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[Revue] Les Lois Veil. Les évènements fondateurs. Contraception 1974, IVG 1975 [et] Si je veux, quand je veux. Contraception et avortement dans la société française, 1956-1979

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BIBIA PAVARD, FLORENCE ROCHEFORT, MICHELLE ZANCARINI-FOURNEL, LES LOIS VEIL. LES ÉVÈNEMENTS FONDATEURS.

CONTRACEPTION 1974, IVG 1975, PARIS, ARMAND COLIN, 2012, 220 P., ISBN 978-2-200-24948-9. BIBIA PAVARD, SI JE VEUX, QUAND JE VEUX. CONTRACEPTION ET AVORTEMENT DANS LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE, 1956-1979, RENNES, PRESSES UNIVERSITAIRES DE RENNES, 2012, 358 P., ISBN 978-2-7535-2026-4

Anne Cova

Belin | « Revue d’histoire moderne & contemporaine »

2019/3 n° 66-3 | pages 192 à 194 ISSN 0048-8003

ISBN 9782410016031

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2019-3-page-192.htm

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FABRICE MICALLEF, Le Bâtard royal. Henri d’Angoulême dans l’ombre des Valois, 1551-1586,

Genève, Droz, 2018, 422 pages, ISBN 978-2-600-05808-7

Fabrice Micallef comble un vide historiographique autour d’un personnage jusqu’alors négligé et pourtant fondamental dans l’histoire dynastique de la royauté française : Henri d’Angoulême (1551-1586), fils naturel d’Henri II et de Jane Stuart, Lady Fleming. Cette démarche s’inscrit dans une mouvance historique récente, consistant à considérer les bâtards royaux dans leur inscription sociale et leur rapport au pouvoir, à l’instar de S. Steinberg ou de C. Avignon. Mais elle présente ici un intérêt tout particulier, en ce qu’elle met en lumière un moment essentiel et néanmoins encore largement méconnu : « la décision de la monarchie de favoriser, pour la toute première fois, l’ascension d’un bâtard royal de sexe masculin » (p. 14). L’ouvrage se décline en douze cha-pitres organisés suivant un ordre chronologique, allant de la rencontre entre les parents vers 1550 à la postérité du protagoniste au XIXe siècle. L’approche propo-sée n’est cependant pas linéaire, marquant régulièrement des temps d’arrêt sur des périodes ou des thématiques particulièrement évocatrices. Trois grands moments se dégagent ainsi progressivement dans le parcours d’Henri d’Angoulême : la nais-sance, l’enfance et l’éducation, en Écosse et en France, de 1550 à 1563 (chapitres 1 et 2), la carrière ecclésiastique (notamment à la tête de l’Ordre de Malte), de 1563 à 1579, dans le contexte des premières guerres de religion (chapitres 3 à 6), et enfin le gouvernement de Provence, détenu de 1577 à son décès en 1586, moment de tensions renouvelées entre huguenots et catholiques radicaux (chapitres 7 à 12). À chacune de ces étapes, l’auteur s’interroge sur l’identité de l’individu hors-norme qu’il a choisi d’étudier et n’en néglige aucune facette, proposant des vues aussi bien sur les stratégies politiques (chapitre 4) et les relations internationales (chapitre 9), que sur le train de vie curial (chapitre 10), les lettres et les arts (chapitre 6).

Loin d’être seulement biographique, la perspective se veut donc « multipolaire et multiscalaire », afin de faire « l’histoire d’un individu mais aussi l’histoire d’une expérience collective de confrontation à la nouveauté » (p. 17). Cet objectif est atteint. F. Micallef inscrit son travail dans une profondeur chronologique et une ouverture internationale qui replacent le bâtard français dans un contexte européen et dans une tradition remontant au Moyen Âge. L’auteur pose en outre un regard genré sur la bâtardise et les liens de parenté. De la sorte, il introduit des analyses remarquables et inédites, par exemple sur le rôle fondamental de la parenté maternelle ou encore sur la différence de traitement entre bâtards royaux selon le sexe, permettant d’envisager le protagoniste sous un angle intersectionnel. La sémantique, l’histoire littéraire et l’histoire des réseaux viennent compléter ce portrait d’Henri d’Angoulême, mettant en lumière la multiplicité des termes utilisés pour le qualifier, des regards portés sur lui, et toute la « nébuleuse » qui évolue dans son sillage, selon l’expression formulée par J. Duma pour un autre bâtard royal. De même que les approches choisies, les sources mobilisées sont variées et fructueusement croisées : baux, mémoires manuscrits, documents de l’administration royale, lettres écrites par Henri d’Angoulême et à lui adressées, délibérations d’assemblées, d’États, de conseils, conservés aussi bien à Paris qu’en Provence, en France qu’à Malte. Le travail documentaire est donc d’une grande richesse, ce qui n’empêche pas l’auteur de conserver une certaine réserve sur

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des questions difficiles à traiter, comme l’évaluation exacte des revenus ou le rôle joué dans la Saint-Barthélemy. Probablement est-ce d’ailleurs en raison de ces inévitables flous et manques que certains fonds d’archives ont été peu explorés (tel le Minutier central des notaires parisiens ou encore les minutes des notaires provençaux), tandis que d’autres, comme les manuscrits français de la Bibliothèque nationale de France, ont été davantage exploités.

La combinaison de ces différentes perspectives et sources amène F. Micallef à montrer comment l’articulation entre les évolutions propres à la monarchie dans le contexte troublé des guerres de religion et la personnalité du bâtard d’Angoulême a pu donner naissance à une « étape pionnière », à un « tournant dans l’histoire des relations que la monarchie entretenait avec ses bâtards mâles » (p. 369). Le point nodal pour comprendre cette évolution est d’abord toute l’ambiguïté, la « plasticité » (p. 194), qui caractérise la position de bâtard royal, à la fois dans et hors cadres. Tout au long de l’ouvrage, F. Micallef n’a de cesse de montrer comment les acteurs manipulent et s’approprient cette identité malléable, qu’il s’agisse d’Henri lui-même – révélant ainsi sa capacité d’action – ou des individus qui l’entourent, intéressés par son devenir (souvent pour des raisons politiques), à savoir notamment la monarchie, l’Ordre de Malte ou encore la noblesse et les institutions provençales. Outre le contexte (d’ail-leurs parfaitement restitué), entrent également en jeu la situation démographique et le fonctionnement de la monarchie sous les derniers Valois. Le pouvoir tel qu’il est alors pratiqué par la dynastie régnante, sous l’égide de Catherine de Médicis, oscille entre contraintes, compromis et avancées. L’auteur explique clairement les raisons et les enjeux de ces louvoiements pour ce qui concerne le bâtard royal, en l’occurrence par la volonté de le maintenir dans une dépendance tout en lui octroyant un avancement symbolique. Ce faisant, il reprend une idée forte émise par F. Cosandey – qu’il cite : la tendance de la monarchie à faire primer le sang sur la macule de la naissance, dès la fin du XVIe siècle, à des fins idéologiques. Cette tendance se révèle de manière éclatante dans les périodes de crise, par exemple avec l’émergence de la Ligue en 1584-1585. F. Micallef va cependant plus loin que ses prédécesseurs, en montrant aussi les avantages que peut impliquer cette situation marginale : « un supplément de protection » (p. 75), notamment vis-à-vis de l’Ordre de Malte.

Le Bâtard royal est donc un ouvrage incontournable pour la recherche sur la bâtardise, et plus généralement pour l’histoire du pouvoir et de la monarchie fran-çaise. On regrette seulement que le plan chronologique amène parfois à des allers et retours qui nuisent à la compréhension globale de certains éléments clés de l’identité princière. La question cérémonielle, par exemple, est traitée au fil de l’eau et répartie entre différents chapitres, rendant les fluctuations et les évolutions du rang difficiles à saisir. Il reste que le parcours atypique d’Henri d’Angoulême, décrypté sous tous ses angles, constitue un jalon fondamental ; il a en effet ouvert la voie pour les bâtards royaux suivants, notamment le fils de Charles IX, les enfants d’Henri IV et même ceux de Louis XIV qui – il n’est pas inutile de le rappeler – ont fini par être inscrits dans l’ordre de succession à la Couronne.

Flavie LEROUX

EHESS

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SERGE DAUCHY, VÉRONIQUE DEMARS-SION, HERVÉ LEUWERS, SABRINA MICHEL (ÉD.),

Les Parlementaires acteurs de la vie provinciale. XVIIe-XVIIIe siècles,

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, 310 p., ISBN 978-2-7535-2731-7

Ce très bon livre contient vingt essais allant de F. Bidouze sur les relations entre les petits États provinciaux du Sud-Ouest et le parlement de Pau, J.  Swann sur les relations entre le Parlement et les États de Bourgogne aux années 1770-1780, I. Arnal-Corthier sur la concurrence poli-tique entre le Parlement et le corps municipal de Toulouse dans les années 1760-1770, S. Michel sur les privilèges urbains des parlementaires en Flandre, G. Aubert et A. Hess sur la portée de la juridiction du Parlement de Rennes, M. Breen sur la défense des privilèges municipaux de Dijon en 1749-1750, à S. Baudens sur les magis-trats secondaires de Bourg-en-Bresse face aux réformes de Lamoignon. Le livre couvre plusieurs autres matières trop nombreuses pour cette recension. Une conclu-sion frappante, avancée par R. Grevet, est que la grande réforme des assemblées provinciales, mise en œuvre par la couronne dans les années 1770-1780, résulta des difficultés que Louis XVI eut avec les parlements. Les factions concurrentes à la cour empêchèrent le roi de mener une politique ferme vis-à-vis des parlements. L’indéci-sion de la monarchie permit aux juges de gagner la bataille de l’opinion publique et de mettre en question l’existence même des intendants. Par conséquent, la Couronne céda de l’autorité administrative aux États provinciaux et créa, par nécessité et prag-matisme, les assemblées provinciales afin de fabriquer d’autres partisans et réseaux du pouvoir royal dans les provinces et de neutraliser l’opposition des parlements.

L’article de F. Desnos sur le conseil souverain de Roussillon montre que lorsque la monarchie annexa ce pays à partir des années 1650, elle garda les lois spécifique-ment catalanes sur lesquelles les magistrats fondèrent leur compétence. La tolérance envers la mosaïque légale constitua une manière de diviser pour mieux gouverner les peuples du royaume. De façon similaire, A. Lemaître explique que la couronne se servit du conseil souverain d’Alsace, après l’avoir fondé en 1657, pour protéger les châtellenies des princes de Deux-Ponts et d’autres seigneurs étrangers et ainsi assurer les entrelacements et le clientélisme féodaux à travers lesquels l’absolutisme s’imposait.

C. Coulomb affirme que la littérature sur les villes joua un rôle fondamental dans la politisation du pays et dans la cristallisation d’une idéologie bourgeoise dans les années 1770-1780. Elle étudie Claude Rémy Buirette de Verrières, détenteur d’une seigneurie et d’offices vénaux et aspirant à la noblesse, envisagé ici surtout comme auteur de plusieurs écrits sur Châlons-sur-Marne. Buirette ne s’intéressa pas aux églises et remparts de Châlons mais plutôt à la nouvelle promenade, au théâtre, à l’immeuble de l’intendance, à l’hôtel de ville et d’autres aspects d’urbanisme. Il soutint que le gouvernement féodal avait affaibli l’autorité royale et ouvert la voie aux guerres de Religion : la couronne réussit à contenir l’anarchie grâce aux sacrifices héroïques des bourgeois. Buirette attribua le déclin de Châlons, en partie, aux édifices religieux qui couvrirent un tiers de la ville d’une manière improductive et aux offices vénaux de magistrature, qui rendirent le commerce moins honorable. C. Coulomb n’explique pas comment Buirette, au sein de ce discours bourgeois, contesta la compétence des intendants au bénéfice des parlements, à ses yeux consubstantiels de l’autorité royale.

En effet, dans les essais de M. Figeac, D. Feutry et S. Bocquillon, les parlementaires apparaissent comme des seigneurs féodaux plutôt que comme des alliés de la couronne ou de la bourgeoisie. La moitié des testaments des conseillers au Parlement de Paris, étudiés par D. Feutry, comprennent des legs pour des livres de piétés pour les pauvres,

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CLAIRE DOLAN (ÉD.), Les Pratiques politiques dans les villes françaises d’Ancien Régime. Communauté, citoyenneté et localité,

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, 236 p., ISBN 978-2-7535-7475-5

un tiers pour financer des écoles à l’intérieur de leurs seigneuries. De même, M. Figeac montre qu’un grand nombre de parlementaires de Bordeaux continuèrent de faire des legs aux pauvres alors que d’autres juges de la cour des aides et du bureau des finances avaient abandonné cette coutume chrétienne. Cette charité concernait surtout les paroisses de leurs seigneuries. Un châtelain, par exemple, envoya le fils d’un métayer se faire soigner de la teigne à l’hôpital de Saint-André. Par conséquent, M. Figeac signale qu’après 1789 quelques villages de la région ont protégé les possessions de leurs anciens seigneurs des révolutionnaires. Ainsi, la célèbre représentation des nobles dans l’œuvre de Tocqueville n’est pas tout à fait exacte : selon lui, les paysans se mirent à détester le régime seigneurial à mesure que les châtelains cessèrent de s’occuper des pauvres dans les villages et se bornèrent à la perception des prélèvements. Il se peut que les seigneurs ne se soient plus immiscés dans l’administration des communautés rurales (et de nombreux historiens contesteraient cette affirmation). Quoi qu’il en soit, Figeac et Feutry montrent que les parlementaires, les vrais chefs de la noblesse provinciale, continuèrent de s’investir dans les affaires villageoises jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.

Cet engagement, pourtant, n’alla pas jusqu’aux affaires agricoles. S. Bocquillon montre qu’en Flandre les nouvelles techniques de la culture de la terre résultèrent plutôt du travail acharné des paysans voués à l’agriculture intensive. Au cours des six siècles précédents, les paysans flamands cultivèrent des légumineuses en rotation avec le blé et l’avoine, éliminèrent la jachère et construisirent des étables pour le bétail. Bocquillon constate que les parlementaires flamands de Douai, a contrario, ne se soucièrent guère du progrès agricole. Ils accumulèrent des seigneuries plutôt pour le nom et le prestige familiaux. Les mariages leur permirent d’augmenter leurs domaines aux environs de Douai et Lille. Ils louèrent ces terres aux paysans en parcelles relativement modestes d’une valeur locative de moins de 500 livres tous les trois ans – valeur qui stagna pendant des décennies puis, à partir de 1760, augmenta sans interruption jusqu’à la veille de la Révolution. Ces baux n’étaient pas purement économiques : ils exigeaient des corvées de charrette deux jours par an pour l’avantage des parlementaires. C. Le Mao, sur le parlement de Bordeaux, montre que ces offices de magistratures offrirent possiblement les pires dividendes de tous les placements de l’époque : tout juste 2 % par an. La valeur de ces offices, beaucoup de ces auteurs le prouvent, résidaient plutôt dans le pouvoir qu’ils conféraient de circonscrire les actions de la Couronne, d’interpréter la loi et de dominer des communautés rurales.

Stephen MILLER

University of Alabama (Birmingham)

Dans le regain que connaît l’histoire du fait communautaire et citadin sous l’Ancien Régime, Claire Dolan occupe sans conteste une position essentielle, tant par son exploitation de fonds d’ar-chive réputés difficiles que par la pré-cision des analyses auxquelles elle les soumet, toujours en quête d’un exercice concret du politique et de ses substrats sociaux dans la ville. Deux monographies en ont témoigné en 2012 et 2013, consa-crées aux communautés de procureurs du midi de la France, ainsi que ce collectif tiré de journées d’études à Québec en 2016 qu’elle a coordonnées. La force du

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parti pris de ce dernier ouvrage est d’assumer deux décalages dans sa méthode. D’une part, la communauté n’est pas préposée à l’étude, mais souvent déduite d’observations sur divers modes d’organisation, de contestation, de revendication propres aux terrains sélectionnés, trois villes, Marseille, Toulouse et Paris, et une pluralité d’objets : collectifs de riverains, paroisses, corps municipaux, prisons, groupes d’affinité politique. D’autre part, rien n’est caché de l’inadéquation des mots du titre – citoyenneté, localité – avec les réalités d’Ancien Régime, auxquels on peut ajouter les mots de « participation », « solidarité », « proximité », « institution », présents dans chaque contribution sans que les auteurs ne soient dupes de leur quasi absence des lexiques des XVIe-XVIIIe siècles. Leur usage ici est donc heuris-tique : départager précisément la part irréductible des praheuris-tiques anciennes de celles qui fondent aujourd’hui encore nos horizons démocratiques.

Ce que chacun des sept chapitres met en exergue consiste par conséquent dans la fabrique urbaine du politique, dans les procédures formelles et informelles par lesquelles pouvait se dévoiler, ou s’instituer, une communauté. L’accent mis sur les processus, dans le souci explicite de ne pas essentialiser le format communautaire, cherche ainsi les traces de délibérations, de pétitions, d’élections, d’affiliations dont la communauté procédait, et qu’elle ne précédait pas toujours. Des rues se regroupent librement en chapellenies. Des voisins députent ensemble pour échapper à l’expropriation. Des corporations de métiers viennent spontanément se substituer à d’anciens ressorts territoriaux. Des prisonniers rédigent leurs doléances auprès des juges. Tandis que la démarche prend à rebours une certaine historiographie sur l’organisation incorporée de la société d’Ancien Régime, elle veut aussi s’inspirer du tournant spatial, porté ici par A. Torre pour lequel la ritualisation de l’espace faisait la matérialité même de la communauté. C’est ainsi que la localité entre dans le triptyque du titre, en vue de démontrer que communauté et citoyenneté ne prenaient pas appui sur une abstraction générale mais nécessairement sur la prise en charge d’un espace : la rue est un support naturel de solidarité et de salut (C. Dolan), le quartier est acteur du réaménagement urbain (N. Marqué, J. Puget), il est porteur de cultures politiques singulières (L. Croq), il assure la motricité sociale et municipale de la ville (R. Descimon et M. Demonet), l’univers carcéral fait face à sa nécessaire régulation (S. Abdela).

Au fil des travaux, l’exercice citoyen est testé à l’aune des catégories profes-sionnelles et de leur capacité de représentation – sinon de captation – du collectif. La question est essentielle dans la mesure où les auteurs insistent bien sur la difficile projection d’un collectif, dans l’espace politique, hors de toute incarnation offerte par ses syndics ou dirigeants. Malgré l’horizontalité sociale ou spatiale suggérée par les mots du titre, rien n’est oublié de la verticalité hiérarchique de cette société. La communauté des prisonniers elle-même se soumet à sa représentation coutumière à travers la figure d’un détenu élevé au rang de prévôt (S. Abdela). C’est pourquoi plusieurs contributions développent un effort massif d’identification des individus, réalisé à travers les sources et les contextes (L. Croq, R. Descimon et M. Demonet), afin que le lecteur puisse saisir ce que peut être un magistrat, un auxiliaire de justice, un marchand ou un artisan, pour lui-même, mais plus encore par sa relation à l’espace qu’il représente, et aux autres catégories auxquelles il se confronte. Si l’équilibre entre chacun de ces statuts (qui ne recouvrent pas forcément des groupes sociaux constitués) ne se conçoit pas depuis des conceptions globales de l’ordre commun, auquel ils avaient peu besoin de recourir, il est possible d’en faire des appellations relatives telles que les contemporains les concevaient. L’effort est même poursuivi après

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FRANÇOIS BRIZAY (ÉD.), Identité religieuse et minorités.

De l’Antiquité au XVIIIe siècle,

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, 302 p., ISBN 978-2-7535-6629-3

la Révolution, en vue de pister le devenir de bourgeois parisiens auparavant adeptes du courant réformateur et absolutiste, et d’étudier les réciprocités qui continuent de les relier à l’aide d’une multitude de critères familiaux et professionnels (L. Croq).

Il faut alors concevoir la marge communautaire donnée à l’ensemble des popula-tions comme étant obligatoirement médiatisée, conditionnée par la visibilité – on dirait la sur-représentativité – de ces quelques catégories (R. Descimon et M. Demonet, C. Dolan). C’est un grand apport de ce livre que de souligner ce point qui, en usage comme en droit, distingue la communauté politique d’Ancien Régime de la nôtre. La notabilité est la clé de voûte d’une citoyenneté dont l’exercice est réellement public dès lors qu’il produit de la distinction, de l’exception sociale, loin de tout égalitarisme (R. Descimon). Voici peut-être de quoi clore un vieux débat sur les origines cor-poratives et prérévolutionnaires de la démocratie moderne, initié jadis par D. Bien, et plusieurs fois cité ici. Le livre s’attarde plutôt à creuser d’autres pistes, celles des topographies sociales, des géographies politiques. La temporalité ne manque pas d’intervenir non plus pour dessiner des conjonctures au fil desquelles les catégories se décalent, s’intervertissent, notamment lorsque les membres des cours souveraines semblent se retirer des patriciats et assemblées urbaines une fois consolidée leur identité nobiliaire, au début du XVIIe siècle, afin de laisser la part belle aux hommes de loi et aux marchands. En outre, la concurrence des groupes et des institutions entre eux est bien mise en valeur pour aider à comprendre combien la légitimité politique se suspend à ce jeu d’oppositions, ainsi que le devenir urbanistique des villes soumis aux rivalités des pouvoirs municipaux, parlementaires, administratifs (N. Marqué, J. Puget).

Tableaux et graphiques illustrent régulièrement le propos, en même temps qu’ils ordonnent les matériaux qui, comme une sorte de manifeste, rappellent ici l’exigence quantitative et statistique sur laquelle s’est longtemps fondée l’histoire sociale. Si l’ouvrage bénéficie de son parti pris, il en souffre évidemment dans un panorama très vaste où la communauté d’Ancien Régime dissout aussi ses caractéristiques, ses seuils, ses interdits, ses évolutions, pour ne retenir parfois que sa simple force d’action et d’imposition. L’agency que certaines contributions allouent aux acteurs brouille les aspects structuraux. Cependant l’originalité du propos général demeure, et emporte l’adhésion quant à l’ouverture qu’il crée vers une foule de situations communautaires, inattendues de l’Ancien Régime, et riches de perspectives pour l’historien.

Mathieu MARRAUD

EHESS-CRH

Sur un thème permettant de franchir les périodes académiques, ce volume d’actes de colloque pose la question, très actuelle et très ancienne à la fois, de l’articulation entre identité religieuse et statut de mino-rité. C’est d’ailleurs sur ce dernier que les questions historiographiques sont peut-être les plus complexes, car il n’y a guère d’unité entre les statuts, parfois définis juridiquement mais pas toujours. Dans une introduction dense et stimulante sobrement titrée « Identité religieuse et minorité », François Brizay nous présente les enjeux historiographiques autour de ces deux notions, en s’appuyant sur une bibliographie qui permet de montrer l’importance

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des collaborations au sein des sciences sociales. L’étude des minorités, en lien avec la notion d’identité, a en effet connu un renouvellement puissant depuis les années 1960, au sein, justement, de certains groupes minoritaires états-uniens, et a ensuite connu diverses inflexions, parfois en lien avec le politique et pas toujours de façon heureuse (que l’on songe aux errements des débats sur l’identité natio-nale après 2007). La variété des approches possibles est grande : la minorité peut par exemple être numérique ou politique. Les incidences sont évidentes sur les manifestations potentielles de l’identité du groupe minoritaire, mais aussi des iden-tités individuelles, ce qui permet d’aborder la place de l’individu dans les socié-tés antiques, médiévales et d’Ancien Régime. Pour la période moderne, la notion juridique de « minorité » n’existe pas, et l’auteur rapporte la notion à des « commu-nautés », même s’il aurait peut-être été intéressant d’introduire également le terme de « corps ». L’auteur rappelle avec justesse que l’identité des minorités est aussi for-gée par le regard de l’autre, et que des typologies peuvent être établies pour étudier la diversité des cas d’apparition des minorités (invasion, schismes internes, migra-tion), la position des majorités peut largement varier (de l’exclusion à l’acceptation, avec de nombreuses variations), ou encore les réponses des minorités (affirmations identitaires, replis sectaires, intégration, prosélytisme, contestation, etc.).

Les contributions proposent des études de cas aux échelles variables (c’est un point fort de ce volume), même si l’unité en est parfois difficile à percevoir (mais c’est inhérent à la nature même des actes de colloque). Si l’histoire contemporaine est volontairement hors du champ chronologique fixé par l’ouvrage, l’histoire moderne n’est malheureusement pas non plus présente dans chacune des trois grandes parties qui articulent le propos. Ainsi, la première partie porte sur la construction et l’affirma-tion des identités religieuses, et vise à analyser la spécificité de l’identité religieuse des minorités, qui se définissent souvent elles-mêmes selon d’autres critères. Assurément, l’histoire moderne aurait eu quelque chose à dire. Ce bémol est compensé par la qualité des contributions de modernistes dans les deuxième et troisième parties de l’ouvrage. Il est d’abord question de la perception des minorités religieuses par l’autre, avec une diversité appréciable d’échelles et de focales montrant que cet autre est lui-même divers. A.E.H. Ben Mansour analyse ainsi le témoignage rare du Flamand Jean-Baptiste Gramaye. Ce protonotaire apostolique, captif de corsaires à Alger de mai à octobre 1619, décrit avec précision la présence de minorités européennes (au pluriel). Revenu en Europe, il apparaît comme un spécialiste de la « Barbarie » (alors qu’il a été en résidence surveillée !) et milite pour une union des Européens face au danger barbaresque, tout en montrant que les appels à la guerre et à la violence n’empêchent pas le commerce, ce qui invite le lecteur à penser ces questions de minorité dans une dimension plus large que la seule perspective confessionnelle ou religieuse. Dans le cas abordé par A. Brogini des hospitaliers qui protègent les catholiques de rite grec à Malte, au sein d’une société pourtant cosmopolite, la minorité finit par se fondre dans la majorité, signe peut-être que les marqueurs identitaires ont été abandonnés, ou n’étaient pas suffisamment clairs pour que leur maintien se justifiât. F. Brizay, enfin, nous offre une leçon de méthode sur les apports potentiels des sources diplo-matiques et consulaires, en nous montrant ce qu’elles nous disent des chrétiens du Levant au XVIIIe siècle, mais il décortique aussi les mécanismes de la protection par le roi de France, et réfléchit à la fois sur les statuts, les pratiques et les tensions internes. La troisième et dernière partie du volume porte sur les stratégies adoptées par les groupes minoritaires pour vivre leur différence, notamment autour des notions

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MYRIAM YARDENI, Minorités et mentalités religieuses en Europe

moderne. L’exemple des huguenots,

éd. Michael Green, Paris, Honoré Champion, 2018, 334 p., ISBN 978-2-7453-4862-3

de visibilité et d’invisibilité. Trois contributions de modernistes portent sur un thème similaire (l’histoire du protestantisme français), mais avec des stratégies très différentes selon les moments scrutés et le regard porté, ce qui permet des compa-raisons très intéressantes. L. Daireaux, à propos des lieux de culte des réformés français des XVIe et XVIIe siècles, commence par rappeler qu’« à l’époque moderne, les réformés français ne se vivent absolument pas comme une minorité » (p. 235, note 1), mais l’analyse de leur condition juridique montre comment le pouvoir les perçoit et choisit aussi des symboles qui les rendent visibles : de ce fait, les décisions (juridiques) de destruction des temples soutiennent la volonté (politique) de cacher le protestantisme. C. Bernat, pour sa part, propose une analyse de sermons pour montrer que les années 1680, autour de la révocation de l’édit de Nantes, marquent une bascule dans la façon qu’ont les réformés (en tout cas leurs pasteurs) de se définir eux-mêmes, avec une valorisation du « résidu », en rupture (relative) avec l’idée que le grand nombre est une des marques de l’Église : s’appuyant sur les passages bibliques qui rapportent le récit d’une minorité persécutée, le « petit troupeau » est ce qui reste d’une oppression qui a éliminé les plus faibles ou les plus tièdes. Enfin, D. Boisson se penche sur le nicodémisme au temps de la révocation, une façon de rester réformé de cœur en étant catholique de façade. Il s’agit d’une catégorie de réaction que l’on trouve à côté de la conversion sincère, de l’opiniâtreté et de l’exil. Si la plupart des pasteurs refusent d’employer le terme de « nicodémites », mal adapté (Nicodème ayant réellement agi pour le Christ dans l’Évangile selon Jean), des comparaisons potentielles seraient à lancer avec des pratiques de marranisme, car il s’agit de tromper les autorités catholiques avec des stratégies qui, elles aussi, en disent beaucoup sur la façon de se sentir minoritaire. Comme le souligne l’auteur, le nicodémisme constitue un défi méthodologique pour l’historien, souvent désarmé au moment de sonder les cœurs.

On le voit à travers ces quelques exemples tirés des contributions de modernistes, il s’agit d’un volume riche, parfois foisonnant. Il permet de réelles comparaisons, « changements d’échelles » ou « pas de côté » (sans uniquement vouloir sacrifier à des effets de mode), en gardant à l’esprit que la religion n’est que rarement le seul mar-queur identitaire des minorités, mais qu’elle peut servir de prétexte aux réactions de la majorité (ou d’autres minorités). Voilà qui donnera du grain à moudre pour des réflexions plus actuelles.

Julien LÉONARD

Université de Lorraine

L’historienne israélienne Myriam Yardeni, disparue en 2015, a exercé une influence considérable dans son pays, mais aussi (et peut-être surtout ?) en France et en Allemagne, à la croisée de plusieurs champs historiographiques dans lesquels elle a fait œuvre de pionnière, tout en étant souvent perçue comme une marginale : histoire religieuse, histoire sociale, histoire des idées politiques, et les croisements infinis entre eux. Afin de lui rendre hommage, M. Green a donc eu la bonne idée de rassembler certains de ses articles disséminés. Car même s’il s’agit du qua-trième recueil de ses écrits dans le monde éditorial francophone (et le troisième

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dans cette collection), son œuvre est suffisamment monumentale (qu’on se penche sur son impressionnante bibliographie p.  281-293) pour que soient proposées ici vingt contributions qui étaient encore dispersées. Elles résonnent avec les problé-matiques qu’elle affectionnait particulièrement, comme la pensée politique des huguenots, le lien des réformés francophones de l’époque moderne avec les juifs, la question des persécutions, celle de l’intégration/assimilation dans le Refuge (notamment dans ses aspects linguistiques et culturels), la vie d’une minorité ou encore les contours d’une identité (collective et individuelle). Ces sujets sont traités avec la marque si caractéristique de M. Yardeni, qui était capable comme peu de ses collègues de mêler érudition de l’histoire intellectuelle et connaissance archi-vistique de l’histoire sociale.

Ces vingt articles, pour l’occasion titrés « chapitres » sans que le propos d’ensemble soit toujours parfaitement cohérent (mais c’est inhérent aux recueils d’articles), sont proposés dans l’ordre chronologique. J’épargnerai au lecteur le déroulé fastidieux des différentes contributions mais je voudrais souligner quelques points forts. Le premier tient à l’un des cœurs des recherches de M. Yardeni : l’importance accor-dée à l’historiographie et à la construction de l’histoire huguenote, mais aussi à la place fondamentale de cette dernière dans l’identité réformée francophone et dans l’élaboration des idées politiques, que ce soit à l’époque des guerres de Religion ou à celle du Refuge. Autre apport important de ces articles : leur spectre chronolo-gique très large, qui permet de constater à quel point l’autrice était une moderniste complète, mais aussi et surtout de percevoir des évolutions historiques majeures. Pourtant, certains moments sont plus particulièrement scrutés et mis à l’honneur dans ce volume, comme l’action de Théodore de Bèze dans la seconde moitié du

XVIe siècle, ou les années qui entourent la révocation de l’édit de Nantes. Prendre les années 1680 au sens large comme période d’analyse est une position très intéres-sante que tous les historiens du protestantisme n’adoptent pas toujours, alors même qu’on en voit les grands fruits, afin de bien percevoir les ruptures et les continuités entre le protestantisme français quand il est implanté dans le royaume et quand il est réimplanté et adapté dans le Refuge.

Qu’il me soit aussi permis de formuler quelques regrets. Le premier tient à la variété linguistique entre français et anglais. Certes, M. Yardeni a beaucoup écrit en anglais, et reprendre certains de ses articles dans cette langue était hautement pertinent : mais n’aurait-il dans ce cas pas été plus utile encore de les faire traduire en français ? Le fait qu’ils soient précédés d’un résumé français alors que les articles en français n’ont pas de résumé anglais montre bien que le public visé est avant tout francophone. Pour les chercheurs, avoir accès à ces travaux est toutefois déjà une très bonne chose, reconnaissons-le, même si l’on aurait aussi aimé (mais à la condition impérative de traduire) pouvoir lire ses recherches restées inédites et/ou en hébreu : elles sont citées dans la partie finale faisant la liste de ses travaux, et cela laisse rêveur. Certains choix d’articles sont curieux, comme le synopsis de son livre (paru en 2008 chez Honoré Champion) sur Huguenots et juifs, ou encore un de ses derniers articles sur le Traité du pouvoir absolu des souverains d’É. Merlat, qui est en ligne gratuitement. Enfin, les références bibliographiques ne sont pas mises à jour : cela aurait été certes un travail titanesque pour les articles les plus anciens, mais l’éditeur du volume a pu rajouter quelques rares titres (par exemple p. 206 pour signaler son ouvrage sur J. Rou). Que ces reproches, finalement bien superficiels, n’empêchent pas de conclure sur l’essentiel. Ce volume rappellera à ceux qui le liront à quel point

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ALEXANDRE LAPIERRE, Chypre : les espoirs du rapprochement

communautaire,

Paris, Presses de l’Inalco, 2018, 314 p., ISBN 978-2-85831-281-8

M. Yardeni a été une historienne et une femme marquante, et a influencé un grand nombre de ses collègues qui l’ont rencontrée, ou même qui l’ont simplement lue. Si parmi les plus jeunes certains la découvrent avec ces articles, l’entreprise éditoriale aura pleinement réussi, car c’est le plus bel hommage que l’on puisse lui rendre que de continuer à lire (et à discuter) ses travaux.

Julien LÉONARD

Université de Lorraine

Alexandre Lapierre est un jeune docteur en Langues et civilisations. Son ouvrage analyse les relations entre les communautés chypriotes grecques et les Chypriotes turcs dans la société civile à Chypre, de 1974 jusqu’à aujourd’hui. Par « société civile », l’auteur entend les mouve-ments politiques, les associations et leurs membres, leurs actions, leurs réussites et leurs difficultés face à des nationalismes vigoureux dans une île coupée en deux. Parallèlement, il souligne le contexte des années de négociations infructueuses sous l’égide des Nations unies et met l’accent sur le poids du passé ainsi que sur l’influence pesante des mères patries. Enfin, il prend en compte le contexte et le temps car les jeunes générations d’aujourd’hui n’ont pas connu les affrontements de 1963, ni l’« invasion turque » de 1974. Si, à la lecture de l’ouvrage, une cohérence apparaît et s’organise de manière mélodieuse, l’annonce des bornes chronolo-giques semble un peu périlleuse. Le plan de l’ouvrage est en effet présenté de deux manières différentes selon la préface et la table des matières. Sur un sujet assez complexe et loin d’être connu de tous, une numérotation claire aurait pu rendre ce bel ouvrage un peu plus harmonieux. Le sujet abordé par A. Lapierre couvre une période relativement longue et pose plusieurs difficultés, notamment son ancrage temporel, marqué par un contexte international très intense et par des angles d’ap-proche multidimensionnels de la question chypriote. L’apd’ap-proche pluridisciplinaire du chercheur porte en partie sur l’histoire immédiate, c’est-à-dire les développe-ments politiques récents pour lesquels le manque de recul et d’archives ne permet pas une réflexion suffisamment profonde. La préface signée par F. Pejoska donne à l’ouvrage un regard audacieux. La comparaison apportée par l’exemple yougoslave anime l’analyse d’A. Lapierre. Cette vision offre une ouverture sur le thème de la division politique, sociale et territoriale dans le monde. L’ouvrage se développe en trois parties qui semblent correspondre à leur titre respectif : « Les ruptures et blocages de 1974-2003 » ; « Les militants du rapprochement, efforts et difficultés, 1974-2003 » et, enfin, « Après 2003, vers une Nouvelle Chypre ».

La promenade historique que l’auteur nous propose dans la première partie de son ouvrage n’est pas à la portée des lecteurs non spécialistes de la question chy-priote. Les mouvements de va-et-vient historiques et le flot d’informations peuvent perturber. L’originalité du travail réside dans l’approche littéraire sur laquelle il fonde son analyse. L’auteur part du constat que les poèmes constituent « un élément de construction identitaire », et souligne l’importance de la poésie, une expression plus libre que celle de la parole dite politique. Ce qui est intéressant dans cette étude est l’importance vouée aux difficultés de s’accorder sur des termes qui ne revêtent pas la même signification selon les interlocuteurs. Les notions fondamentales telles

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STÉPHANE HAFFEMAYER, Les Lumières radicales de la Révolution anglaise.

Samuel Hartlib et les réseaux de l’intelligence, 1600-1660,

Paris, Classiques Garnier, 2018, 640 p., ISBN 978-2-406-08776-2

que la paix, la citoyenneté et la liberté sont différentes pour chacun. Les sentiments nationalistes, la victimisation et le manque de confiance mutuelle sont des points de blocage que les négociateurs n’ont pas su prendre en considération car certains intérêts passent malheureusement au-dessus de tout.

La seconde partie présente l’action militante de la société civile à Chypre. La partition crée « une polarisation renforcée des identités nationales » (p. 99). Comme le souligne l’auteur, « l’identité nationale est un enjeu fort pour le pouvoir politique de part et d’autre de la ligne verte ». Ce qui est étonnant dans le travail d’A. Lapierre est la synthèse historique qu’il établit en énumérant la modification de la structure démographique, l’« autisme ethnique » (p. 169), le rôle de la notion de chypriotisme au sein des deux communautés et le rôle majeur de la société civile et des femmes en un seul chapitre. Nous retiendrons que les femmes se disent « unies dans la diversité ». Un clin d’œil de l’auteur à la future aventure européenne de Chypre aurait été le bienvenu.

La troisième partie, consacrée à l’étude des différents facteurs de rapprochement, met en lumière les années 2003-2004, le tournant et les changements qui se produisent dans la société à Chypre de 2015 jusqu’à nos jours. « L’ouverture du check point de la rue Ledra fut un réel choc, une ouverture physique et symbolique » (p. 182), et encourage l’évolution des mentalités des habitants de Chypre. Le portrait des deux militants chypriotes turcs donne au travail une bouffée d’oxygène. Si la nouvelle génération est porteuse d’espoir, force est de reconnaître que les statistiques des sondages réalisés en 2015 montrent un sentiment qui reste assez mitigé. A. Lapierre souligne le manque de confiance des communautés l’une envers l’autre et un système politique qui nuit au processus de rapprochement. Peut-on alors toujours parler de rapprochement ? Le désir de vivre ensemble n’est pas l’objectif de tous. Le concept du vivre « ensemble séparément » d’A.-L. Sanguin pourrait parfaitement convenir à l’univers paradoxal de Chypre et de ses habitants. Le livre s’achève sur les pensées du poète Mehmet YasŹin qui insiste sur la nécessité d’instaurer une Chypre multicul-turelle ou multicommunautaire plutôt que bicommunautaire, fondée sur l’amour de l’humain et du territoire. L’identité malmenée des habitants de Chypre fait prendre conscience des différences de perceptions en Europe et dans le monde.

Louisa MOUSSOUNI

Université de Chypre

Arrivé presque au terme de son étude, Stéphane Haffemayer observe qu’après la restauration monarchique de 1660, Samuel Hartlib a persisté dans « son rôle de père Mersenne de l’Europe savante ». L’analogie n’est pas fortuite, tant l’historiographie a insisté sur les rôles de circulateurs qu’ont occupés de grands épistoliers (du reste liés) comme Hartlib et Mersenne, le premier se décrivant comme « conduit-pipe » lorsque le second fut dépeint peu après sa mort comme « cœur de la République des Lettres ». Pourtant, le lecteur qui referme l’ouvrage ne peut que constater à quel point les activités d’Hartlib sont originales et engagées, plus politiques et radicales que ne le fut la vie du minime de la Place royale. Le titre et le propos du livre opèrent un décalage surtout géographique et, dans une moindre mesure, chronologique,

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du récit des « Lumières radicales » dû à J. Israel. Sans disputer au spinozisme un rôle matriciel dans le développement de pensées émancipatrices et rationalistes, S.  Haffemayer affirme que Samuel Hartlib et la nébuleuse qui l’entourait ont fourbi les armes intellectuelles du refus des absolutismes politiques et religieux, contre lesquels ils promouvaient une réforme tous azimuts – de la vie spirituelle, de la diplomatie, de la société, de l’économie, de la connaissance et de l’éducation, etc.

Le personnage n’est guère connu en France, alors que son rôle intellectuel dans les coulisses du pouvoir est sans doute inégalé pour la période. Samuel Hartlib est né vers 1600 en Pologne au sein d’une famille anglo-allemande. Après des études en Silésie, il poursuit sa formation à Cambridge avant de s’installer définitivement à Londres à partir de 1628. L’ouvrage ne constitue pas une biographie du personnage, laquelle est efficacement expédiée en quelques pages dans l’introduction tant la vie de Hartlib, consacrée à l’étude et à l’activité épistolaire, ne paraît pas présenter de ressorts romanesques. À première vue, l’homme ne paraît pas avoir une œuvre édi-tée conséquente, mais ses petites brochures de circonstance ne doivent pas éclipser les dizaines d’écrits dans lesquels sa main a trempé. Le projet de S. Haffemayer est de faire le portrait de Hartlib en intelligencer, terme qui peut désigner chez les contemporains à la fois l’épistolier érudit, l’espion, l’informateur ou le nouvelliste, mais dont la sphère d’action est de plus en plus reconnue comme publique. Autour de lui gravite un essaim qu’il fait travailler et coordonne dans des contextes très divers. C’est aussi cette ruche – la métaphore baconienne du commonwealth of bees est reprise à son compte par Hartlib – que reconstruit patiemment l’auteur. Pour ce faire, S. Haffemayer fouille et exploite à la mesure de leurs potentialités les abyssales archives Hartlib (20 000 feuillets manuscrits), conservées à Sheffield et désormais sur Internet dans le cadre d’un projet piloté par M. Greengrass, qui signe la pré-face. Ces archives (épistolaires pour la plupart) n’étaient pas inconnues et avaient déjà été étudiées dans le cadre de travaux majeurs, comme l’étude monumentale de C. Webster, The Great Instauration (1975), abondamment citée par S. Haffemayer. Ce dernier, ciblant spécifiquement les pratiques et les objectifs de la nébuleuse Hartlib, fait toutefois œuvre originale.

L’ouvrage se divise en quatre parties de longueurs très inégales. La première n’est pas la plus neuve au plan des études hartlibiennes mais offre une rare synthèse (unique en langue française) sur les fondements idéologiques des activités multiples de l’épistolier, tout en intégrant des exemples méconnus de l’historiographie. Le terme de hartlibisme serait sans doute aussi inopportun que disgracieux pour dési-gner ses contours, tant la pensée de Samuel Hartlib, en cela assez emblématique de sa génération, est au carrefour des millénarismes puritains, du baconisme, des utopies éducatives d’un Comenius, de l’irénisme d’un J. Dury, toutes ces influences se renforçant mutuellement. Dans la vision d’Hartlib et de ses proches, la réforme des savoirs et de l’éducation, appuyée sur une nouvelle façon – empirique – de cultiver la philosophie naturelle, doit permettre l’édification du chrétien, l’union des Églises protestantes et établir les conditions propices à la venue du Millénium.

La seconde partie saisit l’action de Samuel Hartlib lors de la phase personnelle du règne de Charles Ier et analyse la « diplomatie parallèle » qu’il met en œuvre. Il est en Angleterre le relais des projets iréniques de son ami le théologien écossais John Dury (1596-1680), le porte-parole de la cause des protestants du Palatinat, l’infatigable promoteur enfin d’une solidarité politique des États protestants portée par exemple par le diplomate Thomas Roe. En un temps d’indécision et de pusillanimité de la

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diplomatie anglaise, il tente de rallier des soutiens parmi les anciens parlementaires et les évêques et organise un véritable secrétariat levant des fonds, centralisant et disséminant les informations. S. Haffemayer, bien servi par ses travaux antérieurs, excelle à reconstruire l’activité de newsmonger et d’intelligencer de Hartlib qui sert d’interface entre un réseau de correspondants sur le continent l’approvisionnant en « nouvelles à la main » et une liste d’abonnés, comptant de nombreux évêques anti-arminiens et des parlementaires auxquels il promettait sa discrétion. On comprend mieux pourquoi Hartlib refuse en 1652 un poste à la bibliothèque de l’université d’Oxford pour rester au plus près des nœuds de l’information, à Londres. Dans un contexte d’antipapisme et d’attente millénariste exacerbés, la fin des années 1630 et le début des années 1640 voient Samuel Hartlib devenir l’allié indispensable de la cause parlementaire. Protégé de John Pym, il est sollicité par le Parlement pour faire venir en Angleterre Comenius et Dury et inspire des initiatives parlementaires (contre les monopoles économiques par exemple).

La troisième partie aborde les activités de Samuel Hartlib au temps des deux premières guerres civiles, alors qu’il épouse avec enthousiasme la cause du Par-lement. À l’image d’une partie de l’opinion parlementaire, les manifestations de la duplicité et de la mauvaise volonté royales l’amènent à glisser du loyalisme à la rupture et à la justification du régicide, non sans crainte. La « commotion universelle des nations du monde » que croit déceler J. Dury dans le fracas des évènements est le signe d’une crise globale autant qu’un augure et qu’une opportunité. Hartlib, de fait, a reçu du Parlement de multiples encouragements et promesses de soutien qui tardent à se concrétiser. Forts de ces intentions proclamées, Hartlib et Dury croient pouvoir réaliser l’utopie baconienne d’une centralisation des savoirs et des ressources techniques. Ce n’est pas tant la maison de Salomon qu’Hartlib prétend bâtir qu’une version anglaise du bureau d’adresses de Renaudot pour laquelle il obtient en 1647 le soutien parlementaire. L’office of address hartlibien devait avoir une double mission, reflétée dans sa structure : assurer l’accès aux connaissances (au moyen de catalogues et de catalogues de catalogues) et faire circuler les nouvelles et les annonces (grâce à des registres quotidiens), permettant autant de remédier à la pauvreté que d’assurer une forme de contrôle social. Le Parlement, méfiant à l’égard de la dimension monopolistique du projet et sans doute échaudé par la piètre réputation de son avatar continental, retire finalement son soutien. Mais Hartlib n’est pas qu’un homme à projet. Il est impliqué avec Dury, non sans différends avec lui, dans les débats sur l’organisation ecclésiastique que l’Angleterre doit adopter après l’alliance avec les covenantaires écossais.

La quatrième partie, la plus longue, se penche sur le Commonwealth et le pro-tectorat, dont S. Hartlib aurait pu constituer l’intellectuel organique. Aux liens de patronage avec les leaders parlementaires (Pym, Oliver St John) succède une relation moins claire avec Cromwell, qu’Hartlib rencontre en 1647, qu’il n’aura de cesse de défendre lors de moments cruciaux, et auprès duquel il a ses entrées. Pour l’auteur, l’intelligencer est l’un des conseillers occasionnels d’un pouvoir cromwellien moins personnel que collégial et qui prise l’expertise hartlibienne dans certains domaines. Hartlib est ainsi impliqué, avec Dury, dans le projet pour installer un collège à Durham, ou mobilisé pour préparer le retour des juifs en Angleterre. Sa maîtrise des réseaux de l’information et ses liens nombreux avec le continent sont mis au service des périodiques du pouvoir mais aussi du maître-espion du Protectorat, John Thurloe. L’insertion de Hartlib dans les rouages du pouvoir parlementaire se mesure aussi à

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ALEXANDRA MERLE, STÉPHANE JETTOT, MANUEL HERRERO SÁNCHEZ (ÉD.), La Mémoire des révoltes en Europe

à l’époque moderne,

Paris, Classiques Garnier, 2018, 462 p., ISBN 978-2-406-08252-1

sa participation plus ou moins directe à certains comités gouvernementaux, pour lesquels il servait d’informateur. Comme au temps du règne personnel de Charles Ier, Hartlib mène également une diplomatie parallèle, œuvrant en coulisses à une alliance avec le Brandebourg qui se heurte toutefois au pragmatisme cromwellien. Enfin, le contexte favorable du Protectorat donne un second souffle aux projets d’improvement et aux initiatives de réforme économique, sociale et scientifique que S. Haffemayer ne peut traiter de façon exhaustive, tant ils sont prolifiques.

Pourtant, l’ouvrage s’achève sur le constat d’un désenchantement des intellectuels à la veille de la Restauration. Hartlib, qui n’a jamais été naturalisé anglais, a vécu jusqu’à sa mort dans une grande précarité financière sans voir son rôle s’officialiser (et sans le vouloir). Nombre des projets sur lesquels il a œuvré sont restés des chimères et il avait pourtant la certitude de vivre un temps d’exceptionnelles opportunités. Parler d’échec ne rend toutefois pas justice à la pensée et aux entreprises d’Hartlib, dont l’héritage indirect et diffus se mesure par exemple à la création de la Société Royale. L’ouvrage contribue à réparer cet oubli de façon remarquable. Il est peuplé de plusieurs dizaines de protagonistes et la reconstruction de la ruche Hartlib met donc à l’épreuve la mémoire du lecteur. L’alternance entre le récit évènementiel précisément situé et de vastes perspectives interprétatives témoigne de la hauteur de vue et la capacité à faire dialoguer Hartlib et son époque. Les passages sur la mobilisation de l’imprimé et des gravures au service de la cause antipapiste (au sujet de la révolte irlandaise de 1641 ou du massacre des Vaudois en 1655) sont tout à fait éloquents. L’implication de Hartlib dans cette « iconographie de l’atrocité » qui bat en brèche l’association trop rapide entre espace public, imprimé et rationalité n’est pas toujours évidente à saisir, mais ces pages servent bien, en définitive, le propos de l’ouvrage. Son objet n’est pas tant Samuel Hartlib que la culture politique dans laquelle il baigne et qui accouche de Lumières radicales et insulaires.

Aurélien RUELLET

Le Mans Université

Issu des actes d’un colloque tenu à la Casa de Velázquez et inscrit dans les recherches collectives portant sur la « culture des révoltes et des révolutions dans l’Europe moderne » sous la direction d’A. Hugon (programme ANR CURR), ce volume explore les phénomènes mémoriels liés aux révoltes du XVe au XVIIIe siècle. Le choix de l’échelle européenne permet de s’extraire du cadre monographique qui prévaut encore largement dans ce champ, pour offrir une palette de cas variés que la problématique d’ensemble permet de mettre en regard, au-delà de leur irréductible singularité. Prenant acte de la réha-bilitation, déjà ancienne, de l’événement en histoire, de la vitalité des recherches consacrées aux dynamiques mémorielles et de la dimension communicationnelle des conflits, les auteurs proposent une vision plurielle de ces phénomènes contestataires, de leur mise en mémoire, de leurs usages et de leur impact, en faisant la part belle à la diversité des acteurs et des matériaux documentaires. Quatre parties structurent avec clarté l’ouvrage, donnant la possibilité à chacun de choisir son propre parcours de lecture à l’aide d’une bibliographie, d’un index

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des noms propres et d’une utile table de résumés des contributions. Le premier volet traite de la mise en mémoire des révoltes dans les écrits historiographiques et la production éditoriale politique de l’époque moderne. Le second examine les rapports entre mémoire publique et mémoire privée des épisodes insurrectionnels. Un troisième pan s’intéresse à l’oralité comme moteur de la transmission et de la réactualisation des révoltes dans le temps long. Enfin, un quatrième ensemble interroge la mémoire de la révolte dans l’action politique et permet ainsi d’en saisir la présence dans le quotidien d’acteurs grands et moins grands, pour lesquels cer-tains épisodes traumatiques ont constitué, sans mécanicisme, des principes, voire une ligne de conduite.

L’ouvrage s’ouvre sur l’étude de la mise en récit, assimilée à une mise en mémoire, des révoltes dans la production historiographique et politique sur un temps long, passage incontournable et déjà bien balisé par la recherche. Le XVIe siècle espagnol a la part belle avec trois études de cas consacrées aux révoltes des germanías valen-ciennes (A.-L. Richard), des comuneros de Castille (Alexandra Merle) et de l’Aragon de 1591 (J. Gascón Pérez). Une étude consacrée à la conjuration des Pazzi à Florence (M. Bertholet) et une sur le soulèvement des Pays-Bas (E. Leroy) complètent l’ensemble. De l’analyse des chroniques officielles ou émanant d’acteurs divers et de traités politiques, il ressort que les manipulations scripturaires sont multiples : opérations de dépolitisation et d’occultation, de sélection et de ré-ordonnancement des faits, associées aux commentaires d’auteurs servant divers intérêts politiques (réconciliation, défense d’une politique bien comprise du valido, exaltation de la clémence royale ou des libertés). La mise en mémoire des révoltes est en partie une mise en oubli surtout dans les premiers temps. Le choix d’un arc temporel ample montre que ces écrits dépendent de leur contexte de parution et du jeu politique dans lequel ils s’inscrivent avec les contraintes idéologiques et formelles qui en découlent. Ce sont des trajectoires de mémoires accidentées et non linéaires que l’on fait ressurgir. Longtemps présentée comme une vendetta, la conjuration des Pazzi devient ainsi un moyen pour Voltaire de dénoncer l’ingérence de la papauté dans le temporel, et pour Sismondi d’exalter le tyrannicide, transmuant dans les imaginaires le symptôme d’un univers de violence apolitique et condamnable en mémoire patriotique où les conjurés défendent les libertés.

Le deuxième ensemble réunit de beaux cas d’étude consacrés aux traces mémorielles laissées par les familles, les acteurs de l’ordinaire et les communautés locales. Archives du for privé, égo-documents, livres de raison, généalogies mais aussi archives comptables sont analysées en partant des logiques internes à la docu-mentation sécrétée par les révoltes pour en revisiter la formalisation par le biais des modalités de fixation et de transmission de ces événements paroxystiques. L. Casella déconstruit les opérations de « dé-naturalisation » induites par le travail de publication des sources de la révolte d’Udine de 1511, que l’érudition des XIXe et XXe siècles a coulé dans le moule d’une histoire patriotique alors même qu’il s’agissait principa-lement de livres de famille rédigés par des victimes de cette séquence sanglante. Il s’agit donc de retrouver le sens et la portée mémorielle de cette documentation où s’entremêlent individu et parentèle, appartenance sociale et positionnement poli-tique autour de la défense de la réputation d’une maison patricienne au service de la « patrie ». Les deux autres contributions traitent de la première révolution anglaise. L’article d’A. Hughes exploite les registres comptables élaborés, à la demande des autorités, par les populations victimes des destructions et des exactions de la guerre

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civile anglaise dans les années 1640. Ce matériau, très riche par l’éclairage oblique qu’il offre sur la mémoire de la perte, permet de restituer les processus individuels et collectifs de (re)mémoration et de mise à distance à travers l’évocation de la vie quotidienne, concrète et matérielle de la guerre civile. Ce faisant, l’autrice capte une expérience traumatique dans son travail d’objectivation et de réarticulation des temps. À partir du matériau généalogique élaboré par les élites anglaises, Stéphane Jettot examine la transformation des pratiques archivistiques et des mémoires familiales des années 1640 ainsi que de leurs usages de 1660 à 1740. Il distingue des seuils générationnels associés à des configurations sociopolitiques spécifiques expliquant comment l’on passe de la dissimulation à la commercialisation dans des compilations de dictionnaires généalogiques autorisant la circulation de mémoires plurielles.

Un troisième volet se consacre à la transmission orale des révoltes et à l’effet subversif de la réactivation de leur mémoire au sein de nouveaux épisodes conflic-tuels. Cette focale suppose de restituer le point de vue de communautés rebelles porteuses d’une mémoire empêchée, de brasser des sources diverses afin de saisir un phénomène volatile qu’on n’appréhende que par un filtre déformant, et de préférer les synthèses aux études monographiques. Par ailleurs, la place qu’occupent le corps et la voix dans ces phénomènes ainsi que leur ancrage local, qui confère aux lieux et aux noms une importance cruciale, invitent le chercheur à un traitement pluri-disciplinaire. V. Challet traite du souvenir en pointillé des révoltes paysannes dans l’Occident médiéval, dont la fréquence explique l’existence d’une mémoire alternative insurgée et identitaire, sans cesse augmentée dans ses activations successives en dépit de la damnatio memoriae orchestrée par les autorités. J. Dumoulin et J. Haemers examinent les politiques mémorielles des conflits des villes des Pays-Bas de la fin du Moyen Âge en se centrant sur les noms que les vainqueurs comme les vaincus attribuent à ces épisodes, à leurs protagonistes ainsi qu’aux espaces où ils prirent place. E. Guillorel, quant à elle, s’intéresse à la musique et au chant, aux prophéties et aux récits légendaires pour souligner les échos et les réemplois qui tissent une tradition orale porteuse d’une mémoire sociale subversive susceptible de formater et de propulser de nouveaux épisodes de révolte. Enfin, J.L. Egío traite davantage de l’usage de l’histoire et des révoltes antérieures dans certains écrits circulant pendant le soulèvement des malcontents lors des guerres de Religion en France.

La dernière partie analyse l’articulation entre le souvenir des révoltes, dont certains se transforment en événements-charnières, en général repoussoirs, et l’action politique. Il peut s’agir de discréditer un adversaire ou de promouvoir une ligne d’action (défense des libertés locales, défense de l’ordre par la criminalisation des « rebelles », etc.) peu après les faits ou sur le long terme, dans un même lieu ou à distance. Du marqueur que constitue la révolte des Flandres dans la monarchie polycentrique espagnole (A. Rodriguez et Manuel Herrero), au « spectre » de la révolte dite de Massaniello conditionnant l’appréhension des protestations populaires napolitaines postérieures (D. Cecere), en passant par les traitements mémoriels dif-férenciés des conspirations, qu’orchestrent les autorités génoises (D. Pizzorno) ou encore l’instrumentalisation des révolutions anglaises dans les luttes politiques du

XVIIIe siècle (U. Niggemann), les exemples sont variés. Mis ensemble, ils apportent d’intéressants compléments, notamment à travers la notion d’expérience qui permet d’introduire dans le jeu les « passions » politiques que sont la rancœur, la méfiance ou la peur, à l’abri de tout subjectivisme, ou en montrant l’usage international auquel se prête la manipulation, toute réversible, de la mémoire des révoltes.

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PIERRE SERNA, Comme des bêtes. Histoire politique de l’animal

en Révolution, 1750-1840,

Paris, Fayard, 2017, 444 p., ISBN 978-2-213-68254-9

En somme, cet ouvrage apporte une importante contribution à l’étude du processus complexe de mise en mémoire des révoltes en mêlant avec bonheur les analyses de cas et les réflexions générales qui les font dialoguer. Le choix de l’échelle européenne et le souci d’ouvrir la documentation aux sources non narratives des révoltes permettent de montrer la pluralité, les incessants antagonismes et la ductilité de mémoires qui cohabitent ou coexistent avec des conséquences profondes dans la structuration du corps sociopolitique. Ainsi, certaines contributions donnent la possibilité d’appréhender ce que serait une « culture mémorielle », comment s’articulent différentes temporalités dans le présent ou encore quelles inflexions des pratiques archivistiques sont induites par les crises politiques, autant de pistes stimulantes proposées au lecteur.

Héloïse HERMANT

Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine (CMMC-EA 1193) Université Côte d’Azur-IUF

Dans L’Animal en République, 1789-1802 (Toulouse 2016), Pierre Serna nous avait déjà alertés sur l’intérêt et la pertinence de l’histoire des animaux à l’époque révolutionnaire. À présent, dans Comme des bêtes, il étend sa vision pour fournir un travail fascinant et pas-sionné qui examine les relations entre les humains et les animaux dans la période allant approximativement de 1750 à 1840, période durant laquelle il soutient que jamais « l’histoire des hommes n’a été autant mêlée à celle des animaux » (p.  12). L’investigation de P. Serna est formée par une étude antérieure ayant utilisé le prisme des droits de la Nature pour explorer comment la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 a affecté le destin des classes populaires, des femmes et des personnes de couleur. Comme des bêtes plaide en faveur de l’exten-sion de ces problématiques aux animaux. Il nous offre « une histoire politique des rapports entre les hommes et les animaux » (p. 13) qui, tout en évitant la tendance à anthropomorphiser ou à essentialiser les animaux, tente à la fois d’analyser l’impact de la Révolution sur les animaux et d’explorer comment celle-ci a trans-formé leur destin. L’un des aspects frappants du livre est la porosité qui, comme le montre l’auteur, a existé entre les différentes catégories d’animaux et d’humains et qui est apparente dans de très nombreux débats, tout au long de cette période. L’ouvrage est extrêmement vaste et utilise un nombre novateur d’approches. L’argumentation se déroule à travers l’examen d’études de cas souvent très différentes les unes des autres.

Dans la première partie, « Surveiller les animaux et policer les citoyens », P. Serna met en lumière l’omniprésence des animaux, morts ou vivants, dans la ville de Paris à la fin du XVIIIe siècle et les mesures mises en place pour garder cet électron libre sous contrôle, dans un effort pour limiter les espaces dans lesquels les animaux pouvaient circuler et pour améliorer la santé publique. Dans la deuxième partie, « L’invention de l’animal républicain, ou la naissance du Muséum d’histoire naturelle », il voit la création du musée dans l’ancien jardin du roi à Paris, qui était un centre de formation et de recherche scientifique ainsi qu’un site d’observation zoologique, comme le témoignage d’une nouvelle volonté républicaine de se placer dans le rôle

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de gardien du monde naturel. Il montre aussi comment ce nouvel espace de péda-gogie républicaine a également été mis en place comme une sorte d’« instrument de civilisation », dans l’espoir d’améliorer le comportement de visiteurs souvent issus de la classe populaire. En outre, un thème mondial apparaît ici, étant donné qu’un certain nombre de savants exprimaient l’inquiétude grandissante que le continent africain, en particulier, risquât de voir sa faune massivement réduite en raison de l’expansion européenne qui s’y déroulait. Le succès du Muséum d’histoire naturelle était également lié au développement de connaissances permettant l’acclimatation d’oiseaux et autres animaux exotiques en facilitant leur reproduction (ce projet a connu de nombreux échecs et une grande souffrance des animaux). La capacité reproductive est également mise en avant dans la troisième partie, intitulée « L’inven-tion de la médecine vétérinaire républicaine ». Ici, l’auteur suit la vie et la carrière du vétérinaire François-Hilaire Gilbert, pionnier dans ce domaine, qui montrait un intérêt tout particulier non seulement pour le nombre de moutons élevés en France, mais aussi pour leur qualité. Afin d’atteindre les meilleurs résultats possible dans ce domaine, ses méthodes incluaient à la fois l’importation dans le pays des meil-leures espèces et l’expérimentation scientifique. Bien que ces projets n’aient pas été couronnés d’un grand succès, P. Serna démontre que sa carrière est emblématique d’une toute nouvelle politique générale républicaine concernant l’importance du bétail dans l’économie rurale.

La quatrième partie du livre, intitulée « La politique de l’animal : de la révolution des tigres aux végétariens de la République », se focalise sur la notion de violence ; mais les perspectives de l’auteur sont encore une fois très hétérogènes. L’abolition des droits de chasse de la noblesse dans la nuit du 4 août 1789 a donné lieu à une vague de massacres du gibier de la part de la paysannerie dans toute la France. Par ailleurs, une violence d’un autre type a émergé au pire moment de la Terreur : en effet, il semble que la consommation de chats et de chiens domestiques, en raison de la famine, soit loin d’être une légende. Des études menées par Mercier et Sade révèlent une angoisse grandissante concernant la présence, pour le meilleur et pour le pire, d’une certaine animalité ou bestialité ancrée dans les humains. L’utilisation de métaphores bestiales pour décrire des opposants politiques, notamment pendant et après la Terreur, indique une tendance inquiétante à l’animalisation, sur laquelle P. Serna élabore dans la cinquième partie de son livre. Cependant, la dernière section de la partie cinq adopte une approche très différente, en examinant la carrière et les écrits du sans-culotte François Boissel, mieux connu sous le nom de père Gérard. Cette figure extraordinaire, aux théories utopiques et radicales, a en effet émis des idées sur le développement d’un style de vie végétarien qui résonnent particulière-ment de nos jours.

La cinquième partie est intitulée « L’invention de l’homme singe : 1802 et la catastrophe racialiste ». Bien qu’elle entraîne le lecteur sur un terrain plus connu – l’émergence de la « science raciale » dans les premières décennies du XIXe siècle – cette dernière trouve un écho particulier du fait d’être intégrée à la liste de développements déjà répertoriés par P. Serna. En effet, tandis que les chapitres précédents se foca-lisent sur les animaux, puis sur la notion d’animalité, l’auteur insiste ici sur la notion d’animalisation ; c’est-à-dire la tendance à réduire une bonne partie de l’espèce humaine à un statut d’animal. Bien que de nombreux contemporains du siècle des Lumières aient commencé à étendre aux animaux la compassion qu’ils accordaient aux humains, notamment en ce qui concernait la maltraitance et l’administration de

Referências

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