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La notion de metier: un operateur dans la formation et le marche du travail

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La notion de metier: un operateur dans la formation

et le marche du travail

The notion of métier: an operator in formation and in the labor market

Mireille Dadoy1

La notion de métier plonge ses racines au plus profond de la mémoire collective de chaque société. Bien que trouvant son origine dans l’Antiquité et notamment dans le monde latin, elle recouvre en fait des réalités fort différentes tout au long de l’histoire d’un même pays et plus encore d’une société à l’autre. C’est dire que le présent exposé n’a nullement l’ambition d’exposer des tendances universelles. Bien au contraire, toute la réflexion qui le sous-tend a trouvé son inspiration dans l’histoire du travail, de la formation professionnelle et du marché du travail de la France. Le Brésil a probablement une tout autre histoire de sa formation professionnelle et de son marché du travail. Et même si certaines influences s’établissent entre les pays, même si certaines convergences sont perceptibles parfois d’une société à l’autre, les spécificités de chaque société restent très déterminantes dans le cadre référentiel de la notion de métier de chaque pays et il convient de prendre garde que, sous le même terme de «métier», peuvent se cacher des réalités fort divergentes en France et au Brésil. Toutefois, si l’expérience d’un pays mérite d’être exposée, c’est que les autres pays peuvent peut-être en tirer quelques enseignements utiles pour éviter des effets pervers, comme ceux que l’on peut observer aujourd’hui en France. C’est dans cet espoir que sera ici présentée cette réflexion sur la notion de métier en France.

Mots-clés: métier; formation professionnelle; marché du travail. Keywords: métier; professional formation; labor market.

1 Doutora em Sociologia pela Université Paris VII - França. Laboratoire Georges Friedmann. mireille.dadoy@univ-paris1.fr. 2 Cette période a été notamment marquée par la migration massive des ouvriers agricoles vers les villes et l’industrie. 1 INTRODUCTION

La prégnance de la notion de “métier” dans le débat social actuel en France traduit l’expression d’une crise aiguë de l’emploi dans la société française. En effet, pendant la période de croissance économique des années 1950-1974, la mobilité professionnelle et la mobilité géographique des travailleurs se sont réalisées dans le pays sans trop de difficultés, sans que les travailleurs ne rechignent trop à l’abandon de leur formation d’origine (diplôme d’origine ou formation sur le tas), dans la mesure où ils conservaient un emploi et où ils accédaient à un salaire supérieur ou à un emploi considéré comme plus valorisant ou présentant de meilleures conditions de travail2. Il faut rappeler

incidemment que la création de l’UNEDIC en 1959 avait pour objectif d’accélérer la mobilité des travailleurs, des entreprises marginales vers les plus modernes, qui se plaignaient de ne pas trouver de

main-d’œuvre qualifiée. En revanche, la période de l’Après-deuxième-guerre-mondiale a été aussi marquée par le développement des luttes ouvrières contre la “déqualification du travail”, principalement dans les entreprises de mécanique, à la suite, d’une part, de la modernisation de l’équipement industriel, grâce au Plan Marshall, et, d’autre part, de l’intensification du taylorisme et du fordisme dans l’industrie. C’est dans ce contexte de remise en cause de l’organisation antérieure du travail, de la redéfinition des “exigences de poste” et de la révision à la baisse de la “qualification”, c’est-à-dire de la “classification”, des postes et des ouvriers, avec souvent mobilité non-souhaitée et/ou baisse ou blocage du salaire, que s’inscrivent les travaux et les réflexions de Georges Friedmann sur Les

problèmes humains du machinisme industriel

(1946), Où va le travail humain? (1950) et Le travail

en miettes (1956).

Aujourd’hui, les revendications des travailleurs sur le thème du métier ne font que manifester l’angoisse d’une population active menacée par un

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taux de chômage massif, même s’il faut rappeler que, selon les enquêtes Emploi de l’INSEE, le taux de chômage3 est passé de 9,0 % en décembre 2000 et en

décembre 2001 à 7,9 % au troisième trimestre 20074

et même 7,7 % en France métropolitaine5, après une

montée spectaculaire en 2002-2004, après la suppression des emplois-jeunes.

Pour comprendre l’obsession de la population à exiger, non seulement des formations professionnelles, mais surtout des formations “professionnalisantes”, il faut d’abord appréhender le sens du mot “métier” et saisir les conditions de l’émergence de son omniprésence dans les discours du public.

2 QU’EST-CE QU’UN MÉTIER?

La notion de métier apparaît à bien des égards très banale. Il est peu de notions qui soient plus familières à l’ensemble de la population. Depuis l’enfance, les écoliers ne cessent d’être sommés de choisir un métier, de se préparer à un métier. Et pourtant, à y bien réfléchir, cette ardente obligation qui est faite à l’enfant d’exprimer ses aspirations professionnelles n’est peut-être pas aussi ancienne en France qu’il le paraît. Il est même probable qu’elle ne se pose avec réalité que depuis deux ou trois générations, c’est-à-dire depuis l’école obligatoire pour tous de Jules Ferry, en 1881, et même plus probablement depuis la création des premiers CAP, en 1919, c’est-à-dire finalement depuis un siècle environ.

Si la notion de “métier” apparaît très commune, force est pourtant de constater qu’il est difficile d’en trouver une définition très précise dans la sociologie française:

a) La notion de métier, constamment sous-jacente chez G. Friedmann, est définie indirectement.

Dans Problèmes humains du machinisme industriel, il parle le plus souvent d’”ouvriers

qualifiés”, d’”ouvriers professionnels”, d’”habileté professionnelle”; lorsqu’il se réfère à des métiers, il emploie les expressions “anciens métiers unitaires” (p. 200), “métiers anciens”, “métiers traditionnels” (p. 194), sans plus de précision. Pourtant, dans cet l’ouvrage dans lequel sa réflexion sur les usages de la

qualification dans l’industrie tient une place centrale, il définit l’objet de ses recherches: “L’importante question qui se pose est donc maintenant celle-ci: l’appren-tissage méthodique et complet des professions-types de l’industrie, appuyé sur d’assez larges connaissances théoriques – cherchant à donner une ample culture professionnelle au jeune apprenti – est-il sans utilité prati-que – pour lui et pour l’économie nationale d’un pays, dans les conditions réelles de l’industrie moderne?”6.

Pour Friedmann, “L’ouvrier qualifié a sa machine, ses outils”; c’est un “professionnel”; il “connaît la matière, sa structure, ses qualités” (p. 202). Dans les métiers, l’habileté manuelle, variée, délicate, précise, joue le rôle principal.” (p. 198).

Le “métier unitaire”, par opposition aux “métier éclaté en parcelles de savoirs et savoir-faire” sur les postes d’Ouvriers Spécialisés7, se réfère donc

aux professions-types, dont la formation repose sur un apprentissage fondé sur d’assez larges connaissances théoriques, sur une ample culture professionnelle.

C’est Pierre Naville qui, le premier, cherche à donner un contenu plus précis aux différentes notions en usage dans le monde du travail. Comme il le remarque dans le Traité de sociologie du travail, en 1962, les notions d’emploi, de métier et de profession sont, en France, constamment utilisées l’une pour l’autre. “On dit: “Je cherche une situation” ou “j’ai trouvé une bonne place”. On dit aussi: “C’est mon métier” ou “j’appartiens à cette profession”. D’un homme qui s’est élevé dans la hiérarchie, on estime qu’il a atteint une position; il y a 150 ans, on parlait d’état. On parle de la même façon d’emploi, de

pos-te, voire de tâche. On invoque une charge ou une fonction […] Tous ces termes, et bien d’autres encore,

désignent des classes d’activités rémunérées qui sont à la base de la vie sociale. Mais ils n’ont pas tous le même sens, quoiqu’on les emploie couramment les uns pour les autres, ou presque”. Psychologue de formation, P. Naville a commencé sa carrière dans l’orientation professionnelle des jeunes. Les métiers, il les connaît et a une vision très critique des modes d’orientation des enfants dans l’appareil de formation professionnelle. La définition de métier qu’il donne n’en demeure pas moins assez vague: “les gens de métiers” maîtrisent un “ensemble de capacités techniques de travail individuel”8. La même définition

3 Les chômeurs au sens du BIT sont les personnes sans emploi, à la recherche effective d’un emploi et immédiatement disponibles. Les données sont établies une fois par an, à

partir des résultats de l’enquête annuelle sur l’emploi effectuée par l’INSEE et sont estimées à l’aide d’un modèle économétrique pour les mois intermédiaires.

4 En fait, il faut rappeler que le taux de chômage ne prend pas en compte les chômeurs qui reçoivent le Revenu minimum d’insertion (RMI), les chômeurs envoyés en stage, les

chômeurs de plus de 55 ans qui sont retirés du marché du travail, les travailleurs qui ne travaillent que quelques heures par mois, … etc.

5 Barroux Rémi - « La décrue du chômage se poursuit » ; in Le Monde – Bilan du monde. 2008, 2008, p. 151. 6 Friedmann G. – Problèmes humains du machinisme industriel ; Paris, Gallimard, p. 223.

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pourrait être attribuée à tous les termes qu’il a lui-même énumérés!

Trente ans plus tard, le vocabulaire de la sociologie s’est-il amélioré?

a) Ni le dictionnaire de sociologie de Larousse en 1989 (BOUDON Raymond, BESNARD Philippe, CHERKAOUI Mohamed, LECUYER Bernard-Pierre - Dictionnaire de la sociologie; Paris, Larousse, 1989, 239p. [Coll. Essentiels]), ni le dictionnaire des Sciences humaines de Nathan en 1990 (GRESLE François, PANOFF Michel, PERRIN Michel, TRIPIER Pierre – Dictionnaire des Sciences

humaines; Paris, Nathan, 1990, p. 268), ne

mentionnent le terme de “métier”; en revanche, celui de “profession” est traité, mais plutôt en référence aux professions libérales; b) En 1991, François Gresle, qui a travaillé notamment sur le petit commerce (L’univers

de la boutique: Famille et métier chez les petits patrons du Nord 1920-1975; 1981), propose

une définition succincte dans l’ouvrage collectif dirigé par Gilles Ferréol (FERREOL Gilles, CAUCHE Philippe, DUPREZ Jean-Marie, GADREY Nicole, SIMON Michel –

Dictionnaire de sociologie; Armand Colin,

1991, p. 147):

“Métiers. Au moyen Age, on distinguait deux sortes de métiers: les métiers “jurés” (prestation de serment au sein de corporations) et les métiers “réglés” (codification par les pouvoirs publics). Leurs statuts concernaient aussi bien les conditions d’admission et la durée de formation que les modalités de contrôle ou de fonctionnement. De nos jours, synonymes de professions”;

c) En 1999, Dans le dictionnaire de sociologie Le Robert/Le Seuil ( AKOUN André, ANSART Pierre – Dictionnaire de sociologie; Paris, Le Robert/Seuil, 1999, p. 339 [Coll. Dictionnaires Le Robert/Seuil]), c’est à nouveau François Gresle qui rédige l’article sur “métier”:

“Métier. Issu du latin “ministerium fonction de serviteur; service, fonction” (en passant par le latin populaire misterium). Au cours du XI° siècle mestier est appliqué à l’exercice d’une profession.

Notion de sens commun évoquant le contenu d’un travail peu réglementé, de nature plutôt manuelle ou mécanique, mais pas nécessairement (Cf. les Chambres artisanales de métiers ou le “répertoire opérationnel des métiers et des emplois” utilisé par l’Agence nationale pour

8 Naville Pierre – Essai sur la qualification du travail ; Paris, Marcel , 1956.

l’emploi), ainsi que les savoirs et savoir-faire qu’il entraîne. Ce mot, qui connaît de nombreuses acceptions, est à utiliser avec précaution. En sociologie, on lui préférera, selon le contexte, des termes tels que profession, carrière, fonction, rôle, voire pratique, auxquels sont octroyés des significations plus précises”;

d) Tentative d’approche plus concrète de la notion de métier en sociologie (DADOY, 1989).

Le métier est d’abord une activité professionnelle qui est dotée d’une appellation générique qui lui donne une forte identité sur le marché du travail. Sur le plan formel, il n’y a pas de différence entre l’appellation d’un “plombier” et celle d’un “opérateur de d’emboutisseuse de l’atelier 25" ou d’un “poinçonneur des tickets de métro”. Dans la réalité, toutefois, la population se fait une représentation de ce qu’est un métier, “un vrai métier”, qui prend ses racines dans ce qu’elle connaît, donc principalement dans le passé, dans les pratiques de gestion de main-d’œuvre des cinquante dernières années. Cette notion de métier s’organise sur quelques traits caractéristiques:

1) Une fonction sociale utile, voire indispensable, et valorisée dans la société ; mais tout l’art des ressortissants d’une profession est précisément de convaincre l’Etat de son utilité sociale ! Voltaire a illustré cette tendance dans un pamphlet célèbre: la requête des fabricants de chandelles, demandant au Roi d’interdire le soleil, dans l’intérêt du commerce et de l’industrie!

2) Un corps de pratiques professionnelles, de “gestes techniques”, reposant sur de vrais savoirs techniques de haut niveau; 3) Un corpus de connaissances spécifiques, voire protégé par des secrets; donc une spécialisation forte;

4) Un corps de connaissances homogène, cohérent et articulé, qui permet de réaliser la totalité d’un produit ou d’un service, par opposition aux savoirs fragmentés et parcellisés qui ne permettent pas de se situer dans l’ensemble du procès de production; 5) Une formation initiale, un appareil de

formation officiel, visible;

6) Un diplôme officiel, reconnu par les conventions collectives;

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le métier et assure la rareté de la main-d’œuvre, pour assurer de bons salaires; 8) Un marché du travail favorable au travailleur, donc protégé par un diplôme, voire monopolistique;

9) Une culture de métier;

10) Un métier dont on est fier, qui donne du prestige dans la société;

11) Un revenu enviable, bien placé dans la hiérarchie des salaires;

12) Un espace d’évolution professionnelle (es-pace de qualification), un es(es-pace de progression dans l’ensemble des savoirs et savoir-faire reconnu à un métier, qui, grâce à des investissements de perfectionnement, rend possible une amélioration de la situation et de la rémunération, bref une carrière balisée, organisée, donc que l’on peut anticiper en s’y préparant, sans attendre les seuls besoins de l’entreprise; 13) Une histoire de la profession, même

mythique;

14) Des traditions, des marques distinctives, un saint patron;

15) Des représentants de la profession; 16) Un syndicat pour défendre les intérêts

collectifs des travailleurs du domaine, dans l’entreprise.

Aujourd’hui, La référence aux métiers manuels a disparu des représentations de la population sur la notion de métier, même si elle n’est pas absence de celles des employeurs. Si elle res-te très présenres-te dans la sphère de l’artisanat et du travail manuel, elle tend à se généraliser pour toutes les professions, au sens banal, notamment pour les professions exercées dans le cadre du salariat.

En revanche, le rôle de la formation professionnelle initiale est survalorisée dans la notion de métier; c’est peut-être ce qui explique son omniprésence dans la sphère de la formation: la notion de métier est plutôt ancrée du côté de la formation initiale et du diplôme, d’une formation de haut niveau, pour conserver un caractère spécifique, et même une formation de niveau supérieur, seule susceptible de garantir une certaine rareté, donc un statut élevé. Le métier confère donc une forte identité sociale sur le marché du travail et dans la stratification sociale, sans pour autant constituer une prison; grâce à la formation et à la démocratisation de la formation, une certaine mobilité volontaire est rendue possible, bien que de moins en moins facile. Il apparaît toutefois clairement que la notion

de métier, évoquée plutôt comme une réalité historique, en référence à l’artisanat, n’est pas donnée comme une entité sociolo-gique dans les dictionnaires de sociologie; en effet, si la notion de “profession” a reçu les honneurs de la sociologie, grâce à Talcott Parsons (1902-1979), en revanche celle de “métier” a plus été effleurée que traitée et, à ce titre, F. Gresle en déconseille l’usage. On notera toutefois une évolution au cours de cette dizaine d’années où quatre dictionnaires de sociologie sont publiés: un début de définition est esquissé en 1999; c’est qu’en effet, outre un ouvrage qui a beaucoup marqué la communauté des sociologues (BOURDIEU Pierre, CHAMBOREDON Jean-Claude, PASSERON Jean-Claude – Le métier de sociologue; Paris, Mouton, 1968), un grand nombre de recherches sociologiques ont été consacrées à des métiers ou des emplois!

Pour comprendre cette frénésie de recherches sur des métiers, il faut retracer le contexte de l’irruption de la notion de métier dans la société française.

3 LE CONTEXTE DE LA RÉÉMERGENCE DE LA NOTION DE MÉTIER EN FRANCE, AU COURS DES ANNÉES 1980

La notion de métier et les réalités concrètes que recouvre ce terme ont connu une évolution considérable de l’Antiquité à nos jours, en France notamment. Pour appréhender la transformation des acceptions de ce mot, il convient de repartir des ori-gines romaines du terme, pour examiner ensuite les réalités nouvelles auxquelles est confrontée la population aujourd’hui.

3.1 L’Antiquité

Comme l’indique bien François Gresle, le terme de métier, vient du mot du Moyen-Âge mestier, lui-même issu du mot gallo-roman mistieri (BLOCH O., VON WARTBURG W., 2002, p. 406); c’est donc un mot d’origine latine. Selon O. Bloch et W. Von Wartburg, le mot mestier du Moyen-Âge suppose l’existence d’un mot du latin populaire misterium, résultat d’une forte contraction ou croisement entre deux mots latins ministerium et mysterium9 (d’origine

grecque), dans des locutions où il s’agissait du “service de Dieu” (cf. le mestier Dieu, expression fréquente au 9 Le mot latin mysterium, emprunté au grec mystérion, dérivé de mystés, « initié » en grec, se rapporte aux rites qui se déroulaient au sanctuaire d’Éleusis, relié à Athènes par la

Voie Sacrée. C’est le sens d’”initiation” qui a entraîné un recouvrement, voire une confusion, entre “mystère” et “métier”, alors que les deux termes se réfèrent à l’origine à des sphères bien séparées.

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Moyen-Âge). Le mot latin ministerium, “service, office”, est lui-même dérivé de minister, “serviteur, domesti-que”, lequel provient de son côté du mot latin minus, “le moins”, par rapport au major, “le plus, le maître, le seigneur”. Chez les Latins, le ministerium concernait une fonction d’aide à la gestion du domaine, confiée par le maître à un serviteur, voire à un esclave. Il ressort donc que la notion de métier se référait chez les Romains à des fonctions socialement peu valorisées, puisqu’elles étaient confiées à des esclaves; il en était d’ailleurs de même chez les Grecs; Aristote10 disait par

exemple: “Il est beau de ne pratiquer aucun métier, car un homme libre ne doit pas vivre pour servir autrui”. Dès le premier siècle avant Jésus-Christ, les métiers romains s’étaient constitués en collèges de métier, qui devaient s’organiser pour fournir aux armées romaines tout le matériel nécessaire, les armes, les vêtements et la nourriture; ces corporations de métier, dotées d’une appellation spécifique11, sont aujourd’hui notamment

repérées sur les stèles des nécropoles romaines à Arles, à Lyon, à Nîmes, à Vienne.

3.2 Le Moyen Âge

Lorsque, au IV° siècle après J.-C., les Romains quittent la Gaule, certaines institutions romaines survivent plus ou moins bien. Peu d’information sur cette période est parvenue jusqu’à nous. Toutefois, lorsque se reconstituent des associations de travailleurs au Moyen Âge, c’est sous l’appellation de «métier» qu’elles se dotent d’une organisation plus ou moins formelle, qui, dans l’Europe continentale du Moyen-Âge, est désignée sous le nom de “hanse” (vers 1240, à Saint-Omer, mot emprunté du moyen bas allemand hansa), de “guilde” (“association, confrérie”, en usage surtout au Nord-Est, vocable emprunté du latin médiéval gilda, ghilda, latinisation du moyen néerlandais gilde; “guilde” est attesté en français moderne depuis 1788 (BLOCH O., VON WARTBURG W., 2002, p. 310). Le mot “métier” est avéré en langue française dès le X° siècle (Le Robert, 1966, pp. 391-393). Par ailleurs, les linguistes signalent que, dès le Moyen-Âge, le terme de métier pouvait également désigner divers ustensiles (ministerium signifiait déjà “vaisselle” en latin de basse époque) ou meubles, d’où le sens spécialisé de “machine”, notamment pour le métier à tisser (BLOCH O., VON WARTBURG W., 2002, p. 406).

C’est ainsi surtout au Moyen Age que vont

s’institutionnaliser des formes nouvelles d’organisation collectives de certaines activités productives: les corporations de métier. Cette forme de spécialisation de l’activité professionnelle émerge dans les nouvelles unités urbaines que sont les villes «franches», c’est-à-dire les villes affranchies d’impôts. Dans le monde rural, il est probable que déjà certaines formes de spécialisation sont apparues, mais fondamentalement, néanmoins, la polyvalence est plutôt le principe général: chaque famille doit s’efforcer d’auto-produire au maximum les moyens de sa subsistance. Seules certaines fonctions plus rares, techniquement peut-être aussi plus complexes, se spéciali-seront: le forgeron, par ex., ou encore le maréchal-ferrant. Dans les nouvelles villes où se rassemblent, sous la protection du roi, les paysans qui fuient leur seigneur, le problème est de produire quelque chose pour l’échanger contre le blé des campagnes, puisque ces fuyards n’ont pas de terre à exploiter. Pour échanger avec les campagnes, il faut produire des objets qui leur soient utiles et qui rivalisent de qualité avec leur production propre. Grâce à la spécialisation, la production urbaine va atteindre ce degré de perfection qui va permettre d’asseoir un nouveau type de division du travail.

Les métiers étaient alors des organisations sociales et économiques, jouant un rôle politique. Ils s’organisent progressivement, dans quelques villes, autour d’activités artisanales de type urbain: le cardage, la teinturerie, la draperie, la charpenterie, la boucherie, la charcuterie (c’est-à-dire la chair cuite, pour se distinguer des bouchers), etc.

Au XIII° siècle, le Prévost de Paris, Etienne Boileau, l’officier-magistrat qui est chargé d’assurer les fonctions d’arbitre dans les conflits internes aux corporations, décide, parce qu’il a beaucoup de peine à comprendre les règles qui régissent chaque corporation, d’obliger chaque corporation de Paris à déposer ses règles sur un cahier, connu sous le nom de Livre des Métiers. Les archives des corporations de Paris ont malheureusement disparu; toutefois, le

Li-vre des métiers nous est parvenu, grâce à deux éditions

effectués au XIX° siècle, par G. B. Depping12 en 1837

et par R. de Lespinasse13 et F. Bonnardot en 1879.

Ces deux éditions constituent notre principale source d’information sur cette période, avec la publication en trois volumes des statuts des corporations de Pa-ris, en cours jusqu’à leur suppression par Turgot. Le Livre des Métiers publié par Depping mentionne 100 métiers. On note l’absence (un oubli?) des Bouchers. En 1879, dans la nouvelle édition du Livre des Métiers réalisée par De Lespinasse, apparaissent les Chirurgiens.

10 Aristote, Rhétorique, I, 9, 27.

11 Ex. les “centonarii”, fabricants d’étoffes grossières, qui permettaient entre autre de combattre les incendies; les “utricularii”, transporteurs fluviaux qui utilisaient des barges à fond

plat ou radeaux soutenus sur l’eau par des outres gonflées d’air, lorsque les rivières étaient navigables.

12 Règlements sur les arts et métiers de Paris rédigés au XIII° siècle et connus sous le nom du Livre des métiers d’Etienne Boileau ; Paris, G. B. Depping, 1837. 13 Le Livre des métiers ; Paris, R. de Lespinasse et F. Bonnardot, 1879.

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Les métiers manuels mentionnés dans le Livre des Métiers. Bouclier Boulanger Boutonnier Carrier Cervoisier Chapuiseur Charpentier Charretier Charron Chaucier Cloutier-attacheur Corroier Couteler feseeur de manche s Couvreur Crépinier Faiseur de bas Fermailler de laiton Fileuse de soie Forgeron Foulon Fripier Huchier Huissier Lormier Maçon Mortelier Orfèvre Patenostrier Paveur Plâtrier Sellier Serrurier Tabletier Tailleur Tailleur de pierre Tanneur Tapissier Teinturier Tisserand Tonnelier

Le groupement professionnel en métier assumait plusieurs fonctions dans la société:

a) Une organisation collective pour mettre sur pied des expéditions destinées à aller chercher, souvent très loin, les matériaux de qualité nécessaire à l’activité du groupe: par ex. la laine aux Shetland;

b) Une organisation collective, dotée de chefs, qui négociaient avec les représentants du Roy le montant des impôts à verser en échange, d’une part, de la protection royale contre le pouvoir des seigneurs voisins, d’autre part, de privilèges, c’est-à-dire de la constitution d’un monopole;

c) Un monopole de la fabrication et de la ven-te de leurs produits et services sur le marché local (car la corporation n’avait de statut que dans sa ville). Donc un marché du produit protégé;

d) Une culture technique très structurée, fondée sur une expérience collective cristallisée en traditions, qui déterminent “les règles de l’art” et une déontologie de la qualité de la prestation;

e) Un marché du travail fermé et protégé, par un monopole de la formation;

f) Une organisation militaire pour défendre la ville, qui devint un centre de drainage de toute la richesse régionale, pour la défendre de la convoitise des pillards, des seigneurs locaux, des étrangers;

g) Une fonction religieuse, car à l’époque toute la civilisation était sous le contrôle de l’Eglise; h) Une fonction sociale, car la corporation devait s’occuper de l’ensevelissement des pauvres et de l’aide à la veuve et aux orphelins;

i) Des rites de socialisation et d’introduction dans le groupe professionnel, pour marquer fortement la différence entre le dedans et le dehors;

j) Une forte identité sociale de ses ressortissants dans la société (la ville), qui se manifestait par une multitude de points: un costume de cérémonie, une place dans les processions

dans la ville, une bannière, des insignes, un saint patron (St Vincent pour les vignerons; St Crépin pour les cordonniers;), un statut de la corporation avec ses règles, des chansons vantant les mérites du métier et dénigrant les autres, des coutumes et des habitudes propres.

Cette organisation professionnelle qui se met en place métier par métier et ville par ville, a pour fonctions la défense des intérêts collectifs de ce que nous appellerions aujourd’hui la profession. Elle est à la base de ce que la comptabilité économique contemporaine dénomme une branche professionnelle. Elle a joué un rôle très structurant dans deux domaines, la police économique et la formation:

a) La police économique, car les chefs imposaient une réglementation très stricte, différente bien sûr d’un métier à l’autre et d’une ville à l’autre, qui visait à contrôler très précisément la matière première, les outils, la forme des produits, le temps passé à les fabriquer, les pratiques, les instruments de mesure du produit terminé, les prix, etc. Les règles de l’art étaient strictement contrôlées par des maîtres de la corporation. Pour faciliter ce contrôle, le travail devait s’effectuer au vu de tous, de jour et dans une pièce ouvrant sur la rue. Etait interdit le travail le soir ou la nuit, c’est-à-dire le “travail au noir”;

b) La formation, c’est-à-dire la transmission des savoirs et savoir-faire traditionnels, ainsi que les normes d’un exercice honnête de la profession (les règles de l’art du métier). C’était une véritable culture technique et sociale singulière qui était transmise de génération en génération, au sein de chaque corporation, qui assurait à la fois le lien très fort qui soudait le groupe professionnel et la “distinction” par rapport aux autres corporations. Les maîtres habilités avaient le monopole de la formation et donc le contrôle de l’accès à l’emploi; l’apprentissage était payant et faisait l’objet d’un contrat formel, passé devant notaire. La formation se faisait par immersion dans l’acte de travail et l’apprenti habitait le domicile du maître. Ces différentes fonctions étaient assurées au sein du métier par un organe politique dont les membres vont acquérir un statut et un pouvoir qui progressivement créeront une distance sociale entre:

les maîtres jurés et les autres maîtres,

les maîtres, les compagnons (ou valets) et les apprentis,

les gens du métier et les autres métiers, l e s g e n s d e m é t i e r e t l e r e s t e d e l a population.

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Le corps de métier, la corporation14, avait ainsi

ses privilèges, ses charges, sa hiérarchie. Il réglait lui-même sa discipline, exposée dans ses statuts, rédigés en commun et auxquels chaque membre de l’association jurait obéissance; ces statuts, une fois approuvés par le souverain ou son représentant, avaient force de loi vis-à-vis de tous les citoyens. La corporation constituait ainsi une personne morale, capable d’acquérir, d’aliéner, de faire tous les actes de la vie civile. Toutefois, il ne faut pas se faire d’idées fausses sur le système des corporations de métier: il concernait probablement une grande partie de la population de ces nouvelles unités urbaines, mais en réalité seulement une fraction minime de la population du pays; il n’y avait pas de système général des corporations de métier, ni dans une ville, ni en-tre les villes, ni dans le temps. Il n’y avait, effectivement, pas de modèle unique entre les corporations d’une même ville, par exemple entre la corporation des Bouchers et la corporation des Charpentiers de Paris, ni d’une ville à l’autre, par exemple entre la corporation des Drapiers de Rouen et celle d’Arras.

Aujourd’hui, on ne parle de corporation que de manière imagée, voire quelque peu péjorative : la corporation des Enseignants, des Limonadiers. Dans le Bâtiment, toutefois, les corps d’état ou corps de métier s’inspirent encore directement de ces anciennes corporations. En outre, il faut noter que les corporations de métiers avaient instauré un modèle de formation qui a laissé une forte empreinte dans la façon de concevoir un système d’enseignement dans nos sociétés modernes.

3.3 XVI° siècle – XIX° siècle

Le XVIII° siècle constitue une période charnière dans l’évolution de la notion de métier et dans l’évolution des métiers, sous l’influence de deux facteurs majeurs, d’ailleurs liées entre eux, à savoir d’une part l’invention de l’électricité en 1706, qui va conduire à la mécanisation et l’industrialisation, et d’autre part, la Révolution française qui va précisément créer les conditions favorables à ce processus de mécanisation.

Du XIV° siècle au XVIII° siècle, les corporations de métier se sont multipliées, diversifiées et consolidées. La Royauté a, en effet, rapidement pris

conscience du rôle de ces agents économiques dans la production et dans la richesse de la nation15, grâce

au développement des échanges commerciaux entre les pays, qui, dans cette phase de mercantilisme, a contribué efficacement à drainer vers la France l’or des Portugais et des Espagnols. La Royauté a donc accru l’attribution des monopoles aux corporations de métier, d’autant plus facilement d’ailleurs que c’était souvent un excellent moyen de renflouer les caisses de l’Etat, notamment dans les périodes de guerre. Ainsi, la Royauté a parfois obligé certains corps de métier à s’organiser en corporations, afin d’encaisser les taxes correspondantes. Toutefois, cette politique mercantiliste, dont Colbert a été une gran-de figure, va se heurter au conservatisme gran-des corporations, ce qui conduira le grand ministre à susciter une nouvelle forme d’organisation de la production, la manufacture, comme le montrera le point suivant.

Sur le plan politique et social, les corporations de métier ont conquis un rôle déterminant, confor-me à leur rôle économique dans le développeconfor-ment de l’économie et dans l’essor d’une nouvelle forme de société dans laquelle la ville tient une place do-minante. C’est de ces corporations de métier qu’est née la bourgeoisie et la civilisation urbaine, les deux piliers des sociétés développées contemporaines.

Toutefois, l’importance même des corporations de métier dans la société du XVII° siècle devait également attirer l’attention sur les effets pervers du contrôle rigide qu’exerçaient les corporations sur les modes de production. En 1791 (loi du 14 juin 1791), ce système des corporations est ainsi détruit par la Révolution française, parce que considéré comme un frein au progrès et, notamment, au progrès technique. Par cette loi Le Chapelier (du nom du député du tiers-état qui en fut le rapporteur), la Révolution française, en interdisant toute coalition et toute association en-tre gens de même métier, détruisait aussi le seul système de formation professionnelle initiale organisé de l’époque pour la main-d’œuvre d’exécution16. La

France va alors être le seul pays européen dépourvu de système de formation professionnelle des ouvriers pendant un siècle et demi. La main-d’œuvre qualifiée va devenir rare et chaque grande guerre va mettre en lumière le drame de cette impossibilité de reconstituer rapidement le contingent des compagnons qualifiés, cœur central de l’économie locale.

Le XVII° siècle est aussi l’époque où apparaissent de nouvelles formes de production: d’abord la manufacture au XVII°, puis l’usine et l’industrie au XVIII: Cette période est relativement bien connue, grâce à quelques auteurs qui ont 14 Par corporation, on entend «l’association, reconnue par l’Etat, d’individus exerçant la même profession. Cf. FRANKLIN Alfred – Dictionnaire historique des arts, métiers et

professions dans Paris depuis le XIII° siècle; Édition Welter, 1905. Le terme de “corporation” dérivé du latin médiéval corporari, «se former en corps», est venu en 1672 de la Grande-Bretagne, où il signifiait «réunion, corps constitué»; il est attesté en français moderne depuis 1788 (BLOCH O., VON WARTBURG W., 2002, p. 310).

15 La richesse des nations d’Adam Smith sera publié en 1776.

16 Toutefois la Révolution française créa de grandes écoles pour les ingénieurs: le CNAM (1794), L’Ecole polytechnique (1794), l’Ecole centrale, L’Ecole nationale supérieure, le

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consacré leur vie à l’étude des métiers dans cette période, parmi lesquels il faut citer: COORNAERT, SAINT-MARTIN, co-fondateur du Musée Social, et Alfred Franklin, qui en 1907, était administrateur honoraire de la bibliothèque Mazarine.

La manufacture royale est une forme d’entreprise promue par Colbert, dans le cadre de sa politique de développement des produits de luxe de très grande qualité, destinée au commerce international, pour attirer en France l’or étranger. Ces manufactures royales (Gobelin pour la tapisserie, à Paris; les rubans) sont déclarées royales justement parce qu’elles sont extérieures aux corporations, pour précisément pouvoir échapper aux règles restrictives de celles-ci; en effet, certains auteurs (JAEGER) pensent que les règles des corporations (fixation des outils, fixation des procédures, fixation des produits, deux apprentis au plus) visaient précisément à empêcher l’enrichissement individuel d’un artisan aux dépens des autres, mais aussi à maintenir un certain niveau de rareté, condition du maintien des prix; la manufacture royale constitue donc une rupture capitale avec la corporation, en ce qu’elle peut innover, tant au niveau des outils (importation de métiers et de procédures de l’étranger) que des produits, tout en conservant le principe du travail manuel et de la qualité du produit. La grande différence est cependant la constitution d’unité de production de grande taille, pour une production de série de qualité.

La manufacture a peut-être été le laboratoire d’expérimentation de la division du travail, donc de la parcellisation des tâches, qui va conduire progressivement à la mécani-sation, c’est-à-dire à l’usine (Stephen Marglin); c’est pour permettre l’avènement de l’usine que la Révolution française décide de supprimer les corporations de métier; cette nouvelle forme de production va absorber très progressivement les pauvres qui fuient la misère des campagnes et concurrencer très sévèrement l’artisanat alors désorganisé des villes. Ces deux formes de production vont considérablement modifier le contenu des emplois, la condition des travailleurs (salariat, perte de l’autonomie dans le travail), voire même contribuer à la disparition de certains métiers, notamment des métiers de luxe, qui, avec la déstabilisation de l’aristocratie, ont perdu leur clientèle.

Cette industrie naissante apparaît au sein de certaines professions (le textile, la forge), dont elle va considérablement déstructurer les modes de survie. En outre, les conditions de travail déplorables dans les usines vont faire émerger la notion d’ouvrier, en opposition à l’homme de métier, à compagnon. Dès lors, la notion de métier et les métiers encore existants vont se voir parer de tous les attraits: les dures conditions de vie des compagnons au sein des corporations sont oubliés; le métier artisanal devient la figure emblématique d’une forme d’activité professionnelle dotée d’une vraie formation

professionnelle qui permet au travailleur une certaine liberté: échapper au patron, avoir un marché du travail; cette aura ne s’explique que relativement à l’exploitation intensive de la main-d’œuvre dans l’industrie.

Dès lors, la figure du métier prend un relief particulier; elle apparaît comme:

a) Une activité professionnelle non touchée par l’industrie (la machine), donc dans l’artisanat;

b) Une activité professionnelle de type plutôt manuel;

c) Le métier, c’était un vrai savoir reconnu, avec un marché du travail fermé, donc protégé; d) Un corps de savoir homogène, cohérent et structuré, qui permet de maîtriser l’ensemble du procès de production d’un produit; c’est ainsi le refus d’un savoir parcellisé qui conduit aux cadences, à la monotonie, à des formes d’encadrement aliénantes;

e) Une culture technique traditionnelle de référence qui soude le groupe profes-sionnel, avec une histoire (souvent plus ou moins mythique), mais qui confère une sor-te de noblesse du travail;

f) Une espérance d’accès à la mise à son compte, à l’issue d’une formation longue et d’une expérience reconnue, […] à condition toutefois de disposer d’un petit capital, ce qui prédisposait le compagnon à l’économie et la discipline; donc une certaine mobilité sociale possible;

g) Une relative autonomie, car les produits et les pratiques sont suffisamment standardisés pour que le rôle du maître soit atténué; h) Une relative autonomie sur le marché du

travail: la figure emblématique étant le charpentier qui circule d’une ville à l’autre; la Révolution française a en effet créé les conditions favorables à la constitution de la nation, mais aussi du marché national, même s’il s’agit alors plus d’une potentialité que d’une réalité;

i) Des conditions de travail plus proches de la vie familiale que celles de l’usine détestée; j) L’emploi à vie, […] sauf dans les périodes

de crise!!

k) Un mode de vie traditionnel, donc confor-me aux représentations dominantes; l) Et, à partir de 1884, des syndicats de métiers

pour défendre les intérêts des travailleurs. Et même parfois, des cours de formation mis en place par le syndicat, par ex. le Livre. La carte syndicale avait quasiment valeur de diplôme.

C’est ainsi que la notion de métier a pris une connotation très positive au XIX° siècle, comparativement à la condition très dure des ouvriers

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d’usine. En fait, elle devient une figure mythique de l’activité professionnelle, dans cette phase où se développe le salariat industriel.

Il faut cependant noter que le XIX° siècle se termine sans que l’on soit parvenu à reconstruire un appareil de formation professionnelle et surtout une organisation rationnelle de la formation professionnelle, malgré la très grande rareté de la main-d’œuvre qualifiée, notamment après chaque guerre.

Finalement, de ces corporations de métier, que reste-t-il aujourd’hui?

a) Le terme de métier et de corps de métier; b) Le modèle d’une organisation très structurée

de la branche et de la profession;

c) L’idée d’une spécialisation stricte autour d’un cœur d’activités productives;

d) Et surtout un modèle de formation professionnelle que les compagnonnages tenteront de préserver au cours du XIX° siècle et que les dispositifs d’appren-tissage s’efforceront de réactiver, d’abord dans le cadre de la loi de Jules Ferry, puis dans celui des Chambres de métiers, en 1927, ensuite dans celui du gouvernement de Vichy, enfin dans celui de la loi sur la formation professionnelle continue de 1971;

e) Des mots de vocabulaire de la formation: chef-d’œuvre, expérience, jury;

f) Enfin, peut-être, le mythe du métier à vie!

3.4 XX° siècle

La consolidation de l’industrie et la mise en place de nouvelles procédures de production dans les usines (rationalisation des méthodes de travail, standardisation du produit, réduction des prix de production et donc de vente) ont mis à mal la situation de l’artisanat. De nombreux métiers disparaissent17: les maréchaux-ferrants, les cochers,

les postillons, les charrons, les forgerons, les repasseuses, les brodeuses, les dentellières, […] etc. Surtout, la main-d’œuvre qualifiée de la France est décimée par l’hécatombe de la Première guerre mondiale. De son côté, l’artisanat, pour tenter de survivre, réclame des mesures de protection, au nom de la qualité de ses prestations. Des décisions doivent être prises.

La première mesure, c’est la création du Certificat d’Aptitude Professionnelle en 1919 ; c’est

un diplôme professionnel sanctionnant une formation permanente, le soir, après le travail. La deuxième mesure, c’est la création des Chambres de métiers en 1925, pour représenter les intérêts des métiers et surtout mettre en place un système de formation initiale pour les métiers, fondé sur l’apprentissage auprès d’un artisan. C’est alors d’ailleurs qu’apparaît la notion d’artisanat. La troisième mesure, c’est la mise en place d’un véritable appareil de formation professionnelle initiale, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, fondée sur le CAP.

Pour bâtir ce système de formation professionnelle, l’Education nationale va s’emparer de la figure emblématique du terme de métier, pour justement donner une assise solide à ses formations et aux CAP. Mais la grande crise du chômage des années 1930 va entraîner une première rupture im-portante dans les politiques de formation. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, un effort important est fait dans le domaine de la forma-tion professionnelle initiale. Les employeurs des grandes entreprises sont d’ailleurs les premiers demandeurs de main-d’œuvre qualifiée. Les familles ont également mieux compris l’intérêt de la formation, en raison, probablement, du développement du salariat, peut-être aussi du label de “métier” conféré aux CAP. En outre, de nouveaux découpages se sont opérés dans les anciens métiers traditionnels, de nouveaux métiers sont apparus, souvent liés à une machine et aux savoirs spécialisés qu’elle exige; ainsi, dans la mécanique, les employeurs réclament de l’Education nationale, un CAP pour chaque machine du processus de production:

ex. Tourneur, en rapport avec le tour; Aléseur, en rapport avec l’aléseuse; Fraiseur, en rapport avec la fraiseuse;

Mortaiseur, en rapport avec la mortaiseuse, etc. En 1955, il y avait environ 350 CAP en France, dont la moitié en mécanique, en raison de la puissance de l’UIMM, le syndicat patronal du secteur. Dans le même temps, la plus grande partie de l’industrie était laissée sans formation spécifique, souvent d’ailleurs à la grande satisfaction des employeurs, peu désireux d’augmenter leurs coûts salariaux et peu convaincus de l’intérêt d’une formation initiale. Cette période est marquée par les conflits internes, notamment dans les industries mécaniques qui sont en plein processus de modernisation, sur l’évaluation de la qualification, dans la mesure où les employeurs soutiennent que la qualification donnée par le CAP ne correspond pas aux exigences de leurs machines. Pourtant, à la fin des années 1950, à la suite du lancement du Spoutnik par l’URSS, l’OCDE décide que l’Occident se doit de relever le niveau de qualification de la main-d’œuvre, 17 HAMP Paul - Les métiers blessés; Paris, Gallimard, 1946.

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pour se préparer à l’automation. Le niveau du CAP apparaît dès lors comme trop réduit et trop centré sur une catégorie de machines. Vers 1965, ainsi, dans le contexte du début de la restructuration de l’appareil de production à la suite de la construction du Marché commun et de l’attente de l’automatisation, la nouvelle problématique est au contraire de remettre en cause la segmentation trop étroite des CAP sur une machine, pour impulser une première forme de polyvalence par la création des BEP et un relèvement du niveau de formation technique par la création des IUT, afin de multiplier le nombre des ingénieurs. Les formations professionnelles débordent le secteur industriel, pour commencer à concerner le tertiaire. De nouvelles formations, sanctionnées par des diplômes, sont organisées sur des emplois de la gestion de la production qui, de ce fait, vont se voir doter d’une appellation officielle, alors que, jusque-là, ils étaient invisibles, parce que noyés dans l’ensemble des emplois de l’organisation de la production. Malgré tout cet effort, en 1976, encore un enfant sur deux sortait de l’appareil de l’Education nationale sans diplôme du tout, sans parler des 20 % qui n’avaient pas vraiment appris à lire et à écrire.

A la suite des Evénements de Mai 1968, le gouvernement de Chaban Delmas et le patronat prirent conscience du rejet des systèmes de travail taylorisés et de la nécessite de combattre le chômage lié à la restructuration de l’appareil de production, dans le contexte de la construction du Marché commun. La loi sur la Formation professionnelle con-tinue est votée en 1971. L’idée est de faire évoluer les qualifications dans l’entreprise, au fur et à mesure des évolutions technologiques et organisationnelles, au lieu de condamner les personnels menacés au licenciement, pour laisser ensuite le gouvernement tenter de reformer les chômeurs; la question est donc de mieux articuler les décisions des services techniques avec la gestion du personnel. Il s’agit de faire de la gestion prévisionnelle de l’emploi.

En fait, ce programme mirifique est balayé par la crise pétrolière d’octobre 1973. Toutes les bonnes résolutions sont oubliées et les entreprises licencient en masse tout le personnel qui n’est pas strictement utile. En outre, d’énormes investissements sont nécessaires pour moderniser le processus de production ou pour en instaurer un nouveau. Pour mieux assumer cette tâche, les grandes entreprises se replient sur le segment qu’elles considèrent comme le plus avantageux et se délestent de toute la partie du processus qui n’est pas strictement sur «le métier». Ce faisant, un grand nombre de travailleurs qui avaient appris leur métier sur le tas, se retrouvent sur le marché du travail, sans diplôme, fragilisés, “déqualifiés”.

Or c’est aussi dans ces années 1970, que le Laboratoire d’Economie et Sociologie du Travail entreprend et divulgue les résultats de ses recherches

comparatives France-Allemagne sur le niveau des salaires dans les entreprises. Le miracle allemand fas-cine les entreprises françaises depuis les années 1960. Affrontées à la crise pétrolière, le patronat se plaint d’avoir des charges de salaires plus élevées que son concurrent voisin. En fait, les enquêtes d’Aix-en-Provence mettront en évidence que c’est dans le pays (la France) où le nombre de cadres est le plus grand que les salaires des cadres sont aussi les plus élevés ; en revanche, les salaires ouvriers sont plutôt plus faibles en France qu’en Allemagne. Il apparaît ainsi que les entreprises allemandes ont des politiques de main-d’œuvre radicalement différentes de celles de leurs homologues français. L’Allemagne a fait le pari d’une main-d’œuvre qualifiée, tandis que la France a préféré recruter des ouvriers sans qualification, encadrés par de nombreux niveaux de cadres. Cette découverte va beaucoup bousculer les préjugés dans le domaine de la gestion des personnels. Les syndicats s’emparent de ces résultats pour appuyer leurs revendications de qualification et de salaire.

L’arrivée de la gauche au pouvoir, en mai 1981, allait fortement contribuer à redonner des ailes à la notion de métier et constituer un tournant décisif. En effet, la qualification, … c’est la formation professionnelle initiale! C’est le métier!!

A partir de 1981, et dans la double illusion que, d’une part, le chômage serait résorbé par le développement de la formation professionnelle initiale, et, d’autre part, le relèvement du niveau de formation de la main-d’œuvre améliorerait la productivité de l’industrie et donc permettrait d’accroître les parts de marché et donc l’emploi, l’Education nationale va parachever l’appareil de formation professionnelle initiale bâti au lendemain de la deuxième guerre mondiale, en proposant de nouvelles formations et de nouveaux diplômes qui mettent en lumière des emplois jusque-là inconnus, qui donc brusquement apparaissent comme de nouveaux métiers, sans que personne ne soit assuré qu’ils présentent la pérennité nécessaire pour ce titre. Un vaste programme de révision de tous les diplômes est mis en chantier, en collaboration avec le patronat et les syndicats, destiné à mieux coller aux besoins de la production et à élargir les savoirs.

Il faut noter, néanmoins, que cette période est surtout marquée par deux thèmes: celui de la formation “professionnalisante”, c’est-à-dire débouchant sur un emploi certain; et celui des nouveaux métiers (alors même qu’il ne s’agit souvent que de créer une formation pour des emplois qui n’en avaient jusque-là que sur le tas), parce que l’objectif est surtout de résorber le chômage. Le problème de l’emploi domine celui de la formation. Il faut noter à ce propos que, s’il est probable que de nouveaux métiers sont apparus au cours des dernières décennies, ils resteront dans l’ombre tant qu’ils n’auront pas d’appellation officielle, ce qui présuppose d’abord qu’ils aient une pérennité

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suffisante pour que, lorsque ceux qui les exercent partiront à la retraite, l’on se préoccupe de monter une formation qui assurera le renouvellement de la main-d’œuvre. Le titre de métier prend sa légitimité dans le passé plus que dans le présent. L’astronaute et le cosmonaute18 ne sont apparus à la lumière que lorsque

leurs exploits ont été révélés au public, c’est-à-dire des années après leur préparation dans l’ombre!

Malgré cet ambitieux programme, les métiers traditionnels de l’artisanat se sont maintenus dans les espaces de production où sont restées déterminantes certaines caractéristiques précises:

a) La relation de proximité avec la clientèle et où donc l’éparpillement des unités de production sur le territoire ne permet pas de dégager une rente de taille: ex. le bâtiment, le boulanger, le boucher;

b) La relation de qualité, voire de personnalisation de la prestation;

c) Là où la machine pénètre mal, car le chantier de fabrication est implanté sur le site du client : le peintre, le couvreur;

d) Mais là également où la sécurité impose des savoirs techniques vérifiés et donc un mode de contrôle de l’accès à l’emploi: la santé, le transport.

Les vingt dernières années se sont donc caractérisées par un allongement de la scolarité, la multiplication des diplômes, et le développement du nombre de formés. Mais dans le même temps, contrairement aux attentes, le volume de l’emploi ne s’est guère développé, peut-être en raison de la performance plus grande de la main-d’œuvre, mais aussi à cause des délocalisations […] dans les pays où les salaires sont plus faibles!

Il ne faut toutefois pas oublier que, même aujourd’hui, des pans entiers de l’économie sont laissés sans formation spécifique, notamment au niveau des exécutants de base, soit parce que les employeurs ne souhaitent pas de formation initiale officielle, car ils ne croient pas à l’école de l’Etat, ou qu’ils ne veulent pas payer le prix du diplôme selon les normes des conventions collectives: la chimie, la cimenterie, le textile, etc., par exemple, ou parce que le nombre de spécialistes de ces emplois est trop faible au regard des normes de l’Education nationale (Pour que l’Education mette en place une formation professionnelle particulière, il faut qu’elle soit assurée que les 100 à 200 personnes qui seront formées chaque année, pendant vingt ou trente ans, trouvent des débouchés correspondants); par exemple, dans une société nationale et même internationale, l’information du consommateur devient déterminante; mais combien faut-il produire

chaque année de journalistes spécialisés sur l’automobile, la moto, le bateau de plaisance, l’avion personnel?; dès lors, ces emplois reçoivent une formation générale au journalisme, mais ils se forment par leurs propres moyens pour leur spécialisation opératoire; de même, s’il faut de plus en plus contrôler l’information diffusée sur Internet, quelle formation donner aux policiers qui traquent les pédophiles ou les vendeurs de médicaments interdits sur le net? […] etc […]

Il existe également des métiers dont les appellations sont peu connues de la population, ce qui ne favorise pas leur choix par les jeunes, sauf lorsqu’ils habitent à proximité des établissements qui les emploient; c’est notamment le cas des métiers de l’armée, dont la taxinomie ne correspond pas toujours à celle des mêmes emplois dans les entreprises privées (Par exemple, le métier de “fourriers”, dans la Marine nationale19).

L’Education nationale, dans son effort de modernisation de son offre de formation, a été amenée à modifier certaines appellations professionnelles de métiers et professions peu attractives, pour leur donner un lustre plus attrayant […] sans pour autant tromper le public.

Ainsi, les concierges sont devenus des agents d’accueil! Les femmes de ménage sont désormais des techniciennes de surface dans les entreprises et des auxiliaires de vie chez les particuliers! Le serrurier est devenu “métallier”! Le ramoneur est actuellement un intervenant en génie climatique, tandis que le plombier est un technicien de génie climatique! Le facteur est appelé “préposé au courrier”. L’instituteur a été promu “professeur d’école” Le chef de gare de la SNCF est maintenant un dirigeant de proximité! Les agents de Pompes funèbres sont devenus des Thanatopracteurs! […] etc.

Néanmoins, les jeunes rechignent à s’orienter vers les formations dévalorisées, parce qu’ils sont conscients que les métiers auxquels elles conduisent ne correspondent pas à leurs attentes professionnelles. Tous les métiers traditionnels ont du mal à trouver leur public, malgré un chômage persistant. La notion de métier reste très prégnante dans la population.

C’est bien dans la sphère de la formation que résiste le plus obstinément la notion de métier, tant son axe “formation” est déterminant. Face à la multiplication des emplois et à la difficulté d’en suivre avec précision les contours et les particularités, les guides de formation préfère signaler de grandes familles d’emplois, dont la caractéristique est d’appartenir à une branche professionnelle :

18 Gagarine était un pilote d’aviation.

19 Cf. «Commis aux vivres», Audrey Itier, de Toulon, est entrée à l’École des matelots de Brest. Puis, après le concours de l’école des fourriers, ce jeune officier marinier de 27 ans

s’occupe de l’approvisionnement en vivres du Mistral. «Je suis fière de mon métier et de ce que je fais pour mon pays», conclut Audrey. » in Var-Matin, page Nice-Matin, lundi 7 août 2006, p. 17.

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Les métiers de la santé; Les métiers de la justice; Les métiers de l’imprimerie; Les métiers de la presse; Les métiers du tourisme; Les métiers de l’aéronautique; Les métiers de la marine; Les métiers de la pêche; Les métiers du sport; Les métiers du bâtiment; Les métiers de la banque; Les métiers de la Poste; les métiers de l’armée.

Mais à côté de ce regroupement centré sur la branche économique, coexiste aussi une autre forme de regroupement centré sur des fonctions et des pra-tiques professionnelles de même nature:

Les métiers du marketing; Les métiers de l’enseignement; Les métiers de la formation; Les métiers de la publicité; Les métiers de la vente; Les métiers du transport; Les métiers de la surveillance; Les métiers de la guerre.

4 LA NOTION DE MÉTIER: UNE NOTION EN CRISE?

Trente-six métiers, trente-six misères. De ce rapide parcours de l’évolution de la notion de métier il ressort, me semble-t-il, cinq idées centrales:

Le métier est une construction sociale, dont les principaux acteurs ont été les personnes qui l’exerçaient, avec le concours de l’Etat (la royauté et l’Education nati onale); la théorie des professions, qui traite centralement des professions libérales du XX° siècle (médecin, avocat), mais qui concerne également les semi-professions (infirmière, géomètre) et les ingénieurs, a montré que trois acteurs collectifs essentiels intervenaient dans la mise en place de mesures destinées à contrôler l’accès à un métier (diplôme obligatoire, code déontologique sous le contrôle d’un ordre), afin de constituer un marché fermé: les syndicats, les employeurs et l’Etat.

Le métier est centré sur un champ de compétences spécifiques (B. HILLAU).

Le découpage des métiers se modifie d’une génération à l’autre et d’un pays à l’autre, en fonction des traditions et des rapports de forces des

différentes professions sur le marché du produit et du travail.

Le contenu de chaque métier se transforme d’une génération à l’autre, en fonction des techniques, des matériaux, des tensions sur le marché du produit. Dès lors, la qualification n’est jamais un acquis.

Les effectifs et la position sociale de chaque métier dans la stratification sociale se modifient d’une période à l’autre, en fonction des rapports de forces, du marché du travail, du rôle dans l’économie, de la proportion de femmes (!) et des représentations sociales du moment. La fonction publique, tant décriée pendant des décennies, est brusquement redevenue attractive, ces dernières années, en raison de la crise de l’emploi. Des métiers, abandonnés aux femmes (sage-femme/maïeuticien, assistante sociale) ou au contraire interdits aux femmes (imprimeur au début du siècle, dessinateur, ingénieur, policier, conducteur d’autobus) au cours des dernières générations, sont récemment devenus mixtes (il est vrai après la loi sur l’égalité des sexes).

Pour qu’il y ait spécialisation professionnelle, pour qu’il y ait métier ou profession, il faut que l’activité professionnelle concernée nourrisse son homme, c’est-à-dire qu’elle fournisse à celui qui s’y consacre les ressources nécessaires à la vie, sinon à la survie. Ce qui pose la question des formes d’emploi qui se développent aujourd’hui: travail à temps partiel, travail saisonnier. Les “petits métiers”, ceux auxquels s’adonnent des jeunes en mal d’emploi, au début de leur vie professionnelle, sont-ils vraiment des métiers? Pourtant, ces petits métiers ne survivent que parce qu’ils correspondent à de vrais services pour la population!

5 CONCLUSION

En conclusion, les métiers évoluent en permanence, bien que ces changements soient surtout remarquables dans les phases où les techniques connaissent des mutations spectaculaires, comme ce fut le cas d’abord pour l’automation, dans les années 1960, puis pour l’informatisation des procès de production, à partir de 1982.

Cette évolution qui a toujours existé, est aujourd’hui plus problématique dans la mesure où l’invention de nouvelles techniques (matériau, équipement, organisation de la production) se fait selon un processus d’accélération très rapide et se diffuse presque sans délai. C’est cette dynamique permanente de l’emploi et des métiers qui bouscule les modes de régulation sociale mis en place depuis

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un siècle, car, à l’encontre des crises antérieures, plus localisées sur un segment de la production (crise du ruban; crise du métier à vapeur sur les tisserands au XVIII° siècle), pour la première fois, nous assistons à une crise généralisée, qui touche tous les emplois et tous les métiers, parce que ceux-ci sont tous affectés par les mêmes phénomènes: démocratisation de la formation et transversalité de l’informatique. Et cette crise de restructuration des métiers entraîne une cri-se de la notion de métier.

Il apparaît, au terme de cet exposé, que l’on peut arguer d’une crise actuelle de la notion de métier dans la mesure:

a) où l’enseignement professionnel initial, malgré sa centration sur des savoirs de plus en plus pointus et sa prolongation non négligeable, n’assure plus un accès d’office à l’emploi;

b) où l’emploi à vie est compromis par l’instabilité des unités de production; c) où le métier à vie est menacé par l’instabilité

des processus de production et des techniques, par l’obsolescence rapide des savoirs, et par les modes de gestion de la main-d’œuvre qui reviennent à déprécier l’expérience, […] dès lors qu’il faut la rémunérer!

L a c r i s e d e l a n o t i o n d e m é t i e r e s t intrinsèquement liée d’une part, à l’évolution extrêmement rapide des technologies, la base matérielle des processus de production, et des organisations du travail, d’autre part à la crise de l ’ e m p l o i , q u i t i e n t a u f a i t q u e l a d e m a n d e d’emplois (liée à la démographie, directe ou indirecte20) s’accroît plus rapide-ment que la

création d’emplois.

Comment continuer à convaincre les jeunes de faire des formations, si, dès le départ, les entreprises leur tiennent le discours suivant: “Je ne peux vous garantir une carrière dans l’entreprise. C’est à vous de gérer votre carrière, en recherchant sur le marché du travail votre évolution professionnelle.”: Argument qui milite justement en faveur de la notion de métier, avec son marché du travail et son identité forte sur ce marché du travail. “Aujourd’hui, il ne faut pas hésiter à changer plusieurs fois de métier”: Argument qui contribue au contraire à détruire la notion de métier et décourage la formation professionnelle, notamment celle des populations les plus fragiles.

Face à cette crise des métiers, mais surtout celle de l’emploi, il est évidemment une tentation: se tourner vers l’Etat, en réclamant de l’emploi et des métiers (du pain et des jeux?). Cette revendication, pour légitime qu’elle puisse paraître, pose avec acuité le problème du rôle de l’Etat dans l’économie:

Comment un Etat peut-il ne prendre en charge que la formation de la main-d’œuvre, sans se préoccuper des débouchés?

Le fait que l’Etat se reconnaisse des devoirs en matière de formation implique-t-il, ipso facto, un devoir de procurer de l’emploi à la population? (cf. La Constitution qui reconnaît le droit à l’emploi?). Pour autant, est-il possible de socialiser les populations autrement que par le travail? Peut-on insérer la population uniquement par la consommation, par des aides financières?

L’Etat doit-il “acheter ” des emplois aux entreprises privées?

Cette situation est à beaucoup d’égards spécifique à la France, car seule la France connaît un certain nombre de phénomènes particuliers, tels que:

a) Une formation professionnelle initiale tardive, qui a donc provoqué des modifications profondes des attitudes des travailleurs et des familles d’une part, des politiques de gestion de main-d’œuvre des entreprises;

b) Un taux de croissance de la population qui a été longtemps plus important que celui des pays voisins, notamment par rapport à l’Allemagne; on note ainsi un désajustement important en France entre les classes d’âge qui partent à la retraite (environ 550 000 personnes) et les classes d’âge de jeunes qui arrivent sur le marché du travail (environ 750 000);

c) Enfin, la demande d’emploi de la population féminine est plus importante en France qu’en Allemagne ou en Grande-Bretagne, par exemple, en raison d’un équipement en crèches plus conséquent dans notre pays.

Toutefois, malgré cette crise de la notion de métier, révélée par le décalage entre les représentations de la population active et la réalité du marché de l’emploi, la notion de métier ne peut que persister, en raison de son rôle déterminant dans la mise en relation de l’offre de formations avec l’offre d’emploi. La notion de métier apparaît ainsi un instrument nécessaire, dans une société qui ten-te de rationaliser les processus de répartition de la main-d’œuvre au sein de l’appareil économique. Instrument d’autant plus indispen-sable, dans un monde où s’amorce le passage d’un marché du travail régional et partiellement national, à un marché du travail national et de plus en plus international.

Dans cette mutation des modes de gestion du marché du travail, le métier ne peut que s’éloigner de plus en plus des emplois concrets, pour se référer de plus en plus à des familles d’activités professionnelles.

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Dès lors, le processus d’identification à un groupe professionnel singulier ne pourra que se distendre quelque peu.

Il est vrai qu’en France, on est sociologue, comme si chacune de nos cellules était intimement transformée par cette identité professionnelle ! Comme si le sociologue avait la tripe sociologique, comme certains politiques ont la fibre républicaine! Mais en Italie, on fait le sociologue!!!

Ainsi, à l’issue de cette réflexion sur la notion de métier et la crise présente qu’elle traverse, il apparaît que ce sont essentiellement les modes de gestion de la main-d’œuvre du privé qui mettent en crise les métiers. En effet, dans une société qui met l’économie non au service des hommes, mais au service de la finances et des bénéfices (l’économie contre la société), les entreprises fonctionnent selon un schéma contradictoire: elles exigent de l’Etat la production en masse (pour obtenir des prix avantageux) de personnes présentant des capacités professionnelles de très haut niveau et déjà opératoires, ce qui entraîne la préparation de la main-d’œuvre aux métiers existants, mais les pratiques mises en œuvre dans le travail tendent ensuite à détruire ce métier: soit en appauvrissant la configuration des capacités de départ par la fragmentation des tâches et la spécialisation sur des segments de connaissances qui conduisent à une perte des savoirs d’origine; soit par l’enrichissement de cette configuration, mais aux dépens de la configuration d’origine aussi, par la polyvalence; par la flexibilité qui empêche la construction et l’entretien des capacités professionnelles opératoires; par les licenciements intempestifs et les mises à la retraite anticipée; par le non recrutement des jeunes qui se sont préparés à des métiers et qui voient se détruire leurs connaissance dans un chômage à durée non déterminée; par leur refus de faire des prévisions dans le domaine de main-d’œuvre, comme ils le font en matière de finance. Et finalement, dans cette tempête généralisée, la notion de métier ne survit que grâce à l’Education nationale qui a besoin de cette notion pour organiser son appareil de formation, à la fonction publique qui continue à miser sur la spécialisation et sur le perfectionnement, qui ont permis la carrière, et enfin grâce à la pression de la justice qui, partout où des vies humaines sont en jeu, exigent des capacités professionnelles définies et contrôlées par des diplômes (santé, transport). Ces contradictions lourdes seront-elles surmontées un jour ? Les revendications au niveau de la gestion des ressources humaines avaient justement pour fondement l’espérance de parvenir à surmonter ces dysfonctionnements très coûteux pour la société. Mais lorsque l’on constate que ce sont aujourd’hui des entreprises très prospères qui licencient, pour augmenter leurs moyens financiers afin de racheter d’autres entreprises dont elles s’empresseront de liquider une partie du personnel, bien sûr au nom de la rentabilité, le doute est justifié. La crise de la

notion de métier, c’est la crise d’un capitalisme néo-libéral qui compte sur l’Etat pour réparer les dégâts de politiques de main-d’œuvre sauvages, afin d’empêcher les révoltes populaires si néfastes à l’économie.

6 ABSTRACT

The notion of métier has its origin in the deepest collective memory of each society. Although finding is origins in the Ancient Age, mainly in the Latin world, it recovers in fact very different realities throughout the history of the same country and even more from one society to another. It means that the present exposition don’t have any ambition to expose universal tendencies. On the contrary, all the reflection that supports it has found inspiration in the French labor, professional formation and labor market history. Brazil has probably a completely different professional formation and labor market history and even if some influence are established between the two countries, even if some convergences are perceived between one society and another, the specificities of each society remains very determinants in the referential frame of the métier notion of each country and we should be cautious that, under the same term métier, very different realities can be hidden in France and in Brazil. However, if an experience of a country deserves to be exposed, that is because the other countries maybe can learn some useful lessons in order to avoid negative effects, as that ones that can be observed nowadays in France. It’s with this hope that will be presented this reflection about the notion of métier in France.

7 BIBLIOGRAPHIE SUCCINCTE

ARISTOTE – Rhétorique; I, 9, 27.

BENOIST Luc - Le compagnonnage et les métiers. Paris: PUF, 1966, (Coll. Que sais-je? n. 1203). BLOCH, Oscar. VON WARTBURG, Walther. Dictionnaire étymologique de la langue

française. Paris: PUF, 1932, 1946; 5. édition, 2002. (Coll. Quadrige n° 387).

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