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Le
«voyage philosophique
»
d'Alexandre Rodrigues
Ferreira (1783-1792)
Miguel
Figueira de Faria
Le1ernovembre 1770, Luís Pinto deSousa,
gouverneur delacapitainerie duMato Grosso, écrivit àpropos desobjets d'histoire naturelle qu'il avait l'habitude d'envoyer àLisbonne:
'J'espere que Votre Crâce n'oubliera pas de mefaire saooir si la célebre Spigelia duSieur Linné possêde
unautre nom enportugais [...];jusqu'à présenr, il n'apas étépossible de la trouuer sous ce nom, etle plus súrserait que Votre Crâce m'enenvoie ledessin, aftndepouooir lareconnaitre ptus facilement. -'Jornal do Coimbra, 1818
Ledestinataire de cette lettre était lenaturaliste italien Domenico Vandelli (1735-1816), recruté en 1764 dans lecadre dela réforme del'enseignement lancée par leministre de
josé I", lemarquis dePombal. Vandelli assurait la coordination du projet d'inventaire des especes naturelles des colonies portugaises. Lesmotivations scientifiques se conjuguaient auxintérêts économiques, àune époque ou labotanique, forte de son potentiel agricole et industriel, était considérée comme une affaire d'État. Le texte témoigne despratiques quiétaient en train de se généraliser dans l'administration de I'empire. Avecl'intérêt pour les especes botaniques coloniales, une importance nouvelle était donnée àl'image dansletravail d'identification.
Au mêrne moment, lesdeux rayaumes ibériques continuaient denégocier letracédeleursfrontieres en Amérique du Sud.Pour consolider leur présence, lesdeux États envoyêrent desexpéditions, composées d'équipes pluridisciplinaires, pour délimiter avecune nouvelle rigueur scientifique leurslimitesterritoriales respectives. Complétant cesinitiatives, d'autres équipes furent constituées pour mettre en ceuvre leprojet d'inventaire de Vandelli.
delanouvelle organisation desdisciplines
scientifiques, issue dela réforme pombaline deI'université de Coimbra (1770-1771), ou la chaire d'histoire naturelle, consacrée à
I'observation, àl'analyse etàl'interprétation de la nature, fut intégrée àla faculté de philosophie.
Vandelli, que 5asanté fragile empêchait d'aller
«découvrir dansle Nouveau Monde les immenses
richesses quenous ne connaissons pas »,estimait que ses élêves étaient enmesure de suppléer à son absence: «Ayant suivi lescours delaFaculté depuis six ans,ilspeuvent être utilement employés
dans cette nouvelle expédition siglorieuse pour le Portugal.» Les «voyages philosophiques »,
dont laplupart furent effectués souslerêgne de Marie I" (1777 -1816), visaient à dresser lacarte des richesses coloniales, dansle cadre d'un programme sansprécédent dansI'histoire delamonarchie portugaise. Les besoins de communication rapide entre leséquipes dépêchées
sur place etladirection del'administration coloniale àLisbonne, sans parler delapublication des traditionnels mémoires, renforcérent I'importance desimages, quipermettaient une identification plusrapide etplus efficace des réalités coloniales.
C'est pour répondre à cesbesoins qu'une école dedessinateurs fut créée danslejardin botanique
du palais royal d'Ajuda. Dans cecomplexe muséologique, naturalistes, jardiniers et artistes travaillerent encollaboration, échangeant leurs compétences, avant deselancer danslestravaux deterrain en outre-mer.
Levoyage philosophique au Grão-Pará
C'est dans cecontexte que fut organisé le «voyage philosophique au Grão-Pará», étroitement lié aux campagnes dedélimitation des frontiéres, mais auxobjectifs principalement scientifiques et économiques. Le 21 octobre 1783, Alexandre Rodrigues Ferreira (1756-1815), originaire de Bahia, éléve de Vandelli à I'université deCoimbra, débarquait àBelém do Pará, àlatête d'une équipe chargée d'établir la description scientifique dela géographie physique et humaine, ainsiquecelle destrais regnes de la nature, dans cette vaste région du continent sud-américain.
Le chef deI'expédition était accompagné de JoséJoaquim Freire (1760-1847) etdeJoaquim José Codina (mort en 1794),dessinateurs
1 Alexandre Rodrigues
Ferreira, Prospectos deCidades,
Villas,Pouoaçoens,Fortalezas, e Ediftcios, Rios,e Cachoeiras. DaExpedição Philosophica do
Pará, RioNegro, Mato Grosso, eCuyabó, Orginiaes, uolun:«2 (popul«lion, animaux etp«ysnges de l'intérieur du pays),
xv n-siecle
Reliure avecdos et coins en cuir, contient 76 dessinsà l'aquarelle, 35,5 x 25 em
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jusqu'aux confinsduMato Grosso. Le naturaliste collecta desexemplaires d'espêces naturelles et d'objets índígenes, rédigea des mémoires, etson équipe dessina despaysagesnaturels ethumains, desanimaux etdes plantes. Dansle cadre de sa mission, il réalisa laplusgrande collecte d'informations de tous les voyages programmés dans lecontexte du«naturalísrne économique » adopté par lesnations européennes les plus avancées. En mérne temps, il confirma laprésence de populations portugaises danslebassin de l'Amazone jusqu'aux limites du Mato Grosso, unargument déterminant danslanégociation en cours dutracé desfrontíeres.
La valorisation del'image documenta ire
Pays dedécouvreurs, le Portugal ne fut guêre prompt à se servir del'image pour faire connaitre lesnouveaux mondes. L'histoire de ses explorations et de ses conquêtes nelaissa pas l'Europe indifférente, maisladiffusion des nouvelles connaissances prit surtout la forme de descriptions littéraires qui, manuscrites ou imprimées, étaient réservées àdes élites restreintes. Lerhinocéros indien dont leroi Manuel I"fit présent aupape fut rendu célebre par les gravures del'artiste allemand Albrecht Dürer, maistémoigne dumanque de curiosité visuelle desPortugais et deleurindifférence à une culture graphique quise répandit enEurope dêsl'époque desDécouvertes. AuXVIe siecle, le Portugal ne connut rien de comparable aux travaux dupionnier anglaisJohn White (vers 1540-vers 1593), qui reconnut les côtes dela Virginie, oudu Français Jacques Le Moyne de Morgues (vers 1533-1588), considéré comme undesfondateurs del'illustration botanique. Au XVIIe siecle, les images queles Hollandais Albert Eckhout (1610-1665) et Frans Post (1612
-1680) rapportêrent du nord-ouest duBrésil ne sont guere comparables auxplanches de YHistoire desanimaux et desarbres du Maranhão de Frei Cristóvão deLisboa (1583-1652).
Lesillustrations rapportées parles dessinateurs du«voyage philosophique .d'Alexandre
Rodrigues Ferreira constituent une rare exception à ce déficit généralisé d'information visuelle. Les dessinateurs travaillerent sous les instructions de Rodrigues Ferreira lui-rnême, enrespectant strictement les principes defidélité graphique
2
d'un voyage depresde dix années et dansun décor naturel ouilssavaient qu'ils reviendraient difficilement. Leurs planches représentent ainsi, selon les classifications del'époque, desindigenes, desanimaux quadrupedes, des oiseaux, des amphibiens, des poissons, desinsectes, des vues devilles, desbourgades, deslieux, deshameaux, des forteresses, desmonuments, desriviéres, des chutes d'eau et des plantes (la sériela plus nombreuse del'expédition). L'ensemble constitue unfonds de plusdemille dessins originaux, une production remarquable qui acontribué pour beaucoup à réveiller aujourd'hui l'intérêt pour l'oeuvre d'Alexandre Rodrigues Ferreira.
2 AJexandre Rodrigues
Ferreira, Viagem aoBrasil de
Alexandre Rodrigues Ferreiro.
Desenhos deGentios,Animaes
QJlfldrl/pedes,Aves,Amphibios,
Peixes,e Insectos. Da Expedição
PhilosophicadoPará, Rio
Negro,Mato Grosso, eClIyabá.
Orginiaes. l/olume 1(population,
animaux etpaysages dePintérieur
dupays), xvI Iesiêcle
Reliure avecdos etcoins en cuir,contient 76 dessins à
I'aquarelle, 35,5 x 25 em
Arquivo Histórico Museu Bocage, Museu Nacional de História Natural da Universidade de Lisboa, Lisbonne
3 Masque d'unJurupixuna,
eolleetélors duvoyage
philosophique d'AJexandre
Rodrigues Ferreira, 1783-1792
Éeoree, (J46 x21 em
MuseudaCiência,
Universidade de Coimbra, Coirnbra
4 Masque, eolleeté lors duvoyage philosophique d'AJexandre Rodrigues
Ferreira,1783-1792 Éeoree,(J31,5 x 27,5 em
Museu da Ciência, Universidade de Coimbra, Coimbra
5 Masqued'un]urupixuna,
eolleetélors duvoyage
philosophique d'Alexandre
Levoyage philosophique auGrão-Pará constituait
une piece maitresse dansI'ensemble des
initiatives quifurent prises dansl'empire colonial
portugais, au Brésil, enAfrique eten Oriento
Tout enpoursuivant desobjectifs principalement
économiques, leséquipes avaient aussi pour
mission deréunir lesingrédients d'une histoire
naturelle descolonies portugaises. Cette oeuvre
monumentale, entreprise souslepatronage de
lamonarchie, devait assurer une reconnaissance
internationale auxLumiéres portugaises etàla
reine Marie I", présentée comme la protectrice
desarts et dessciences. Alexandre Rodrigues
Ferreira devait se charger derédiger uneHistoire
philosophique etpolitique des capitaineries dePará,
Rio Negro, Mato GrossoetCuiabá. Les plaques de
certaines illustrations furent gravées àceteffet,
maisle projet n'alla pasplusloin. Les mérnoires
etlesplanches del'expédition restêrent iguorés
dugrand public, àI'image d'autres grands projets
éditoriaux européens delamême époque, comme
leFlorilége dejosephBanks (1743-1820) oula
Flore duPérou etduChili deHipólito Ruiz López
(1754-1816) etJosé Antonio Pavón (1754
-1840). Pour aboutir, un projet éditorial de cette
envergure aurait eubesoin d'un soutien financier
quelecontexte difficile delafinduxv[l1esiêcle
rendit impossible. Les invasions napoléoniennes
etla confiscation parlesFrançais d'une partíe
dubutin de voyage, àla demande du naturaliste
Étienne Geoffroy de Saint-Hilaire (1772-1844),
entraina ladispersion des collections qui,
aujourd'hui encere, sont réparties entre Lisbonne,
Rio deJaneiro et Paris, enattendant qu'une
reconstitution complete du fonds ne rende justice, en définitive, àl'ceuvre dunaturaliste brésilien.
p.134-136
6 Objetscollectéspar
Alexandre Rodrigues Ferreira
lorsdesonvoyage phílos
o-phique, 1783-1792, Pagne de perles
Fibre végétale, cotonet pedes, 25x44crn Musco daCiência, Universidade deCoimbra, Coimbra 7 Pagnes deperles Cotou, perIes, 26 x50 em
8 Seulpture zoornorphe Fibres végétales depalmier, 16,5x30em
9 Prancheta, petite planche pourinhaler leparicá(mauhé) Fibres végétales de paImier, 32x12,5em 10 Tasse Fibres végétaJesde palmier, 6x15em 11 Cruehe àeau Fibres végétales de palmier, 23,3 x12,5 em 12 Collier Dents depécari à lêvres blanches, coton, 24 em 13 Ceinture
Fibres végétales de palmier, 55ern
14 Collier
Perles bleues enverre, laiton,
coton,42 crn 15 Tipiti Fibres végétales de palmier, 120,7cm 16 Fleehe Fibres végétaJes de palmier, 148,5em 17 Fleehe
F'ibresvégétales de paLmier,
201 em
18 Are
Fibres végétales depalmier,
185em
19 Bane
Fibres végétales depalmier, 36,5x23 em
20 Tarnis
Fibres végétales de palruier,
35x 35 em
21 Tunique
Fibres végétales depalrnier, 107em
p.138-141 Animaux:coll ec-téspar Alexandre Rodrigues Ferreira(1783-1792)et parLuisdeCarvalho (début duX:Ix'síecle)lors deleurs
voyages auBrésil
Museu daCiência, Universidade deCoimbra,
~.
