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Les rapports de la police judiciaire et du ministère public en France et au Brésil.

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LES RAPPORTS DE LA POLICE JUDICIAIRE ET DU MINISTÈRE PUBLIC EN FRANCE ET AU BRÉSIL

Vívian Ferreira Paes

Médecine & Hygiène | « Déviance et Société »

2013/4 Vol. 37 | pages 415 à 439 ISSN 0378-7931

Article disponible en ligne à l'adresse :

---https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2013-4-page-415.htm ---Distribution électronique Cairn.info pour Médecine & Hygiène.

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Comment certains faits sont-ils traduits comme des crimes ? Comment sont-ils énoncés et gérés par les institutions judi-ciaires ? Cet article a pour objet de rendre compte des phases rituelles de production, de deux institutions qui ont un rôle privilégié de formalisation de l’attribution de la qualité cri-minelle à un fait : la police et le ministère public. On ana-lyse les politiques juridiques et organisationnelles, la manière dont les personnes établissent des règles pour encadrer cer-tains faits et on observe comment sont produits les rapports et les documents destinés au parcours judiciaire.

Les rapports de la police judiciaire et du

ministère public en France et au Brésil

Cet article a pour objet de rendre compte des recherches sur le rôle de la police et du ministère public dans la formalisation de l’attribution de la qualité criminelle à un fait. Elle s’appuie sur le recueil de données statistiques, bibliographiques et documentaires, mais principalement sur une ethnographie attentive à la manière dont les policiers et les procureurs travaillent au quotidien à la production des dossiers et sont en interaction avec des personnes, des formes et des règles. Ces différentes méthodologies nous per-mettent de comprendre les conditions selon lesquelles les catégories pénales, statistiques et ethnographiques sont utilisées.

Les terrains où les observations sur la routine des institutions ont été réalisés se situent dans deux régions en France et au Brésil, le département du Nord/Pas-de-Calais et l’État fédératif de Rio de Janeiro1. L’observation des activités in situ m’a permis d’examiner les

pratiques, les discours, les enjeux institutionnels et les recettes pratiques des agents dans leurs interactions quotidiennes pour la production des crimes. En m’appuyant sur des études publiées sur les institutions françaises et brésiliennes j’ai pu faire la part des parti-cularités locales issues du terrain et des problèmes généralisables aux institutions de ces deux pays. Cela a permis l’identification des pratiques qui constituent la règle et des évé-nements qui restent exceptionnels et singuliers.

1 En effet, sur une longue période, j’ai eu l’occasion de faire des observations et des entretiens dans les services de police judiciaire et du ministère public, aussi bien en France (2008 et 2009) qu’au Brésil (de 2001 à 2008).

Vívian Ferreira Paes

Faculté de Droit/UFF et au PPGCS/UFRRJ

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La culture juridique de « civil law » revisitée

Je mets en parallèle l’expérience de deux pays (le Brésil et la France) qui appartiennent à une culture juridique étatique qui valorise la bureaucratie et donne une centralité aux formes écrites et procédurales. Connu sous le nom de civil law ou de droit continental, ce modèle juridique prétend prévoir toutes les catégories, parcours et procédures pénales. Le discours produit par l’accusation a un poids particulier dans la construction des versions de ce qui s’est passé (Garapon, Papadopoulos, 2003 ; Kant de Lima, 1995a). Les avocats s’intéressent moins à la production de preuves qu’à la traduction des faits et à la contestation des formes. Dans le domaine du droit pénal, des procédures « secrètes » sont établies par des fonction-naires envers des citoyens qui violent les lois de l’État, celui-ci dispose d’un ensemble d’ins-titutions visant à produire des versions et des décisions légitimes. Le droit est un dispositif discursif qui est aussi au service de la légitimation de la rationalisation politique.

Le Brésil et la France connaissent des réformes importantes depuis le début des années 1990 et les pratiques nous informent sur l’existence des manières d’échapper aux dispo-sitions légales. Le problème qui se pose va au-delà du manque d’effectivité des règles, car les deux pays connaissent bien l’effet bloqueur de l’excès de forme tel que la « grève blanche » : s’efforcer de bien faire tout ce qui est prévu peut arriver à bloquer tout l’appareil bureau-cratique, de même le « vice de forme » ; la priorité donnée à la justification des formes peut en dire beaucoup plus sur la logique interne des institutions que sur la nature des faits qu’elles prétendent gérer.

Dans ces deux pays, on revendique une justice plus souple et plus flexible afin que l’appareil judiciaire soit moins coûteux et plus rapide. Ces réformes ne sont pas seulement administratives. Elles interviennent sur la manière dont la connaissance est construite et concernent également les rôles et les compétences des agents institutionnels. Cela pour-rait nous conduire à penser qu’il y a une transposition des éléments de la culture juridique anglo-saxonne appelée common law, où l’oral occupe une place privilégiée et les décisions produisent jurisprudence, au modèle de la civil law. Nonobstant, la vitesse et la débureau-cratisation qui se font à partir de l’introduction des éléments de discours oraux et des possibilités de négociation ont des contours bien différents dans nos deux pays.

D’une part, des réformes en cours visent une punition plus sévère envers certains types d’infractions ou certaines catégories de gens, comme les récidivistes (Danet, 2008 ; Pinto, 2006). D’autre part, les réformes législatives ont contribué à rendre certains conflits, aupa-ravant non traités dans le système judiciaire, objets de procédures formelles (Milburn, 2008 ; Azevedo, 2001). Ainsi, certains faits ne sont plus immédiatement classés sans suite, ce que l’on appelle le « classement sec ». En revanche, on adopte pour les gérer des pro-cédures simplifiées. La France et le Brésil ont introduit l’administration institutionnelle des conflits à travers la négociation. Pourtant, cela ne contredit pas la culture inquisitoire, car les procureurs imposent une pénalité plus légère avant même que le mis en cause n’ait de possibilités formelles de construire sa version des faits (Desprez, 2006 ; Prado, in Amorim, Kant de Lima, Mendes, 2005). Remarquons alors que celui-ci acceptera la mesure proposée, parce qu’au cas contraire, elle peut être traitée selon des délais et des procédures judiciaires traditionnelles, entraînant ainsi une peine plus lourde. L’objet de cette négocia-tion n’est pas la culpabilité, mais la peine. Le type de réponse donnée par ce modèle simpli-fié fait l’objet de nombreuses critiques. Mentionnons brièvement que les alternatives sont

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souvent perçues comme des mesures d’impunité qui finissent par reproduire le conflit et que certaines mesures sont imposées arbitrairement, en éliminant les possibilités de défense. Quant à l’incarcération, certaines études mettent en relief le fait que le nombre de personnes envoyées en milieu fermé a considérablement augmenté ces dernières années dans les deux pays, ce qui n’est pas dû à l’augmentation des taux de la criminalité, mais à la modi-fication de la prise en charge. Par conséquent, même si ces réformes ont introduit des modes alternatifs d’administration des conflits, elles n’ont pas contribué à la diminution du nombre de personnes envoyées en prison et qui y restent plus longtemps (Aubusson de Cavarlay, 2008 ; Pinto, 2006).

Organisations du système de sécurité

et de justice, une perspective comparée

Il faut distinguer les fonctions et les catégories professionnelles, puisque la police et le ministère public se présentent de façon différente dans chacun des deux pays analysés.

En effet, on peut dire qu’en France prédomine un modèle de justice géré et adapté selon les objectifs du gouvernement de l’État national. Les services de police qui gèrent la crimi-nalité sont liés au gouvernement, mais sont soumis à une double tutelle : c’est le cas lorsque des policiers exercent les activités de police judiciaire, car leurs enquêtes sont dirigées par les procureurs et les juges d’instruction. Le parquet appartient au corps des magistrats et soutient la politique pénale de l’État au tribunal. Parmi d’autres objectifs, les substituts des procureurs s’orientent actuellement vers la gestion du flux des procédures qui valorise l’introduction de mesures de qualité, basée sur l’impératif de l’évaluation statistique, la rapi-dité du traitement des affaires et la diminution des coûts des procès (Garapon, Papado-poulos, 2003 ; Jean, 2009 ; Vigour, 2006 ; Vauchez, 2008 ; Mucchielli, 2008). L’indépendance du système judiciaire est remise en question quand on observe l’augmentation des pou-voirs des institutions qui sont directement soumises à l’exécutif.

Dans le modèle brésilien, en revanche, la police est directement liée à l’exécutif, soit au niveau du gouvernement fédéral, soit au niveau des États de la fédération. À l’exception des crimes et contraventions de la compétence de la police et de la justice fédérales – tels que la corruption, le narcotrafic et les infractions électorales –, chaque unité fédérative du Brésil a à sa disposition deux autres polices, l’une militaire, l’autre civile, responsables res-pectivement du maintien de l’ordre et des enquêtes sur les faits de délinquance ordinaire. Au Brésil, il n’y a pas de police qui assure les deux fonctions. Une contradiction réside dans le fait que les polices civiles sont responsables des enquêtes sur les faits qualifiés de crimes, mais le statut du travail que cette police réalise n’est qu’administratif (Kant de Lima, 1995b ; Misse, 2010 ; Paes, 2010). Cela signifie que si en France les enquêtes policières font partie du procès – ce qui ne pose aucun problème de légitimité puisque les enquêtes sont dirigées par les substituts des procureurs et par les juges d’instruction – au Brésil, on peut dire que le ministère public et le judiciaire utilisent les procédures policières, mais n’en ont pas la responsabilité. Cela crée une difficulté dans la coordination entre une procédure et d’une politique pénale qui engagent l’ensemble de ces institutions. Le ministère public brésilien se présente comme une institution autonome et impartiale par

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rapport aux pouvoirs exécutif et judiciaire. Ses membres se définissent comme des ac-teurs politiquement neutres, mais quelques auac-teurs disent que le ministère public s’est constitué comme un quatrième pouvoir (Arantes, 1999).

Les chiffres : difficultés dans la comparaison

de la criminalité enregistrée

Ces éléments influencent lourdement la manière dont des faits traduits en tant que crimes sont comptabilisés, ainsi que la manière dont chacun des pays va gérer ses don-nées. Les statistiques permettent de rendre compte de l’activité de la police et de la jus-tice dans le comptage du crime et des taux d’activité des institutions.

Généralement, les études qui font une comparaison internationale des statistiques de criminalité se concentrent sur les indicateurs d’homicide, parce que ces crimes ont un faible indice de sous-renvoi et parce que les données de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) peuvent être utilisées comme mesure de contrôle des données qui sont produites par des organisations policières. Néanmoins, les données que le ministère de la Santé brésilien présente ont été très critiquées par une étude récente (Cerqueira, 2011). Selon cette étude, la production des données dans l’État de Rio de Janeiro (responsable d’envi-ron 30% des chiffres nationaux) est de mauvaise qualité car, dans un grand nombre des certificats de décès, les médecins légistes n’ont pas déterminé la cause de la mort. La compa-raison immédiate des statistiques produites par des pays différents peut présenter certains problèmes car ces données ne tiennent pas compte des catégories pénales. Je me concen-trerai sur la spécificité de la production des statistiques de la France et du Brésil, en retra-çant la manière dont les crimes sont enregistrés et traités par la police dans chacun des deux pays. Les statistiques sont construites à différentes échelles. En France, les statistiques sont agrégées au niveau national. Au Brésil, un effort a été fait par le Secrétariat National de Sécurité Publique/Ministère de la Justice pour faire la compilation des données de tous les États fédérés, mais il est encore difficile d’assurer des statistiques qui rendent compte de l’échelle nationale. Comme celles-ci ne sont pas encore transmises vers ce ni-veau de façon systématique, on ne peut en faire l’analyse que par unité fédérative, la sphère où les données sont produites. On ne peut pas faire une comparaison immédiate des chiffres du Brésil et de la France, parce que la façon d’établir les statistiques, la classi-fication des crimes, leurs proportions et les documents au moyen desquels ils sont pro-duits varient d’un pays à l’autre.

Contrairement à la politique de « production d’élucidation » et « d’évaluation de la per-formance » de la police française, la police civile de l’État de Rio de Janeiro ne tient pas compte de l’élucidation des infractions comme paramètre d’évaluation de ses activités, et n’est pas non plus informée de la suite des procédures dans le système judiciaire. Le cher-cheur n’a accès à aucune donnée publiée, mais doit faire des demandes ciblées à l’admi-nistration. Le ministère public et la justice ne publient pas de statistiques par type d’infrac-tion. Pour que les chercheurs puissent avoir accès à ce genre d’informations, ils doivent produire eux-mêmes cette base de données et procéder ensuite à un traitement statistique. Bref, ces différents chiffres ne dialoguent pas, ce qui contribue à l’opacité dans l’évalua-tion statistique des suites données aux affaires. Les institul’évalua-tions produisent des données afin d’évaluer leur productivité mais ne les utilisent pas pour arriver à un processus

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sionnel mieux informé. Selon Lima (2008), les statistiques criminelles brésiliennes ne sont pas transformées en information et en connaissance permettant de faire des propositions d’actions et de politiques publiques efficaces et plus démocratiques.

La signification des catégories, la dimension et la nature des conflits ne sont pas non plus les mêmes. Si le « meurtre non élucidé » est un phénomène rare en France et mérite une attention et un effort particuliers de la police et de la justice, on observe au Brésil le phénomène contraire. La police a beaucoup de problèmes dans l’élucidation des affaires. Adorno et Pasinato (2010) affirment que la police de São Paulo privilégie les enquêtes sur les affaires violentes dans lesquelles les auteurs sont connus à l’avance. Ribeiro (2009) rend compte dans son étude que seuls 22% des enregistrements d’homicides par la police de São Paulo aboutissent à un procès et 14% arrivent à la phase de sentence. Dans le rap-port d’une enquête menée par Misse (2010) sur cinq capitales brésiliennes – Rio de Janeiro, Belo Horizonte, Porto Alegre, Recife et Brasilia – on observe que la plupart des crimes dont le taux d’élucidation est le meilleur sont les flagrants délits, ce qui relève plutôt de la police de la rue que de l’enquête policière.

Revenons sur la façon d’établir les qualifications pénales. La catégorie brésilienne

d’homi-cídio doloso fait référence aux homicides volontaires. Les latrocinios – vols suivis de décès –

sont qualifiés comme des infractions contre la propriété, parce qu’on estime que l’inten-tion de l’auteur a été d’abord de voler un bien et non pas le décès de quelqu’un. Les actes

de résistance sont considérés dans le domaine policier comme des catégories

administra-tives désignant des homicides commis par des policiers au cours de confrontations avec quelqu’un qui a résisté à leur action. Même s’ils sont considérés finalement comme des

homicídios dolosos par le système judiciaire, les affaires d’actes de résistance sont

quali-fiées différemment des homicides par la police civile. Une étude à laquelle j’ai eu l’occa-sion de participer (Miranda, Oliveira, Paes, 2005) soulignait que la plupart des homicides de la ville de Rio de Janeiro en 2002 étaient liés à des conflits entre groupes rivaux de tra-fiquants de stupéfiants, la plupart des victimes étant mortes par armes à feu. La seule ville de Rio de Janeiro a connu, en 2008, 2 069 homicides. En 2008, il y a eu 98 latrocinios et 688 personnes ont été tuées par des policiers en situation supposée de confrontation et qualifiée d’acte de résistance. Le taux des dossiers clôturés par la police en 2008 n’était que de 7%. Ceci n’est pas un indicateur d’élucidation, car les enquêtes peuvent être aussi classées sans être élucidées. L’analyse de l’évolution des statistiques de la police montre que, de 2000 à 2008, il y a eu une tendance à la diminution de 24,4% des victimes

d’homi-cídios dolosos à Rio de Janeiro et une augmentation de 147,5% des enregistrements

d’actes de résistance dans cette ville. Ces données indiquent une baisse de l’enregistre-ment des conflits entre citoyens et une augl’enregistre-mentation des enregistrel’enregistre-ments de décès occa-sionnés par une confrontation entre des citoyens et des agents de l’État.

La catégorie française d’homicides volontaires englobe aussi les circonstances des vols suivis de mort. Pour la France métropolitaine, il a été enregistré, au cours de l’année 2008, 839 affaires d’homicides, parmi lesquels : 3,5% ont été commis à l’occasion d’un vol, 4,8% ont été commis contre des enfants de moins de 15 ans, 15% étaient dus aux règle-ments de comptes entre malfaiteurs et 76,6% concernaient les homicides dus à d’autres motifs. En 2008, le taux général d’élucidation des homicides était d’environ 81%, mais on constate que le taux d’élucidation des homicides commis à l’occasion d’un vol est de 60% et que celui des homicides dus aux règlements de comptes entre malfaiteurs est de 50%.

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Une étude réalisée par Mucchielli (2002, 2005) met en évidence que la grande majorité des homicides en France n’est pas commise par des criminels professionnels ou par des gens en récidive, et par ailleurs, il est rare d’avoir des auteurs d’homicides impliqués dans des affaires de trafic de stupéfiants. Dans leur grande majorité, les homicides ont été commis par des gens appartenant à des réseaux relationnels. Il faut alors tenir compte de l’énorme différence sur le plan qualitatif, mais aussi quantitatif, que chaque système est amené à gérer.

Au travers du recours aux statistiques, j’ai voulu expliciter la différence dans la gestion des données. Les chiffres ne rendent pas compte des contingences de leur production et de la manière dont les faits sont transformés en catégories statistiques.

Le pouvoir discrétionnaire : la quête d’autonomie

et les contraintes institutionnelles

Chaque modèle encadre, autorise et normalise l’interprétation et la sélection des affaires. En France, la police et le parquet disposent d’un grand pouvoir discrétionnaire : la sélec-tion des « belles affaires » et de celles qui ne méritent pas une attensélec-tion spéciale du système judiciaire est voulue et légitimée par la justice et par le pouvoir politique (Monjardet, 2008 ; Lévy, 1987 ; Dedieu, 2010). En ce qui concerne les délits, la police peut avoir plus de pou-voir discrétionnaire, mais dans une affaire criminelle ou lorsque des personnes sont déte-nues en garde à vue, l’affaire doit être suivie de près par les magistrats. Le parquet est mu par le principe de l’opportunité des poursuites. Les procureurs peuvent décider que cer-taines affaires seront classées sans suite, user de voies alternatives à la poursuite pénale, ils peuvent choisir la composition pénale ou même le procès classique. Entre 2000 et 2007, le nombre total de procès a augmenté de 9% et le nombre de procédures alternatives à la poursuite pénale a augmenté de 96%.

Au Brésil, les policiers doivent enregistrer les plaintes du public et formaliser leurs re-cherches dans les formulaires d’enquête, des flagrants délits et, plus récemment, dans le

ter-mo circunstanciado. Ce dernier étant le document le plus simplifié pour la gestion des

in-fractions encourant une peine d’emprisonnement de moins de deux ans. Le modèle brésilien n’est pas ouvert au pouvoir discrétionnaire de la police ou du parquet, au moins formelle-ment, car la spécialisation interne des professionnels ou même la spécialisation des commis-sariats organisent cette sélection (Miranda et al., 2005 ; Paes, 2010). La spécialisation n’est pas toujours liée à la maîtrise des techniques, connaissances et compétences profession-nelles, elle est aussi liée à la l’investissement et à l’intérêt exclusif pour certains types d’infrac-tions ou certaines catégories de personnes. Au Brésil, la police et le ministère public sont obligés d’ouvrir des enquêtes et des procès pour tous les cas qui leur sont communiqués (Misse, 2010 ; Paes, 2010). Cette obligation pèse sur les décisions des agents sur l’opportunité de poursuivre des affaires, car cela peut être une source de profit. Il est courant que les

pro-motores – on désigne ainsi les membres du ministère public – renvoient des dossiers à la

police en demandant plus d’investigations sur les affaires et que la procédure passe de main en main sans que rien ne soit fait au cours du délai légal, ce qui justifie que l’affaire soit clas-sée. La négociation et la sélection des affaires ne peuvent être faites que d’une façon officieuse.

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Ainsi, on a deux modèles juridiques pour encadrer la contrainte et l’autonomie des agents, l’un s’organise autour de l’opportunité de la poursuite et l’autre s’appuie sur l’obligation de la poursuite. Dans les deux cas, on tente d’encadrer les choix et les actions en se référant à des règles.

Pour que les faits soient signalés et considérés comme une infraction, il faut d’abord avoir une qualification pénale, mais c’est aux agents (soit les victimes, soit les agents de l’État) de décider du fait qu’ils feront l’objet d’un enregistrement et d’une réponse institu-tionnalisée. Par conséquent, il faut que les histoires soient exprimées, entendues et tra-duites sous une forme écrite et que ces documents suivent un chemin procédural.

L’une des premières actions entreprises par les policiers et les procureurs est la quali-fication des faits en se référant à un article du code pénal. Toutefois, ils ne sont pas seu-lement soumis au paradigme juridique : l’activité de qualification est aussi empirique et fondée sur quelques caractéristiques courantes des cas avec lesquels ils sont en contact au quotidien. La qualification sert à imposer un ordre à la vie et à organiser leur travail.

La gestion des infractions dans le système pénal

français

Même si de nombreux faits, comme les tentatives de vol ou les menaces, peuvent être qualifiés selon les catégories pénales, c’est une pratique ordinaire qu’ils soient enregistrés non pas dans le registre formel de plainte, mais en main courante, laquelle permet aux policiers de disposer d’une source potentielle d’informations.

En France, le premier procès-verbal est fait généralement à partir du récit d’un plaignant. Le policier fait un petit entretien avec la personne et commence à taper le récit des infor-mations sur l’ordinateur. Il écrit les phrases au nom du plaignant, telles que : je m’appelle,

je suis née, je précise que, je pense que, je vous rends plusieurs justificatifs probatoires de ce que je dis, j’ai été notifié(e) que seul le résultat positif de l’enquête me sera communiqué.

Comme Lévy (1987) l’avait bien montré dans son étude sur la police judiciaire à Paris, le récit qui est tapé par le policier prend toujours la forme d’un monologue. Alors, le discours des personnes ressemble à une parole spontanée, unifiée et adéquate à la représentation que s’en font les policiers.

Un cas exemplaire est celui de deux femmes, arrêtées en flagrant délit pour avoir volé des produits dans un supermarché. Comme elles ne parlaient pas le français, une traduc-trice assermentée s’est déplacée. Avant d’être auditionnée, l’une des femmes a dit qu’elle aimerait bien parler à un avocat. Les femmes ont été interrogées par le policier séparé-ment. Le policier présente l’audition à la première femme précisant qu’il leur est reproché d’avoir volé un total de 638 € en marchandises, il qualifie les faits de vol en réunion. Il essaie de renseigner quelques données personnelles, telles que le nombre d’enfants, si la femme travaille ou étudie, si elle a le permis de conduire ou de chasse, si elle est déjà connue des services de police, etc. Ensuite, le policier commence à poser des questions sur la manière dont se sont déroulés les faits. La femme a dit être allée au supermarché pour acheter de quoi manger et, après avoir vu qu’il n’y avait pas de vigile, son amie et elle ont pris du champagne et l’ont mis dans leur sac à main. Mais elles sont parties du supermarché avec

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un caddie rempli. Cela a déclenché l’alarme du magasin et elles ont été arrêtées sur place. À ce moment, elles ont dit à une dame qui travaillait au magasin qu’elles pouvaient payer ces marchandises par carte bleue, mais cette dame ne les a pas laissées partir, car elle a découvert les produits qui étaient rangés dans le sac à main. Le policier a demandé les raisons de l’acte, qui a donné l’idée de voler le supermarché, comment elles sont arrivées là-bas et comment elles avaient prévu de se déplacer avec le caddie jusqu’à la maison. La femme répond si j’ai volé, c’est parce que nous n’avons pas beaucoup d’argent.

L’avocat est venu entre les interrogatoires de chacune des femmes. La première femme interrogée a reconnu le fait d’avoir volé dans le supermarché et la deuxième, après s’être entretenue avec l’avocat, a nié tout ce qui s’était passé et a essayé de faire croire au policier qu’elles avaient été prises au piège. Elle a dit que son amie avait mis quelque chose dans son sac à main et que le caddie plein de produits a été amené par les employées du super-marché. L’officier s’est mis en colère et a dit qu’elle était une menteuse, parce que l’amie qui lui avait donné son témoignage juste avant, a dit qu’elles emportaient le caddie aussi. Le policier a ajouté que si elle continuait à dire des mensonges, elle resterait plus de temps en garde à vue et de plus, irait en prison pour avoir menti, ce que son amie ne risquait pas. Le policier a fait ce commentaire on va lui faire croire. Le policier a insisté en disant qu’elles allaient rester plus de temps en garde à vue parce que, dans ce cas-là, il avait besoin de voir la vidéo du magasin. Il a ramené la première femme dans son bureau et a procédé à une confrontation informelle entre elles. Il a déclaré que la deuxième femme à être audition-née avait dit que seule l’une d’elles avait participé au vol. Les deux ont discuté et une femme a persuadé l’autre de dire « la vérité », et « la menteuse » (l’adjectif employé par le policier au moment de l’audition) a finalement changé sa version. Tout s’est passé à l’insu de l’avo-cat et ce qui était mentionné dans le procès-verbal n’a été que la version où la deuxième femme dit qu’elle a fait cela pour les enfants parce que c’est difficile de vivre et qu’elle ne le ferait plus.

Au Brésil, on dit que les auteurs d’infractions ont le droit de mentir et de garder le silence, car on a le droit de ne pas produire de preuves contre soi-même ; le faux témoignage d’un tiers peut engendrer des poursuites pénales, car il est considéré comme une « infraction ». En revanche on a, en France, une manière particulière de qualifier les mensonges, car ils peuvent être considérés comme un outrage. Le faux témoignage d’un mis en cause et d’un tiers est interdit et passible d’une peine ou d’une aggravation de la peine. Mais, selon les policiers, les personnes n’ont aucun intérêt à dire la vérité. Dans la pratique elles mentent souvent à la police et ne reconnaissent les faits qu’à l’audience. Le silence n’est guère envi-sagé en France, car le but de la garde à vue est de faire parler les personnes.

Le procès-verbal de dépôt de plainte renseigne sur plusieurs catégories d’auteurs sup-posés. Généralement, ce qui apparaît dans le procès-verbal est que l’enregistrement est fait « contre X ». Ensuite, les policiers peuvent enregistrer les gens dans des fichiers, ce qui va créer des antécédents. Seulement quand les policiers confirment qu’ils vont orienter ces enquêtes vers quelqu’un, ils nomment cette personne sous le terme de « mis en cause ». Dans le procès-verbal, presque personne n’est considéré, a priori, comme victime, mais plutôt comme un plaignant, ce qui peut suggérer que même le statut de victime peut être flou et passible du soupçon. En effet, il est courant que les policiers fassent référence à l’utili-sation instrumentale des enquêtes par des victimes supposées, tels les « faux viols » ou les affaires où les commerçants disent qu’ils se sont fait voler par leurs employés.

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La suite du dossier au commissariat est décidée par les chefs de service. Ainsi comme Mouhanna (2001) l’a noté dans son étude, j’ai pu vérifier dans mon travail de terrain beau-coup de tensions autour de la sélection et du suivi des affaires dans le commissariat, mal-gré l’existence d’un protocole qui indique un critère de répartition entre les différents services. Comme certaines affaires peuvent avoir plusieurs dynamiques – vol avec violence commis par des bandes organisées – la qualification est un terrain de conflits. Les affaires ne sont pas envoyées à des équipes spécialisées seulement en raison de leur catégorie pénale, mais aussi en fonction de la gravité du fait, de leur caractère sensible et de la difficulté que certaines enquêtes posent à certains services policiers.

Un des chefs des services que j’ai suivi m’a indiqué que son supérieur lui donne son rôle judiciaire, mais oublie que son rôle de commandement peut être aussi central. Je crie et

je gère, m’a déclaré cet officier. En fait, la fonction principale des chefs de service est celle

d’encourager des groupes de policiers dans les enquêtes et de faire passer les affaires aux groupes de spécialistes. Toutefois, j’ai pu observer que les hiérarchies peuvent être floues et que la solidarité au sein des équipes peut parfois manquer. Bon nombre de dossiers qui demanderaient une spécialisation peuvent cependant être renvoyés aux services de base.

La qualification des faits n’oriente pas seulement la façon dont le rapport sera écrit, elle indique aussi la possibilité d’utilisation de la caméra au cours des auditions. La police est obligée d’enregistrer une vidéo des témoignages de personnes accusées d’avoir commis des crimes et les auditions de tous les mineurs, qu’ils soient délinquants ou victimes. Un policier m’a dit en entretien que, dans la police, on donne toujours aux affaires les quali-fications les plus élevées, pour ne pas risquer la nullité de la procédure dans les cas où les auditions n’auraient pas été filmées pour des affaires où les magistrats choisiraient une qua-lification où le vidéo-enregistrement est requis. Cela est important parce que ces documents vont nourrir le procès judiciaire. J’ai demandé aux policiers comment ils choisissent la qualification et ils m’ont répondu qu’ils procèdent empiriquement et sur la base des carac-téristiques habituelles des cas qu’ils rencontrent au jour le jour. Cela veut dire qu’ils prennent aussi en compte des règles d’expérience. Un policier m’a présenté le cas suivant : quelqu’un

tire par terre pour faire peur à une personne ou il tire sur quelqu’un, mais ne vise pas bien et manque sa cible : pour définir une qualification pénale et vérifier que des faits ont été

pré-vus dans la loi, les policiers évaluent l’intention de l’auteur, s’il a évité de commettre l’acte ou s’il a empêché que l’acte soit commis par un tiers. Si le cas est qualifié délit (menaces, par exemple), ils ne font pas l’enregistrement vidéo de l’audition, mais lorsque le fait est considéré comme un crime (tentative d’homicide), celui-ci est obligatoire. La logique de l’enregistrement audiovisuel consiste à diminuer les durées d’audition des personnes parce que celle-ci peut être revue à n’importe quel moment par les juges et aboutir à l’accroisse-ment du contrôle sur l’activité policière. Afin de résoudre ce genre de problèmes, la police, après l’obligation de filmer les auditions, a eu tendance à choisir pour les affaires la quali-fication la plus élevée. La contradiction c’est que la justice n’est pas tenue par ces qualifica-tions : généralement, quand l’enquête est communiquée aux magistrats, ce sont eux qui imposent la qualification définitive de l’affaire.

D’autres activités contribuent à construire une ligne d’investigation. Par exemple, le contrôle d’identité et des débits de boissons sont considérés comme des activités de base en termes de collecte d’informations. Dans le cadre du contrôle de la vente d’alcool, le contrôle des débits de boissons permet à la police d’entretenir de bonnes relations avec

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les propriétaires des bars (Lévy, 1987, 20-23) ; les policiers fréquentent des bars et clubs de nuit qui appartiennent à « des amis » pour vérifier aussi la vente, l’usage des stupéfiants et la fréquentation du quartier. À son tour, le contrôle d’identité autorise la police à déte-nir toute personne sur le terrain pour vérifier ses documents au cas où ils la soupçonnent d’avoir commis un délit ou d’être en train de préparer une infraction (Vlaminck, 2005, 323). Les policiers m’ont fait savoir que l’approche qu’ils adopteront envers les gens est fonc-tion du contexte dans lequel ils ont été arrêtés. Dans les grandes communautés urbaines, la police va parfois saisir la drogue et généralement ne va pas procéder à l’arrestation, mais dans les petits villages, les usagers de stupéfiants sont traités avec plus de rigueur. Ainsi, malgré l’existence d’une loi qui catégorise les infractions, la façon dont les comportements sont évalués change selon les circonstances des rencontres et de l’environnement.

À partir de ces rapports, la police commence à faire des enquêtes de sa propre initiative visant à la production d’une flagrance, car dans ce cadre d’enquête, ils peuvent faire des per-quisitions de maisons, de garages et de lieux de vente de stupéfiants. La garde à vue pour une affaire de trafic de stupéfiants peut durer jusqu’à quatre jours, mais au cas où les poli-ciers ne finiraient pas toutes les procédures nécessaires dans ce délai, ils demandent au pro-cureur l’ouverture d’une information judiciaire pour qu’ils puissent continuer à travailler sur l’affaire dans le cadre d’une commission rogatoire émise par un juge d’instruction.

Selon les policiers, les cadres d’enquête qui leur donnent le plus de pouvoirs coercitifs, comme la détention d’une personne contre son gré, sont le flagrant délit et la commis-sion rogatoire. Toutefois, la police reconnaît que la ligne qui marque la différence entre une enquête préliminaire et un flagrant délit est très mince. De nombreuses enquêtes d’initia-tive deviennent à un moment donné un flagrant délit, ce qui suggère que cette procédure ne représente pas seulement le résultat de l’activité des policiers qui opèrent dans la rue et que l’enquête peut être manipulée pour devenir une flagrance ou une commission roga-toire, justement pour disposer de davantage de pouvoirs. L’utilisation systématique de la garde à vue impose la contrainte comme un moyen de réduire le temps de travail de la police et c’est forcément à ce moment-là que les policiers vont se consacrer au recueil d’informa-tions, au passage du suspect au coupable, pour réutiliser une expression de Lévy (1987). Une fois que les personnes sont détenues en garde à vue, la police doit informer immé-diatement le parquet de l’heure exacte du début de la mesure, la durée de détention par la police étant limitée par la loi. Néanmoins, c’est aux policiers de déterminer si les gens seront détenus et l’heure à laquelle commence la détention. Les procureurs sont chargés de surveiller la mesure de garde à vue. Ils peuvent ainsi décider de la liberté des personnes ou du maintien de la mesure au cas où ce renouvellement est nécessaire.

Le document au travers duquel la police informe le procureur de la garde à vue ne contient pas beaucoup de détails sur l’affaire. Il se compose d’une seule page avec des informations simples, telles que le nom de la personne, le nom des parents, l’âge, la nationalité, l’adresse, la date et l’heure de début de la garde à vue. Est également indiquée dans ce document la qualification que la police a retenue pour l’affaire. Les officiers de police remplissent un for-mulaire avec ces informations, le faxent immédiatement à la permanence du procureur, opérant ainsi la notification immédiate exigée par la loi. Le substitut du procureur, après avoir classé les feuilles de la garde à vue par heure et date, demande à sa greffière d’ajou-ter à ces documents des informations concernant le casier judiciaire pour établir une éven-tuelle récidive des mis en cause ou vérifier qu’il s’est conformé aux mesures qui lui ont été

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antérieurement imposées. Des communications téléphoniques permettent aux substi-tuts d’obtenir davantage d’explications orales sur les affaires.

Cette justice rapide a des conséquences. La décision sur le déroulement des enquêtes par les procureurs prend comme base les renseignements que les policiers donnent par téléphone et l’historique pénal des gens. Ces éléments sont le signe d’une justice plus sou-mise à la façon dont la police produit des affaires. L’introduction du traitement en temps réel a introduit l’oralité là où l’écrit avait force. La décision prise par le procureur est de plus en plus dépendante des rapports de police et de ces échanges téléphoniques. Cependant, l’oralité ne se traduit pas dans une communication de meilleure qualité. Ce que Mouhanna et Bastard (2007) appellent affaire de confiance fait référence au fait que les procureurs doivent appuyer leurs décisions sur des histoires qui leur sont racontées par la police et que les policiers doivent également compter sur les instructions et les choix faits par les procureurs, même si ces derniers ne sont pas au courant de l’intégralité du dossier, parce que le résultat du travail engage les deux agents institutionnels. Certaines stratégies d’ac-tion peuvent être identifiées, car les policiers instrumentalisent la double tutelle qui les lie d’un côté aux chefs de service et de l’autre, aux procureurs. Le policier peut faire appel au procureur après la décision de mise en garde à vue, mais il peut également retarder cet appel afin de recueillir plus de renseignements avant de parler des faits avec lui. Les poli-ciers choisissent quels sont les procureurs qu’ils doivent contacter en raison de leur mode de travail et des évaluations différentes qu’ils font des cas. Les procureurs peuvent égale-ment prendre en charge les procédures d’un service de police qui est plus conforme à leurs orientations ou qui ont plus de ressources pour répondre à leurs directives.

Cela signifie que les procureurs participent effectivement à la direction du travail d’en-quête réalisé par la police. Mais cette intervention se produit uniquement lorsque la police le leur demande et entre en communication avec eux. En outre, les policiers se plaignent que les procureurs ne sont pas toujours disponibles, parce que la ligne téléphonique est toujours occupée et qu’il est difficile de faire aboutir l’appel. De leur côté, les procureurs disent que la police prend beaucoup de temps avant de les appeler parce qu’ils veulent gar-der l’enquête pour eux-mêmes. Dans de tels cas, les procureurs peuvent appeler le service de police responsable de l’enquête à la fin de la journée quand ils n’ont pas d’information sur les gardes à vues mentionnées dans le formulaire déposé dans le casier sur leur bureau.

Leur formation juridique ou leur orientation politique générale n’expliquent pas à elles seules comment les procureurs prennent des décisions sur des cas particuliers parce que ce qui est en jeu ne se limite pas au code pénal. La façon dont l’évaluation est faite varie en fonction de la personnalité, des expériences et des convictions des procureurs, il n’existe pas un modèle universel. Le caractère des procureurs et des policiers, et la façon dont ils interagissent ont aussi beaucoup d’influence sur la façon dont les cas seront évalués. Ceci peut être illustré dans le discours suivant :

Pour faire un choix de la meilleure mesure à proposer, on utilise de l’imagination et de la rigueur. Il n’y a pas de statistiques qui rendent compte si la médiation fonc-tionne bien ou pas, c’est à la pratique qu’on analyse cela. C’est dans notre pratique qu’on est capable de définir une réponse postérieure, on est dans l’effet permanent de la pratique de décision et le résultat de la décision antérieure qui conditionne notre avis de donner suite ou pas. C’est plus qu’une révolution de la politique pénale

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née par l’État, nous décidons plus au quotidien en fonction de notre intuition. C’est à moi de choisir de poursuivre, de ne pas poursuivre, de classer… On a des objectifs, on a des idées et puis c’est à la pratique qu’on va voir si ça colle ou pas, si ça ne colle pas, c’est parce qu’on doit changer d’idée. Ce n’est pas une observation à distance, c’est une observation quotidienne (extrait d’un entretien avec un substitut du procureur).

Le modèle juridique idéal suppose que les affaires doivent suivre un flux procédural de production de la vérité, mais les parcours et les résultats du processus sont inséparables de ceux qui interprètent et prennent des décisions sur des faits.

L’activité de qualification est l’objet de nombreuses controverses et peut donc être manipu-lée par la police et par les procureurs, mais dans chacune de ces institutions, la qualification sera utilisée pour répondre à des objectifs très différents. Nous avons vu que la police choisit généralement les qualifications les plus graves, afin que les policiers ne risquent pas d’être sanctionnés pour ne pas avoir filmé le témoignage de quelqu’un soupçonné de crime. Mais, comme le but des procureurs est de réduire le temps et le coût du traitement des infractions, ils auront tendance alors à ne pas envoyer de nombreux cas à des juges d’instruction et, par la suite, à la cour d’assises. À cette fin, la tendance est que le magistrat qualifie les affaires a

mi-nima pour pouvoir garder les cas et les juger devant le tribunal correctionnel. Le but est

d’évi-ter les fiascos judiciaires et les affaires trop longues, de rendre une justice plus rapide. Ainsi, les procureurs peuvent-ils adopter des tactiques de sous-qualification ou de sur-qualification : ils peuvent transformer des tentatives d’homicide (crime) en blessures (délit) pour éviter d’envoyer certains cas à l’instruction et aux cours d’assises. En cas de vol à main armée (crime), ils peuvent oublier délibérément l’existence de l’arme lorsque les auteurs sont primo-délinquants et contestent les faits, pour amener cette affaire à être jugée comme un simple vol (délit) devant le tribunal correctionnel.

Le rapport que les policiers ont avec les juges d’instruction est différent de celui qu’ils entretiennent avec les procureurs. Les juges d’instruction accompagnent individuellement les enquêtes alors que les procureurs partagent entre eux les responsabilités et traitent les affaires en masse. Les policiers disent que chaque fois qu’ils sont en contact avec la permanence du parquet, ils doivent expliquer à nouveau l’affaire à un procureur différent. Les procureurs sont plus nombreux et, parce que la quantité d’affaires qu’ils traitent est grande, il est plus difficile d’avoir un accès privilégié. La logique qui oriente le travail des magistrats n’est pas la même que celle de la police. Les policiers élucident les affaires, le pro-cureur considère le nombre de dossiers et d’audiences et le juge d’instruction prépare la procédure pour le jugement.

La formalisation et la sélection d’affaires au Brésil

Tel n’est pas le cas au Brésil. L’enquête menée par la police brésilienne formalise l’exis-tence des faits. Bien que le mot « enquête » mène aussi à l’idée d’investigation, au Brésil elle est comprise par la police comme une procédure cartorial 2 et extrêmement bureaucratique

2 Au sein de chaque commissariat brésilien existe un cartório qui atteste que les documents présentés à la police et par la police sont authentiques, conférant ainsi « foi publique » à ces documents. C’est ce service qui est respon-sable de l’ouverture des enquêtes, qui répartit les documents entre différents services dans le commissariat et qui en gère les archives.

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qui entrave souvent la réalisation des investigations. On ne fait pas référence ici à l’élucida-tion, car la police n’est pas informée des suites judiciaires de ses procédures.

Au Brésil, le dépôt de plainte est fait à partir d’un document nommé registro de

ocor-rência. Ce document a l’aspect d’un formulaire avec des plages pour l’insertion

d’informa-tions standardisées, une petite partie narrative concernant la description des faits. L’arrivée d’une personne au commissariat de police civile de Rio de Janeiro comprend généralement un petit entretien mené par une secrétaire (assistante sociale ou psychologue en stage) après quoi la personne peut être envoyée à un policier. Ces premières rencontres sont utiles pour que les policiers puissent évaluer la qualité des plaintes. Les policiers avancent que les registros de ocorrência sont habituellement utilisés par les victimes comme des instruments de chantage et de vengeance. De nombreux événements peuvent relever d’une définition pénale, mais dans la logique policière ils ne sont pas considérés comme de vrais « problèmes de police » et ne connaissent aucune forme d’enregistrement. Donc souvent, les conflits n’arrivent à être considérés comme des « problèmes de police » que quand ils ont des conséquences plus graves.

En théorie, la police est obligée d’enregistrer et d’enquêter sur n’importe quel fait qui lui est communiqué, mais le tri des procédures est une activité courante. Il n’est pas rare que les personnes soient découragées de faire le registro de ocorrência à la police, comme le notent Paixão (1982), Kant de Lima (1995b) et Oliveira (2003) dans leurs études. Les poli-ciers justifient l’importance du tri des procédures au motif que nombre de plaignants vont par la suite renoncer à poursuivre les affaires et parce qu’ils estiment qu’il est impossible d’enquêter sur tout. Oliveira (2003) met en relief dans son travail que nombreux sont ceux qui s’adressent à la police pour résoudre leurs problèmes sur place et sans vraiment que la police réalise une enquête et la transmette à la justice. En décourageant les dépôts de plainte et en arbitrant les petites affaires de façon immédiate, les policiers affirment qu’ils économisent de l’énergie, du papier et du « temps perdu ».

Une fois qu’ils décident de l’enregistrement, leur première opération sera celle de quali-fier l’affaire. Chaque qualification va impliquer une manière spécifique de raconter ce qui s’est passé et le cheminement particulier que suivra la procédure. Puis, il y a le domaine de la qualification des personnes : auteur, témoin, victime, communicant, disparu, mineur délinquant, représentant légal et la catégorie envolvido, que je traduirai ici comme « impli-qué ». Une réforme de la police judiciaire de Rio de Janeiro en 1999 a permis de mettre les informations policières à la disposition de tous les commissariats de l’État de Rio de Janeiro. La rigidité dans l’utilisation des catégories a augmenté après qu’a été inauguré le modèle informatisé de remplissage du formulaire. Il est vrai que ces catégories sont un peu floues et les policiers passent de l’une à l’autre de manière fréquente. Par exemple, la catégorie « d’impliqué » est rentrée tardivement dans le programme informatisé, après la demande de nombreux groupes de policiers. Cette catégorie est très ambiguë, car elle ne rend pas très clair le degré de participation des personnes aux faits (Miranda et al., 2005 ; Paes, 2008). Cette ambiguïté est pourtant utile et les policiers l’utilisent pour contraindre des gens à comparaître au commissariat pour être interrogé. Cela s’est passé par exemple dans une affaire de vol au domicile où l’agent de police a considéré le gardien de l’immeuble comme impliqué car il avait dû voir des gens rentrer dans le bâtiment pendant la journée. Ce n’est qu’après l’avoir contraint et l’avoir fait comparaître au service de police, que le policier a requalifié ce gardien comme témoin.

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Par rapport à la composante descriptive du registro de ocorrência, il faut noter qu’en cas d’homicide, les informations que les policiers considèrent comme importantes pour com-poser la « dynamique des faits » concernent les opérations effectuées par les policiers une fois qu’ils sont arrivés sur les lieux du crime. Ledit récit en dit généralement plus sur les mesures qui rendent compte au système judiciaire de l’action policière que sur la dynamique de l’événement ou sur le modus operandi des auteurs (Miranda et al., 2005 ; Paes, 2008).

La police conserve les informations sur le contenu des investigations que seul le groupe d’enquêteurs du commissariat peut consulter. Le registro de ocorrência est l’unique document disponible pour tous les commissariats. Les auditions à Rio de Janeiro, sont enregistrées sur un autre document qui s’appelle « terme de déclarations ». Ainsi, comme en France, le récit n’est pas une reproduction fidèle de l’audition. Le but du document est de mettre en relief le point de vue de ceux qui sont impliqués dans l’affaire, mais il faut noter que le « terme de déclaration » est raconté à la troisième personne. Par exemple :

Que le plaignant réside et se trouve être le compagnon de la victime depuis deux mois. Il savait que la victime vivait en compagnie de l’auteur depuis cinq ans et que le 5 juin dernier la victime a déposé au service de police responsable de la surveillance des droits des femmes une plainte formelle contre l’auteur pour menaces. Aujourd’hui, environ 11 heures, le témoin et la victime étaient à la maison quand quelqu’un frappa à la porte ; en l’ouvrant, l’auteur des faits est rentré avec un pistolet à la main à la re-cherche de la victime. À ce moment, celle-ci était dans la salle de bains. Quand l’au-teur l’a trouvée, il lui a ordonné de se baisser et puis il a tiré sur elle plusieurs coups. Il a tenté ensuite de s’échapper. Le témoin est sorti à sa poursuite en essayant de l’immo-biliser et de lui arracher l’arme des mains. Malgré cela, il s’est détaché et s’est enfui, laissant tant le pistolet que la voiture. Le témoin dit n’avoir jamais vu l’auteur aupa-ravant, plusieurs personnes ont vu la scène lorsque le témoin a tenté d’arrêter l’auteur. Cependant, il ne peut pas donner les noms ou adresses, il ne les connaît pas. Plus tard, une patrouille est venue, à laquelle le témoin a donné les armes.

Le parcours typique des documents au Brésil consiste en la présentation du dossier d’enquête par la police au ministère public. En cas de flagrance, la police présente le dossier au juge. L’enquête policière est comprise comme étant une procédure bureaucratique au cours de laquelle les policiers vont justifier leurs activités. Comme ils ont énormément de difficultés à justifier leurs activités dans les procédures, ils se plaignent que de nombreuses investigations sont infructueuses en raison de l’extrême formalisation de l’enquête policière. La police n’arrive pas à identifier l’auteur de nombreuses affaires dans le délai prescrit pour la fin de l’enquête (90 jours). Après la date limite, la police doit envoyer au promotor (membre du ministère public) le dossier et la demande de prolongation du délai pour clore la procé-dure. À son tour, le promotor n’appose généralement qu’un tampon et renvoie le dossier pour que la police puisse mener d’autres investigations (Misse, 2010 ; Paes, 2010).

Les policiers organisent leur travail en fonction de ces délais formels, mais ils se plaignent du fait que les promotores renvoient les enquêtes sans préciser les opérations qui devraient être réalisées. Les promotores, à leur tour, critiquent le fait que les policiers renvoient des enquêtes sans recueillir davantage de renseignements. Par conséquent, la communication entre les policiers et les promotores est contrainte par les délais bureaucratiques. Cet échange

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de dossiers entre la police et le promotor peut être compris comme une tactique de ges-tion du temps jusqu’à la prescripges-tion des affaires. Une nouvelle procédure a été inaugu-rée pour la gestion des affaires passibles de peines de moins de 2 ans d’emprisonnement, le termo circunstanciado. À la différence de l’enquête, le termo circunstanciado sert de pièce informant sur un fait criminel commis, sans que soient faites de grandes investigations. Le problème est que certains delegados – diplômés en droit qui dirigent des procédures et des officiers de police – se plaignent du fait que les promotores renvoient ces documents au commissariat pour que les policiers fassent une enquête plus approfondie. Dans un cer-tain nombre de travaux3 il est mis en lumière que, malgré quelques particularités

régio-nales, les polices brésiliennes obéissent à un cadre juridique qui les rend vulnérables aux autres institutions 4. Le manque d’intégration systémique, l’insuffisance des canaux

insti-tutionnels de communication avec d’autres institutions et le faible débit d’écoulement des affaires sont des points communs entre ces études. Par ailleurs un autre dénominateur commun de ces travaux est le fait que la gestion des affaires donne beaucoup de pouvoir à la police et il n’est pas rare que les policiers gèrent les conflits d’une façon informelle, arbitraire et officieuse.

Au lieu d’ouvrir des enquêtes pour l’élucidation de toutes les infractions qui ont été signa-lées aux services de police, la police de Rio de Janeiro a créé une procédure intermédiaire pour avoir un délai administratif avant le délai légal : c’est la vérification de la source de l’information – VPI (Kant de Lima, 1995). L’attitude est méfiante vis-à-vis des déclarations de la population et tend à sélectionner les dossiers sur lesquels des enquêtes seront en fait menées.

La police de Rio de Janeiro répartit les responsabilités d’enregistrement, de VPI, d’enquête et de flagrance entre plusieurs services dans le commissariat. Cette spécialisation des fonc-tions a été supprimée par la réforme de la police, mais les policiers continuent de la repro-duire dans la pratique. C’est au travers de ce partage des fonctions que les policiers font le tri entre les procédures qui méritent une attention spéciale et celles qui ne méritent pas d’investigations poussées. Selon l’échelle d’évaluation du travail de la police, le policier qui travaille dans la rue, qui a plus de contact avec la population et qui peut créer un réseau « d’informateurs », est plus valorisé que celui qui s’occupe des fonctions plus bureaucra-tiques concernant les registres (Paes, 2008, 2011).

La garde à vue n’existe pas dans le modèle brésilien. La police brésilienne oblige les gens à témoigner au poste de police, mais ne peut pas les retenir, sauf dans les cas de flagrant délit. Lorsque les « contraintes » sont menées par la police brésilienne dans le cadre de l’enquête – détention pour vérification –, elles ne sont pas soumises à des procédures for-melles (Zaverucha, 2003).

Les « auteurs » figurant dans l’enregistrement initial ne sont que des suspects sur lesquels la police mène des enquêtes pour confirmer leur participation. Le caractère inquisitoire

3 Paixão (1982) ; Oliveira (2003) ; Zaverucha (2003) ; Adorno, Pasinato (2010) ; Ribeiro (2009) ; Lima (2008) ; Kant de Lima (1995), Miranda et al. (2005) ; Paes (2008, 2010, 2011) ; Soares (2006) et une recherche dirigée par Misse (2010).

4 Le système fédératif brésilien, contrairement à celui des États-Unis par exemple, n’octroie pas aux États fédérés de compétences législatives en matière pénale ; la police judiciaire obéit à des codes et procédures établis par l’État fédéral. Seul le niveau administratif de la gestion des ressources, des informations et du personnel relève des États fédérés.

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de la procédure de police devient plus claire lorsque la police « désigne » (indicia) formel-lement quelqu’un comme auteur du crime, en le décrivant dans un document spécifique, appelé « acte de qualification ».

L’ambiguïté réside dans le fait que l’enquête de police est une procédure administra-tive, mais cet « acte de qualification » peut modifier l’état juridique et l’histoire des per-sonnes. Il marque leur identité, c’est une forme subjective de punition morale et objec-tive de punition civile, avant même que les gens soient jugés par les tribunaux (Kant de Lima, 1995b, 114). L’investigation policière se sert souvent de ce genre d’informations. L’utilisation de la FAC – feuille d’antécédents criminels – n’est pas restreinte aux affaires où les policiers veulent identifier les auteurs des faits. Dans des affaires d’homicide ou des actes de résistance, les policiers cherchent à identifier également les antécédents de la victime pour pouvoir justifier qu’elles ont été tuées dans une situation de confronta-tion. Cela a un poids énorme dans l’évaluation morale de ces affaires. C’est une façon de rendre la victime coupable de son sort.

Sur la matérialité, je fais référence à la production de rapports de la police scientifique, car la police en général se plaint de ce que la préservation des scènes de crime au Brésil n’est pas faite. S’ajoute à cela le fait que les rapports des experts tardent beaucoup à arri-ver aux commissariats de police civile et que, une fois ces rapports arrivés, ils ne sont pas concluants. La rédaction des rapports par la police scientifique permet des discours contra-dictoires : c’est seulement à partir de l’articulation entre les faits, les choses et les personnes devant le tribunal que ces événements vont acquérir du sens. Dans le rapport d’une recherche à laquelle j’ai eu l’occasion de participer (Misse et al., 2008), nous montrons que les experts dans ces rapports présentent délibérément toutes les hypothèses possibles. On peut lire que l’acte pouvait être commis de telle manière en fonction de la volonté et de la capacité de l’agent, mais on peut supposer que si l’agent n’avait ni cette capacité ni cette volonté, le fait ne serait pas produit de la façon dont le policier le présume dans son rapport.

Les policiers doivent être en contact avec les promotores à quelques moments rituels bureaucratiques et cette communication se fait souvent par écrit. L’oralité est considérée comme une forme de communication privilégiée pour « faire passer » certaines procédures d’une façon plus rapide. Cela ne signifie pas une forme universalisée de traitement des affaires, mais un privilège dans le traitement de certaines affaires au détriment d’autres. De nombreux moyens ont été mis en place pour faciliter la communication des affaires entre la police et le ministère public, mais les promotores ne sont pas disponibles pour tra-vailler dans l’espace physique de la police et pour être en contact avec le public pour traiter les affaires au jour le jour. Par ailleurs, il y a eu la création d’un réseau informatisé pour permettre aux promotores de suivre les procédures policières et les traiter en ligne. Bien qu’il ait été salué par les promotores, le système informatique n’est pas largement utilisé dans la pratique car il représente la possibilité de contrôle de leur activité. C’est la création d’une voie à double sens.

Au Brésil, l’enquête de police est un outil administratif au moyen duquel peut être pro-duite une connaissance de base, indépendante de celle des magistrats. Toutefois, cette enquête est attachée au dossier judiciaire (Misse, 2010 ; Paes, 2010). Au Brésil, on parle de système de sécurité d’une part et de justice d’autre part parce que les institutions n’ont pas de lien entre elles. En France, le juge d’instruction et le procureur sont impliqués dans la production d’enquêtes de police. Ils sont également responsables de la suite de ce travail.

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Par conséquent, les agents préparent l’enquête avec des attentes sur la façon dont elle sera utilisée par les magistrats. Cela ne se passe pas de la même façon dans le cas brésilien. Les

promotores, au Brésil, ont des difficultés à gérer les affaires policières. Les juges et les pro-motores utilisent des enquêtes policières mais ne les endossent pas. Les propro-motores

sou-lignent que l’ADN de la police est différent de la procédure judiciaire et qu’ils peuvent appré-cier différemment la qualification des affaires selon la stratégie adoptée sur la façon de les faire juger.

Ainsi, dans un cas d’enrichissement illicite d’un maire, un promotor a déclaré que ce qui est en cause est l’illégalité de l’acte. Il estime toutefois que les frontières entre la voie civile et la voie pénale sont très mouvantes. Pour lui, il y a des cas comme ceux de détournement des fonds publics qui sont plus faciles à faire juger comme un acte d’improbité adminis-trative que comme une infraction pénale, telle la corruption. Ce type de stratégie a égale-ment été identifié par Mouzinho (2007, 99) dans sa thèse de doctorat. Voilà le discours du

promotor que j’ai pu interviewer :

Dans la pratique, il est plus facile d’imputer l’acte d’improbité administrative que d’ouvrir une enquête pénale de détournement de fonds publics. La sanction dans ces cas sera différente. En droit civil, il est plus facile de se charger d’une faute, même si les mis en cause ne sont pas en mesure de prouver d’où venait le fond d’enrichisse-ment. Par exemple, si un fonctionnaire a un enrichissement incompatible avec son salaire, il est possible que le promotor avec la seule enquête administrative puisse montrer cette distorsion et prouver l’acte d’improbité. Pas besoin de prouver ce qui était à l’origine des revenus illicites. L’objectif principal dans le domaine civil n’est pas la sécurité, mais d’apporter de l’argent en retour et d’infliger des sanctions civiles comme le licenciement et la perte des droits politiques. Le crime commis par un fonctionnaire peut sans problème être d’abord traité comme une faute administra-tive : c’est encore plus facile. Après, je peux envoyer cette affaire au pénal.

Cela peut se produire de manière fréquente dans d’autres types d’infractions. Parfois, les

promotores peuvent décider qu’il est préférable de faire juger les gens par un jury populaire

pour homicide et non pas par les juges professionnels pour une affaire de latrocinio (vol suivi de mort) ou vice versa. Il y a d’autres frontières qui sont très minces et les

promo-tores opéreront la qualification en anticipant la manière dont les cas seront pris en charge

par les divers acteurs. Les promotores soulignent que le déclassement de la tentative d’homi-cide en des coups et blessures intentionnels peut parfois être intéressant, car il permet d’éviter la discussion autour des motifs et des intentions des auteurs présumés.

Au Brésil comme en France, certains processus conduisent à un acquittement. Toutefois, j’ai pu assister à de nombreuses audiences menant à l’acquittement de l’accusé en raison de la mauvaise qualité des procédures policières. La création d’une Centrale d’Enquête a contribué à la création de spécialités au ministère public en séparant les promotores qui font l’évaluation de l’enquête policière de ceux qui soutiennent l’accusation au Tribunal, d’où la possibilité de demande de la nullité de la procédure au moment du jugement. Infra, je pré-sente l’argument d’un promotor dans une session de grand jury dont le verdict a donné lieu à l’acquittement de l’accusé à l’unanimité :

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L’étape de l’enquête n’a rien apporté de pertinent à ce processus. La poursuite pé-nale doit avoir des preuves sur les auteurs et sur la matérialité des faits. Pourquoi faut-il autant de temps pour pouvoir juger ? Pourquoi les processus ne sont-ils pas ré-solus, mon Dieu ? Pourquoi ne pouvez-vous pas résoudre ces processus ? [S’adressant

au jury] Si vous condamnez, c’est bien. J’ai bien joué mon rôle, je rentrerai tranquille

chez moi. Si vous l’acquittez, c’est bien aussi parce que le processus est mal construit. Je suis incapable de soutenir l’accusation devant ce tribunal. Les preuves recueillies au cours de l’enquête et les preuves recueillies au cours du procès n’ont pas été corro-borées. Ce fut un travail bien fait par la police. La faute n’est pas celle de la preuve. Le blâme porte sur le système. La preuve est faible, car elle n’a pas été corroborée au cours de la phase de jugement. Avec ces preuves, ce n’est pas à moi de soutenir.

Dans ce cas et dans beaucoup d’autres, les affaires n’aboutissent pas à cause de la mau-vaise qualité des procédures policières. Le problème principal est de savoir quelle est « l’auto-rité » qui guide le travail quotidien de la police. Les delegados devraient observer les délais, présider des enquêtes et rédiger des procédures de sorte que tout cela soit transmis à la magistrature. Les promotores doivent contrôler le temps et le contenu des procédures de police afin d’offrir une « dénonciation » et de débuter l’instruction de l’affaire par le système judiciaire. Le processus de construction des faits en tant que crimes n’est pas fondé sur le dialogue ou le consensus, mais sur l’encouragement au conflit entre les acteurs.

Les promotores, qui ont l’habitude de critiquer la qualité et les méthodes inquisito-riales utilisées dans les enquêtes de la police civile, ont pour mandat d’exercer un contrôle sur leur activité et sur les produits de cette activité – mais seulement sur ceux qui leur sont transmis. En outre, les promotores demandent actuellement la reconnaissance de leur compétence pour enquêter sur certaines affaires, mais leurs méthodes d’enquête ne font que reproduire celles de la police civile. Il s’agit d’un cumul de fonctions qui engendre une série de conflits sur les formes et sur le pouvoir de mener des enquêtes. Ce n’est pas seulement une question concernant la construction de connaissances sur ce qui s’est pas-sé, mais cela soulève la question d’un État qui produit des « vices des formes ». Cette ges-tion des procédures engendre un pouvoir qui n’est accompagné ni d’engagement, ni de responsabilité.

Conclusion

Dans cet article, j’ai comparé des institutions de deux pays qui appartiennent à la tradi-tion juridique de la civil law. Celle-ci valorise un haut niveau de réglementatradi-tion, la bureau-cratie et l’existence de formes et procédures écrites. Néanmoins, ces deux pays expérimentent des réformes qui visent la simplification des procédures pour une meilleure gestion du temps et des ressources de la justice. Le résultat est l’apparition de conflits moins graves dans le système judiciaire et l’aggravation de la peine envers certains types de personnes (les récidivistes) et d’infractions. Dans certains cas, la peine est négociée avec les accusés dans les instances alternatives de production de décisions judiciaires en éliminant les possibili-tés de défense. Le principal effet de ces réformes est l’augmentation de la durée des peines et de la population carcérale.

Referências

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