GTAT SANITAIRE
des ANTILLES
FRANCAISESI
Par M. le médecin de l*r classe GAUTIER
La Martinique n’est peut-être pas un séjour enchanteur. Le climat est tou-
jours chaud-le thermomètre ne variant guère de 25” a 32” et tres humide. La
ville de Fort-de-France, base du stationnaire franoais de I’Atlantique, est en
majeure partie compoaée de rues étroites et sales, bordées de cases em bois, sans eau et sans électricité. La ville n’étant située qu’à un mètre au-dessus du niveau de la mer, il en résulte un mauvais écoulement des eaux et une grande quantité
d’eau stagnante et sale, réservoirs de larves et moustiques. L’alcoolisme est
tres répandu puisque les statistiques o5cielles montrent que la consommation locale par an et par homme s’élève à plus de 100 litres de rhum. La prostitution est universelle, gratuite et sans surveillance, en résultant une profusion de syphi-
lis, chancres mous et blennorragies. Dans des conditions d’hygiène aussi dé-
plorables, il est remarquable de constater la rareté des maladies épidémiques. La fièvre jaune y est inconnue et, cela est paradoxal, l’examen des moustiques
observés à Fort-de-France et pratiqué $ 1’Institut d’Hygiène Colonialeayant
montré une énorme proportion de stégomyas (90 à 95 p. 100). Le paludisme, par centre, est loin d’y être rare; en effet, des recherches récentes (1933) faites par
1’Institut d’Hygiène ont montré que 40 a 45 p. 100 des habitants du Lamentin
étaient impaludés. Les parasites intestinaux sont tres répandus; dans les opéra-
tions du recrutement, on observe jusqu’à 25 p. 100 bilharzies et une proportion
presque aussi grande (20 p. 100) de sujets porteurs d’ankylostomes. On note
encare quelques cas de fièvre typhozde généralement importés, de pian et de Zgpre, celle-ci certainment plus répandue que ne l’indiquent les statistiques officielles.
L’hôpital colonial de Fort-de-France sera désaffectk dans le courant de l’année 1935, un nouvel h6pital situé à environs 200 mètres au-dessus de la ville devant
être terminé et ouvert B cette époque. Un Institut d’Hygiène, dirigé par un
médecin des troupes coloniales, assure la surveillance de l’eau et des maladies contagieuses et joue également le r6le de dispensaire de prophylaxie vénérienne. L’eau, de bonne qualité, pure au point de vue bactériologique, est périodiquement
contrôlée par les services de’hygiène. La viande que l’on trouve à la Martinique
est de qualité médiocre. Le Zait est vendu dans des conditions qui ne donnent
aucune sécurité au point de vue de l’hygiène. L’agriculture, étant rigoureuse-
ment spécialisée a la culture de la canne $. sucre, il est tres difllcile de trouver les
légumes de consommation courante. Sur 150 sujets examinés, soit à Fort-de-
France, soit à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), 120 ont été reconnus inaptes au
service des équipages de la Flotte (parasitisme intestinal, hernies inguinales ou
ombilicales tres fréquentes, albuminurie, épilepsie, etc.).
Les conditions hygiéniques et l’état sanitaire de la Guadeloupe sont en tous
points identiques à ceux de la Martinique. Le paludisme semble y être cependant
plus fréquent et surtout plus grave, principalement dans la partie de l’fle appelée “Grand Terre.” Un hôpital colonial situé&600 mètres d’altitude, à Saint Claude, assure, dans des conditions confortables, le traitement des malades. Un h6pital
de 300 lits a été construit $ la Pointe-à-Pitre, mais n’est pas encare en service
(1935). L’Be de la Désirade, située à une diaaine de milles dans l’est de la Guade- loupe, renferme un éstablissement hospitalier ou sont isolés et traités tous les
Eépreux indigents (environ d’une centaine tous noirs) des Antilles frangaises. Il
n’y a même pas d’eau à la léproserie, et chaque jour, une corvée de malades va chercher à deux kilometres de la, l’eau nécessaire aux besoins de la journée.
1 Archives de Médeeina el Phammcie Naoales, 369, av-jun. 1936.
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OFICINA SANITARIA PANAMERICANA [Enero 19371La temphrature moyenne observée a bord pendant notre séjour en Guyane a été de 23”. Cette chaleur, g&&ralement humide, est tres supportable. Certes, le paludisme y est endemique comme dans toutes les Antilles d’ailleurs; en tous cas, la fièvre hémoglobinurique et la dysenterie y sont exceptionnelles etlafièvre
jaune en a disparu depuis 1902. Malheureusement, on y constate les ravages de
l’alcoolisme, de la syphilis et aussi de la Zèpre. La mortalité de I’élément penal est considerable puisque’elle atteint 7 à 10 p. 100 du contingent annuel, les causes de cette mortalité étant: 1” La tuberculose chez des individus dont la ration alimentaire eet certainement insuffisante : 2” La syphilis, étant donné l’effroyable
promiscuité dans laquelle vivent les condamnes. L’hôpital de Cayenne, ancien
hôpital de la Marine, a pour but principal d’assurer le traitement des condamnés de la région de Cayenne (tuberculeux, paludéens, éléphantiasiques et quelques
fous et lépreux en instance d’isolement). La Guyane anglaise et la Guyane
hollandaise, voisines de la Guyane frangaise, sont des pays peuplés et riches,
quoique jouissant des m&mes conditions climatériques. Leurs capitales, George-
town et Paramaribo, sont desvillesmodernesoùlapopulationeuropéenne, anglaise
ou hollandaise, vit tres confortablement en prenant cependant toutes les précau-
tions d’usage dans un pays chaud oti le paludisme est endémique. Pendant notre
séjour à Paramaribo, nous avons eu l’occasion de visiter la Iéproserie située à 5 kilometres de la ville, oii sont traités tous les Zépreux indigents de la Guyane
hollandaise au nombre de 500 environ. L’aspect général de la léproserie qui
occupe une superficie de plusieurs kilometres carrés, entièrement clos, est plut8t celui d’un village que celui d’un lieu de ségregation. Le mariage entre les malades est autorisé, mais I’enfant issu de parents lépreux est, des sa naissance, enlevé.
Les Antilles anglaises, voisines des Antilles francaises, jouissent du m&me
climat et ont la même population, aussi y observe-t-on à des degrés divers les
m@mes maladies. Des grands travaux d’assainissement ont été réalisés a Trini-
dad ou le paludisme sevissait dangereusement il y a quelques années, aussi le
paludisme est-il en voie de régression tres nette a la Trinidad. La Barbade,
nommée non sans raison le “Sanatorium des Antilles” à cause de son climat tres
temperé, possède un Btablissement où sont soignés tous les Zépreux indigents des Antilles anglaises (au nombre de 500 environ).
111 nous a été facile d’observer, à Haiti, le même laisser-aller si préjudiciable à
l’état sanitaire de la Martinique (alcoolisme, prostitution non surveillée). Le
paludisme y est tres fréquent, affectant souvent des formes graves, et quelquefois
mortelles, surtout ches les Européens. L’Hi3pital Général Haitien, de 300 lits
environ, est un grand hapital moderne. Le pavillon de dermatologie traite un
grand nombre de pianiques, le pian étant très répandu à Haiti et le pavillon
d’ophtalmologie, de nombreux cas de filariose sousconjonctivale, traités par
l’extirpation chirurgicale. L%cole de Médicine haitienne, située dans un édifice
moderne, est fréquentée par 300 étudiants en médecine, pharmacie et dentisterie.
La zone du canal de Panama, réputée comme épidémiologiquement tres dan-
gereuse il y a quelques années, jouit actuellement d’un état sanitaire excellent et la fièvre jaune, qui a fait de si considerables ravages dans le personnel de la Com-
pagnie frangaise du Canal de Panama a complétement disparu. Toute la zone
entourant le canal a été désherbée, drainée, asséchée; les mares, eaux stagnantes,
ruisseaux, sont périodiquement (une fois par semaine) arrosés d’huile de pétrole,
et tous les édifices publics ou particuliers ont été obligatoirement munis d’un
treillage métallique tres fin sur toutes leurs ouvertures. Lea habitants de la zone
américaine du canal sont responsables de l’entretien de ce grillage et de la destruc-
tion dans leur habitation ou leur jardin d’eau stagnante (boPtcs de conserves,
gouttières, etc.). Des inspecteurs de police sanitaire inspectent periodiquement