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Interactions entre maturation du cortex et myélinisation de la substance blanche

Chapitre 3. Maturation du cortex

E. Interactions entre maturation du cortex et myélinisation de la substance blanche

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E. Interactions entre maturation du cortex et

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A ce phénomène général de prolifération membranaire synchrone, viendrait se superposer un second processus, moins intuitif, et spécifique à la région postérieure du STS. En effet, dans nos mesures, l’asymétrie de l’indice de maturation dans cette région du STS est corrélée négativement avec l’asymétrie de la mesure de FA du faisceau arqué. Cette corrélation suggère, dans l’hémisphère gauche, qu’une avance développementale du faisceau arqué serait associée à un retard de maturation dans cette région du STS.

L’asymétrie du faisceau arqué a été interprétée comme une organisation plus efficace des fibres parallèles dans l’hémisphère gauche [Dubois, 2009]. Il semble raisonnable d’associer à cette meilleure organisation une plus grande activité électrique le long de ces fibres [Demerens, 1996; Dubois, 2008d].

Par ailleurs, il a été suggéré qu’une plus grande activité dans la voie dorsale du langage serait associée à une baisse de l’activité dans les connexions interhémisphériques. En effet, au cours d’une tâche de répétition de mots chez l’adulte, il a été observé une baisse du métabolisme dans les fibres du corps calleux, corrélée à la hausse du métabolisme dans la région de Broca et une région temporale postérieure (aire de Brodman 22) [Karbe, 1998].

Enfin, Galaburda [1990] suggère, à partir d’une série d’observations, que la baisse de l’activité interhémisphérique dans les régions asymétriques serait associée à un plus grand élagage des fibres du corps calleux et, par voie de conséquence, des neurones engagés dans ces connexions. Par exemple, il a été observé une corrélation entre l’asymétrie de l’espacement des colonnes corticales dans le planum temporale (associée à une asymétrie de surface de cette région) et le nombre de fibres traversant plusieurs régions du corps calleux (r=0,46-0,52 ; p=0,02) [Chance, 2006].

Nous proposons donc l’hypothèse selon laquelle, dans l’hémisphère gauche, l’avance développementale du faisceau arqué s’accompagnerait, dans la région du STS observée, d’une élimination plus grande des neurones dont les branches axonales principales traversent le corps calleux. La corrélation négative entre les asymétries des indices de maturation du faisceau arqué et de la région postérieure du STS s’expliquerait donc par la superposition de deux phénomènes concurrents dans cette région du cortex, à savoir la prolifération membranaire et l’élimination de neurones engagés dans des connexions interhémisphériques.

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Figure 41. Marquage histochimique de la myéline chez un nourrisson de 9 semaines [Flechsig, 1920].

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Plus généralement, j’ai été frappé par la ressemblance de nos résultats avec la carte de myélinisation d’un nourrisson, dessinée par Flechsig [1920] (Figure 41). Dans ses travaux fondateurs sur la myélinisation, Flechsig a analysé la substance blanche au cœur des plissements corticaux et a défini méthodiquement les régions du cortex présentant un profil de maturation spécifique. Le dessin évoqué reproduit un marquage histochimique de la myéline.

L’âge du nourrisson était de 9 semaines, ce qui correspond à l’âge moyen de notre population.

Nous observons une myélinisation très marquée dans les gyri pré- et post-centraux et dans le segment le plus médial du gyrus de Heschl (fig.1 et fig.4). Ces trois régions correspondent à l’indice « mature » dans notre classification. L’avance du cortex sensitif sur le cortex moteur, significative dans nos mesures, est également visible dans plusieurs vues sagittales (fig.1, fig.2 et fig.3)

Une myélinisation moins prononcée est présente autour de la scissure de Sylvius, jusqu’au gyrus frontal inférieur (fig.1 et fig.4). La myélinisation de ce gyrus (indice de maturation

« intermédiaire ») y est plus marquée que celle du gyrus temporal moyen (indice « immature »).

Enfin, la myélinisation, marquée dans la partie dorsale du gyrus temporal supérieur, est supérieure à celle des régions situées en-dessous, suggérant un gradient de maturation similaire à nous, selon une direction dorso-ventrale. Par ailleurs, Flechsig note aussi l’apparition de la myélinisation dans le gyrus angulaire, moins flagrante sur le dessin (fig.2, fig.3 et fig.4) (indice

« immature »). Cette région correspond à la région du STS qui est associée dans nos mesures à la région de Broca et au faisceau arqué.

La correspondance de nos résultats avec l’illustration de Flechsig suggère un développement parallèle entre la maturation du cortex et la myélinisation de la substance blanche sous- jacente dans un nombre étendu de régions cérébrales.

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Discussion

Les enfants apprennent sans difficulté apparente leur langue, quelle que soit leur culture et la structure de cette langue. Cette aptitude humaine remarquable s’observe dès la naissance. Le nouveau-né parvient déjà à classer grossièrement les langues suivant leurs caractéristiques mélodiques et rythmiques. Il discrimine aussi de très nombreux contrastes phonétiques, bien au- delà de ceux qu’il aurait pu entendre dans le ventre de sa mère.

Comment apparaissent ces facultés précoces ? Sont-elles issues de structures programmées à l’avance ou simplement acquises par la stimulation continue de notre système auditif ? Deux vues s’opposent pour expliquer la formation initiale du réseau cérébral du langage.

Selon une hypothèse constructiviste [Johnson, 2011], la fonction d’une région est déterminée en premier lieu par les stimulations sensorielles que la région reçoit, et par les interactions avec les régions d’un même réseau. Le développement de coopérations et de compétitions au sein d’un réseau conduit progressivement les régions de ce réseau à acquérir leur identité fonctionnelle. A titre d’exemple, l’organisation du cortex strié en colonnes de dominance oculaire [Hubel, 1977] serait formée par la compétition des stimulations issues des deux rétines oculaires [Huberman, 2008]. Dans ce type d’approche, l’architecture neuronale initiale et les mécanismes d’apprentissage jouent un rôle secondaire. Ils seraient génériques et communs à de nombreux processus cognitifs.

Selon une approche innéiste [Dehaene-Lambertz, 2009], le développement du réseau du langage est soumis à une forte influence génétique. Une architecture précontrainte permet et favorise le développement précoce des capacités perceptives des nourrissons et la mise en place rapide d’une organisation des aires du langage, proche de celle de l’adulte [Dehaene-Lambertz, 2002a; 2006]. Des modules de traitement spécifiques seraient encodés dans la structure même du réseau du langage. La nature de ces modules est encore mal connue. Certains modules encoderaient des contrastes phonétiques, en étroite correspondance avec les frontières acoustiques naturelles de notre système auditif [Kuhl, 2004].

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Dans le but d’éclairer le débat suscité par l’opposition de ces deux théories, nous avons recherché les signes précoces éventuels de structures spécifiques au réseau du langage. Dans une première partie, nous discutons des asymétries et des niveaux de maturation observés dans les régions temporales supérieures. Dans une seconde partie, nous étudions l’existence précoce d’une voie dorsale du langage.

A. Organisation des régions temporales