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c) Clarisse: une beauté immortelle

Sentir tudo de todas as maneiras, Viver tudo de todos os lados,

Ser a mesma coisa de todos os modos possíveis ao mesmo tempo.

Realizar em si toda a humanidade de todos os momentos

Num só momento, profuso, completo e longínquo. (Àlvaro Campos - hétéronyme de Fernando Pessoa)138

Le narrateur fait le portrait de Clarisse en vrai artiste futuriste/cubiste, rappelant les illustrations de Laboureur ou les affiches de Gesmar. Clarisse se matérialise par collages et plans superposés, dans un décor, lui aussi assez hétéroclite. Catherine Douzou explique que “le personnage est dessiné par une succession de séquences mettant chacune l’accent sur un aspect particulier de l’héroïne.”139

Au fil de la lecture, le lecteur attentif va patiemment réunir les morceaux du puzzle que lui livre progressivement et intelligemment le narrateur. Ainsi, la première perception physique de Clarisse est sa bouche “une bouche curieuse, d’un rouge chimique”140. Clarisse est une femme du monde, entourée de jeunes oisifs et insipides dont le narrateur, au premier abord, fait, lui aussi, partie. Ils jouent au tennis dans des “collines inutiles” et sortent le soir. Clarisse et le narrateur sont voisins!

Elle crée des vêtements, elle est intelligente sans être très savante, elle ne connaît pas l’histoire mais comme le dit le narrateur:

138 Pessoa, Fernando, (textes réunis par Vasco Graça Moura) Os grandes clássicos da literatura

portuguesa – poesia de Álvaro de Campos, op. cit., p. 136.

Nous proposons la traduction suivante: Sentir tout de toutes les manières, / Vivre tout de tous les côtés, / Être la même chose de toutes les façons possibles en même temps. / Réaliser en soi toute l’humanité de tous les moments / En un seul instant, profus, complet et distant.

139 Douzou, Catherine, “La construction du personnage dans les nouvelles” de Paul Morand, in Paul

Morand écrivain : actes du colloque tenu à Montpellier en octobre 1992, op.cit., p. 53.

99 […] vous connaissez le passé et le comprenez mieux qu’un érudit, en tenant dans vos mains une broderie, un soulier ancien.141

Sa façon d’être attire l’attention du narrateur et éveille sa curiosité envers elle: J’ai été dès les premiers jours extrêmement curieux de vous, et je le suis resté. Votre indocile caractère m’a seul empêché de vous aimer. 142

Comme un petit animal sauvage, elle fourmille de vie et en profite à toute allure, faisant preuve d’une énergie hors du commun ! Elle aime la vie et en “jouit” chaque moment intensément. Elle dit au narrateur/personnage:

Vivre! Dites-vous: “Je vis “, mon ami, et c’est assez! Pouvoir courir, s’arrêter, être dispos, être las, pouvoir cracher, cracher dans le feu, dans l’eau, cracher de sa fenêtre sur la tête des passants, comme tout cela est bon et bon! 143

Curieusement, cette façon de vivre de Clarisse au style Julien Sorel: “Être beau, être élégant, être libre, être brillant, être prodigue et arrogant en tout naturel”144 est propre de Morand: l’amour du mouvement, l’inquiétude, la soif de vivre. Tout comme Clarisse ne renonce à rien, lui aussi a vécu intensément et à grande vitesse.

Le narrateur admire Clarisse et la trouve belle, car elle renie le concept féminin préétabli par les mœurs de l’époque. L’heure du changement est arrivée: sport, corps libérés, couleurs franches… La femme n’est plus une fleur de serre au teint clair et rosé. La peau s’offre au soleil, aux bronzages, aux multiples activités que la vie offre, au plein air, comme le fait constater Dominique Desanti, dans son œuvre La femme au

temps des années folles:

Le teint-de-lis-et-de-roses avait été jusqu’en 1914 l’emblème du soin, du loisir, de la fortune. A présent exposées au soleil pour sécher après une longue nage, exposées en marchant, ou à bicyclette, exposées en voiture découverte, les femmes proclamaient la beauté d’une peau ”mélanisée” où la pigmentation, sous le soleil, ressort. Naguère rien de plus paysan.145

141 Id., Ibid., p.18. 142 Id., Ibid., p.18. 143 Id., Ibid.

144 Delbourg-Delphis, Marylène, Masculin singulier, op.cit., p.7.

D’ailleurs, presque tous les personnages féminins morandiens sont beaux à leur façon. Paul Morand dévoile un nouveau type d’esthétique, de beauté féminine qui est beaucoup plus qu’une jolie apparence en société. Les attributs de la femme morandienne se rapprochent de ceux de l’idéal aryen. Elle est déjà empreinte de quelques caractéristiques aux traits masculins. Aussi, Clarisse ne marche pas à petit pas, mais de façon décidée, “à grand talon”, tout en sifflant. C’est une rousse à la figure large “grande, large d’épaules.” Elle n’est point chétive et n’inspire pas la protection masculine, mais se sait admirée:

Vous n’êtes point vaine de votre beauté, mais vous aimez à attirer l’attention sur vos cheveux. 146

Malgré sa répugnance des compliments indirects, que les autres femmes adorent, elle est fière d’elle-même et avoue avoir mauvais caractère, ce qu’elle attribue au fait d’être rousse. Hors de son milieu social, de tout “ce qui l’explique”, la première impression qu’elle cause est l’antipathie:

Vous laissez tomber avec dédain vos regards, serrez les lèvres, vous vous redressez et vous semblez dire aux gens: “Je suis plus grande que vous.147

Pour mieux la définir, Morand est fort dans ses mots et choque le lecteur par ses hyperboles antithétiques. Si dans un premier moment, il fait l’apologie de son corps plein d’énergie, de mouvement que lui confère la vie; de l’autre, il trouble par une vision antinomique et atrocement précaire:

Et vous êtes vraiment ainsi: vous jouissez de votre santé, du battement de votre pouls, de l’usage de vos membres, de tous ces bonheurs, pour nous négatifs, avec lucidité; vous trouvez à remuer vos bras, le plaisir qu’on aurait sachant qu’il n’est plus qu’une heure avant l’amputation; à employer vos jambes la joie d’un paralytique soudain rendu au mouvement.148

La jouissance du moment, le plaisir du mouvement est un plaisir strictement morandien. La vie doit être vécue d’un seul soûl. Cet artifice stylistique de l’auteur mène irrémédiablement le lecteur à prendre conscience de l’éphémère de la vie et à

146 “Clarisse”, p17. 147 Id., Ibid, p17. 148 Id., Ibid, p.18.

101 méditer sur la préservation du corps. Clarisse semble immortelle et impossible de vieillir, son corps ne connaît pas la maladie:

Il faudrait s’acharner pour vous ôter la vie, tant elle est chevillée à vous. 149

Le narrateur affirme même:

Je sais que vous ne vieillirez jamais, ne finirez jamais.150

Malgré sa condition bourgeoise, elle ne rechigne pas à la tâche et n’a pas peur de se salir et de se retrouver “les mains et la figure noires, les vêtements souillés de poussière.”151 Selon le narrateur, Clarisse arbore un style assez naturel, touchant le négligé. Elle se plait décoiffée et mal habillée, ce qui étonnamment lui donne “un très bon genre. […] Vos souliers ont des bouts pointus; l’on s’attend à des talons plats; vos robes sont simples, courtes, avec des poches; vous les portez très longtemps et du matin au soir. On devine que votre toilette est terminée en sortant du bain, lorsque vous êtes nettoyée.”152 Lorsqu’on la réprimande pour son manque de coquetterie, elle répond tout simplement:

Je n’ai pas le temps. Il y a des choses autrement intéressantes à faire153

149 Id., Ibid. , p.19. 150 Id., Ibid , p.18. 151 Id., Ibid., p.19. 152 Id., Ibid , p.17. 153 Id., Ibid.

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