer d’identité. C’est le cas d’un inspecteur-élève du travail, ancien informaticien dans une direction départementale. Il s’agit d’un programmeur, chargé de la mise en place des applications informatiques nationales et du maintien du parc informatique, au sein de sa direction départementale. Son projet de transformation identitaire est dû en partie à une insatisfaction de son identité d’informaticien, qu’il cherche à quitter. Cette insatisfaction a été renforcée par les conditions relationnelles de l’exercice de son activité professionnelle. Il a envisagé d’adopter le métier d’inspecteur du travail, car il rencontrait d’énormes difficultés professionnelles avec son directeur du travail, qui lui rendait “la vie difficile”, dans l’exercice de son métier d’informaticien. Il a saisi une occasion institutionnelle pour s’inscrire dans un cycle préparatoire au concours d’inspecteur. Sa motivation première, dit-il, était de “sortir et de rester cinq mois hors des griffes de mon directeur départemental”. Il a entamé son cycle préparatoire sans avoir de pré-requis en matière de droit. Il se prend au jeu, apprécie le droit du travail qu’il envisage d’approfondir pour exercer le métier d’inspecteur du travail. Cette préparation contribue à l’éloigner de son métier d’origine, lui ouvre de nouvelles perspectives professionnelles et le motive pour des études plus poussées en droit du travail. Il envisage ainsi de passer le concours pour exercer le métier d’inspecteur du travail en section. En cours de formation initiale à l’INTEFP, il se construit une représentation plus précise de ce métier et cela le confirme dans son choix. Il découvre des dimensions du métier qui l’intéressent et qui lui permettront de faire par la suite des “choses intéressantes”, nous dit-il. Il est convaincu de pouvoir prendre des décisions, avec “beaucoup de rigueur et beaucoup de personnalité”, et d’exercer un pouvoir que seul détient l’inspecteur en section et qui lui permet d’agir sur son environnement. Il se rend compte, également, que les inspecteurs du travail hors section sont là pour “enregistrer des choses”, sans véritablement influer sur leur cours, alors que les inspecteurs du travail en section peuvent les modifier, même “modestement, et même si ça peut paraître illusoire”. Cela renforce

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son désir de la section, car “en section, il y a le code du travail, la réglementation du travail, des moyens d’action, le procès-verbal, la mise en demeure”. Comparativement au flou qui règne chez les inspecteurs du travail hors section, “il y a des réflexes permettant de qualifier juridiquement tel ou tel fait qui se serait passé dans l’entreprise et des réactions par rapport à ces faits-là; donc quelque chose de bien ciblé et de différents des soucis des services “emploi”. Tout en étant conscient de l’existence et de la confrontation entre la culture “travail” et la culture “emploi”, il se déclare prêt à s’exécuter devant les orientations officielles, car, dit-il, “dans les faits on est fonctionnaire et on doit obligatoirement appliquer les directives du gouvernement”. On pressent ici la figure de l’inspecteur du travail inscrit dans une logique réglementaire et institutionnelle.

2.4 Les dynamiques d’acquisition identitaire

Les dynamiques d’acquisition identitaire se manifestent chez certains inspecteurs-élèves du travail issus du concours externe, ayant quitté l’université ou une grande école pour s’inscrire dans une formation initiale qui les prépare à l’exercice du métier d’inspecteur du travail. Ils n’ont pas, en dehors des petits boulots, d’expériences professionnelles particulières et tout l’enjeu pour eux consiste en l’acquisition du nouveau métier pour lequel ils ont passé le concours. Ils se trouvent, d’un point de vue identitaire, dans une situation de transition dans laquelle ils doivent tout autant construire les composantes de la pratique professionnelle envisagée que les ingrédients de la nouvelle identité professionnelle visée. Tout leur enjeu identitaire est là. L’analyse de leurs interviews permet de repérer, parmi eux, deux cas de figure.

2.4.1 Le groupe ayant passé le concours avec la ferme volonté d’être inspecteur inspectant

Ceux qui appartiennent au premier type ont passé le concours pour être inspecteur du travail en section et uniquement en section. “Si j’ai passé ce concours, c’est pour pouvoir exercer le métier d’inspecteur du travail. J’en avais une représentation assez nette, qui ne coïncide pas avec ce qu’on nous propose en arrivant ici” à l’INTEFP. Ils découvrent avec stupéfaction et parfois avec amertume, l’existence des

inspecteurs du travail hors section. “Il y a, nous dit l’un d’entre eux, une frustration qui se développe et qui se perpétue tout au long de la formation, parce que ça revient sans arrêt, cette histoire de section et hors section. On a l’impression qu’on nous a un petit peu abusés, qu’on nous a caché des choses; il faudrait que ça soit clair dès le départ”. Certains redoutent de façon forte qu’au moment des affectations, ils soient orientés vers un poste en hors section. Ils refusent de se faire à l’idée de ne pas exercer le métier pour lequel ils ont passé le concours. Accepter d’y renoncer équivaut à l’acceptation de “toute une remise en question, finalement, de soi-même; il faut se dire: je ne vais peut-être pas faire ça; je vais faire totalement autre chose”. C’est ce même sentiment d’amertume qu’exprime cet autre interviewé: “je n’ai pas passé le concours pour être inspecteur hors section; je l’ai passé pour être en section et c’est vrai qu’il y a une déception, mais aussi une remise en question de ce qu’on va faire, de son avenir professionnel”. Certains vont jusqu’à revendiquer l’organisation de deux concours différents, puisque “ce sont deux métiers, finalement”. Cette appréhension d’être affecté en hors section se renforce au fur et à mesure du déroulement de la formation. Les inspecteurs-élèves du travail en question se construisent une représentation négative des inspecteurs du travail hors section. Ils ont l’impression que ces derniers sont des sous-inspecteurs: “tous les intervenants qui viennent nous disent: le vrai métier, c’est en section; notre aspiration, nous-mêmes, c’est de passer en section”. Le choix d’aller en section se trouve confirmé par la similitude entre la fonction d’inspecteur du travail hors section et celle d’attaché de préfecture, que l’un des interviewés a côtoyée de façon temporaire, pendant six mois, en attendant de passer le concours d’inspecteur du travail. C’est ce qu’il exprime en disant: “en préfecture, on ne fait rien, on fait tout, mais on signe rien; on n’est responsable de rien et puis on fait ce qu’on nous dit de faire. Le métier d’inspecteur, c’est une indépendance acquise dans la façon de gérer son temps, d’être l’auteur de ses décisions”.

2.4.2 Le groupe ayant choisi le métier d’inspecteurs du travail au vu de son caractère relationnel

Le deuxième type d’inspecteurs-élèves du travail inscrits dans une dynamique d’acquisition identitaire a passé le concours d’inspecteur du travail, sans être au clair sur ses différentes nuances. Nous l’illustrons à travers l’exemple de cet interviewé dont la décision de s’engager dans le métier a été motivée par une information, au cours de sa formation à Sciences-Po. Celle-ci a déclenché son intérêt pour

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l’inspection du travail, alors qu’il ne l’aurait pas choisie de lui-même, “parce que ça n’est pas un concours qu’on passe à la sortie de Sciences-Po: c’est dévalorisé”. Son attention a été attirée par les relations du travail, la façon dont les gens s’organisent et résistent aux organisations du travail. “C’est une matière qui m’intéresse, pour laquelle j’ai un intérêt, une curiosité; ça ne m’intéresse pas de faire la gestion d’un hôpital, par exemple, ou faire inspecteur des impôts, ça ne m’intéresse pas”. Il poursuit en disant: “les métiers de la fonction publique, il y en a beaucoup; c’est pas par hasard, si on atterrit là”. Une fois l’idée retenue, l’interviewé s’est renseigné sur le métier et s’est construit une représentation concernant son contenu. Ainsi, dit-il “j’ai demandé la plaquette et, effectivement, pour moi, le métier, c’est un métier de contrôle et de contact avec les gens”. L’engagement en formation, tout en le confortant dans sa représentation, l’a aidé a s’en forger une conception plus ouverte qu’il ne le pensait. Il voit la complémentarité entre l’inspecteur du travail en section et l’inspecteur du travail hors section et trouve gênant l’organisation de deux concours différents pour leur recrutement. Pour lui, “les inspecteurs en section ne peuvent pas se désintéresser des politiques d’emploi et, inversement, les inspecteurs non-inspectant ne peuvent pas se désintéresser de la réalité du travail dans l’entreprise qui sollicite telle ou telle aide”. Dans cette vision du métier de l’inspection, le droit est important, mais ne doit pas dominer l’approche de l’inspecteur. Celui-ci constitue l’une des facettes de sa pratique. Il est “nécessaire un quart du temps, mais la plupart du temps, c’est autre chose”. Il constitue le substrat et le fondement qui justifient la fonction, mais ne doit être mobilisé que de façon adéquate. Pour lui, le recours au droit se justifie “quand ça ne se débloque pas, quand c’est bloqué”. Il constate que “beaucoup d’inspecteurs ne mettent ja-mais de PV ou rarement”. Il considère qu’une vision exclusivement juriste est une catastrophe, car elle va orienter le regard de l’inspecteur: celui-ci ne relèvera alors que ce qui ne va pas dans l’entreprise et la situation de travail n’évoluera pas. Ceci va à l’encontre de l’objectif d’un inspecteur qui contrôle une entreprise. L’objectif de celui-ci, “c’est quand même de faire évoluer une situation de travail, des comportements; donc, s’il relève tout un tas de trucs, il y a plein de trucs dans le code du travail, c’est évident, s’il relève toutes les infractions, à mon avis, c’est contre-productif; il y a un discernement à avoir”. L’interviewé critique les positions jugées stéréotypées de certains inspecteurs-élèves du travail, issus du concours interne, qui “considèrent de façon idéologique que c’est une hérésie que de donner des aides aux entreprises. Par principe, le patron est un salaud et ils ne voient pas pourquoi, en plus, on l’aiderait”. Pour lui, le métier d’inspecteur ne se réduit pas à rentrer dans une entreprise et à brandir le code du travail. Avant de rectifier ce qui ne va pas,

il faut déjà comprendre comment les gens travaillent et pourquoi ils sont amenés à travailler comme ça et à causer des entorses au code du travail. L’intelligibilité des situations et le discernement qui l’accompagne doivent primer, car “évidemment, dans un monde idéal, on met tout aux normes et on ne peut plus travailler. Il y a les contraintes de ceux qui travaillent, il y a les contraintes de l’employeur, et, en plus, il y a les contraintes du droit du travail”. On reconnaît là une parenté avec la figure de l’inspecteur du travail

agent des transformations sociales.

3 RAPPORT DES INSPECTEURS-ÉLÈVES DU TRAVAIL À LA FORMATION PRÉPARATOIRE AU MÉTIER D’INSPECTEUR DU TRAVAIL

Il convient tout d’abord de rappeler que, à la suite du plan de transformation de l’emploi d’inspecteur du travail, un certain nombre de choix ont orienté les principes d’organisation de la formation initiale. Il a été décidé, en particulier, que les inspecteurs du travail exerçaient un même métier au sein d’un même corps de catégorie A atypique. Ils sont dès lors affectés sur des postes différents et sont susceptibles de connaître une mobilité fonctionnelle. En cohérence avec ces choix, l’INTEFP a mis en place un projet pédagogique, dont l’objectif était, outre l’acquisition des capacités nécessaires à l’exercice de la nouvelle définition du métier, de garantir la construction d’une identité commune entre les différents inspecteurs-élèves et ceci quel que soit par ailleurs le lieu et la nature de la fonction qu’ils auront à exercer par la suite (section/hors-section). La formation en question comportait, avant la réforme de 2000 (KADDOURI, 1999), un tronc commun de 12 mois et une spécialisation de 6 mois. La spécialisation visait, selon les cas, une préparation spécifique de chaque type d’inspecteurs en fonction de leur affectation : la section, la hors section ou le contrôle de la formation professionnelle.

Nous avons émis l’hypothèse que la formation (et plus globalement les dispositifs de professionnalisation) comporte une double dimension. La première concerne l’acquisition “des capacités collectives au développement desquelles l’institution est susceptible d’inciter et de former ses agents” (DEMAILLY L, 1987, p. 67). La deuxième est relative à l’intériorisation d’un modèle de comportement professionnel et culturel et, pour tout dire, d’un modèle identitaire (KADDOURI, 2002). Cette hypothèse nous a conduit à considérer que le rapport des inspecteurs-élèves du travail à l’égard de l’offre de formation dépendait de la cohérence ou

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de l’incohérence entre le modèle identitaire qu’elle propose et la dynamique identitaire individuelle et collective dans lesquelles étaient inscrits les inspecteurs-élèves du travail, à leur entrée à l’INTEFP. Ainsi la cohérence entre l’offre et la demande permet un investissement et une implication dans la formation, alors que l’incohérence fait naître de la résistance, ce qui revient à dire que les inspecteurs-élèves du travail revendiquent un autre type de transaction avec l’institution. L’analyse de contenu des informations recueillies (entretien individuel, interview de groupe, auxquels s’ajoutent des tracts syndicaux) permet de repérer un vécu partagé de la formation, ainsi que des attitudes individuelles nuancées. Ainsi, l’analyse transversale laisse apparaître des critiques assez négatives et unanimes concernant le contenu et le déroulement de la formation initiale, alors que l’analyse spécifique de chaque entretien permet de distinguer quatre attitudes nuancées concernant l’usage que chaque inspecteur-élève comptait faire de sa formation8. C’est ce que nous

exposons ci-dessous.

3.1 La formation comme lieu d’appropriation du “plus qui manque”

Sont regroupés dans la catégorie des inspecteurs-élèves du travail qui considèrent la formation comme un lieu d’appropriation du “plus qui manque” principalement ceux qui sont issus du concours interne, pour lesquels il n’existe pas de différence de nature, mais de degré, en-tre un contrôleur et un inspecteur du travail. Ici le rapport à la formation est conditionné par le refus du positionnement que les responsables de projet et les formateurs de l’INTEFP leur assignent. Ceux-ci les considèrent comme des élèves inscrits en formation pour acquérir des compétences fondamentales pour l’exercice du métier d’inspecteur, alors qu’eux-mêmes se considèrent comme des professionnels venant chercher la légitimation d’une position sociale à tenir dans les services. C’est ce refus qu’exprime cet interviewé pour qui il ne s’agit pas “d’un nouveau métier à apprendre, mais d’une filière. C’est plus de la continuité que de la rupture; c’est le prolongement d’être contrôleur”. Ce refus les conduit à minorer les acquis de la formation qu’ils accusent de ne pas leur permettre d’apprendre “grand chose”. Leur engagement en formation est fortement surdéterminé par le projet de combler un écart et d’acquérir “le plus” nécessaire pour bénéficier du titre d’inspecteur du travail en section, afin de passer à la “vitesse supérieure”, car, “quand on passe de contrôleur

à inspecteur, on vous dit: on va avoir plus de responsabilité, donc il faut connaître plus de choses [...]”. La formation dispensée, disent-ils, au lieu de les aider à acquérir “le plus” qui leur manque, les reprend comme “à zéro”. Pour eux, il s’agit d’une formation qui n’est ni qualifiante, ni professionnelle, ni pour adultes. Ils la considèrent comme “une école pour élèves”. Certains d’entre eux affirment l’inutilité des 18 mois de formation et militent pour réduire sa durée, en l’orientant et en la ciblant directement sur ce qui constitue les composantes manquantes du métier d’inspecteur, “juste sur la partie cachée qui était réservée aux inspecteurs”. Les contenus de formation consistant à présenter le fonctionnement des services externes, le Ministère du travail et ses différentes administrations [...] sont considérés comme une perte de temps et un remplissage injustifiés. Certains vont plus loin et les jugent comme “une vaste fumisterie”. Ils ont l’impression “qu’il fallait qu’il y ait dix-huit mois, alors on les tire au maximum, pour que ça fasse dix-huit mois, mais peu importe le contenu”. Ils manifestent une hostilité particulièrement forte aux modules qui portent sur la gestion des ressources humaines et sur les compétences du chef de service. Cette hostilité est justifiée par l’interprétation qu’ils font des intentions des responsables de l’INTEFP, ainsi que de celles des formateurs des modules en question. A leurs yeux, ces derniers répondent à un cahier des charges institutionnel, visant à faire adhérer les inspecteurs-élèves du travail à la culture du management qu’ils refusent.

De façon plus globale, ils reprochent à la formation son caractère abstrait et inopérant. Conscients qu’ils n’ont pas eu de quoi combler le manque, jugé nécessaire, pour assumer la fonction d’inspecteur en situation, ils envisagent de l’acquérir par eux-mêmes, sur le tas et en situation professionnelle. Voici ce que dit l’un des inspecteurs-élèves du travail: “j’ai fini par croire qu’il faut aller au charbon. Il n’y a rien de mieux que le terrain; la formation donne des outils, des bases, des connaissances qui permettront de pouvoir garder, éventuellement, la tête hors de l’eau, de pouvoir répondre, de pouvoir s’affirmer au niveau de l‘employeur, mais aussi des salariés; mais après, c’est au fur et à mesure, dans la pratique”.

3.2 La formation comme lieu d’accompagnement de la reconfiguration identitaire

Sont évidemment concernés par cette catégorie d’inspecteurs-élèves du travail qui conçoivent la formation comme un lieu

8 Toutefois, en raison de la richesse et de la complexité des discours des interviewés, n’ont été prises en considération, ici, dans cette contribution, que les attitudes spécifiques.

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d’accompagnement de la reconfiguration identitaire, ceux d’entre eux inscrits dans une dynamique de repositionnement identitaire reconfiguré. Il s’agit d’une partie des ex-contrôleurs du travail qui passent le concours interne en poursuivant le projet d’être affectés, à la sortie de l’INTEFP, sur une fonction en hors section. Là aussi, les inspecteurs-élèves du travail sont très critiques vis-à-vis de la formation. Ils revendiquent une réduction de la durée du tronc commun et militent pour le prolongement de la durée de la période de spécialisation. Ce rapport à la formation peut s’expliquer par les effets conjugués de deux facteurs. Le premier facteur est la préexistence d’un sentiment de compétence, généré par l’exercice professionnel antérieur au sein d’une section d’inspection. Ils ont la conviction d’être en grande partie préparés à l’exercice de la fonction d’inspecteur du travail hors section visée à la sortie de l’INTEFP. Ils vivent le tronc commun, largement dominé par la culture “travail”, comme une redondance inutile et, par là même, comme une perte de temps, dont ils peuvent se passer. Comme les inspecteurs-élèves du travail inscrits dans une dynamique de confirmation, ils soupçonnent l’équipe pédagogique d’utiliser l’évaluation de la formation comme un moyen de les obliger à être présents pendant les dix-huit mois. “On nous traite comme des gamins et on nous fout la pression, et tu t’aperçois que cette pression est uniquement pour cadrer les gens, pour être sûr qu’ils soient au garde-à-vous pendant les dix-huit mois. C’est uniquement ça, la solution du contrôle continu”. L’interviewé va plus loin et introduit des éléments historiques pour expliquer cette durée. C’est qu’avant, dit-il, on a laissé les inspecteurs-élèves du travail “faire n’importe quoi et c’était le foutoir complet; et, du jour au lendemain, il a fallu trouver le moyen de les cadrer et de les avoir à l’Institut National du Travail, qu’ils soient présents tous les jours, les huit heures dans la journée sur les cinq jours de semaine; donc on fait le contrôle; il ne sert qu’à ça”.

Le deuxième facteur explicatif du rapport à la formation des inspecteurs-élèves de cette catégorie est la conscience que, malgré tout, la fonction d’inspecteur du travail hors section présente un certain nombre de différences avec la fonction d’inspecteur du travail en section. C’est ce qui ex-plique leur souhait du renforcement de la période de spécialisation qui, non seulement doit commencer plus tôt dans le cursus, mais être significativement allongée. C’est ce que formule l’un d’entre eux: “avec un tronc commun de quatre à six mois, on n’a pas le temps de s’ennuyer et, après une spécialisation où, là, chacun va retrouver ce qu’il attend, celle-ci est trop courte et là, effectivement, il faut du temps pour se préparer”. Ils s’attendent à ce que la spécialisation leur permette d’acquérir les

compétences requises pour l’exercice de leur métier en hors section. Il s’agit, notamment de la maîtrise des circulaires, des dispositifs, des mesures pour l’emploi, ainsi que de la maîtrise des outils correspondants à leurs mises en œuvre. Quand on leur rappelle le décalage entre les besoins de formation qu’ils expriment et leurs propos concernant la facilité pour un inspecteur du travail en section d’exercer sans difficulté les fonctions d’un inspecteur du travail hors section, ils répondent que l’exercice en section permet d’avoir une culture, une posture et une façon de faire qui facilitent le passage de section en hors section, mais ne dispense pas de la formation en spécialisation qui donne les outils techniques et opérationnels nécessaires pour l’exercice en hors section.

3.3 La formation comme lieu d’aide à la conversion professionnelle

Apparaissent notamment dans cette catégorie ceux qui regardent la formation comme lieu d’aide à la conversion professionnelle les inspecteurs-élèves du travail, provenant des services extérieurs du Ministère du travail, qui n’ont pas exercé auparavant de fonctions au sein de l’inspection du travail. L’un d’eux, comme cela a été dit ci-dessus, était sur un poste d’informaticien et a passé le concours pour devenir inspecteur du travail en section. Provenant d’un département lointain, il fait tout pour réussir et apprendre le maximum de gestes professionnels, pour mieux remplir sa fonction et réinvestir les acquis de la formation en situation professionnelle. Là, comme ailleurs, le rôle de l’alternance est apprécié. Pour lui, “les stages en alternance sont une très bonne chose. Aller en section, voir les pratiques professionnelles des collègues, sortir avec eux, faire des contrôles avec eux, c’est enrichissant; je crois que l’on ne peut pas faire ce métier en se bornant à amasser des connaissances théoriques; il faut aller sur le terrain; c’est tellement complexe”. Il porte un regard critique sur ses collègues qui cherchent des solutions de facilité et qui vont à l’économie, quand il s’agit de faire face aux contraintes de l’apprentissage en alternance. C’est ce qu’il déclare: “moi, j’ai fait un choix géographique et je suis pénalisé; j’ai fait des choix géographiques; j’ai été mobile: je suis éloigné de ma famille, j’en souffre et ça fait un coût humain; ça a un coût matériel; mais je savais ce que je voulais et je crois qu’on est obligé de faire des sacrifices, si on veut quelque chose de qualité”.

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3.4 La formation comme lieu d’une (triple) construction: la pratique, la compétence et l’identité professionnelle

Font partie de la catégorie de ceux qui appréhendent la formation comme le lieu d’une triple construction (la pratique, la compétence et l’identité professionnelle), les inspecteurs-élèves du travail qui sont, pour la plupart d’entre eux, issus du concours externe et inscrits dans une dynamique d’acquisition identitaire. Certains, confiants en eux-mêmes, considèrent qu’une expérience professionnelle préexistante n’est pas une condition préalable pour l’exercice du métier d’inspecteur. Celle-ci peut être “un plu”, mais elle n’est pas rédhibitoire. Cette expérience et l’identité qui en résulte peuvent se construire et s’apprendre chemin faisant. Ici, plus qu’ailleurs, le rapport à la formation initiale est surdéterminé par la volonté d’être opérationnel à la sortie de l’INTEFP. Il s’agit d’être capable de contrôler une entreprise, de faire face à un employeur et à des gestionnaires des ressources humaines, dont l’expérience permet de détourner les lois. C’est la crainte d’être démuni en situation, qui oriente leur appréciation de la qualité de leur formation initiale. Ils sont critiques vis-à-vis des conditions, dans lesquelles se déroule le processus d’apprentissage. Celui-ci est jugé scolaire et infantilisant, car il les met dans une posture d’écoute passive de ce que disent les intervenants. Ils ont l’impression de se retrouver sur «les bancs de la fac, à prendre des notes et à gratter». Ils revendiquent plus de cas pratiques et concrets, tirés des situations professionnelles réelles et non inventés de “toutes pièces” par les formateurs. Ils veulent être “réellement” préparés à l’exercice de leur futur métier; c’est pourquoi ils jugent les cas traités comme “totalement” inadaptés à ce qu’ils croient pouvoir trouver, par la suite, sur le terrain. Certains expriment leur désarroi et jugent inadmissible de se sentir, au bout d’une année de formation, incapables d’aller dans une entreprise faire un contrôle. Ils ont une préférence pour les intervenants qui exercent le métier d’inspecteur du travail, parce qu’ils sont capables de «faire passer le côté pratique du métier, avec notamment des anecdotes, des choses comme ça; ils savent de quoi ils parlent». Ici, plus qu’ailleurs, l’accent est mis sur l’importance de la formation en alternance qui, de leur point de vue, favorise l’élaboration des représentations du métier, la construction des ingrédients de la pratique et de l’identité professionnelle. Ils militent pour l’organisation d’une alternance plus soutenue, qui leur permet d’aller en section se familiariser avec les pratiques professionnelles des inspecteurs en exercice et

d’apprendre à faire du contrôle des entreprises en leur compagnie. La formation doit permettre de “se mettre réellement en situation telle qu’on la trouvera sur le terrain”. Certains inspecteurs-élèves critiquent, de façon vive, les cours. Ils les trouvent trop “descriptifs ”, “plats”, qui manquent de problématisation et ne présentent pas des enjeux et des prises de position contrastées. Certains formateurs du terrain sont critiqués, car ils ont “une vision trop terre à terre”, alors qu’il est “important d’avoir des cours un peu plus généraux, qui fassent prendre conscience des enjeux économiques et politiques de certaines dispositions, et ça ils ne l’ont pas tout le temps”.

Parmi eux, ceux qui veulent absolument aller en section et qui redoutent l’impossibilité de réaliser ce projet à la sortie de la formation, militent pour l’existence d’un tronc commun consistant, car c’est l’une des garanties pour pouvoir effectuer de la mobilité et revenir par la suite en section. C’est ce que nous déclare cette interviewée: “je pense qu’il faudrait un vrai tronc commun, parce que, si on fait le calcul, on veut tous aller en section, à peu près ”. Si on augmente la période de spécialisation au détriment du tronc commun, nous dit l’un d’entre eux, “on réduit nos chances de mobilité, alors que le tronc commun donne la possibilité aux gens d’être mobiles”.

5 CONCLUSION

Les attitudes des inspecteurs élèves du travail à l’égard de leur formation initiale ne peuvent se comprendre indépendamment de l’analyse des transformations majeures que connaît le métier qu’ils se préparent à exercer. En effet, des liens forts existent entre les reconfigurations sociales de leur futur métier, les dynamiques identitaires dans lesquelles ils se trouvent inscrits au moment où ils passent le concours d’entrée à l’INTEFP et les usages sociaux et professionnels qu’ils veulent faire, au regard de leur appréhension de ces transformations, de leur formation initiale. Toute réflexion pédagogique visant l’optimisation des apprentissages et la préparation à l’exercice du métier d’inspecteur du travail doit prendre en compte les dynamiques identitaires en question. Non intégrées dans la réflexion pédagogique, ces dynamiques vont s’exprimer à travers des enjeux quasi existentiels (Bourgeois ????) qui structurent, comme nous l’avons constaté tout le long de cette contribution, le rapport des inspecteurs élèves du travail à leur formation initiale.

Referências

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