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À la recherche d´OEdipe…Du côté de chez Cocteau et Proust, en passant par Sand…

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Academic year: 2020

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Pour Papa, Maman et Émilie

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REMERCIEMENTS

J´adresse toute ma sincère reconnaissance à Madame le professeur Maria do Rosário Girão Ribeiro dos Santos, qui a dirigé cette recherche. C´est grâce à son attention constante, son encouragement, son aide précieuse, son exigence et ses conseils que j´ai pu mener ce travail à son terme.

Je tiens à remercier sincèrement Monsieur le professeur Manuel José Silva, qui a eu la gentillesse de relire ce travail et d´y apporter les corrections nécessaires.

Je suis particulièrement redevable à mes parents et à ma sœur, pour leur soutien et leur amour “à distance” qui m´ont apporté courage et énergie.

Que mes collègues du “Mestrado” soient remerciés pour leurs encouragements.

Ma dernière attention ira aux membres de ma famille, que la mort a emportés avant que ne s´achève ce travail ; leur absence habite ces pages.

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AVERTISSEMENT

NORMES GRAPHIQUES

Le texte principal est justifié et écrit en caractère de police Times New Roman (TNR), taille 12, avec une interligne de 1,5 et une marge de 3 cm de chaque côté. Les citations qui servent d´introduction aux chapitres sont écrites en caractère de police TNR, taille 10, entre guillemets, et sont isolées du texte principal. Les commentaires en bas de page sont écrits en caractère de police TNR, taille 8, avec une interligne de 1. Il n´y a pas d´espace entre la barre oblique et les mots qui la précèdent et la succèdent, sauf quand elle sépare des vers.

CITATIONS

Les citations suivent le modèle suivant : auteur ; date : page. Lorsque plusieurs citations sont du même auteur, la référence bibliographique est : Idem ; date : page. Si elles sont du même auteur et appartiennent au même ouvrage, la référence est : (Ibidem : page). Pour les citations de La Machine infernale de Jean Cocteau (1934), la référence est : chapitre, page. Pour celles de À la Recherche du temps perdu de Marcel Proust, la référence est : RTP volume, page. Quand les citations sont incomplètes au début et à la fin, les réticences apparaissent entre parenthèses : (…). Si elles ont été coupées au milieu, les réticences apparaissent entre crochets : […]. Plusieurs citations ont été volontairement répétées.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Le titre des œuvres et des poèmes est en italique. Celui des articles apparaît entre guillemets. Les références bibliographiques, à la fin de notre dissertation, ont comme modèle : NOM, Prénom, Titre de l´ouvrage, Lieu de l´édition, Édition, Collection, Volume, date.

ABRÉVIATIONS

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RÉSUMÉ

À la recherche d´Œdipe…

Du côté de chez Cocteau et Proust, en passant par Sand…

Mythe littéraire qui illustre le thème du parricide et de l´inceste, le mythe d’Œdipe peut être expliqué à la lumière de la psychanalyse. En effet, il constitue, à partir de Sophocle, une source inépuisable pour les écrivains et les artistes, car Œdipe est une figure mythique plurielle, énigmatique et dynamique, qui dépasse les contingences d´une époque pour accéder, ainsi, à l´intemporalité.

Du point de vue des relations entre la littérature et le mythe, nous nous sommes située dans une perspective rhétorique, en vue de repérer la présence de ce dernier dans le texte littéraire. Du côté de l´écrivain, il se configure en termes de la révélation du désir censuré, de la pulsion indicible et du complexe latent. En ce qui concerne le texte, il émerge comme un hypotexte et/ou intertexte. Pour le lecteur, il surgit comme un véritable jeu de ‘pistes’, susceptibles de déclencher le plaisir de la surprise et/ou de combler un horizon d´attente(s). Du côté des critiques, il offre une pluralité d´approches : sociologique (organisation sociopolitique et culturelle de la société où le mythe est né), psychanalytique (renvoyant à l´ensemble des conflits qui structurent la psyché) et structurale (privilégiant la syntaxe du mythe, avec ses combinaisons et ses oppositions).

Pour des raisons d´équilibre génologique, le corpus sélectionné a porté sur Jean Cocteau et Marcel Proust. En vérité, dans La Machine infernale, le dramaturge procède à une transposition homodiégétique, véhiculant une transmotivation et une transvalorisation. En désacralisant le mythe, afin de dénoncer la situation politique vécue en France au cours de l´entre-deux-guerres, Cocteau conserve ses invariantes, l´adapte à son actualité politique, lui prête une atmosphère poétique, lui confère un style moderne, y ajoute des personnages et en modifie d´autres. Dans la Recherche, roman de la procrastination d´une vocation, Proust procède à une recréation du mythe d´Œdipe, tremplin pour l´originalité de son style-vision, fondé sur la métaphore et sur la réminiscence. Lors de la scène œdipienne du baiser nocturne, François le Champi de George Sand − une histoire d’amour entre une mère et son fils adoptif − fait sa première apparition en scène et constitue une “mise en abîme” du complexe d’Œdipe du protagoniste-narrateur, qu’il n´hésite pas à transposer de la vie vers l’art.

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RESUMO

Em busca do mito de Édipo…

Do ‘lado’ de Cocteau e Proust, passando por Sand…

O mito de Édipo é um mito literário, que, ilustrando o tema do parricídio e do incesto, pode ser explicado à luz da psicanálise. Constitui, com efeito, e a partir de Sófocles, uma fonte inesgotável para todos os escritores e artistas, porque Édipo é uma figura mítica plural, enigmática e dinâmica, que ultrapassa as contingências de uma dada representação temporal para, assim, aceder à intemporalidade.

Situámo-nos numa perspectiva retórica, do ponto de vista das relações entre literatura e mito, a fim de identificar a presença deste último no texto literário. No que respeita ao escritor, ele configura-se em termos de revelação do desejo censurado, da pulsão indizível e do complexo latente. No tocante ao texto, ele emerge como um hipotexto e/ou intertexto. No que concerne ao leitor, ele surge como um verdadeiro jogo de ‘pistas’, susceptíveis de desencadearem o prazer da surpresa e/ou de preencherem um dado horizonte de expectativa(s). Para os críticos, ele presta-se a uma pluralidade de abordagens: sociológica (organização sociopolítica e cultural da sociedade onde o mito viu a luz do dia), psicanalítica (reenviando ao conjunto dos conflitos que estruturam a psique) e estrutural (privilegiando a sintaxe do mito, bem como o seu sistema de combinações e oposições).

Por razões de equilíbrio genológico, o corpus seleccionado incidiu em Jean Cocteau e Marcel Proust. Na verdade, em La Machine Infernale, o dramaturgo procede a uma transposição homodiegética, veiculando uma transmotivação e uma transvalorização. Dessacralizando o mito, a fim de denunciar a situação política vivida em França entre as duas Grandes Guerras, Cocteau mantém as suas invariantes, adapta-o à sua actualidade padapta-olítica, empresta-lhe uma atmadapta-osfera padapta-oética, incute-lhe um estiladapta-o moderno e acrescenta-lhe algumas personagens, alterando outras tantas. Na Recherche, romance da procrastinação de uma vocação, Proust recria o mito de Édipo, trampolim para a originalidade do seu estilo-visão, alicerçado na metáfora e na reminiscência. Aquando da cena edipiana do beijo nocturno, François le Champi de George Sand - história de amor entre uma mãe e o seu filho adoptivo – faz a sua aparição em cena e constitui uma “mise en abîme” do complexo de Édipo do protagonista-narrador, que ele não hesita em transpor da vida para a arte.

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TABLE DES MATIÈRES

I- Introduction ... 9

II- Introduction au mythe ... 10

2.1- Pour une typologie des mythes ...11

2.2- L´interprétation du mythe ...12

2.3- La puissance du mythe ...14

2.4- Le récit mythique et le récit littéraire ...15

III- Le mythe littéraire d´Œdipe : la légende devenue mythe chez Sophocle. Histoire et littérature ... 20

3.1- Mythe et tragédie...23

3.2- Les invariantes du mythe...26

3.3- Œdipe dans l´œuvre sophocléenne ...29

3.4- Les différentes réécritures du mythe : quelques versions...34

3.5- Le lien avec le réel...37

IV - L´Œdipe de Sophocle réécrit par Cocteau ... 38

4.1- L´évolution dynamique des mythes (réécritures) ...38

4.2- Jean Cocteau, le théâtre et les mythes...44

4.3- Les analogies et les divergences entre Œdipe roi et La Machine infernale50 4.4- L´originalité de Cocteau ...53

4.5- Cocteau et la psychanalyse freudienne ...62

4.5.1- La relativisation du parricide et de l´inceste...63

4.5.2- Le complexe d´Œdipe...64

V- À la recherche du complexe œdipien de Cocteau à Proust, en passant par Sand ... 70

5.1- Proust, lecteur de Freud et Sand ...71

5.2- Le traitement du complexe chez Proust et Sand ...76

5.2.1- À la recherche des souvenirs d´enfance ...77

(7)

5.3- La mise en scène du complexe chez Proust ...83

5.3.1- Le ‘théâtre’ de la scène œdipienne ...84

5.3.2- Le drame du coucher ...85

5.3.3- Les ‘figures’ du protagoniste ...89

5.3.4- Les ‘figures’ de la mère...92

5.3.5- Les ‘figures’ du père ...95

5.3.6- La ‘résolution’ du complexe...98 VI- Conclusion ... 101 VII- Bibliographie ... 103 7.1- Œuvres de Sophocle...103 7.2- Œuvres de Cocteau...103 7.3- Œuvres de Proust ...104 7.4- Œuvres de Sand...104 7.5- Autres œuvres ...105

7.6- Œuvres générales (articles et ouvrages)...106

7.7- Dictionnaires ...107

7.8- Études critiques (articles et ouvrages) ...108

7.8.1- Sur les mythes (articles et ouvrages) ...108

7.8.2- Sur Œdipe roi ...109

7.8.3- Sur La Machine infernale ...110

7.8.4- Sur le complexe d´Œdipe ...110

7.8.5- Sur le mythe dans la littérature (articles et ouvrages) ...112

7.8.6- Sur Proust ...112

7.8.7- Sur Sand...114

VIII- Annexes... 115

Annexe I : Œdipe et le Sphinx, Ingres (1808) ...115

Annexe II: Vases représentant Œdipe et la Sphinx in RUIPÉREZ, Martín S., El mito de Edipo. Lingüística, psicoanálisis y folklore, Madrid, Alianza Editorial, 2006 ...116

Annexe III : Œdipe et le Sphinx, Gustave Moreau (1864)...118

(8)

Annexe V : la Grèce au Ve siècle avant J.-C ...120 Annexe VI : Transcription de l´entretien de Jean Cocteau extrait du documentaire vidéo intitulé «Portrait souvenir», qui a été transmis par Arte le 05 septembre 2000 et où ont participé Céleste Albaret, François Mauriac, André Maurois et Jean Cocteau, entre autres ...121 Annexe VII : Photographies de la chambre de Marcel chez Tante Léonie (1997), Société des Amis de Marcel Proust et des Amis de Combray, Musée Marcel Proust, 4 rue du Dr. Proust – BP 20025, Illiers-Combray (Eure-et-Loir)...124 Annexe VIII : Extraits de la bande dessinée de HUET, Stéphane et DOREY, Véronique, À la recherche du temps perdu, Luçon, Guy Delcourt Productions, 1998...126 Annexe IX : Carte postale du 102, bd. Haussmann, Paris 8e, où Marcel Proust a écrit Du côté de chez Swann (1913) et À l´ombre des jeunes filles en fleurs (1919) ...129 Annexe XI : Vue de Delft, Ver Meer (1661) ...130

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I- Introduction

Les « mythes – comme tout ce qui vit – ont besoin d´être irrigués et renouvelés sous peine de mort » (Tournier ; 1977:193).

Selon Gaston Bachelard, « (…) tout mythe est un drame humain condensé. Et c´est pourquoi tout mythe peut si facilement servir de symbole pour une situation dramatique actuelle » (Diel ; 1966 : 6). Durant l´entre-deux-guerres et l´Occupation, période pendant laquelle la crainte des dangers et l´immanence du tragique apparaissent à l´ordre du jour, le théâtre français replonge dans l´Antiquité, afin de s´emparer de ses mythes. Ces derniers s´avèrent un tremplin à traduire l´inquiétude ressentie par tous au cours d´une époque marquée par l´installation des dictatures fascistes en Europe, qui, à la suite de la Première Guerre Mondiale, détruisent l´espérance en une paix permanente.

La tragédie de Sophocle marque les débuts de la vie littéraire et artistique du personnage d´Œdipe. Les malheurs de ce roi de Thèbes n´ont cessé d´aviver l´imagination et la réflexion des auteurs jusqu´à nos jours. Le théâtre1, le roman, l´opéra et le cinéma se sont emparés de ce sujet, Œdipe étant, ainsi, devenu une référence permanente de la création artistique depuis Sophocle.

À partir de ce noyau commun constitué par les traits invariants du mythe2 d´Œdipe, quatre œuvres ont été sélectionnées: Œdipe roi de Sophocle, La Machine infernale de Jean Cocteau, À la Recherche du temps perdu de Marcel Proust et François le champi de George Sand.

Le choix porté sur Cocteau et Proust se justifie par une volonté de varier les genres littéraires et les discours littéraires du mythe3 ; il s´agit de contrebalancer une

1 « La littérature comparée s´est d´abord manifestée, au cours du XIXe siècle, par le désir d´effacer les frontières que les

nationalismes culturels traçaient autour des États-nations. Dans ces dernières décennies, elle s´en prend volontiers aux frontières qui séparent la littérature et les autres arts, peinture, musique, cinéma… Le théâtre, qui marie le texte et le décor, le geste et la musique, les arts de l´espace et les arts du temps, est donc à double titre matière comparatiste ! Certes, et voilà que notre discipline, depuis longtemps accusée de trop embrasser pour bien étreindre, prétendrait s´annexer le champ des études théâtrales, qui ont connu un prodigieux essor au cours de ces dernières décennies.» (Body ; 1996 : 221).

2 « (…) l´homme vit des mythes où il se retrouve et se poursuit […] étudier leur histoire, se pencher sur le secret de leurs mutations

infinies, c´est aussi apprendre à connaître sa propre odyssée dans ce qu´elle a de plus élevé et souvent de plus tragique. Dans toute conscience éprise de justice il y a une Antigone, dans toute révolte un Prométhée, dans toute quête un Orphée ; nous frémissons devant Médée, rêvons devant Tristan, tremblons devant Œdipe. Ces héros sont en nous et nous sommes en eux ; ils vivent de notre vie, nous nous pensons sous leur enveloppe. En tout homme sommeillent ou s´agitent un Oreste et un Faust, un Don Juan et un Saül ; nos mythes et nos thèmes légendaires sont notre polyvalence, ils sont les exposants de l´humanité, les formes idéales du destin tragique, de la condition humaine. […] Les vieux mythes de notre civilisation ne contiennent-ils pas assez de richesses et de mystère pour tenter le chercheur le plus exigeant et la multiplicité de leurs incarnations n´a-t-elle pas de quoi solliciter l´esprit le moins curieux ? Au cœur de ces antiques légendes veillent quelques-uns des symboles primordiaux de la culture occidentale, quelques-uns des signes exaltants ou terribles de l´aventure humaine ; motif suffisant, peut-être, de se pencher sur eux. » (Trousson ; 1981 : 8 et 9).

3 Dans leur ouvrage intitulé Da Literatura Comparada à Teoria da Literatura, Álvaro Manuel Machado et Daniel-Henri Pageaux

(10)

pièce de théâtre avec un roman, ou, encore, le mythe désacralisé chez Cocteau4 au mythe romancé pour Proust.

Nous nous proposons d´étudier comment Jean Cocteau, a réussi à relever le défi de l´actualisation du mythe antique d´Œdipe dans une pièce du XXe siècle, en opèrant une transposition homodiégétique, s´appuyant sur une transmotivation et une transvalorisation5. Pour cela, il nous faudra, tout d´abord, comprendre comment la légende d´Œdipe est devenue mythe chez Sophocle, afin d´analyser, ensuite, sa pièce Œdipe roi réécrite par Cocteau dans La Machine infernale, ainsi que sa relation avec la psychanalyse freudienne.

Puis, nous observerons comment Marcel Proust, un auteur auquel Jean Cocteau vouait une profonde admiration, insère le complexe d´Œdipe dans À la recherche du temps perdu d´une façon stratégique (dans l´incipit et dans l´explicit), à travers un réseau de références aux lectures6 de son enfance, lorsqu´il fait apparaître, au cours de la scène du baiser nocturne, dans Combray (RTP I, 4 à 184), le livre intitulé François le Champi de George Sand (1999), qui réapparaît, également, à la fin de la Recherche. Le romancier procède à une recréation romanesque du mythe, en essayant de contourner la scène œdipienne du baiser nocturne par le biais de l´art, cette dernière étant transposée vers la scène créatrice.

Finalement, il a fallu fuir le biographisme, puisque, comme nous le rappelle Proust dans Contre Sainte-Beuve, le moi social se distingue du moi profond7.

II- Introduction au mythe

mítico), os problemas da intertextualidade (passagem duma versão para outra e presença duma determinada versão do mito num determinado texto), enfim, questões relativas às formas e aos géneros literários confrontados com o esquema mítico.».

4

Bien que La Machine infernale (1934) multiplie les références à l´oracle de Delphes, qui prédit le pire des destins à Œdipe, Cocteau s´y reporte à peine comme à une sorte de postulat de base et ne s´intéresse qu´à la seule rigueur mathématique avec laquelle s´accomplit l´oracle.

5 Suivant la terminologie de Gérard Genette, dans son ouvrage intitulé Palimpsestes (1982) : «Homodiégétiques, toutes les tragédies

classiques qui reprennent un sujet mythologique ou historique, et même si à d´autres égards elles transforment largement ce sujet.» (Idem : 422) ; «Transvalorisation : c´était ici un double mouvement de dévalorisation et de (contre-) valorisation portant sur les mêmes personnages (…)» (Idem: 514) ; transmotivation lorsque de nouveaux personnages sont mis en évidence (Idem : 466).

6 Il semble « (…) que les livres de chevet des personnages proustiens aient une destination et une signification. Comme une

enseigne au-dessus de leur tête, comme un leitmotiv wagnérien, ils attirent notre attention sur un trait essentiel de leur destinée ou de leur fonction ; comme un éclairage indirect, ils servent à projeter sur eux une lumière supplémentaire ; ils permettent à l´auteur de suggérer maintes choses sans les dire. Ce sont ces ressources secrètes qui renforcent et enrichissent une architecture complexe, et de ces moyens raffinés qui plaisaient à Proust comme ils enchantent son lecteur attentif. » (Rousset ; 1962 : 163).

7 Proust (1971 : 221) explique que la méthode de Sainte-Beuve, qui faisait de Taine un maître exceptionnel de la critique au XIXe

siècle, consiste à ne point séparer l´œuvre de l´homme. Sainte-Beuve n´a pas vu l´abîme qui sépare l´écrivain de l´homme du monde, le moi de l´écrivain ne se manifestant que dans ses livres (1971 : 225). Dans son ouvrage intitulé L´Arbre jusqu´aux racines. Psychanalyse et création, Dominique Fernandez (1972 : 307) affirme que Proust « a ramassé toute sa vie dans son œuvre, en posant comme principe que sa vie ne comptait pas : en sorte que toute tentative de juger le créé par le vécu, la solidité de l´enquête d´après les possibilités concrètes offertes comme matériaux à cette enquête, entraîne automatiquement la disqualification».

(11)

« Un grand mythe, c´est tout d´abord une image vivante que nous berçons et nourrissons en nous, qui nous éclaire et nous réchauffe. De l´image, il a les contours fixés, semble-t-il, de toute éternité, mais son paradoxe tient dans la force de persuasion qu´il irradie malgré son antiquité. » (Tournier ; 1981 : 25).

Le mot mythologie8 vient du grec mythos (récit, rumeur) et logos (parole), ce qui nous renvoie directement à un genre oral. Le mythe a, ainsi, permis de transmettre les connaissances avant même que l´écriture ne soit capable de le faire. Relevant de la tradition orale, il passe de bouche en bouche, de génération en génération, n´étant ni la "propriété" d´aucun locuteur, ni susceptible d´être modifié, puisqu´il n´est pas figé9. Cependant, comme les traditions orales se sont perdues, nous ne pouvons trouver que des versions paralittéraires ou littéraires du mythe.

2.1- Pour une typologie des mythes

« Qu´est-ce qu´il y avait quand il n´y avait pas encore quelque chose, quand il n´y avait rien ? À cette question, les Grecs ont répondu par des récits et des mythes. » (Vernant ; 2000 : 17).

Classes Fonctions Évolution

dans le temps

1

Mythes cosmogoniques

Développer une théorie sur la naissance de l´univers (relater le passage du néant à quelque chose). Antéhistorique (1) 2 Mythes théogoniques

Expliquer la formation progressive du monde (les océans, les montagnes,...). Les phénomènes naturels sont mêlés à l´action des divinités.

Antéhistorique (1)

3

Mythes anthropologiques

Expliquer l´apparition de l´homme sur terre. Historique (2)

8 Gérard Legrand (1972: 21) réfère que le terme mythologie renvoie au récit mythique et à la science relative à ce récit. D´un point

de vue historique, le récit mythique préexiste aux discours philosophique et scientifique.

9 Dans leur ouvrage intitulé Teoria da Literatura (1976 : 237), René Wellek et Austin Warren affirment que le mythe est social,

(12)

4

Mythes historiques

Traiter des origines10 d´une cité ou d´une action. Les légendes, le sacré et l´histoire créent le mythe avec des fins politiques ou morales.

Historique (2)

(1) L´histoire relate une lutte contre les dieux ou fait intervenir des êtres fabuleux. (2) Des êtres humains, avec des noms propres et des destinées individuelles, ou bien des États, organisés en fonctionnement, apparaissent.

2.2- L´interprétation du mythe

Dans sa préface à l´œuvre intitulée Le symbolisme dans la mythologie grecque, Gaston Bachelard déclare que plusieurs interprétations du mythe sont possibles11. Selon la tradition philosophique, c´est une fable discursive qui véhicule une signification obscure que la réflexion est impuissante à déchiffrer. Pour les fonctionnalistes, c´est l´élément d´un ensemble global et cohérent, défini par les préoccupations matérielles, et qui met en rapport l´homme et la nature ou double l´organisation sociale que celui-ci soutient. Les structuralistes affirment que les mythes sont déterminés les uns par les autres et trouvent en eux-mêmes leur vérité, plutôt que dans leur contexte. Enfin, l´interprétation psychologique, la plus adéquate, à notre modeste avis, au mythe d´Œdipe, défend que l´accent est mis sur le postulat de symbolisation mythique (calcul psychologique exprimé sous une forme imagée, compromis effectué entre les désirs d´une part, les complexes et les sentiments d´angoisse et de culpabilité des individus d´autre part).

10 «Não há mito que não seja mito das origens. Isso quer dizer que o mito conta, em definitivo, o que aconteceu num tempo

imemorial, in illo tempore, mas que se mantém, ainda e sempre, válido. Ou antes: o facto de contar, de proferir o mito e, portanto, de o actualizar pela palavra, confere-lhe a sua plena validade. O enunciado do mito não é apenas exposição de factos: a exposição de factos torna-se sempre inaugural, na medida em que ela transporta o público para o tempo das origens. Assim, a narrativa reactualiza o mito, reactiva a história. E, por isso, o mito é a negação de todo e qualquer progresso cronológico, de todo e qualquer provir: o tempo do mito é um tempo circular que se refere a um tempo antigo, um tempo das origens que será para sempre a chave explicativa do homem.» (Machado et Pageaux; 2001:110).

11 Le « domaine des mythes s´ouvre aux enquêtes les plus diverses, et les esprits les plus différents, les doctrines les plus opposées

ont apporté des interprétations qui eurent chacune leur heure de validité. Il semble ainsi que le mythe puisse donner raison à toute philosophie. Êtes-vous historien rationaliste ? Vous trouverez dans le mythe le récit encombré des dynasties célèbres. N´y a-t-il pas, dans les mythes, des rois et des royaumes ? Pour un peu on daterait les différents travaux d´Hercule, on tracerait l´itinéraire des Argonautes. – Êtes-vous linguiste, les mots disent tout, les légendes se forment autour d´une locution. Un mot déformé, voilà un dieu de plus. L´Olympe est une grammaire qui règle les fonctions des dieux. Si les héros et les dieux traversent une frontière linguistique, ils changent un peu leur caractère, et le mythologue doit établir de subtils dictionnaires pour déchiffrer deux fois, sous le génie de deux langues différentes, la même histoire. – Êtes-vous sociologue ? Alors dans le mythe apparaît un milieu social, un milieu moitié réel moitié idéalisé, un milieu primitif où le chef est, tout de suite, un dieu. » (Diel ; 1966 : 5).

(13)

Dans le Dictionnaire des mythes littéraires (1988: 1129 à 1138), Pierre Brunel affirme que le mythe (mythos) a longtemps été défini en tant que discours (logos), renvoyant, par conséquent, à un savoir objectif, rationnel et logique. De plus, la presse, qui est une « grande consommatrice de clichés suggestifs » (Idem : 1130), abuse trop souvent de ce mot. Autrefois, en France, le mythe12 a, également, été associé aux récits merveilleux de la mythologie gréco-latine. C´est le cas, par exemple, du « mythe de la caverne » qui, en réalité, est une allégorie13. Ce critique explique, d´ailleurs, qu´il existe différents emplois du mot « mythe », selon les options méthodologiques14 :

Le mythe envisagé par l´ethnologue

C´est une histoire véridique et sacrée qui s´est déroulée au commencement des temps et qui sert de modèle de comportement à tout être humain. Le mythe primitif englobe, ainsi, les récits de religion, d´origine(s), de justification des coutumes.

Le mythe envisagé par le sociologue et par le politologue

Il s´agit d´une croyance collective, symbolique et dynamique qui revêt la forme d´une image. C´est un facteur nécessaire à la cohésion sociale15.

12 Le mythe est un récit fabuleux, souvent d´origine populaire, qui met en scène des êtres incarnant sous une forme symbolique des

forces de la nature, des aspects de la condition humaine.

13 L´allégorie désigne une suite d´éléments descriptifs ou narratifs concrets dont chacun correspond aux divers détails de l´idée

abstraite qu´ils prétendent exprimer, symboliser. «La Prosopographie est une description qui a pour objet la figure, le corps, les traits, les qualités physiques, ou seulement l´extérieur, le maintien, le mouvement d´un être animé, réel ou fictif, c´est-à-dire, de pure imagination. […] L´Éthopée est une description qui a pour objet les mœurs, le caractère, les vices, les vertus, les talens [sic], les défauts, enfin les bonnes ou les mauvaises qualités morales d´un personnage réel ou ficyif. (…)» (Fontanier ; 1968 : 425 à 427).

14

A ce propos, voir LÉVI-STRAUSS, Claude, Anthropologie structurale (1974 : 236 et 237).

15 Selon Michel Maffesoli, dans son article « Mythe, quotidien et épistémologie» (Le Mythe et le Mythique ; 1987 : 91 à 101), la

dimension mythique d´une idée la rend dynamique, lui permet d´exalter les enthousiasmes et engendre des projets ainsi que des réalisations. Cette idée rend possible le progrès social, alors que l´idéologie, qui ne rassemble qu´une communauté, est éphémère et mortelle, laissant la place à d´autres imaginaires. Le mythique participe donc à l´acte fondateur d´une société, car ce qui compte le plus est la faculté de rassemblement, et moins le contenu, comme il est possible de constater à travers les grands mouvements révolutionnaires et les religions. En politique, il est nécessaire de recourir au mythe, qui se fonde sur l´interpénétration des consciences, pour motiver, convaincre et illusionner.

(14)

Le mythe envisagé par le psychologue

Il désigne une image qui possède la capacité de réunir les énergies d´un ou plusieurs individus autour d´une idée commune, mais qui ne peut se prouver, car elle met trop directement en question les valeurs admises.

2.3- La puissance du mythe

Claude Abastado nous explique, dans son ouvrage Mythes et rituels de l´écriture (1979: 11 à 28), qu´à partir du XIVe siècle une énorme curiosité renaît envers le monde de l´irrationnel. Les mythes traditionnels revivent avec des significations nouvelles et d´autres mythes nouveaux sont créés. Le mot mythe est même attesté, pour la première fois, en 181816. L´intérêt porté aux mythes est tout d´abord dû aux curiosités historiques et à un certain zèle religieux. En littérature, toutes les mythologies se transforment en source d´inspiration, mais pas toujours en tant qu´ornements rhétoriques conseillés par les poètes classiques. Des mythes bibliques passent, alors, à être mêlés à des mythes païens dans la même œuvre, afin de chanter l´épopée de l´Humanité. Les auteurs récupèrent les légendes médiévales, les féeries celtiques et bretonnes, ainsi que les mythologies germanique et scandinave. Des personnages d´origine littéraire, tels que Faust et Don Juan, atteignent une dimension mythique et des personnages historiques, comme Jeanne d´Arc et Napoléon, pénètrent dans la légende, en devenant, dans un cas et dans l´autre, des mythes littéraires17.

16 Dans l´article «De la fable au mythe» (Chevrel et Dumulié ; 2000 : 43 à 55), Jean-Louis Backès affirme que bien qu´au

Moyen-Âge et à l´époque classique des dérivés du mot «mythe» étaient connus (mythologie et mythographie), le mot lui-même avait disparu pour faire place au latin fabula. Or, le mythe existe indépendamment de son sens, alors que la fable vit de sa morale. Le mot mythe surgit en Allemagne, au cours de dernières années du XVIIIe siècle, et est attesté en langue française dans les premières

années du siècle suivant. Le mot «mythologie» désigne «uniquement l´ensemble des récits traditionnels non plus fabuleux, mais respectables en raison de leur caractère traditionnel même» (Idem: 52), c´est-à-dire une collection d´histoires et non l´exemplification d´un concept. Le mot «mythe» a tout d´abord existé au pluriel, afin de désigner l´ensemble des traditions, des récits et des dits.

17

«(…) o mito é História e não apenas história. O mito é História dum grupo, duma colectividade, duma sociedade, dum conjunto cultural. Pode alimentar-se da história do grupo, mas é sempre reexplicação da História utilizada. Neste sentido, o mito “redobra” sempre a História, pois, historicamente, torna-se apenas uma história de compensação. É uma falta (real ou aparente) de certas realidades ou de certos dados históricos que explica de que maneira o mito surge, se exprime, e se escreve como História segunda. Os exemplos dos mitos de Jeanne d´Arc, de Napoleão, em França, do sebastianismo em Portugal, de Ivã, o Terrível, ou de Pedro, o Grande, na Rússia atestam, em certos momentos historicamente definidos, o papel desempenhado pela história de compensação face a uma situação considerada frustrante, face à uma situação de “manque”.» (Machado et Pageaux; 2001: 102).

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Le mythe possède, tout d´abord, une fonction illustrative, en mettant en scène un personnage au sein d´un contexte précis ; puis, une fonction explicative, parce qu´une fois représenté il apporte des solutions aux problèmes sur lesquels l´homme se penche tout au long de sa vie. Il peut, aussi, avoir une fonction d´intégration ou de contestation sociale. En effet, le mythe permet à l´homme de s´intégrer socialement, comme c´est le cas des héros mythiques. Cependant, des héros révoltés comme Faust ou Don Quichotte nous renvoient à la contestation sociale18. Finalement, le mythe détient une fonction de restructuration. En période de crise sociale et historique, les groupes sociaux se projettent sur un héros mythique, donnant ainsi un sens à leurs actions politiques. De la sorte, Napoléon au XIXe siècle et Charles de Gaulle au XXe siècle ont incarné le mythe du Sauveur de la nation pour bien des générations19. Chaque époque engendre, donc, ses propres mythes20.

2.4- Le récit mythique et le récit littéraire

« (…) la mythologie gréco-romaine a fondé en quelque sorte les thèmes que, par la suite, la littérature, la morale, les sociétés humaines, et parfois les sciences ont repris et développés. » (Schmidt ; 1993 : 6).

18 Dans Le Vol du vampire (1981 : 31 et 32), Michel Tournier souligne que « (…) la fonction des grandes figures mythologiques

n´est sûrement pas de nous soumettre aux raisons d´état que l´éducation, le pouvoir, la police dressent contre l´individu, mais tout au contraire de nous fournir des armes contre elles. Le mythe n´est pas un rappel à l´ordre, mais bien plutôt un rappel au désordre pour protéger la liberté de l´individu face aux contraintes de la société ».

19 Dans son article «Biographie et mythographie aujourd´hui» (Chevrel et Dumulié ; 2000 : 69 à 80), Daniel Madelénat déclare que

le mythe et la biographie sont des récits qui relatent les actions de personnages dignes de mémoire. Le mythe, qui est transmis par une variabilité de traditions, est sacré, sa temporalité originelle, ses acteurs surnaturels, alors que la biographie est une narration précise qui se fonde sur des sources attestées d´une vie individuelle au sein du temps, de l´espace et du réseau de causes. Mais, malgré leurs différences, la biographie demeure une mythographie, en actualisant un mythe comme modèle d´une existence mémorable. Les études critiques sur la biographie placent ce genre dans le monde du mythe, lui assignant les généalogies des dieux et des héros, ou encore les poèmes qui consacrent leurs exploits comme ancêtres. Les épopées homériques abondent, d´ailleurs, d´éléments biographiques. Au chant VI de l´Iliade, les guerriers Glaucos et Diomède réfèrent leur lignée et leur victoire ; l´Odyssée est une biographie partielle d´Ulysse. Les formes primitives de la biographie s´apparentent ainsi au mythe, mais, à partir du XVIIe

siècle, la biographie s´adapte à la modernité et devient progressivement un récit historique et factuel ayant le souci de l´exactitude. Cependant, à l´heure des médias audiovisuels, le biographe construit le mythe de son sujet, afin de l´autocélébrer et de lui conférer l´immortalité. La vedette de la presse incarne alors la gloire, le bonheur, ou la tragédie : Marlène Dietrich devient une déesse fatale grâce à son physique et sa morale ; Brigitte Bardot devient la femme par excellence, qui représente la libération sexuelle au cours des années soixante. Puis, les biographes se décident à montrer la part d´ombre des mythes cinématographiques, politiques, historiques, populaires et de l´écriture, profitant de l´irradiation mythique pour la contester. Le scepticisme poststructuraliste, la crise de l´épistémologie historique, la conviction que les cadres idéologiques et mentaux limitent la vision de l´observateur et la réflexion sur les codes de l´écriture narrative permettent aux mythes de retrouver «un rôle légitime dans le devenir individuel et collectif» (Idem : 75). Le biographe ne peut échapper aux mythes, qui sont présents dans son inconscient mythopoïétique et qui satisfont le goût du public pour le merveilleux et le sacré. Le mythe se régénère et s´actualise dans la biographie, qui trouve en lui un modèle. C´est ainsi que se révèle la mythobiographie démystificatrice, qui rejette les clichés et les stéréotypes pour s´emparer de la tension énergétique qui anime la vie et qui transgresse la méthodologie historique. Il existe un lien intime ente l´auteur et son objet, ne permettant plus de tracer une frontière. Dès que la biographie cherche à expliquer le pourquoi et le comment, au lieu de se concentrer à peine sur le quoi, elle s´assigne la fonction des mythes : elle confère la forme à l´uniforme, l´unité à la diversité et le sens à l´apparence. Elle doit alors associer « l´abrupte simplicité du mythe et la complexité des circonstances historiques, la polyvalence des symboles et l´énigme de toute individualité » (Idem : 80).

20 Dans son ouvrage intitulé Littérature et Mythe (2001 : 142 et 143), Marie-Catherine Huet-Brichard affirme qu´«une collectivité

peut se reconnaître dans une figure mythique héritée, Bacchus pour les poètes de la Pléiade, Narcisse ou Salomé pour les poètes symbolistes ; un mythe peut émerger de la littérature proprement dite, comme le Graal ou Tristan ; un groupe peut faire appel à des images-forces qui ont pour fonction de prendre en charge une situation vécue comme inédite ; enfin, les mythes élus par une génération révèlent les préoccupations, les désirs ou les fantasmes de cette dernière.»

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Plongeant dans un passé lointain, le mythe constitue un récit légendaire, mais tous les récits légendaires ne sont pas des mythes. Le conte de fées, par exemple, bien qu´il renvoie à un ailleurs intemporel avec l´expression « Il était une fois », n´est pas un mythe, ce dernier devant être notamment marqué par une continuité narrative. Pierre Brunel (1988: 1129 à 1138) différencie très clairement ces différents types de récits :

Mythe Création spontanée

Allégorie Forme narrative démonstrative et calculée

Utopie Projection dans un avenir idéal

Légende Fondement plus ou moins historique

Conte Forme désacralisée.

En effet, le récit mythique n´est pas un récit figé dans le temps : il est repris et de lui subsistent plusieurs versions qui apportent sans cesse des significations nouvelles. La mythologie gréco-romaine doit, donc, beaucoup au développement de la littérature gréco-romaine21.

Pierre Brunel (Idem: 1049 à 1058), écrit que le mythe et la littérature ont pour point commun la narration. Quel statut occupe, alors, celle-ci dans le mythe et dans la littérature ? La plupart des définitions du mythe fournies par les ethnologues, les psychologues et les critiques le considère comme étant un récit, d´où son caractère narratif. Comment la narration littéraire peut-elle se saisir de la narration mythique ? Même les formes littéraires non narratives paraissent ne pas pouvoir se passer de la narration, qui semble, ainsi, marquer son omniprésence. La littérature nécessite de raconter pour parler : « En somme écrire sans indices de narration n´est pas un choix durablement tenable, et les textes les plus délibérément contraires à l´anecdote ont encore bon gré mal gré recours aux béquilles […] du récit. » (Idem: 1051).

21 C´est ce qu´affirme Joël Schmidt dans le Dictionnaire de la mythologie grecque et romane (1993 : 6) : « Depuis l´Iliade et

l´Odyssée d´Homère, rédigées au VIIIe siècle avant Jésus Christ, jusqu´à Ovide et Sénèque, plus de dix siècles se sont écoulés. La mythologie a pu être ainsi continuellement remaniée, modifiée, adaptée aux goûts et aux mœurs des temps successifs de l´histoire par les poètes, les tragiques et les historiens. À Homère, dont l´œuvre déborde de vie, a succédé Hésiode, qui, tel un juriste ou un classique, semblable à ce que furent Malherbe et Boileau au XVIIe siècle après la grande tempête littéraire du XVIe siècle, a remis

quelque ordre dans les généalogies des dieux et dans l´énoncé et la codification des mythes. Puis à la fin du VIe siècle est apparue la

tragédie grecque, qui a largement puisé son inspiration, ses sujets et son langage dans la mythologie. Des tragiques comme Eschyle, Sophocle et Euripide ont repris les mythes vieillis par les ans. Ils ont rajeuni et transformé les dieux et les héros des grandes familles légendaires et royales de la Grèce et leur ont donné une convaincante force de vie dans de nouvelles versions (…) ».

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Le mythe nous offre le récit d´événements caractérisés par des situations violentes. À cette intensité des scènes s´ajoute aussi leur organisation, marquée par le contraste. Ainsi, après être devenu le glorieux roi de Thèbes, Œdipe devient un vagabond. Le mythe peut, donc, être lu « au moyen de couples antithétiques » (Idem: 1053), qui assurent son lien à la tragédie. C´est également grâce à ces contrastes que la psychologie soutient que la mythologie s´avère une double représentation du désir, au sein de son expansion et de sa précocité. Dans Œdipe roi et La Machine infernale, nous constatons la présence d´une série d´impossibilités liées au double statut du désir : Jocaste ne peut être mère et amante en même temps.

À l´inverse du récit littéraire, le récit mythologique se caractérise par une brièveté violente ; il va droit au fait, sans s´embarrasser d´éléments qui lui soient extérieurs. Il s´agit d´une accumulation chronologique de scènes et/ou d´épisodes. Par opposition au mythe, la narration littéraire « admet le détour et accepte les feutres » (Idem: 1054). Cela étant, le récit littéraire est caractérisé par le désir de voiler les masques et la latence, tandis que le récit mythique l´est par le dévoilement, la présence crue et l´émergence.

RÉCIT LITTÉRAIRE RÉCIT MYTHIQUE

Désir de voiler Dévoilement

Masques Présence crue

Latence Émergence

Les critères d´intensité sous-jacents à ces deux types de récits ne sont pas suffisants pour les définir. La violence du récit littéraire semble exclusivement littéraire et appartient au discours. Sa tension résulte d´un heurt entre l´ordre porté par le discours et le désordre véhiculé par ce qui est énoncé par lui.

Toutefois, cette séparation du mythe et de la littérature ne nie nullement leur superposition et leur surimpression. En effet, la littérature sert, souvent, de « véhicule au mythe » (Idem: 1056)22.

22 Dans leur introduction à l´œuvre Le mythe en Littérature. Essais offerts à Pierre Brunel à l´occasion de son soixantième

anniversaire (2000 : 7), Yves Chevrel et Camille Dumulié signalent que la poésie et le mythe sont deux modes du verbe créateur, poïétique : la première constitue le langage naturel du mythe, le poète épique étant le premier créateur de mythes, l´inventeur du mythe du héros qui a tué son père. La voix du poème sauve ainsi la parole et préserve la vie de l´esprit pour les hommes. Colette Astier, dans son ouvrage intitulé Le mythe d´Œdipe (1974 : 18), signale que, comme le mythe est une histoire qui exerce constamment sa fascination au cours des âges, il ne peut point entretenir, comme il le fait avec la sociologie et la psychologie,

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Dans ce contexte, Pierre Brunel (1988: 1129 à 1138) signale qu´en littérature le mythe désigne un récit (ou l´un de ses personnages) symbolique, qui acquiert une valeur fascinante – idéale ou répulsive – et qui fournit une explication d´une situation ou lance un appel à une communauté. Il est, ainsi, possible de différencier le mythe explicatif ou explicite (qui implique le maintien d´un ordre) du mythe normatif ou dynamique (qui s´oriente vers quelque chose à accomplir), ainsi que de constater que le mythe est l´affaire d´une collectivité. En ce qui concerne la littérature, le mythe s´insère dans la relation que l´écrivain entretient avec son époque et son public. Un texte littéraire ne peut donc point être perçu en tant que mythe ; il se contente de reprendre et de reproduire, par l´entremise de la transposition, de la transmotivation et de la transvalorisation, des images mythiques, pouvant acquérir une valeur mythique selon le public et l´époque. De la sorte, un texte peut perdre cette valeur/dimension selon les changements de circonstance. C´est le cas du mythe de Don Juan qui, jusqu´au XXe siècle, a perdu son pouvoir de fascination. En effet, un thème littéraire23 peut très bien détenir une valeur de mythe, lorsqu´il exprime la pensée d´un groupe social, puis redevenir un simple thème appartenant à la tradition littéraire, quand il ne fascine plus ce groupe24. L´actualité se mesure, donc, aux variations de sa réception.

Nous pouvons, également, constater qu´il existe une certaine continuité d´un niveau mythologique à un autre. Dans le passé, des représentations mythiques grecques ont inspiré des thèmes littéraires.

«d´étroits rapports avec la littérature, à laquelle il est susceptible de prêter à la fois une structure et une raison d´être». C´est pour cette raison qu´une des caractéristiques du mythe consiste à «ensemencer sans fin d´autres récits».

23 Dans son ouvrage intitulé Thèmes et mythes (1981 : 15 à 24), Raymond Trousson nous rappelle que les thèmes ou les sujets

désignent une matière peu précise (la montagne, l´océan, les sentiments et les idées), alors que les types légendaires, mythologiques, bibliques, littéraires, historiques, sociaux et professionnels servent à tracer l´histoire d´un personnage littéraire. Quant aux mythes, ils servent à raconter une histoire sacrée (domaine de l´histoire des religions), à traduire des pulsions inavouables refoulées sur le surmoi (domaine de la psychologie), ou à exprimer les convictions d´une collectivité (domaine de la sociologie). Le motif est un concept large, une notion générale, désignant soit une certaine attitude, soit une situation de base, impersonnelle, dont les acteurs n´ont pas encore été individualisés. La psychanalyse désigne le motif général par le thème particulier qui en est issu. Ainsi, le thème du complexe d´Œdipe renvoie au motif (élément non littéraire) de la rivalité père-fils, qui relève de l´expérience humaine et qui constitue la matière de la littérature. En revanche, pour étudier un thème, il faut partir d´un fait littéraire. Aux antipodes de Raymond Trousson, P. Brunel, Cl. Pichois et A.-M. Rousseau présentent, in Qu´est-ce que la littérature comparée ? (1983 : 125), le motif en tant qu´élément concret, opposé à l´abstraction et à la généralisation du thème. Ils définissent le thème « comme un sujet de préoccupation ou d´intérêt général pour l´homme […] lieu commun » et ils désignent par mythe « un ensemble narratif consacré par la tradition et ayant, au moins à l´origine, manifesté l´irruption du sacré, ou du surnaturel, dans le monde. Il se trouve qu´à un stade avancé de son développement le mythe peut se charger d´une signification abstraite : […] Il est alors la proie d´un thème auquel il tend à se réduire.». Quant à Pierre Brunel et Yves Chevrel, ils approchent, dans Précis de Littérature Comparée (1989 : 165), la dichotomie thème-mythe de la dichotomie non commun/nom propre, que la grammaire a consacrée, et affirment que le mythe renvoie à une constante archétypale, à une image canonique et à une figure emblématique, l´étude des mythèmes (la plus petite unité de discours mythiquement significative, selon Gilbert Durand) relevant de la thématologie. Selon Álvaro Manuel Machado, in Do Ocidente ao Oriente. Mitos, imagens, modelos (2003 : 31), « (…) enquanto um tema se circunscreve à ‘explicação imediata, descritiva, do texto literário, ordenando-o estritamente em função dos géneros e dos períodos, em suma, em função da dinâmica diacrónica (mesmo quando numa perspectiva comparativista), o mito eleva o tema a um nível de catarse, no sentido propriamente aristotélico do termo, tornando-o um elemento não só recorrente mas fundamental duma literatura e duma cultura através dos séculos (…)».

24

Dans son article « La parole habitante et la pensée mythique» (Le Mythe et le Mythique ; 1987 : 103 à 109), Pierre Sansot défend que le mythe est d´ordre collectif et que la pensée mythique se caractérise par sa perduration et sa capacité à renaître, même après être tombée en léthargie, grâce à l´Anthropos primordial.

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Le mythe est passé de l´oral à l´écrit : ce qui était, autrefois, collectivement écouté et perçu comme quelque chose de sacré est, actuellement, lu individuellement et critiqué. La fascination jadis exercée par les figures mythiques atteint aujourd´hui un public très restreint, qui ne représente pas vraiment une collectivité. La syntaxe du mythe est semblable à celle de tous les genres littéraires à dominante symbolique. Il possède une structure d´organisation le plus souvent de type dramatique et se caractérise par ses mythèmes, que nous pouvons définir en tant que les plus petites unités du discours mythiquement significatives25.

Les mythes primitifs étaient statiques ; ils s´imposaient à l´homme et le rassuraient. À partir du théâtre grec et, surtout, de la Bible, les images totalisantes gagnent un caractère dramatique et dynamique, dans lequel la liberté humaine est désormais appliquée. Chaque groupe d´individus vit au sein d´un mythe global qui représente l´univers et justifie la société, ainsi que ses rites. Les grandes religions opèrent, ensuite, un changement décisif, en conservant certains éléments mythiques, mais en modifiant complètement leur portée symbolique. Les réflexions théologiques ont, ainsi, construit, au long de plusieurs siècles, un équilibre bien que fragile « entre les images symboliques et la rationalité abstraite » (Idem : 1134). Plus tard, en littérature, les siècles redéfinissent les thèmes antiques d´origine mythologique par rapport à de divers éléments : du « mythe unique et ‘totalisant’ du groupe primitif, nous sommes ainsi passés au flot de mythes éclatés que charrie la culture moderne » (Idem : 1131). Cependant, il est indispensable que les mythes littéraires continuent à impliquer une référence à une vision globale et totalisante, qui leur permet de demeurer concevables. Ainsi, le mythe de Don Juan26 se constitue sur un fond de religion catholique populaire.

De nos jours, il est impossible d´accepter une pensée mythique pure, car il s´avère très dangereux de ne pas critiquer rationnellement les symboles. Le mythe doit instaurer un dialogue avec la rationalité métaphysique et la psychologie, par exemple. La vérité du mythe est symbolique, parce qu´elle offre un sens pour la vie qu´elle ne peut nullement imposer et démontrer. La majorité des mythes provenant du passé ou d´autres cultures ne représentent plus aujourd´hui que des thèmes littéraires et ne sont

25

Gilbert Durand écrit, dans son ouvrage intitulé Structure Anthropologique de l´imaginaire (1992 : 64), que le « mythe apparaît comme un récit (discours mythique) mettant en scène des personnages, des situations, des décors généralement non naturels (divins, utopiques, surréels) segmentales en séquence ou plus petites unités sémantiques (mythèmes) dans lesquels s’investit obligatoirement une croyance – contrairement à la fable et au conte. Ce récit met en œuvre une logique qui échappe aux principes classiques de la logique d’identité.»

26

Michel Tournier (1981 : 32 et 33) explique que Don Juan symbolise le refus de la soumission du sexe aux ordres conjugaux, sociaux, politiques et religieux de l´Espagne du XVIIe siècle. Pour affirmer sa liberté érotique, Don Juan incarne est adultère,

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plus essentiels à notre vie actuelle. À présent, le mythe sert essentiellement à répondre à une « question plus ou moins permanente posée à l´humanité » (Idem : 1136).

La production littéraire de notre société désacralisée constitue un champ privilégié d´expression du mythe en tant que récit sacré. Il est nécessaire de tenir compte de l´initiative que l´auteur entreprend à introduire des transformations, sa capacité à se projeter dans le texte et à y intégrer des éléments relatifs à l´actualité.

III- Le mythe d´Œdipe : la légende devenue mythe chez Sophocle. Histoire et littérature

«Qu´est-ce qu´un mythe aujourd´hui ? Je donnerais tout de suite une première réponse très simple, qui s´accorde parfaitement avec l´étymologie : le mythe est une parole. […] Le mythe ne se définit pas par l´objet de son message, mais par la façon dont il le profère : il y a des limites formelles au mythe, il n´y en a pas de substantielles.» (Barthes ; 1957 : 194 et 195).

Le « mythe […] est du faux qui à la longue devient vrai, alors que l´Histoire est du vrai qui devient faux à la longue.» (Cocteau ; 1956 : 26 et 27)27

Dans son œuvre intitulée Les mythes grecs (1967: 17 à 28), Robert Graves nous signale que les éléments d´un mythe antique peuvent être découverts dans des légendes, car un seul auteur ne fournit jamais la version la plus complète d´un mythe. La légende d´Œdipe n´est donc pas une création de Sophocle28.

C´est dans l´Iliade 29(Homère ; 1995) que nous trouvons les premières allusions et le récit de quelques épisodes de la guerre qui oppose les deux fils d´Œdipe, Etéocle et Polynice, et qui constituait l´épopée intitulée Thébaine, aujourd´hui perdue. Le premier texte faisant référence à la légende d´Œdipe est l´Odyssée d´Homère (deuxième moitié du VIIe siècle avant notre ère). Lorsqu´il descend aux enfers, Ulysse rencontre l´ombre d´Épicasté, qui lui apprend qu´après la découverte de l´horrible vérité Œdipe continua à régner sur Thèbes, mais avec de perpétuels remords. Le châtiment de notre héros est

27 «Il reste que la notion même de mythe est frappée d´équivoque : un mythe, c´est à la fois une belle et profonde histoire incarnant

l´une des aventures essentielles de l´homme, et un misérable mensonge débité par un débile mental, un “mythomane” justement.» (Tournier ; 1981 : 12).

28 C´est ce qu´explique Pierre Vidal-Naquet dans sa préface aux Tragédies de Sophocle (1973 : 11) : « Le poète tragique puise […]

dans l´immense répertoire des légendes héroïques qu´Homère et les auteurs des autres cycles épiques avaient mises en forme et que les peintres imagiers d´ Athènes ont représentées sur les vases. Les héros tragiques sont tous empruntés à ce répertoire (…) ». A ce propos, voir Ruipérez, Marín S., El mito de Edipo. Lingüística, psicoanálisis y folklore (2006: 23 à 28), dans le chapitre intitulé «Las versiones preclásicas del mito».

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donc moral et non pas physique comme chez Sophocle30. Puis, la trilogie d´Eschyle (525- 426 av. J. –C.), composée par Laïos, Œdipe et Les Sept contre Thèbes, reprend aussi la légende. Dans la troisième pièce de théâtre (la seule qui nous soit parvenue), l´auteur insiste sur la fatalité qui s´accable sur Œdipe à travers les « générations boiteuses » (Vernant : 2000, 254), à cause de la faute originelle de Laïos qui a aimé le jeune Chrysippos31. Finalement, dans la tragédie Œdipe d´Euripide (480-406 av. J.- C.), dont il ne nous reste qu´un fragment, les serviteurs de Laïos rendent Œdipe aveugle afin de venger leur maître. Œdipe est, alors, enfermé par ses propres fils dans un palais à Thèbes.

Selon Mircea Eliade, dans son essai intitulé Aspects du mythe (1966 : 16 et 17), le « mythe raconte une histoire sacrée, il relate un événement qui a eu lieu dans un temps primordial, le temps fabuleux des “commencements” […]. Il raconte comment, grâce aux exploits des êtres surnaturels, une réalité est venue à l’existence, que ce soit la réalité totale, le Cosmos, ou seulement un fragment : une île, une espèce végétale, un comportement humain, une institution.». Le mythe est sacré, car des êtres surnaturels y interviennent, et il présente des ‘réalités’ non scientifiques, mais qui répondent à un profond besoin religieux. C´est un récit tenu pour vrai, mais en apparence opposé au discours rationnel, puisqu´il fait référence à un monde rêvé et irréel, voire utopique et achronique, qui ne tient compte ni de l´espace ni du temps. Quoique sa fonction consiste dans l´explication du monde concernant ses aspects divins et humains, il est irrationnel.

30 Cf. chant XI, vers 271-280 (1995 ; 505) : Homère affirme qu´Œdipe a assassiné son père et qu´Epicasté l´a épousé par

imprudence. La vérité a ensuite été révélée par les Dieux et Épicasté se pendit et descendit dans l´Hadès : « Et je vis la mère d´Œdipe, la belle Épiscasté, qui commit une action énorme, dans l´ignorance où était son esprit, en se mariant avec son fils. Et lui se maria avec elle, après avoir abattu son père. Sur-le-champ, les dieux propagèrent la nouvelle parmi les hommes ; mais lui, dans Thèbes tout aimable, régna les Cadméens, subissant de douloureuses épreuves, par la volonté funeste des dieux. Épicasté s´en alla chez le puissant Hadès aux portes si bien ajustées, ayant attaché le lacet de sa ruine à la haute poutre maîtresse, sous l´effet de l´angoisse qui s´était emparée d´elle… A Œdipe elle laissa, derrière elle, maintes et maintes souffrances, toutes celles qu´accomplissent les Érinyes d´une mère ». Nicolas Journet (2006 : 48) remarque que l´expiation de l´inceste et du parricide n´est pris en charge que par la mère. C´est elle qui meurt, alors qu´Œdipe n´est point banni. Celui-ci, qui ne ressent pas la moindre culpabilité, pense essentiellement aux pièges qui lui ont été tendus par les dieux, incarnant, ainsi, le type du héros homérique, qui se débat contre le destin infligé par des dieux capricieux. Pour lui, l´important n´est pas de se conformer aux lois humaines, mais de vaincre ses ennemis. L´aveuglement d´Œdipe, qui correspond à la castration, n´apparaît que chez Sophocle. Selon Legrand (1972 : 64), le suicide par pendaison de Jocaste renvoie aux fétiches de la fertilité végétale et aux figurines suspendues aux arbres. Pour la psychanalyse, la pendaison renvoie à des pulsions mâles, la mandragore naissant de la semence de Judas dans le folklore médiéval.

31 Legrand (1972 : 59 à 61) remarque qu´ Œdipe, en se présentant comme vainqueur à Jocaste, qui avait promis sa main à qui

découvrirait l´énigme, permet l´exécution de la malédiction des Labdacides. Cette malédiction a une origine ambisexuelle, puisque Laïos avait été maudit dans sa postérité par Pélops, à qui il avait enlevé le fils, Chrysippos (le cheval d´or). Cet enlèvement, qui constitue un péché pédérastique, a eu lieu contre le consentement du jeune Chrysippos. Son père Pélops avait lui-même fui auparavant l´étreinte de Poséidon, qui le dota de chevaux magiques. Pour punir ce crime, la déesse des amours légitimes, Héra, aurait envoyé la Sphinx à Thèbes, afin de ravager la ville. Plus tard, Œdipe se lance à la recherche de chevaux volés, à la demande de son père. Cette quête le conduit à un carrefour, siège des démons méridiens, où il tue son père lors d´une querelle de préséance, selon certains et parce qu´Œdipe dispute Chrysippos à Laïos, selon une autre variante : « Or, le sens magique de l´homosexualité active est la récupération par l´homme d´une féminité imaginaire dont le jeune partenaire n´est que le support. Le sens du rapt, c´est l´échec : Laïos n´a pu conquérir sa propre composante féminine, et sa malédiction se transmet à Œdipe.» (Idem : 60). En tuant Laïos, Œdipe s´est identifié à lui et hérite une malédiction réalisée et à nouveau transmissible.

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Le sacré intervient dans la tragédie de Sophocle avec les oracles d´Apollon, « un des douze dieux de l´Olympe, patronnant la lumière, l´intelligence, la divination et les arts » (Philibert ; 2002 : 18). Ses oracles étaient célébrés à Delphes, le plus grand centre religieux de la Grèce antique. Bien qu´il ne soit pas à l´origine de la malédiction qui s´est abattue sur Laïos, Apollon la valide au deuxième épisode. Œdipe apprend de Jocaste que cet oracle de Delphes a jadis prédit un destin horrible pour le fils de Laïos : « Un oracle arriva jadis à Laïos, non d´Apollon lui-même, mais de ses serviteurs. Le sort qu´il avait à attendre était de périr sous le bras d´un fils qui naîtrait de lui et de moi. » (Sophocle ; 1973 : 209).

Avec Œdipe roi (Sophocle ; 1973), nous passons d´un mythe antéhistorique à un mythe historique. Les aventures vécues par Œdipe débutent par un mythe antéhistorique moyennant la référence à un animal fabuleux (un lion ailé à tête et buste de femme), qui cohabite avec les hommes. Le prêtre se réfère à la Sphinx32 pour rappeler à Œdipe qu´il a autrefois sauvé la ville de cet animal : « Il t´a suffi d´entrer jadis dans cette ville de Cadmos pour la libérer du tribut qu´elle payait alors à l´horrible Chanteuse. » (Sophocle ; 1973 : 186)33. Créon en parle également : « La Sphinx aux

32 Dans Sur Œdipe (Anatomie de la mythologie), Gérard Legrand (1972 : 54 à 58) remarque que le héros œdipien apparaît toujours

face à la Sphinx, un monstre femelle qui pose une question à Œdipe, qui en est lui-même la réponse à la fois particulière et universelle. Partant de l´étymologie, le nom propre Sphinx constitue une adaptation poétique et intentionnelle du nom thébain Phix. Le nom d´oiseaux de nuit strix ou d´oiseaux magiques iynx a eu de l´influence sur ce nom, afin de le rapprocher plus du verbe sphiggein. La forme Phix a elle-même été rapprochée du radical pnigping (étouffer) dans l´ouvrage Das Ratsel der Sphinx de Ludwig Laistner, où l´Ulralptraum (cauchemar fondamental) a été étudié, pour la première fois, comme source de la mythologie. La Sphinx est un monstre lubrique des montagnes proches de Thèbes, et redouté par les bûcherons. Cette démone méridienne est elle-même issue d´un inceste œdipien, fruit de l´union d´Echidne (femme-serpent de nature vampirique) avec le chien Orthros ou Orthos [« l´érigé »] (bicéphale, à queue de serpent), qui est à son tour fruit d´une relation entre Echidna et Typhon (dernier monstre mâle né de la Terre). Cette généalogie rattache ainsi la Sphinx à Typhon, dont les voix changeantes sont uniquement comprises par les Dieux. La Sphinx est perçue comme une personnification de la tempête ou de la nuit, Œdipe apparaissant comme le soleil levant et Jocaste comme l´aurore. Selon deux autres variantes, la Sphinx serait une enfant que Laïos aurait eue avant d´épouser Jocaste ou encore, la fille du Thébain Ucalégon (nom d´homme primitif igné évoquant Deucalion et même Volcanus), utilisé par Homère et repris par Virgile pour nommer un vieillard troyen associé encore au feu. Plus tard, la place de la Sphinx parmi les Thébains est vue comme une présence qui pose des problèmes. Dans un état plus ancien de la légende, la Sphinx obligeait le peuple à se rassembler chaque matin pour lui poser une énigme impossible à résoudre, à la suite de laquelle elle dévorait un homme tous les jours. La victoire d´Œdipe a donc permis de débarrasser le pays de ce terrible monstre. Cf. annexe I : dans son tableau de 1808 intitulé Œdipe et le Sphinx, Ingres représente la Sphinx levant une patte de lionne griffue, épaisse et presque disproportionnée pour saisir sa proie. Ces pieds de lion apparaissent, également, dans les représentations de sirènes, afin de montrer la ressemblance de ces femmes ailées avec la Sphinx. Nous serions, donc, en présence d´une Sphinx « pied-bot », face à un Œdipe, lui aussi, « pied-bot ». Dans le folklore grec, nous retrouvons une autre démone méridienne : l´Empuse (Empousa), dont le nom termine par deux syllabes qui évoquent celui d´Oidi-pous. Il s´agit d´une femme-spectre, placée aux Enfers par Aristophane et rattachée par d´autres traits à la mythologie solaire, qui saute à travers les rochers pour se jeter sur les voyageurs s´étant égarés aux carrefours, afin de leur faire perdre la raison ou bien de leur broyer les os dans son étreinte. Elle a deux pieds d´âne chaussés d´énormes sabots, l´un de bronze et l´autre ressemblant à un excrément, tant il est souillé de fumier. Ceci renvoie à la nature phallique et anal sadique de la variante d´Hécaste au visage resplendissant de feu. La Sphinx représente la part féminine d´Œdipe, c´est-à-dire la projection (miroir renversé) de sa personnalité.

33 Legrand (1972 : 43 à 45) remarque que le tableau d´Ingres, où Œdipe discute avec le Sphinx, présente deux détails importants. Cf.

annexe I : Œdipe et le Sphinx (1808) :

1- Le personnage barbu semble stupéfait face à l´audace et à l´incroyable chance d´Œdipe qui se prépare pour aller annoncer la défaite de la Sphinx aux Thébains. Il s´agit là de l´aspect social du mythologème œdipien. Œdipe se présente, alors, en tant que témoin d´un temps précédent porteur de la malédiction qui est mise en place, bien que Laïos avait voulu l´éviter à tout prix. 2- Le pied charnu d´Œdipe apparaît à gauche, contrastant avec les ossements plus vieux et maigres, au premier plan du détail. Ceci nous renvoie à l´étymologie admise par les Grecs du nom d´Œdipe, à savoir, pied gonflé/pied bot. Ce pied surgit de l´abîme des victimes, tandis qu´Œdipe répond à la devinette posée par l´animal et à laquelle il aurait répondu inconsciemment, en se désignant lui-même. La Sphinx aurait alors baptisé Œdipe par le cri « oi dipous ! », c´est-à-dire « oh, un bipède ! ». Selon la psychanalyse, ce pied bot renvoie à un pénis en érection, ce qui nous permet d´établir un rapprochement d´Œdipe avec les Dactyles, qui sont des

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chants perfides, la Sphinx, qui nous forçait à laisser là ce qui nous échappait, afin de regarder en face le péril placé sous nos yeux. » (Idem : 189).

Toutefois, la mention à Thèbes34 et à Corinthe35 nous renvoie à des villes réelles, qui ont une organisation politique monarchique, ce qui relève de l´Histoire.

Le mythe d´Œdipe se revêt d´un grand intérêt : en premier lieu, à travers la fascination, car il raconte une réalité et soulève des interrogations qui font appel à l´imagination et à la sensibilité de chacun. Le mythe sollicite, donc, à l´esprit d´explorer un ailleurs énigmatique vers nos origines ou vers l´au-delà avec, par exemple, Orphée, qui descend aux Enfers. De la sorte, il donne une forme à l´inconnu. Puis, le mythe fait appel à la réflexion, parce qu´il narre des situations sans pour autant porter un jugement définitif sur ces dernières. En effet, sa finalité ne consiste point à fournir des réponses, mais plutôt à nous inciter à les rechercher. Enfin, le mythe véhicule le savoir: bien que légendaire, il ne cesse pas de contenir une part de vérité. Chaque version d´un même mythe correspond à un contexte social déterminé, à une société donnée. Ainsi, Électre a commencé par symboliser l´ancien droit de la famille et du sang, puis a fini par représenter celui de la justice qui est rendue par la cité.

De même, le drame d´Œdipe répond à des questions exemplaires, fondamentales et éternelles sur l´homme. Bien qu´il ait accompli le fait extraordinaire de résoudre l´énigme du Sphinx, ce qui prouve bien son intelligence, Œdipe est doublement aveugle puisqu´il méconnaît ses origines et ses actes. Que pouvons donc nous savoir de nous-mêmes ? Sommes-nous libres ? 36

3.1- Mythe et tragédie

démons phalliques, une sorte de Titans en miniature, nés de la Terre. Tel les héros, Œdipe est tout d´abord perçu en tant qu´un dieu déchu de l´époque antéhistorique appartenant au cortège d´Héphaïstos, boiteux comme lui, ou de Poséidon, ce qui expliquerait sa disparition dans un bois sacré sous les auspices de Thésée.

34 « Ville de Grèce (*Béotie), célèbre par la légende d´*Œdipe. Ses habitants sont les Thébains. Ennemie d´Athènes, puis de Sparte.

Détruite par *Alexandre le Grand en 336 av. J. –C. Ville moderne (18700 hab.) reconstruite après les tremblements de terre de 1853 et 1893. » (Le Robert Dictionnaire d´Aujourd´hui ; 1991 : 315).

35 « Ville et port de Grèce, centre commercial sur l´isthme du même nom qui relie le Péloponnèse à la Grèce centrale et qui est

traversé par un canal (ouvert en 1883). 22700 hab. (les Corinthiens). Elle fut une des plus riches cités de la Grèce antique, rivale d´Athènes et de Sparte. Affaiblie par la guerre du *Péloponnèse, elle fut détruite par les Romains (146 av. J. –C.). » (Idem : 75).

36 « Sophocle semblait avoir tout dit et dans une aveuglante clarté qui aveuglera peut-être effectivement tout autant qu´elle éclairera.

Du moins la lisibilité du destin du héros s´y alliait-elle à une possibilitéindéfinie d´interprétations et de projections. » (Astier ; 1988 : 1061). Legrand (1972 : 52) nous rappelle que le mythe grec ne sert nullement à rassurer l´homme relativement à des problèmes de subsistance ni même par rapport aux forces du monde qui lui étaient extérieures. Les problèmes de la destinée humaine ne sont pas nés avec le Christianisme, qui est « responsable de l´histoire comme perspective de fuite » (Idem). Le mythe grec s´insère plutôt au sein d´un monde où l´homme commence à constituer un mystère pour lui-même, d´où l´incroyable importance de l´énigme de la Sphinx à laquelle Œdipe parvient à répondre. C´est de là que naît le succès extraordinaire de la figure d´Œdipe, qui apparaît donc comme voyant ou devin. Dans Œdipe roi, il ne cesse de poser des questions et de mener une enquête sur lui-même.

Referências

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