65 10 2020 Krankenpflege | Soins infirmiers | Cure infermieristiche
Service du médecin cantonal à Genève
A Genève, les infirmières ont joué un rôle primordial dans le développement de la cellule de crise Covid-19 du Service du médecin cantonal, de l’identification des chaînes de transmission à la prise en charge massive des cas.
Texte: Dominique Joubert, Patricia Borrero
Rôle des infirmières dans la mise en place d’une cellule de crise
En raison de la pandémie de corona
virus, les autorités genevoises ont dé
clenché dès fin février 2020 le plan d’organisation des secours en cas de catastrophe (ORCA). Le Service du mé
decin cantonal a pris les mesures de contrôle d’urgence ayant pour objectif de garantir la disponibilité des in
frastructures sanitaires, de protéger le personnel soignant et les personnes vul
nérables et de ralentir la propagation du virus. Pour ce faire, sa stratégie s’est orientée vers le dépistage, l’identifica
tion rapide des cas ainsi que le place
ment en isolement des personnes in
fectées et en quarantaine pour leurs proches potentiellement contaminés.
Développement fulgurant
Dans la gestion de cette crise sanitaire sans précédent, les infirmières et infir
miers ont joué un rôle clé dans la prise en charge et le suivi des personnes po
sitives au SARSCoV2 ainsi que leur entourage. Ils ont fait preuve de lea
dership dans le développement des ou
tils, la formation des collaborateurs, l’expertise en soins, le suivi clinique, l’accompagnement des patients et l’ana
lyse opérationnelle de l’épidémie.
Le travail du Service du médecin can
tonal s’intensifiant, les effectifs de la cellule sont passés de quelques méde
cins et infirmières de la Direction géné
rale de la santé à 150 professionnels de la santé au plus fort de la crise. Très vite, la cellule s’est vue renforcée par des in
firmières provenant des Hôpitaux uni
versitaires de Genève (HUG), de l’insti
tution genevoise de maintien à domicile (imad), puis du Département d’instruc
tion publique.
Missions opérationnelles
La cellule a poursuivi les but suivants:
• assurer la gestion des personnes po
sitives (COVICHECK): annonce de diagnostic, évaluation clinique, mise en isolement, hotline, recherche des personnes non joignables,
• assurer la gestion des contacts étroits (COVIENTOURAGE): enquête d’en
tourage, premier appel des contacts, enquête d’entourage des patients hos
pitalisés,
• assurer le suivi des personnes en iso
lement ou en quarantaine (COVISUR
VEILLANCE): appel quotidien par des collaborateurs non soignants sous supervision infirmière,
• assurer la traçabilité des personnes de retour d’un voyage dans une zone à risque (COVITRAVEL): suivi des quarantaines.
Soutenue dès le début par les Services d’information et de santé numérique de la Direction générale de la santé, puis plus tard par le service Qualité des soins des HUG, la cellule a transformé son organisation, initialement orientée sur les enquêtes téléphoniques minu
tieuses d’identification des chaînes de transmission, vers une prise en charge plus massive des cas. Un simple fichier Excel a rapidement évolué vers un logi
ciel de statistique très performant et adapté à la gestion d’épidémie.
Constante réadaptation des outils informatiques
Ce travail a nécessité des expertises multiples et variées telles que l’ex
pertise médicosoignante (santé publique, prévention des infec
tions, éducation à la santé) ou le développement informatique (modélisation de processus, analyse de données, sécurité et infrastructure informatique, for
mation, support, etc.). Les for
mulaires de documentation des données ont été élaborés par des informaticiens. Les infirmières et in
Covid-19
124rf
Des mesures d’urgence ont été prises à Genève pour ralentir la propagation du virus.
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firmiers ont continuellement amélioré et simplifié ces outils de travail. L’adap
tation et le changement étaient quasi quotidiens, suivant ou inspirant les consignes fédérales et cantonales. Une infirmière déclare à ce sujet: «Les for
mulaires du logiciel de données pour les enquêtes étaient sans cesse en évolution et réactualisés par l’équipe médicale et informatique. Après une journée de congé, on avait l’impression de devoir recommencer une formation complète sur le système. Avec l’excellent travail des médecins et informaticiens, c’est l’équipe opérationnelle infirmière qui a adapté les formulaires d’enquête sur le terrain pour travailler avec un outil ef
ficient et pratique»
Le suivi des patients à domicile
En parallèle de la stratégie de contrôle de l’épidémie, il a fallu réorganiser la prise en charge des malades. Une collaboration accrue avec les HUG et des partenaires privés du canton, a été mise en place pour gérer le suivi clinique des patients symptomatiques à domicile.
Près de la moitié d’entre eux étaient dans l’impossibilité de voir leur méde
cin traitant. Cette tâche a donc été as
sumée par le personnel médicosoi
gnant de la cellule en attendant que les sites prescripteurs de dépistage mettent en place un suivi pour les patients ve
nant se faire tester.
«J’ai souvenir d’une dame positive au Covid19 qui m’assurait que, malgré des symptômes, elle allait bien. Mon exper
tise en soins me permet de déceler cer
tains symptômes au cours des échanges téléphoniques en mettant en congruence ce que disent les patients, nos connais
sances et ce que l’on perçoit au télé
phone. Nous avions l’habitude des toux sèches irritantes mais la personne sem
blait dyspnéique avec une toux grasse, signe évident de gravité, explique une infirmière. Après discussion avec le mé
decin, nous avons envoyé le 144. Cette personne a été immédiatement hospita
lisée en détresse respiratoire. Quelles auraient été ses chances de survie sans notre intervention?»
Un soutien pour chacun
Dans ce contexte, les soignants de la cellule ont géré des situations particu
lièrement complexes. «Un migrant avait été expulsé de chez lui par ses coloca
taires parce qu’il était symptomatique.
Une collègue a consacré sa journée en
tière pour trouver une solution d’héber
Covid-19
On peut avoir des appels qui durent
jusqu’à 45 minutes tellement les situations
sont compliquées.
COMPÉTENCES INFIRMIÈRES D’ENCADREMENT
Le témoignage de Dylan, un aspirant policier
Une trentaine d’aspirants policiers sont venus en renfort à la cellule de crise Covid-19 à Genève. L’une de leur mission était d’assurer le suivi téléphonique des personnes en isolement ou en quarantaine. Les infirmières et infirmiers les ont formés à ce travail de communication et leur ont servi de référents.
«
La rentrée à l’école de police a dû être repoussée et nous sommes une trentaine d’aspirants policiers à avoir été engagés par le Service du médecin cantonal. Il a fallu nous adapter très vite, d’autant plus que c’était notre premier contact avec le milieu de la santé! Notre travail a consisté à télé- phoner quotidiennement aux per- sonnes en isolement ou en quarantaine pour prendre de leurs nouvelles, les aider dans l’organisation de leur jour- née et les soutenir.Des questions concrètes
Les infirmières et infirmiers nous ont formés au logiciel informatique puis nous ont expliqué comment s’adres- ser aux personnes par téléphone.
Ils nous ont également enseigné des techniques de communication avec des jeux de
rôles. Par exemple en privi- légiant les ques- tions ouvertes:
Comment faites- vous pour vous procurer à man- ger? Pour sortir la poubelle? Etc.
Ils nous ont remis des documents avec des exemples de phrases.
Chaque jour, nous avons été enca- drés par une infirmière qui a organisé et distribué le travail et qui nous a don- né des instructions pour des cas parti- culiers. Dans une famille par exemple, la consigne était de ne s’adresser qu’au fils car c’est le seul qui parle français.
Avec les mots justes
Les infirmières et infirmiers sont nos référents en cas de difficulté. Ils nous ont appris à ne pas répondre: «Ne vous inquiétez pas. Tout va bien.» Non! Avec le Covid-19, on ne sait pas! Pour rassu- rer la personne, il s’agit de trouver les mots justes, de répondre à des ques- tions pointues. Pour cela, on se réfère à l’infirmière ou à l’infirmier si néces- saire. On peut avoir des appels qui
durent jusqu’à 45 minutes tellement les situations sont compliquées.
Je les sollicite aussi pour les termes médicaux ou en cas de doute. L’autre jour, une personne en quarantaine avec une garde des enfants partagée souhaitait les recevoir. Pour moi, c’était hors de question, mais j’avais un doute. L’infirmière a confirmé ma ré- ponse. Une autre fois, un étudiant refu- sait la mise en quarantaine et mena- çait de sortir, c’est le référent infirmier qui a pris le relais de cet entretien.
Sous le nom de «Sara Croche»
Les infirmières nous ont aussi appris la notion de contrôle-qualité: entre
collègues, nous devons tous les jours vérifier les dossiers avant de partir. Les problématiques liées au Covid-19 évoluent très rapidement
et nous devons nous adapter. Par exemple, avec l’ouverture des discothèques, il a fallu mettre en auto-surveillance les clients d’un établissement:
savoir trouver les mots pour expliquer, orienter, voire savoir se débrouiller avec un faux nom, comme cette personne qui s’est inscrite sous le nom de Sara Croche! Ça veut tout dire…
Nous avons appris à écouter les per- sonnes au bout du fil et à faire preuve d’empathie. C’est clair que ça va nous servir pour notre futur métier. C’est très important pour le policier d’au- jourd’hui.
»
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gement car aucune structure ne l’accep
tait. Avec persévé
rance, nous avons fini par le diriger vers une structure avec un accès à un médecin», explique une infir
mière.
En parallèle des enquêtes d’entourage, les infirmières et infirmiers ont effectué des évaluations cliniques, sollicité le 144, mobilisé les réseaux d’interven
tions sociales, fait de la relation d’aide, annoncé les diagnostics avec empathie et congruence, rassuré les nombreuses personnes en détresse physique et émo
tionnelle, donné et explicité les conseils de prévention et contrôle de l’infection ainsi que d’hygiène domestique en fonction des habitations.
«Au début de l’épidémie, j’ai placé en isolement un père de famille avec des symptômes assez marqués, se souvient une infirmière. Il était inquiet pour son fils en bas âge, greffé récemment et im
munodéficient. Après avoir appelé le centre des greffes et la pédiatrie, nous avons hospitalisé l’enfant et permis au père d’aborder l’isolement et les soins plus sereinement.»
Formation ciblée et coaching
L’activité visible de la cellule n’est que le sommet de l’iceberg: les infirmières et infirmiers ont été particulièrement sollicités pour la formation des collaborateurs issus d’autres filières profession
nelles. Pour cela, ils ont déployé des méthodes variées et adaptées aux dif
férents profils, allant du coaching à l’apprentissage par la simulation. Avec un tournus de personnel fréquent, ils ont mis en place des programmes de formation pratique et théorique pour des collaborateurs soignants (psycho
logues, psychomotriciens, diététiciens, ASSC, etc.) et non soignants (aspirants policiers, civilistes). Les aspirants poli
ciers ont notamment été formés par les infirmières spécialistes cliniques en enseignement thérapeutique et entre
tien motivationnel (voir encadré).
Efficience documentée par écrit
Malgré une loi sur les épidémies préexistante, la situation inattendue et spécifique a nécessité que l’on s’autoor
ganise rapidement entre tous les dépar
tements. Les collaborateurs de cellule, aidés par le service Qualité des soins, ont la charge de documenter les postes et l’organisation. En effet, suite au «Rap
port d’activité et recommandation» de la Direction générale de la santé sur les points positifs et à améliorer sur la ges
tion de l’épidémie, il appartient désor
mais aux infirmières et infirmiers de
«graver dans le marbre» l’efficience de l’organisation. Ce point est essentiel car en cas de deuxième vague, il s’agira, peutêtre par d’autres collaborateurs, de réutiliser rapidement la trame de fonc
tionnement qui s’est affinée avec l’ex
périence. Ce rapport a mis en lumière des points positifs tels que le décloison
nement entre les différents services et institutions, l’engagement total des per
sonnes impliquées pour un objectif commun, la mise en place rapide d’un outil informatique, des processus et des indicateurs avec une incroyable effica
cité. Il met également en avant la prise en charge de milliers de personnes tes
tées positives au SARSCoV2 à Genève dont 80 pourcents ont été contactées dans les 24 heures suivant leur test, montrant ainsi la réactivité et la flexibi
lité des équipes ainsi que la coordina
tion transversale entre les projets.
Une contribution unique
La puissance de la vague épidémique a nécessité une résilience hors norme et un effort collectif. La synergie avec l’équipe médicale s’est avérée excel
lente et le leadership infirmier a été particulièrement remarqué pour la qua
lité des prises en charge cliniques et des enquêtes d’entourage et l’identification de foyers d’infection (clusters). Les contrôles d’entourage et les conseils de prévention du Covid19 ont constitué l’essentiel de la mission de santé pu
blique quotidienne de la cellule. L’im
plication des infirmières et infirmiers dans de nombreux projets dédiés à la population ou à l’analyse épidémiolo
gique, l’organisation de la cellule et la formation des collaborateurs ont été le point d’orgue de leur contribution unique à l’approche non pharmaceu
tique de la gestion de la pandémie dans le canton au sein d’une équipe pluriprofessionnelle.
Dominique Joubert,infirmier spécialiste clinique aux HUG, coordina- teur de la cellule Covid-19 du Service du médecin cantonal à Genève et Patricia Borrero,infirmière spécialiste clinique aux HUG et à la cellule Covid-19.
Contact: dominique.joubert@etat.ge.ch
Les auteurs
Cette personne a été immédiatement hospitalisée en détresse
respiratoire.
L’infirmier coordinateur encadre une aspirante policière chargée d’assurer le suivi des personnes en quarantaine.
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