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THÈSE
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE GRENOBLE
Spécialité Sciences Economiques
Préparée dans le cadre d’une cotutelle entre
UNIVERSITÉ DE GRENOBLE
et PONTIFICIA UNIVERSIDADE CATOLICA SÃO-PAULO
Arrêtés ministériels : 6 janvier 2005 - 7 août 2006
Présentée et soutenue publiquement par
LUDOVIC DELOLM de LALAUBIE
le 26 janvier 2011
LA CITOYENNETE DES NON-CITOYENS
Les ressorts de la mobilisation des personnes en situation d’exclusion à partir de l’expérience du Groupe Pé no Chão, à Recife au Brésil.
Thèse dirigée par Offredi Claudine et codirigée par Belfiore Wanderley Mariangela
JURY
Monsieur Luiz Eduardo Wanderley, Docteur en Sciences Sociales, Université de
São Paulo, Professeur titulaire de la PUC São Paulo, Rapporteur,
Monsieur Michel Chauvière, Directeur de recherche au CNRS, Paris, Rapporteur
Madame Mariangela Belfiore Wanderley, Docteur en service social, Professeure
associée de la PUC São Paulo, Codirectrice de thèse
Madame Claudine Offredi, Ingénieur/Docteur, HDR en économie, UPMF, Directrice
de thèse
Madame Liliane Bensahel-Perrin, Ingénieur de recherche, HDR en économie,
UPMF, Présidente
Madame Maria Lucia Carvalho da Silva, Docteur en service social, Professeure
titulaire de la PUC São Paulo
Thèse préparée au sein du Laboratoire CREPPEM – Centre de Recherche Economique
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A toi, Marie-Do, première et fidèle compagne, tu m’as tant soutenu dans ce travail alors qu’il me prenait à toi. Je sais que je te dois beaucoup…
A vous, Martin, Camille, Mathilde et Sarah, mes enfants chéris, qui avaient dû me partager avec d’autres…
Je sais que cette aventure vous a aussi touchés par les rencontres vécues ensemble ; je sais qu’elles continueront de nourrir votre désir de « vivre ensemble »…
A vous, Claudine et Mariangela, professeures passionnées et infatigables, qui avez fait de ce travail un chemin à faire ensemble et su saisir la valeur que je lui donne…
Je vous remercie pour votre confiance et votre patience, elles m’ont été tant nécessaires… A vous les autres professeurs qui vous êtes associés, Wanderley professeur des luttes qui met l’exigence universitaire à la portée de ceux qui agissent au quotidien, Malù dont l’émerveillement et l’énergie sont des invitations à poursuivre, Michel sociologue baroudeur infatigable, Liliane pour les dernières touches d’exigence…
A vous qui, au Secours Catholique, avez cru en ce travail et l’avez rendu possible… Je pense en premier lieu à toi l’ami Bernard et à toi Gaby…
A vous, toute l’équipe de la délégation de Savoie qui avez « subi » cette thèse en acceptant la surcharge de travail, ma fatigue et d’en entendre trop souvent parler… Je pense particulièrement à toi Rémy ; merci d’avoir assumé mes absences sans une seule fois me le faire ressentir…
Je suis convaincu que notre action au Secours Catholique doit se mettre en dialogue avec la réflexion afin de marquer durablement l’histoire des hommes et des femmes que nous rencontrons… J’espère que ce temps passé à la recherche viendra enrichir le Secours Catholique et notre mission collective…
A toi, Sophie qui a pris soin de relire toutes ces pages pour y apporter tes corrections, et à toi Béa qui a aussi apporté cette aide…
A vous, Odila et Isbela, mes hôtesses paulistes qui avaient tant facilité mon travail…
Mais aussi à vous qui avez ouvert pour quelques jours vos portes pour que je trouve un petit coin tranquille pour écrire, dégagé de tout souci : Agnès et Christian, Isabel et Eric, Béa et Pascal, Karine et Bertrand, les sœurs de Chalais, la maison de la Tuya…
Je vous dois d’être arrivé jusqu’au bout…
Enfin, à vous tous qui m’avez régulièrement demandé ce que j’avais trouvé… ou quand est-ce que ce serait fini… ou encore ce que je ferai après cette thèse... Je vous dois des réponses :
- J’ai trouvé des femmes et des hommes qui m’ont fait grandir en humanité…
- J’avoue que ce n’est pas fini et loin de là, citoyenneté et démocratie sont des « horizons mouvants » qui invitent à aller toujours plus loin…
Les frais de cette recherche, dont principalement les missions au Brésil, ont été financés par
l’association Georges Hourdin. Elle a donc rendu possible ce projet de recherche. Qu’elle en
soit profondément remerciée.
Ceux qui subissent la grande pauvreté et l’exclusion ont une parole essentielle à apporter au
monde. En effet, comment prétendre bâtir une société de justice si l’on se prive de
l’expérience et de la réflexion de ceux qui ont toujours vécu l’injustice ? Comment prétendre
bâtir une société de paix si l’on se prive de l’expérience et de la réflexion de ceux qui n’ont
jamais connu que la violence sous toutes ses formes ? Alors que d’autres, en situation plus
protégée, peuvent en faire l’économie, les plus pauvres, acculés à vivre dans des conditions
extrêmes, soulèvent des questions qui interrogent les choix de l’ensemble de la société (autour
du vivre ensemble, de l’altérité, de la dignité, du pouvoir, de ce qu’est le travail, de ce que
nous voulons construire ensemble,…).
Se focaliser sur la « lutte contre la pauvreté et l’exclusion », c’est risquer d’en faire un en soi.
C’est risquer d’enfermer les personnes dans un « état » de pauvres et d’exclus et de les
« instituer » ainsi comme hors société. Les actions d’entraide et les mesures spécifiques
« pour les pauvres » contribuent souvent, de fait, à les maintenir hors du droit commun. Les
distributions alimentaires ou autres, même les épiceries sociales, les centres d’hébergement…
ne devraient répondre qu’à des situations d’urgence. Hélas, ils ne cessent de se développer et
de s’instituer, devenant ainsi des substituts au droit commun pour de nombreuses personnes et
familles.
La grande pauvreté et l’exclusion commenceront à disparaître le jour où nos sociétés se
donneront pour objectif que tous les citoyens sans exception, du « plus riche » au « plus
pauvre », accèdent au droit commun, c’est-à-dire à l’ensemble des droits fondamentaux qui
garantissent l’égale dignité de chacun. Mais cela ne sera possible que le jour où nos sociétés
décideront de prendre comme mesure de l’accès de tous aux droits fondamentaux, l’accès
La grande pauvreté et l’exclusion commenceront à disparaître le jour où celles et ceux qui en
sont victimes ne seront plus uniquement considérés comme des personnes à « aider » ou à
« assister », mais comme des personnes avec qui il est indispensable de s’associer pour
élaborer et conduire un projet de société commun. Cela va bien au-delà de leur
« témoignage », aussi important soit-il. Cela passe par leur participation aux débats publics et
par leur contribution effective à l’élaboration des politiques publiques.
Encore faut-il créer les conditions pour que leur parole s’exprime et vienne enrichir, par le
dialogue et la confrontation, la réflexion commune. C’est ce dans quoi se sont déjà investis
des mouvements et associations agissant pour la paix et le respect des droits de l’homme. Ce
courant doit s’élargir car il est le seul à même de permettre aux plus pauvres de ne plus être
considérés comme objets d’assistance, mais comme sujets de droits, acteurs et citoyens à part
entière. C’est un courant créateur de rencontre et de fraternité.
C’est ce qui a conduit le Conseil d’Administration de l’Association Georges Hourdin à
décider à l’unanimité de faire du soutien à ce courant citoyen, une de ses 2 priorités pour les
années à venir.
Préambule : Je vais vous parler d’un pays… ………. 14
Introduction ………..……….... 23
1. L’économie aurait-elle perdu la raison ? ……….... 24
2. L’individu contre la société ………. 27
3. L’objet de la recherche : les ressorts de la mobilisation des personnes en situation d’exclusion ………..………. 30
4. Le Brésil, rapide état des lieux ………...…. 30
4.1 Le Brésil, un pays émergent ……….... 41
4.2 Pauvreté, exclusion, inégalités ……….... 31
4.3 L’avènement démocratique face à l’hégémonie néolibérale ……...….... 33
5. La construction historique du Brésil sous deux axes principaux ………….... 38
5.1 Le Brésil, un pays façonné par une activité coloniale agraire et exportatrice 41 5.2. Le Brésil avec l’esclavage comme mode de production ; la relation « maître et esclave ». ……….………...…. 46
6. Les registres de la recherche ………..………. 56
7. La rencontre du Groupe Pé no Chão et la question de la citoyenneté …...…. 59
7.1 Quelques mots introductifs à propos du Groupe Pé no Chão …………. 59
7.2 La question de la citoyenneté ……….……. 61
8. La recherche-action comme méthodologie ………. 65
8.1 Un dialogue entre l’action et la recherche ……….………. 65
8.2 La recherche de l’éthique ………...………. 67
8.3 Le Groupe Pé no Chão, point de départ pour l’analyse ………. 69
8.4 Les ressources mobilisées pour la recherche ………...………...……. 69
9. Jeu de miroirs ; regards qui déplacent ………. 73
10. Le plan de la thèse ………. 75
Ière Partie : La difficile construction des politiques publiques au Brésil …...…………. 78
Introduction de la première partie ……….……. 79
I. L’émergence du Brésil – L’expérience démocratique confrontée aux logiques néolibérales ………. 82
I.1. Une globalisation néolibérale ………82
I.1.1 Libéralisme et néolibéralisme ………. 83
I.1.2. La mondialisation ………...………. 86
I.1.3. Une globalisation néolibérale ……….………. 90
I.2.1 Centralisme, autoritarisme et industrialisation ……….………… 94
I.2.2 Le retour à la démocratie ……….. 97
I.3 La décennie piégée par le libéralisme ………...……. 98
I.3.1 Les années Collor ………. 100
I.3.2 Le gouvernement d’Itamar Franco et le lancement du plan real …. 104 I.3.3 Le premier mandat de Fernando Henrique Cardoso ………. 104
I.3.4 Le second mandat de Fernando Henrique Cardoso ………. 111
I.3.5 Une violence sociale manifeste ……….. 115
I.3.6 Des attentes sur le plan social ………. 118
I.4 Lula, entre conservatisme et rénovation ……….……. 119
I.4.1 Un pays inégalitaire ………...……. 119
I.4.2 L’orthodoxie de Lula ………. 123
I.4.3 Des inégalités obstacles à la croissance ………. 125
I.4.4 Les espérances sociales ………..………. 127
I.4.5 Entre conservatisme et politiques compensatrices ………. 132
I.4.6 Des pratiques politiques ancestrales ………..……. 134
I.5 Quelques considérations finales sur les manifestations du néolibéralisme au Brésil ………. 139
II. Recife, ville inégalitaire et enfants en situation de rue ………. 143
II.1 Bref retour sur l’histoire de Recife ………. 143
II.1.1 Recife, « Venise américaine versus mucambópolis » ..………. 143
II.1.2. Le déclin de Recife ……….…….………. 147
II.2 Recife, la ville des inégalités ………..………...………. 148
II.2.1 Une ville marquée par des contrastes qui se côtoient …...…………. 148
II.2.2 La prégnance des favelas ……….…………. 151
La favela de Canal do Arruda ………. 152
La favela de Santo-Amaro ……….. 155
II.2.3 Les caractéristiques de la pauvreté à Recife, ………. 159
II.2.4 Recife, marquée par une violence qui frappe les jeunes ……..……. 161
II.3 Recife et la forte présence d’une jeunesse fragilisée .……..………... 163
II.3.1. La défaillance de l’éducation publique …………...………. 163
II.3.2. Le travail des enfants ……….…………. 165
II.3.3. La jeunesse populaire privée de l’accès à la modernité ….………. 167
II.3.4. Les enfants en situation de rue ………...…. 169
II.4 Recife portée par une tradition de mouvements sociaux et d’éducation populaire …………...………. 171
III. Les ONG au Brésil, entre projet démocratique et projet néolibéral ……. 174
III.1. Les ONG dans un contexte de mondialisation ………. 175
III.2. L’histoire des ONG au Brésil ………..…. 178
III.2.1. La génération des « missionnaires et militants » ………. 179
III.2.2. La génération des « promoteurs de la démocratie » ……… 180
III.2.3. La génération des « professionnels et technocratiques » ………. 181
III.2.4. Le financement des ONG ………...…. 184
III.3. Une difficile définition des ONG au Brésil ………. 186
III.4. Les ONG dans leur relation à la société civile ………. 188
III.5. ONG, Troisième secteur et philanthropisation de l’action sociale …..… 191
III.6. ONG, démocratie et espace public ………..…. 195
III.6.1. Les fragiles préambules d’une démocratie ………..……… 195
III.6.3. L’ONG, amplificateur de l’espace public ……….………. 198
III.6.4. Les limites des ONG dans la participation publique …..…………. 201
III.7. Quelques considérations finales sur les ONG ……….…………. 203
IV. De la place de l’enfant et de l’adolescent dans les politiques publiques au Brésil et plus précisément à Recife ………. 204
IV.1 La naissance de politiques publiques en direction des enfants et adolescents autour du paradigme du « mineur » ……….………. 204
IV.1.1 Une charge laissée au soin de l’Eglise et de la philanthropie …… 204
IV.1.2 Le Code des Mineurs ou la volonté de dompter l’enfant et l’adolescent dangereux ……….... 206
IV.2 L’Estatuto da Criança et da Adolescente et la naissance d’un nouveau paradigme autour de la citoyenneté ……….………. 208
IV.2.1 Les nouveaux acteurs collectifs de la construction d’un droit ……. 209
IV.2.2 Les fragiles conquêtes de l’Estatuto da Criança et da Adolescente .. 212
IV.2.3 L’engagement des ONG dans le sillage de l’Estatuto da Criança et da Adolescente ………. 214
IV.3 L’histoire des organisations en direction des enfants et adolescents dans la ville de Recife ………..………. 217
IV.3.1 Les ONG de Recife, promotrices de l’éducation sociale de rue …. 217 IV.3.2 Les ONG de Recife, engagées collectivement dans les fondements de nouvelles politiques publiques ………. 220
IV.3.3 Le douloureux « après ECA » des ONG de Recife ………. 221
IV.3.4 Le Groupe Pé no Chão ………. 225
IV.4 Quelques considérations finales sur la place des ONG dans l’action auprès des enfants et adolescents ………. 231
Conclusion de la première partie ………. 235
IIe Partie : D’une culture de résistance au dessein d’une nouvelle citoyenneté ….…. 239 Introduction de la deuxième partie ………..…………. 240
I. La citoyenneté à partir de l’expression d’une culture de résistance …….. 245
I.1 Education sociale de rue et culture populaire au crible de la dialectique colo, cultus, culturus ……….………. 246
I.2. Une culture de résistance ………. 253
II. La citoyenneté, une notion composite ………..……. 256
II.1 De la citoyenneté antique à la citoyenneté moderne ……….….… 256
II.2 La citoyenneté et la construction des droits ………..…. 261
II.2.1 La citoyenneté selon Marshall ………..……. 261
II.2.2 La pyramide renversée des droits ……….………. 262
II.2.3 La conquête des droits ………..………. 264
II.3 Citoyenneté statutaire et citoyenneté effective ………..………. 265
II.3.1 L’éducation comme exemple de droit non-effectif ………. 267
II.3.2 Effectivité et accès aux droits ………...………. 270
II.4 Sentiment d’appartenance et solidarité, la dimension identitaire de la citoyenneté ………...……. 273
II.4.1 Appartenance et construction des normes ………. 274
II.5 Une synthèse de la citoyenneté moderne ………. 277
III. Les paradoxes de la citoyenneté ………. 280
III.1 Différentes conceptions de la citoyenneté ………...………. 280
III.1.1 Trois idéaux-types de citoyenneté ………. 281
III.1.2 Des principes mis en tension ………..…….……. 283
III.2 Droits et devoirs ………..………….…. 285
III.2.1 La balance des droits et devoirs ………. 285
III.2.2 Le devoir comme responsabilité ………. 287
III.2.3 Le droit comme objet politique de transformation …………..……. 289
III.3 Privé et public ………..…………. 292
III.3.1 La définition du public et du privé ………. 292
III.3.2 Des frontières floues entre public et privé ………. 294
III.3.3 Le citoyen consommateur ………. 297
III.3.4 Du bien commun ……….………. 298
III.4 Citoyenneté passive et citoyenneté active ……….…………...……. 301
III.4.1 Une participation économique au détriment du politique ………… 302
III.4.2 Citoyenneté active et exercice démocratique ………. 306
III.4.3 Citoyenneté instituante et citoyenneté instaurée ………. 309
III.4.4 Les risques de la participation ……….………. 312
III.5 L’individuel et le collectif ………. 316
III.5.1 L’affirmation de l’individu ………. 316
III.5.2 La communauté mise en danger ………. 319
III.5.3 Primat de l’individuel ou du collectif ………. 321
III.5.4 Pour une articulation individu-société ………. 325
III.5.5 L’« autonomie reliante » et la citoyenneté ………..……. 327
III. 6 Egalité et différence ………..……..………. 329
III.6.1 Le déni de reconnaissance ………. 330
III.6.2 La question noire au Brésil ………. 332
III.6.3 Cultures dominées, inégalités socioéconomiques, identités méprisées 334
III.6.4 Le principe de reconnaissance et ses limites ………. 339
III.6.5 La reconnaissance à l’aune de la participation ………. 342
III.6.6 Egalité différence intrinsèquement liées dans la nouvelle citoyenneté 346
Conclusion de la deuxième partie ……….………. 348
IIIe Partie : Citoyenneté et démocratie : quand le défi de l’un est le défi de l’autre .. 351
Introduction de la troisième partie ………...…………. 352
I. La citoyenneté comme un art du « vivre ensemble » ………..……. 357
I.1 Citoyenneté et démocratie, « un mode d’être et de faire » …….…………. 358
I.2 Citoyenneté et démocratie, une expérience qui naît d’une praxis …..……. 360
I.3 La démocratie comme exercice de l’expression conflictuelle ………. 362
I.4 La citoyenneté comme art de vivre entre « autrui » ………...…. 364
I.4.1 Une culture démocratique ………. 365
I.4.2 La culture comme générateur de sens ………. 366
I.4.3 Une résistance créative ………. 369
I.4.4 Désir et expérience de la démocratie ………. 372
II. Démocratie et communauté ………. 378
II.1.1 « La communauté désœuvrée » ………. 379
II.1.2 Communauté et communautés ………. 381
II.1.3 La communauté politique ……….………. 384
II.1.4 Le souci de la communauté porté par le Groupe Pé no Chão ……... 387
II.1.5 Communauté et communication ………...…. 388
II.2 Enracinement versus enfermement ………...………. 394
II.2.1 Critères d’analyse d’une communauté ………….………. 394
II.2.2 Entre libéraux et communautariens ………..…………. 397
II.2.3 Le Groupe Pé no Chão comme « enracineur » ….………. 399
II.2.4 Les aspects communautaires de la favela ……….………. 401
II.2.5 Le Groupe Pé no Chão comme « ouvreur » ………. 404
II.2.6 Des communautés démocratiques ………. 408
II.3 Communauté politique et espace public ………. 410
II.3.1 Le Groupe Pé no Chão comme « éveilleur » ………. 411
II.3.2 L’espace de dialogue des différences ………...………. 417
II.3.3 Diverses approches de l’espace public ……….………. 421
II.3.4 Un espace ouvert à tous ………. 425
II.3.5 Les qualités dialogiques de l’espace public ………. 428
II.3.6 Le Groupe Pé no Chão comme « passeur » ……….433
III. La démocratie comme accès à l’égalité et à la liberté ………. 436
III.1 L’exigence égalitaire ………. 437
III.1.1 L’égalité, le difficile défi démocratique ………. 438
III.1.2 De quelle égalité parlons-nous ? ……….……. 441
III.2 La parité dans la participation ………. 445
III.3 Egalité et liberté ………...…………. 448
III.3.1 Une égalité de la liberté ………..………. 448
III.3.2 La liberté vue au prisme de la citoyenneté …..………. 450
III.4 Citoyenneté et capabilités ………. 452
III.4.1 Une approche conceptuelle des capabilités ………. 452
III4.2 Le manque d’opportunités ………...……. 454
III.4.3 De l’approche des capabilités dans une dimension collective ……. 456
III.4.4 Le Groupe Pé no Chão comme « capabilisateur » ………. 458
III. 4.5 Capabilités et espace public ………...…. 463
Conclusion de la troisième partie ………. 468
Conclusion : Le Groupe Pé no Chão et la « fabrique du sujet-citoyen » ……….471
1. La citoyenneté tronquée ………. 474
2. La subjectivation du citoyen ………. 475
3. La fabrique du « sujet-citoyen » ………. 479
4. La construction identitaire ………. 481
5. L’identité comme force de mobilisation ………. 483
6. L’identité comme force de transformation sociale ………. 486
7. La citoyenneté des non-citoyens ………. 488
8. Considérations finales ………. 490
Liste des encadrés
Encadré n° 1 : Une personne sur six souffre de la faim dans le monde ………...…………. 24 Encadré n° 2 : L’utilitarisme ………. 25 Encadré n° 3 : L’exclusion, banalité d’une notion qui pointe un fait de société. …………. 28 Encadré n° 4 : Une présentation du Brésil ………...………. 32 Encadré n° 5 : Les trois peuples fondateurs du Brésil et leur dénomination ………..……. 41 Encadré n° 6 : Exemples d’appels en lien à la citoyenneté ………. 64 Encadré n° 7 : Différentes dimensions de la mondialisation ………. 88 Encadré n° 8 : L’Acte Institutionnel n° 5 ……….………. 96 Encadré n° 9 : Article de Jean-Jacques SEVILLA paru dans le journal Libération, le 1er juillet 1995 à l’occasion du premier anniversaire du plan Real ………. 105 Encadré n° 10 : Définition de l’Indicateur de Développement Humain ………. 119 Encadré n° 11 : Une présentation de la Région du Nordeste et l’Etat du Pernambouc …. 142 Encadré n°12 : Une présentation de la ville de Recife ………. 149
Encadré n° 13 : La favela de Canal do Arruda ………..………. 154
Encadré n° 14 : La favela de Santo-Amaro ………. 155
Encadré n° 15 : Liste des homicides publiée dans la « Folha de Pernambuco » ….…. 162
Encadré n° 16 : La « Charte octroyée » de Pedro Ier ………. 259
Encadré n° 17 : Articles de la Constitution de 1988 concernant le droit à l’éducation …. 268 Encadré n° 18 : une définition de la praxis sociale ………. 360 Encadré n° 19 : La conscientisation dans la pédagogie de Paulo Freire …………..…. 372
Liste des tableaux :
Tableau n° 1 : Concentration du revenu total par décile en 1992 et 1993 ………. 101 Tableau n° 2 : Concentration du revenu total par décile en 1992 et 1999 ………. 106 Tableau n° 3 : nombre de pauvres en million par année et suivant la ligne de pauvreté à 25% ou 50% du salaire minimum (SM). ………. 107 Tableau n° 4 : Distribution personnelle des revenus ………. 108 Tableau n° 5 : Homicides au Brésil entre 1979 et 1997 ………. 115 Tableau n° 6 : la croissance de la population de Recife comparé à celle du brésil ………. 147 Tableau n° 7 : la population de la ville de Recife réparti par âge et sexe, 2000 …………. 162 Tableau n° 8 : Profil de la Jeunesse à Recife ………. 164 Tableau n° 9 : Provenance des financements obtenus par les organisations associées à ABONG en 2000 et 2003. ………. 184 Tableau n° 10 : Répartition des fonds dans le budget global de l’ensemble des organisations associées à ABONG en 1993, 2000 et 2003. ………. 184 Tableau n° 11 : Les organisations associées à ABONG en 2003 en relation aux fonds de financement et selon le taux de participation de ces fonds dans leur budget. ………. 185
Liste des documents photographiques :
Document photographique n° 6 : Culture et immersion dans l’histoire du peuple brésilien 252
Document photographique n° 7 : La statue de la citoyenneté ………. 286
Document photographique n° 8 : La roda, espace de dialogue ………. 315
Document photographique n° 9 : Histoires de vie ……….………. 374
Document photographique n° 10 : Eco da Periferia, un rendez-vous important du Groupe Pé no Chão avec la population ………. 392
Liste des schémas : Schéma n° 1 : construction du Brésil et culture de résistance ………. 253
Schéma n° 2 : Citoyenneté et exclusion ………. 278
Schéma n° 3 : Citoyenneté instaurée et citoyenneté instituante ………. 309
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« Il était une fois un homme et une femme.
Ils avaient un seul garçon qui était déjà un jeune homme. Ils étaient pauvres.
C’était dur pour eux d’avoir deux repas.
Le jeune homme n’était pas trop vaillant lui non plus.
Il se promenait d'un coin à un autre mais ça n’aidait pas son père qui était cordonnier et
n’avait pas beaucoup d’argent dans ce temps-là. Il n’y avait pas beaucoup de chaussures à
arranger.
Un jour, le petit gars… »
Une trentaine de personnes écoutent l’histoire de Jean pour qui la pauvreté va l’amener à
vivre toute une série d’aventures jusqu’à épouser la princesse et vivre amoureusement avec
elle. Mais avant cela, au risque de mourir, il aura repeint la chambre de la princesse. Sans
aucun moyen pour se fournir une belle peinture, il la fabriquera à partir des misérables choses
qu’il possède. Et quand il va peindre la chambre, c’est toute son histoire qui va s’inscrire en
lettres d’or sur les murs…
Après avoir écouté ce conte, et même l’avoir joué, voilà les personnes qui se transforment en
artistes. Ce n’est pas une chambre qu’elles vont repeindre mais une boîte. A leur façon, elles
vont raconter leur vie. L’histoire de leur vie…
Pour ces personnes, toutes confrontées à des formes diverses d’exclusion, le quotidien ne
semble pas dépendre d’elles-mêmes mais de l’assistante sociale qui attribuera peut-être une
aide pour finir le mois, de l’éducateur qui dit comment s’occuper des enfants, du tuteur qui
décide de l’affectation de leur revenu, du médecin, du psychiatre, du juge et même pour
certaines d’un office qui va décider si elles vont pouvoir rester sur le sol français… La
pauvreté, l’exclusion dépossède de ce qu’il y a de plus intime : la vie.
Ce jour-là, par le conte, en transformant ces boîtes à l’image de ces vies parfois bien
cabossées, il s’agissait de reprendre possession de ce qu’il y a de plus personnel… Et plus que
cela, il s’agissait de devenir « artiste » de sa vie…
Cette scène, c’est le Secours Catholique qui m’a amené à la vivre. Elle se déroule au cours
d’une semaine de vacances un peu particulière. Ce temps s’inscrit dans un parcours plus
vaste, au cœur d’un processus pédagogique cherchant à permettre aux personnes de reprendre
Voilà presque dix-huit années que je travaille au Secours Catholique et mon implication
professionnelle s’est laissée interroger par la parole des personnes rencontrées, confrontées à
des difficultés multiples et variées. C’est ainsi que j’ai pris conscience que, aussi généreuses
soient-elles, de nombreuses façons d’aider, privées ou publiques, formelles ou informelles,
dépossédaient les personnes de ce qu’elles avaient de plus important : la liberté de déterminer
leur vie. Du plus basique (Que manger ? Où se loger ?) au plus fondamental (qu’est que j’ai
envie de partager avec les personnes avec qui je suis appelé à vivre ?), tout leur échappait.
Acteur du social bien avant d’arriver au Secours Catholique – j’ai commencé à travailler
comme éducateur spécialisé en 1985 – qu’est ce qui m’a permis à un moment de porter un
regard différent ? Je crois pouvoir dire que c’est le déplacement, l’acceptation d’occuper une
nouvelle posture, de se rendre autrement disponible. Le passage de celui qui est missionné
pour penser, organiser, assurer une mission à celui qui se donne à la rencontre.
A travers de nombreux stagiaires se destinant aux métiers du social et qui passent au Secours
Catholique, je me reconnais dans cette volonté d’œuvrer, d’agir, et il faut le dire, dans cette
croyance à une toute puissante et généreuse capacité à transformer la réalité des personnes.
Question de temps ? Question de peur ? La disponibilité pour la rencontre n’est pas forcément
très grande. Mais surtout, les espaces de rencontres sont rares dans d’une société qui possède
ses strates, ses territoires, ses rôles sociaux amenant chacun, physiquement ou
symboliquement, à rester à distance.
Le Secours Catholique m’a donné la chance de rencontres simples mais vraies. Pas besoin de
temps bien institutionnels mais un café, des repas partagés, des vacances collectives, des
actions menées ensemble, des réflexions partagées, des soucis portés conjointement… Des
temps qui ne me commandent plus un discours mais qui m’invitent à l’écoute. Des espaces
qui n’attendent pas des personnes un rôle qui leur est dicté mais qui les autorisent à être
elles-mêmes.
Ceci m’a amené à porter une analyse rétroactive critique sur ma pratique professionnelle. Elle
vise un point essentiel : le regard porté à la personne. Pour reprendre l’expression de Levinas,
la façon de l’envisager. L’envie sage d’aller au-delà de ce qu’elle donne à voir ; ou plutôt, de
ce que j’ai envie de voir d’elle ; et peut-être même au-delà du visage que je l’incite à prendre.
prendre le temps de comprendre leurs enfermements. Le regard que j’ai porté sur elles s’est
souvent réduit à celui de personnes déficientes, manquant de moyens matériels, intellectuels,
voire affectifs. J’isolais totalement ces personnes du processus historique et sociétal dans
lequel elles étaient inscrites. Par induction, mon regard bienveillant était accusateur,
disqualifiant.
Tout cela m’amène à penser, et surtout à tenter de le vivre dans mon engagement
professionnel, que l’objet de l’action n’est plus la transformation de la personne confrontée à
des difficultés, mais de la réalité vécue, de l’environnement, de la société qui est la nôtre.
Plutôt que d’en faire l’objet de mon action, il va s’agir de faire de la personne le partenaire
d’un projet commun. Le déplacement n’est pas que sémantique. Il conduit à des pratiques
toutes autres, où « l’agir ensemble » devient prioritaire.
Le déplacement est double : l’objet de mon agir n’est plus le changement de la personne mais
la transformation du cadre, l’acteur du changement n’est plus moi seul mais la personne
directement concernée à laquelle je suis associé.
Souvent il m’a été renvoyé la valorisation de l’action collective au détriment de l’individuel.
En rien il n’est question d’opposer les deux dimensions, transformation individuelle et
transformation collective. Il s’agit plus de repenser leur articulation et d’inscrire l’action
sociale dans le projet du « vivre ensemble » en société. La dimension de la transformation
individuelle y a toute sa place, mais elle n’est plus une injonction sociale demandant d’entrer
dans un cadre imposé. Elle reste de la volonté de la personne, s’inscrit dans un cadre de
valeurs et dans un projet négocié collectivement, et enfin, elle implique le travailleur social
dans sa propre dynamique personnelle.
La société fait trop porter sur les épaules des personnes vivant la pauvreté le poids de leurs
difficultés, allant jusqu’à leur en renvoyer la responsabilité, alors qu’il s’agit principalement
de dysfonctionnements structurels.
Cependant, qu’il soit clair que les mots restent faciles à poser sur une feuille. Derrière, il y a
un défi quotidien difficile à relever qui s’apparente à un combat, quelquefois avec soi-même.
Mon parcours d’acteur social s’est nourri d’une autre expérience. J’ai grandi dans l’éducation
populaire, au sein du mouvement des Scouts de France. A partir de 7 ans et jusqu’à l’âge
mais aussi à moi-même par l’apprentissage du sens critique, de la réflexion, de la
responsabilité…
Enfant puis adolescent, j’ai fait de cet espace le lieu de mes jeux, de mes rencontres, de ma
compréhension de l’environnement proche et plus lointain. J’y ai développé le sens créatif.
J’ai ainsi appris à sortir des schémas de « reproducteur » dans lesquels l’école et une société
extrêmement normalisée ont tendance à nous enfermer. A une époque où la culture de masse
renforce cet aspect, la créativité, dans laquelle je situe aujourd’hui la recherche, notamment
universitaire, devient une forme de revendication de la dignité humaine.
Jeune puis adulte, j’ai gouté au plaisir de l’animation, de l’organisation, de la transmission
mais surtout de penser tout cela. Déjà la question de la participation et de la démocratie était
au cœur de mes intérêts. Nous avions travaillé au développement de série de temps et
d’instances qui permettaient aux enfants de décider et réguler la vie du groupe, de choisir les
imaginaires dans lesquels ils évoluaient.
Ecole de la responsabilité et de l’autonomie, l’éducation populaire apprend à être acteur au
milieu d’autres, avec d’autres, afin de construire une convivialité mutuelle. Elle a stimulé
l’utopie et la croyance en l’intérêt d’œuvrer à un « monde commun ».
Cette brève relecture d’un parcours personnel est évidemment une réinterprétation de
l’histoire. Elle se fait dans des cadres analytiques développés au fur et à mesure. La formation
universitaire y procède forcément et de façon enrichissante.
Un DESS en politiques sociales m’a conduit à une première recherche. Elle m’a permis de
réfléchir à comment l’action collective visant la transformation sociale pouvait constituter un
référentiel pour l’action sociale.
L’action que nous menons au Secours Catholique est tiraillée par différentes analyses sociales
et logiques opératoires. Une première opposition se trouve entre les approches assistancielles
et celles plus participatives. Mais au sein même des approches participatives, des distinctions
sont à faire car d’autres oppositions s’y nourrissent. Notamment, la notion de participation
peut se réduire à des modèles très managériaux se réduisant à des formes manipulatrices pour
obtenir l’adhésion du public. Elles parviennent aussi à être situées sur un axe sociopolitique
où les logiques de la pauvreté et de l’exclusion peuvent être discutées.
En France, au début des années 1980, la notion d’insertion s’impose en tentant de renouveler
fondamentalement être qu’une forme de reconstruction de l’assistance dans un nouveau cadre
issu, lui-même, des paradigmes dépassés par l’évolution de la société.
De nombreux auteurs, de Castel à Paugam, en passant par Barel, Autes, Laville, Eme,
Roustang, Perret et bien d’autres, nous ont aidés à porter un regard lucide sur les causes des
dysfonctionnements. Pourtant, les pratiques sociales restent focalisées sur les personnes,
laissant de côté les dysfonctionnements structurels qui les mettent à la marge. Ces pratiques
n’ont aucune prise sur le politique et l’économique tout en étant en complète dépendance.
Questionner les marges revient à questionner le centre. S’intéresser à l’exclusion amène
indubitablement à s’intéresser au centre. Finalement, à la question « qu’est-ce que la
pauvreté ? », il nous faut répondre en définissant la richesse. A la question « qu’est-ce que
l’exclusion ? », il nous faut chercher à définir la démocratie.
C’est ce champ de questionnement qui traversait ma première recherche universitaire et qui
avait été mis en sommeil. Le Brésil est venu les réveiller !
Déjà éveillé à la théologie de la libération, intéressé par la pédagogie de Paulo Freire, mon
attirance pour l’Amérique Latine et plus particulièrement le Brésil a grandi par la découverte
de ses luttes sociales, de ses pratiques participatives et alternatives. Elles me laissaient
entrevoir un pays où un autre possible pouvait s’envisager. Une des immenses richesses du
Secours Catholique est de travailler au sein d’un réseau international – Caritas Internationalis
– qui lui permet de concevoir la lutte contre la pauvreté et l’exclusion comme un défi qui
dépasse nos frontières. Depuis longtemps, les pratiques de l’association s’enrichissent des
échanges avec les partenaires qui se trouvent dans le monde entier.
A ce titre, mes premiers contacts avec le continent latino-américain se sont fait par l’accueil
de partenaires indiens quechuas de l’Equateur, puis en me rendant à deux reprises en
Colombie.
Le Forum Social Mondial (FSM), à Porto-Alegre en janvier 2003, a été ma première
découverte du Brésil. Je découvrais un pays en liesse avec l’élection à la présidence de Lula et
sa toute récente prise de fonction. Il faisait naître des espérances qui dépassaient largement les
frontières du pays.
A cette occasion, Porto-Alegre a été le théâtre d’une rencontre capitale, celle de Vera Bellato
et Jocimar Borges, fondateurs du Groupe Pé no Chão, s’occupant d’enfants faisant de la rue
Nous nous sommes revus la même année, en novembre à Paris, lors du Forum Social
Européen (FSE). Ils étaient accompagnés d’une dizaine d’enfants et adolescents du Groupe.
Puis, un an plus tard, ils venaient en Savoie accompagnés de treize enfants et adolescents.
Nous avons partagé beaucoup d’intérêts, interrogations, intuitions, désirs communs. Nos
pratiques mutuelles se questionnaient ; l’envie de travailler ensemble naissait. Lors des
rencontres de type Forum sociaux, ce sont les têtes de réseaux, les leaders et responsables
associatifs qui se rencontrent. Il n’y a pas d’espace de rencontre pour les personnes entre elles.
Ce point paraissait intéressant à approfondir. Pour cela, nous voulions poursuivre ensemble,
apprendre à nous connaître, nous rencontrer d’avantage, tenter un même bout de chemin. Il
restait à trouver un cadre qui le permette.
Les pratiques que le Groupe Pé no Chão développait me semblaient extrêmement
intéressantes pour avancer dans mon questionnement. Je trouvais aussi pertinent de les
confronter à un autre cadre que celui dans lequel j’exerçais quotidiennement.
Autre attrait, la recherche pouvait devenir le support plus large, non seulement de rencontre
d’acteurs de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion mais aussi de personnes confrontées à
ces situations. Finalement, par ce projet de recherche, il devenait possible d’en faire une
opportunité pour des personnes, de part et d’autre de l’Atlantique de se croiser, de se
rencontrer, d’échanger, de construire de nouvelles formes de solidarités.
Le Groupe est revenu deux fois en Savoie, en octobre-novembre 2006 et en avril-mai 2010.
Un groupe du Secours Catholique de Savoie, comprenant des personnes vivant l’exclusion,
est allé une fois à Recife, en avril 2008. Chaque visite mutuelle a été l’occasion d’échanges
extrêmement denses. Des ateliers ont permis de partager nos représentations et confrontations
de la pauvreté. Des immersions dans la favela au Brésil ou dans les familles en France ont fait
dépasser les approches quelques fois superficielles. Elles ont fait naître une fraternité et un
intéressement pour l’autre.
Ces propos situent-ils le chercheur ? Avec un peu plus de sévérité, ne devrais-je pas plutôt
dire : ces propos peuvent-ils être ceux d’un chercheur ? Une part de la réponse ne
m’appartient pas. Mais pour la part qui me revient, ces propos situent l’homme face à sa
quête, l’homme face au mystère qui l’habite.
Mystère… je viens de lancer le mot… sans filet ! Je ne le regrette pas. Il me lie, me relie… Il
totalement, de ce qui fait certitude à ces doutes effrontés qui sans cesse invitent à la
reconsidération, de la quiétude ou même de la félicité à l’impossibilité de s’arrêter, conscient
d’être porteur d’une urgence qui met en ébullition.
Mystère… ne serait-ce pas le mot du chercheur… Si c’est cela, je veux bien le mettre au
centre de ce que je suis, un chercheur en fin de compte ! Non pas au sens de « savant », je ne
m’en sens pas la légitimité. Mais chercheur, comme un être en errance, comme un être qui
doute… Chercheur comme si finalement le but n’avait pas de fin… ou simplement pas
d’importance. C’est le chemin emprunté qui a de l’importance, qui donne le sens. C’est cela,
chercheur, c’est celui qui se met en marche, qui se meut, qui s’émeut… Chercheur de sens…
voici comment j’aimerais me définir.
En ouverture de ce propos, je relatais cette expérience de récit de vie. Je n’ai pas utilisé la
peinture, je n’ai pas décoré de boîte avec les images de ma vie, mais je me suis prêté à livrer
des éléments d’un parcours personnel. Ainsi, je donne les bases qui me permettent d’être
créateur. Créateur d’une recherche qui s’incarne dans un questionnement bien concret, dans
des pratiques qui s’expérimentent, mais aussi dans une utopie de société plus juste et plus
fraternelle. De cette façon, à mon tour d’être artiste…
L’œuvre d’un artiste (ou qui se nomme ainsi) n’échappe pas aux jugements. Elle passe au
crible de la critique, des canons en vigueur. Il en est ainsi de cette recherche. Elle va se
soumettre aux jugements, elle va être appréciée au regard des règles académiques, elle va
tenter de se livrer pour donner à penser, pour donner à agir. Qu’en restera-t-il réellement ?
Quoi qu’il en soit, par ce qu’elle a engagé sur le terrain, elle a déjà construit un pont. Difficile
de dire combien de temps il résistera mais il a déjà permis des échanges non quantifiables en
fraternité, émotion, affection… Tout ceci n’est pas dépourvu d’intérêt quand il s’agit de
donner du sens à des vies.
Ce préambule s’achève pour laisser place au travail de recherche. Il laisse place à un langage
plus académique se caractérisant tout d’abord par l’usage de la première personne du pluriel.
Le choix du singulier pour cette ouverture relève de la volonté de me situer personnellement,
avec authenticité. Ceci est important pour l’honnêteté du travail.
Il existe une pensée qui laisse croire qu’une science pourrait être neutre. Elle ne serait alors
que descriptive. Et encore, serait-elle vraiment neutre ? Voyons-nous tous la même chose ?
Ne parlons-nous pas de point de vue ? D’un point de vue ?
Ma recherche n’est pas libre de toute intentionnalité. D’ailleurs, serait-elle libre si elle ne
participe d’un parcours avec des enfants, des femmes, des hommes pour qui l’exclusion et la
pauvreté sont des maux. Je ne peux donc pas faire abstraction des conflits de valeurs qui
m’habitent, des utopies qui me guident. Ils demandaient cependant à être clairement
exprimés.
Pour l’acteur social que je suis, la recherche est cet exercice impudique qui relève de
l’acceptation de mettre pratiques et croyances à nu afin de vérifier comment elles résistent au
regard d’une réalité décrite plus scientifiquement. A l’inverse, pour le chercheur,
l’universitaire, par l’acteur, il est amené à vérifier ses concepts à la toute aussi exigeante
épreuve du terrain.
Souhaitant faire ce passage de l’acteur de terrain au chercheur, nous voila donc utilisant le
« nous ». Ce n’est pas qu’une formule de style et un souci académique. C’est reconnaître
modestement qu’une pensée, une affirmation, la définition d’un concept ne sont possibles que
parce que bien d’autres y ont aussi travaillé. C’est reconnaître l’inspiration des auteurs qui ont
accompagné la recherche. C’est reconnaître les allers et retours intellectuels avec les
professeurs et autres chercheurs qui m’ont accompagné durant tout le travail de maturation de
la pensée. C’est reconnaître l’appui moral de tous ceux qui soutiennent le chercheur dans ses
moments de doutes. C’est aussi reconnaître la participation des personnes directement
concernées par les questions débattues ; elles n’ont cessé d’être présentes pendant ses années
de mûrissement de l’étude jusqu’en participant à travers divers ateliers et séminaires par leur
o 1. L’économie aurait-elle perdu la raison ?
Les regards sur le monde inquiètent. Les nouvelles données écologiques viennent s’ajouter
aux constats socioéconomiques beaucoup plus anciens. Ensemble, ils actionnent les systèmes
d’alarme. Pour autant, sont-ils entendus ?
Un habitant du globe sur six ne mange pas à sa
faim. Cela se passe partout dans le monde, au
Brésil, mais aussi en France, même si le
problème n’est pas de même ampleur. Crise
économique, crise politique, crise sociale, crise
écologique… Et peut-être aussi crise de la
raison. Alors qu’en 2009 le PIB mondial
subissait de plein fouet la crise et chutait à
57 937 460 millions en dollars étasuniens (60
689 812 millions de dollars en 2008), il avait
tout de même progressé de 20% depuis 2006
(48 245 198 millions de dollars en 2006)1.
Durant la même période, le nombre de
personnes malnutries à travers le monde
augmentait dans les mêmes proportions.
Perroux donnait trois tâches à l’économie : « nourrir les hommes, soigner les hommes, libérer
les esclaves »2. Si nous prenons appui sur ces trois bases, nous constatons amèrement que la
croissance de ce que l’économie considère comme la richesse ne permet pas de servir les buts
qu’elle se fixe.
Les économistes semblent avoir corrigé certaines de leurs théories comme la courbe de
Kuznets, relevant d’études empiriques faites essentiellement en Amérique Latine entre 1950
et 1980 et défendant que toutes croissances induisaient une augmentation des inégalités dans
une première phase pour ensuite inverser la tendance, une fois que l’économie avait décollé.
Les politiques néolibérales restent pour autant d’une violence inouïe pour les personnes les
plus fragiles. Elles oppressent, appauvrissent, creusent les inégalités. Les réformes qu’elles
1
Données du FMI.
2
François PERROUX, La Coexistence pacifique, 1958, cité par Claude MOUCHOT (dir.), « Pour que
l’économie retrouve la raison », Edition Economica, Paris, 2010.
Encadré n° 1
Une personne sur six souffre de la faim dans le monde
Le seuil du milliard de personnes malnutries a été dépassé en 2009. 1,02 milliard de personnes pour être plus précis. Soit 20% de plus qu’en 2006, juste trois années auparavant. 15 millions de ces personnes vivent dans les pays développés. 53 millions sont en Amérique Latine et Caraïbes. Au brésil, 11,7 millions de personnes, soit environ 6% de la population, vivent en état de nutrition. Le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde est exponentiel depuis 10 ans. Aucun progrès n’a été effectué pour atteindre les objectifs du Millénaire d’une baisse de moitié des personnes sous-alimentées entre 1990 et 2015, à environ 420 millions de personnes. Une crise qui ne touche plus uniquement les pays pauvres. Dans les pays développés, 15 millions de personnes souffrent aussi de la faim.
prônent, dites « structurelles » s’apparentent fortement à des programmations de
l’appauvrissement.1
Solow, prix Nobel d’économie, dit de cela : « Il existe une perception largement répandue
selon laquelle les grandes Economies européennes n’ont pas été très performantes au cours des années 1990 en comparaison avec leurs propres performances passées et avec les performances des Etats-Unis au cours de la même période. Tant au sein des institutions financières et gouvernementales européennes que parmi les économistes d’Europe, la réponse la plus courante à cette situation se traduit par un appel à des réformes structurelles, étant implicitement entendu que rien d’autre n’est vraiment nécessaire.
Dans la plupart des cas, cet appel à des réformes structurelles concerne principalement une réforme – dérégulation – du marché du travail qui viserait à en faire un « marché spot » comparable à celui d’une denrée périssable. Les suggestions les plus courantes seraient de restreindre les conditions d’éligibilité à l’assurance chômage, de réduire la durée maximale et le montant des indemnités, de restreindre ou d’éliminer les restrictions imposées à
l’embauche et au licenciement, de diminuer le pouvoir de négociation des syndicats. »2
Le libéralisme économique semble rester le dernier modèle économique viable. Le marché et
la concurrence sont admis comme les moins mauvaises formes d’organisation de la vie
économique. La liberté des individus à décider de leurs actions en fonction de leur propre
intérêt est reconnue comme ouvrant à des avancées techniques, de l’innovation et de la
croissance économique. Mais le libéralisme, lui-même peut-être confronté au manque de
concurrence et de modèles alternatifs, est devenu hégémonique, totalisateur. Il génère des
inégalités, des violences, de l’oppression. Il est abandonné à la loi du plus fort, fragilisant
toujours plus les plus faibles, gangrenant les
avancées sociales et politiques que de nombreux
peuples avaient courageusement gagné au prix
de longues luttes.3
Cette hégémonie se construit notamment à
travers des impasses théoriques voire des
impostures théoriques qui deviennent de vrais mythes envahissant les représentations sociales.
1
Claude MOUCHOT (dir.), Bernard CARRERE, Alain-Charles MARTINET, Hugues PUEL, Fred SEIDEL,
Pour que l’économie retrouve la raison, op.cit.
2
Robert Merton SOLOW, Réforme structurelle et politique économique, Edition Economica, Paris, 2006, p.1-3,
cité
3
Claude MOUCHOT, op.cit.
Encadré n° 2
L’utilitarisme : Un comportement ou une
Parmi ces impostures, il en est qui amènent de façon fallacieuse à une réduction de la notion
de bien-être à de simples avoirslimités à la dimension monétaire. Ceci peut s’illustrer à partir
des doctrines utilitaristes basées sur l’hypothèse que l’homme est un individu exerçant des
choix rationnels et guidé en cela par la poursuite d’un intérêt personnel dans une morale du
résultat1. Beaucoup d’encre a coulé autour de la « version utilitariste du bien-être » dont
l’impasse fondamentale est sans doute celle qui est faite sur la « pluralité humaine » en
étendant au problème de la « bonne société » les principes du choix rationnel valable pour un
individu unique. Lorsque Mouchot démontre les conséquences du postulat et de la logique
rationnelle qui l’accompagne consistant à dire : il est juste et cohérent que « chaque individu
recherche sa satisfaction maximale », il insiste, comme Sen l’avaient déjà fait dans ses écrits,
sur la conception mécaniste de l’économie au détriment d’une conception éthique et politique.
Conception mécaniste qui, dans la tradition utilitariste, considère par exemple les droits
comme de simples moyens pour obtenir d’autres biens… Quelque soit le versant considéré :
impasses théoriques des théories utilitaristes du bien-être2, limite épistémologique au sein de
la théorie économique3 ou/et imposture quant ces théories servent les enjeux sociopolitiques
des sociétés4… Il est clair pour nous, que notre propos, situé du côté de l’éthique, de la
pluralité des motivations humaines et de l’engagement, empruntera essentiellement aux
courants théoriques post-utilitaristes en s’articulant autour d’une question posée par Sen
« Qu’en est-il de la possibilité de défendre les droits d’une personne non pas seulement selon
la nature de leurs conséquences, mais parce que ces droits sont moralement acceptables de
façon intrinsèque indépendamment des conséquences qu’entraîne leur exercice ?»
Sous une autre forme, le rapport de Viveret sur « Reconsidérer la richesse »5, amène à reposer
la question de savoir ce qui est entendu par « richesse ». Partant de la démonstration de
combien il est mortifère de se baser sur l’unique Produit Intérieur Brut, il s’intéresse à
redéfinir les indices qui permettraient de la mesurer. Sa démarche se préoccupe du fossé entre
les riches et les pauvres créé par la recherche effrénée de la croissance. Son étude s’ouvre à
diverses expériences de terrain. S’inspirant du travail réalisé par le Collectif « Un Québec
sans pauvreté » regroupant diverses associations et des personnes vivant la pauvreté autour
1
Maurice PARODI, Usages de la notion d’utilité sociale : un retour sur les théories de la valeur et le concept
d’utilité chez les économistes, in Claudine OFFREDI, Françoise RAVOUX, « La notion d’utilité sociale au défi de son identité dans l’évaluation des politiques publiques », éditions L’harmattan, Paris, 2009, Maurice
PARODI, op.cit.
2
Jean-Pierre DUPUY, Ethique et philosophie de l’action, éditions Ellipses, Paris, 1999, Maurice PARODI,
op.cit.
3
Antoine LEBLOIS, Economie et morale, consulté septembre 2010,
http://antoine.leblois.free.fr/Acteur&DD.pdf
4
Claude MOUCHOT, op.cit.
5
des dynamiques de l’éducation populaire, il traduit la violence ressentie par les personnes
dans les logiques économiques qu’elles subissent en reprenant leur concept d’un « Produit
Intérieur Doux » en opposition au « Produit Intérieur Brut ».
Par son hégémonie, l’économie « orthodoxe » s’est dissociée de la complexité humaine. A
réduire la personne à un individu isolé et supposé rationnel dans les choix individus qu’il fait,
elle l’a coupé de sa dimension sociale. A ne prendre en compte que la poursuite de son seul
intérêt personnel, elle l’a coupé de sa dimension altruiste et en a fait un être égoïste. A ne
valoriser l’échange qu’à travers la monnaie, elle en a fait un produit rare affectant le tissu
relationnel. A réduire l’entreprise à des centres de profit, elle l’éloigne de l’idée première de
production de biens et services, allant jusqu’à instaurer de nouvelles formes d’esclavage.
o 2. L’individu contre la société
L’économie irait-elle contre l’idée de société ? Peut-être pas lorsque la discipline introduit,
comme le fait Sen, les valeurs au cœur de l’analyse économique en les accompagnant d’outils
opérationnels forgés explicitement à l’encontre de la norme de l’intérêt individuel1. Peut-être
pas lorsque la discipline aborde, comme le fait Rawls, le pluralisme des conceptions du bien
comme une donnée fondamentale de tout société démocratique.2
Dès lors comment réarticuler cet individu isolé à sa capacité à développer des modes de vie
dignes et sensés ? Formulée en termes économiques la question devient de savoir comment
introduire la liberté comme valeur de la théorie économique ?3 L’individu et la société,
doivent-ils être en concurrence ? Quelles médiations permettraient de venir refaire lien ?
Les personnes qui vivent l’exclusion cristallisent particulièrement cette question. Non
seulement parce qu’elles sont les premières victimes de la « violence économique » mais
parce qu’elles vivent de façon accentuée l’isolement, le sentiment d’indignité ou le manque de
choix. Le terme d’exclusion demande beaucoup de précaution. Il prend ses origines dans
1
Amartya SEN, Repenser l’inégalité, Editions du Seuil, Paris, mai 2000
2
Will KYMLICKA, Traduit de l’anglais par Marc Saint-Upéry, Les théories de la justice – Une introduction,
Editions La Découverte, Paris, 2003
3
l’expression populaire davantage que dans une conceptualisation scientifique.1 Cependant,
nous faisons l’hypothèse qu’il traduit au moins symboliquement le processus de mise à l’écart
ressenti par les personnes.
Le statut de l’individu isolé renvoie à d’autres éléments en rapport aux droits ou au sentiment
d’inutilité sociale. L’exclusion interroge en effet des notions comme le droit au travail, le
droit au logement. A partir de là, c’est tout l’accès à une série d’autres droits qui se pose.
L’absence d’emploi coupe la personne d’un système d’assurance ; L’absence de logement
peut aller jusqu’à la difficulté de rendre effectif le droit de vote…
Mais beaucoup plus encore, les « surnuméraires », inutiles à la société, ou les personnes en
situation d’exclusion, s’éloignent des espaces de participation et ne sont plus inscrites dans
des structures qui pourraient « faire sens » pour eux. Ils vivent une déstabilisation sociale qui
affectent le familial, le culturel, le politique…
Si l’économie néolibérale a épuisé les traditionnelles représentations de la société, la
modernité et les évolutions démocratiques ont amené leur lot de mutations. Elles ont fait
reculer les inégalités dites naturelles, ne reconnaissant pas les êtres humains égaux à la
naissance. Les normes de vies, dictées par la consommation de masse, se sont alignées à
celles des classes moyennes. Tout ceci a conduit à ce que Dubet2 nomme la
1
Serge PAUGAM, As armadilhas da exclusão, in Robert CASTEL, Luiz Eduardo W. WANDERLEY,
Mariangela BELFIORE-WANDERLEY, « Desigualdade e a questão social », Educ – Ed. da PUC-SP, 3° edição revista e ampliada, São Paulo, 2008.
2
François DUBET, Les inégalités multipliées, Editions de l’Aube, La Tour d’Aigues, 2000
Encadré n° 3
L’exclusion, banalité d’une notion qui pointe un fait de société.
Nous situerons l’exclusion comme traduction d’une crise affectant gravement le lien social et qui amène des personnes à s’éloigner de ce qui « fait société ». L’exclusion ne prend pas en compte les attentes de la population qui ne sont pas que de l’ordre d’une « nécessité vitale » (pauvreté) mais dont la quête peut devenir prioritaire. Contrairement à la pauvreté qui renvoie à la catégorie du manque, l’exclusion renvoie à un processus. Pour les scientifiques, l’expression ne recouvre pas l’exactitude du phénomène social. S’accordant cependant pour penser qu’à travers cette notion s’exprime « une nouvelle question sociale », ils
n’ont eu de cesse de mieux la qualifier, souvent en la redéfinissant à travers de nouveaux concepts commela
« vulnérabilité » conduisant à la « désaffiliation » pour Castel (Les métamorphoses de la question sociale,
Paris, éd. Fayard, 1995) ; la« disqualification » qui permet de distinguer la question sociale de l’exclusion de
celle de la pauvreté pour Paugam ( Pauvreté et exclusion - La force des contrastes nationaux, in Serge
PAUGAM, « L’exclusion, l’état des savoirs », Edition La Découverte, Paris, 1996) ; la « désinsertion
sociale »qui traduit une notion de parcours de déchéance pour Gaulejac et Taboada Leonetti (La lutte des
places, Edition Desclée de Brouwer, Paris, 1994) ; la « déliaison » pourMichel Autès (Trois figures de la
déliaison, in Saül KARSZ, « L’exclusion, définir pour en finir », Edition Dunod, Paris, 2000) ; ou encore la « désincorporation » à travers laquelle Eme voit la fin du modèle d’intégration dans lequel la société
française se situe (Bernard EME, Sociologie critique de l’insertion ou l’épreuve de la désincorporation
sociale, CRIDA-LSCI – IEP de Paris, 2001) . Dans « Les métamorphoses de la question social », Castel
dira : « Il n’y a personne en-dehors de la société, mais un ensemble de positions dont les relations avec son
centre sont plus ou moins distendues […] Il n’existe aucune ligne de partage claire entre ces situations et
celles un peu moins mal loties des vulnérables […] C’est du centre que part l’onde de choc qui traverse la
structure sociale […] Ils se retrouvent désaffiliés […] dé-liés mais reste sous la dépendance du centre, qui