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FEUX ET LIEUX PIROUE - Electre NG

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Academic year: 2023

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FEUX ET LIEUX

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GEORGES PIROUÉ

Feux et lieux

nouvelles

DENOËL

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© by Editions Denoël, Paris, 1979.

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Un paysage quelconque est un état d'âme.

AMIEL

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Les échelons de la mort

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Mon ami dit :

— Cette maison, c'est La Libellule.

Je répète après lui :

— La Libellule, oui, c'est bien cela.

Je l'avais oublié. Maintenant je sais que je le savais tout de même.

Mon ami se tait. Nous marchons l'un derrière l'autre.

Le sentier est étroit.

Je pourrais à mon tour prononcer quelques noms de lieux. Mon compagnon en confirmerait l'exactitude et s'exclamerait : « Tu te souviens de tout. Quelle mémoire ! » Or, cette mémoire ne m'apprend rien. Je soupçonne même que si j'en usais, elle me priverait d'une autre mémoire incertaine que je sens sur le point de s'éveiller. Mais elle continue de faire le mort.

Evoquer ? La tentation est grande. Je pourrais raconter bien des choses. Mais l'anecdote tuerait le passé en le rappelant à la vie. Il vaut mieux ne pas parler, ne pas avoir recours aux mots, car ce passé, c'est disparu qu'il m'apparaît, c'est son effacement qui m'émeut.

J'ai l'impression que c'est pour cela, pour que je prenne conscience de cette absence que le hasard m'a fait des-

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cendre au fond de ces côtes du Doubs. A cette heure de la journée, en cette période de l'année. La lumière, le vaste horizon, l'éclat blanc de la première neige sont restés sur le plateau. Nous en avons quitté l'épure précise, la diversité juxtaposée pour plonger ici dans un automne, un crépuscule indistinct où il semble qu'en nous dépla- çant nous ne cessons de demeurer sur place, au même coude de la même rivière, et le temps ne s'écoule pas. Le soir ne tombe pas. Stagnation.

Séparée de la pente abrupte par une étroite bande de prairie, l'eau est immobile, d'un vert opaque, comme épaissie par sa couleur, par le velouté de sa substance.

Deux berges herbeuses d'à peine vingt centimètres de hauteur la maintiennent dans son lit. A-t-elle jamais débordé ? Elle reflète des feuillages qui sont comme l'image d'elle-même, de sa propre atonie, verdissant ou flamboyant au gré du rythme des saisons, du flux ou du reflux des sèves : consumation lente de clartés, pures varia- tions d'intensité.

Par des failles souterraines, des ruisselets débouchent sur le sentier et le coupent d'un couloir glacé légèrement pestilentiel. Ces cascades s'entendent de loin, mais pol- luées, presque invisibles, elles n'adressent qu'à la solitude leurs babils glougloutants. Il est interdit d'y boire. Depuis des siècles personne ne s'y sera désaltéré, aucune oreille ne les aura écoutées. De jour, de nuit, toujours à se parler à elles-mêmes, elles ne sont plus intelligibles, elles ne l'ont jamais été. Du balbutiement seulement, saisi trop tard pour être compris sur les lèvres d'un mourant. Rien que la dérision d'un bruit.

Tout ce qui est chaud et animé, tout ce qui est furti- vement agile paraît de toute éternité s'être détaché du fond de cette gorge pour tenter de rejoindre l'air libre.

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Cela monte quotidiennement, je crois voir que cela s'élève sous mes yeux ou dans mon imagination. Des étincelles, un fourmillement qui allument par endroits les cimes des arbres, les roches plates du bord du plateau. Mais happées au sortir de l'anfractuosité par le jour dont on ne sait d'ici en bas s'il est matinal ou vespéral, ces traces de vie se dissolvent dans l'étendue. Il n'y a là-haut qu'un ciel vide qui, entre les bras écartés du défilé, enfonce le triangle lisse d'un soc.

Une humidité froide d'aquarium entretient cette léthar- gie et m'engourdit l'esprit. Rien n'a changé et c'est pour- quoi rien ne changera. Que peut-il surgir du permanent ?

Se remémorer serait trop facile. J'attends autre chose.

J'espère. Mes yeux reconnaissent ce surplomb où mon père m'avait attendu. Je me plaignais d'avoir faim et soif.

Je pourrais dessiner sa silhouette dans l'espace. Je m'en abstiens. Elle devrait me sauter à l'âme. Mais le surplomb reste inhabité. Mes pieds épousent le relief du sol, ici trois marches de béton, plus loin le moelleux d'un peu de boue.

Ce sont les échelons de la mort que je gravis et redescends le long de ce sentier accidenté.

Mon ami dit derrière moi :

— Toutes ces plantes, ce sont les mêmes que du temps de notre enfance.

Je ne réponds pas. Je n'approuve pas. J'interroge pour- tant moi aussi, tête basse, telle fleur livide que la gelée a rendue translucide, telle mousse brunie. Je rumine l'odeur des feuilles mortes.

J'ai beau scruter le vestige, aller d'indice en indice, m'apprêter à surprendre, me disposer à accueillir : l'appa- rition ne se produit pas. D'ailleurs, que serait-elle d'autre qu'un phantasme de mon cerveau ? Je n'ai pas le don de double vue et il n'y a rien derrière l'écran de ces jeux de

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promontoires qui s'écartent à mon passage puis se réem- boîtent l'un dans l'autre, rien sinon l'illusion de progresser entre de perpétuels méandres qui promettent sans tenir parole, sans renfermer aucune parole. Or c'est ici et main- tenant que mon père devrait marcher à mon côté ou m'attendre sur ce surplomb, accoudé à la barrière, le regard protégé des rayons obliques du soleil par l'aile de son chapeau rond. L'attention que je porte au paysage m'enseigne l'inutilité de l'effort remémoratif et la vanité du souvenir. Je mesure mon impuissance. Mais la tristesse qu'elle m'inspire, pourquoi ne serait-elle pas la meilleure preuve de mon attachement au disparu ? Je ne triche pas, je ne mens pas. Ni à son ombre ni à moi-même je ne donne de fausses espérances comme on subit d'avoir à le faire au chevet du malade. L'accompli est consommé. Ma petite agonie présente, cette faiblesse de mes facultés sont mon hommage à son agonie de jadis : ma compassion.

Je respire à fond. Un air limpide m'emplit les poumons, sans parfum ni réminiscence. Je lève le front vers les hauteurs. Le ciel est sans nuages, sans images. Entre les nervures géologiques de la vallée, au-dessus des ondula- tions du plateau — paumes ouvertes pour recevoir ou pour lâcher ? — son désert est ce dans quoi s'est dissipé le révolu à l'infini, sans obstacle ni simulacre.

Parfois le sentier se rétrécit et longe un à-pic de dix mètres. L'eau est au fond et une écume y ébauche l'enrou- lement d'un tourbillon. Je passais là le cœur battant, heureux de courir un danger. Je me félicitais de mon courage. Je m'inventais d'autres périls. Mon père, je n'en avais cure, prisonnier de ma puérilité et de ses ludiques héroïsmes. J'ignorais ce qu'il était pour moi et ce que j'étais pour lui. Des ruines de manufactures, moulins ou tanneries certainement, s'élevaient de loin en loin. Elles

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y sont encore, couvertes des mêmes broussailles qui se sont renouvelées sans beaucoup s'étendre ni s'accroître.

Il me racontait des histoires d'industries périclitantes et de catastrophes naturelles. J'ajoutais à ces drames des épisodes de guerre et de révolution, de fugitifs politiques pris au piège d'une auberge isolée, de passeurs d'eau patibulaires. Car de l'autre côté, c'est la France où je vois justement maintenant, comme naguère si souvent, trois promeneurs assis qui, à notre approche, se remettent en route. Venant d'où et se rendant où, par quels* chemine- ments cachés ? Je remontais en pensée avec eux vers les villages de Franche-Comté, je débouchais dans l'inconnu, à l'étranger, je marchais tout droit devant moi, petit conquérant égaré. Mon père me parlait de son père, mais je ne songeais qu'à mon avenir, tout comme c'est encore aujourd'hui à l'avenir que je rêve en essayant d'y associer cette ancienne et précieuse présence. Et l'incapacité où je suis de l'y faire pénétrer, qui sait si elle ne reflète pas l'incapacité où j'étais de vivre avec le souci de me préparer des souvenirs. Si l'estuaire est si peu large, c'est que la source était bien mince, déjà alors presque tarie. Je ne savais pas et comment saurais-je à cette heure ? Toujours avide de recevoir, jamais enclin à donner, toujours à l'affût de ce qui ne manquera pas de survenir, jamais appliqué à comprendre. On ne vit pas mieux qu'on ne se souvient et nous sommes à chaque instant aussi pau- vres que le sont les décombres du passé.

Je questionne mon ami :

— Est-ce que nous ne sommes pas à Bonaparte ?

— Oui, c'est ici.

— Pourquoi ce nom de Bonaparte ?

— Ça, mon vieux, tu es trop exigeant.

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— Cela devrait pouvoir se dénicher dans les livres, dans les archives...

On pourrait regagner le plateau en remontant le vallon encaissé qui s'ouvre ici en delta. C'est par là que nous descendions, mon père et moi, à travers les arbrisseaux dont les branches nous fouettaient le visage. Comme nous dévalions la pente, il se rappelait et me rappelait s'être trouvé une fois, il y a bien longtemps, séparé de son père à lui pour n'avoir pas pris le même sentier. Il s'était entendu héler. Il avait levé la tête. Son père était dans le soleil en bordure du cirque des rochers, entouré de toute la famille, et lui ici, au fond du trou. Ils ne pouvaient ni ne savaient où se rejoindre au cours de l'après-midi. Il aurait fallu que chacun d'eux revînt sur ses pas, remontât la côte, le cours du temps jusqu'à la croisée des chemins, jusqu'à l'origine de la vie. Ni l'un ni l'autre ne s'y résol- vait. Ils étaient restés ainsi à s'interpeller, à s'encourager du geste sans résultat. L'ancêtre là-haut — on me l'a souvent décrit — était un beau patriarche guêtré de cuir, vêtu de velours, une barbe blanche étalée sur la poitrine.

Et mon père plutôt chétif, sans doute anxieux, n'en finis- sait pas de le regarder, de demeurer à portée de sa voix.

Après une courte halte, nous refaisons en sens inverse la même promenade qui n'est pas tout à fait identique puisque nous tournons le dos au couchant et que tout esprit d'aventure, de redécouverte, m'a désormais aban- donné. Je ne solliciterai plus le mutisme et l'opacité des choses, saluant seulement au passage l'ombre des ombres qui ne se sont pas manifestées. Avec ce que la résignation m'inspire de regret, de nostalgie et de remords. Comment ce qui n'a jamais été aurait-il pu ressusciter ? Mon indo- lence endolorie est le seul écho possible de mon insou-

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ciance d'antan. Mais c'est encore beaucoup aimer que d'en être à s'avouer combien on a mal aimé.

L'aller et retour le long de la rive, le va-et-vient face à l'autre rive, l'errance casanière de la pensée, voilà tout ce que j'aurai offert aux mânes paternels : ce témoignage d'inquiétude à une nature si quiète.

— Dans le Jura, dit mon ami. Est-ce qu'il en était déjà ainsi à l'époque de ta jeunesse ? Il y a deux sortes de gens.

Ceux qui n'aiment marcher que sur les crêtes et ceux du Doubs qui ne se plaisent qu'ici en bas. Je me demande ce qu'ils y trouvent.

— Je serais plutôt avec ceux du Doubs. Je ne peux pas t'expliquer pourquoi... Je n'y ai rien retrouvé.

Le sentier redescend doucement vers la rivière qui en cet endroit s'élargit avant d'obliquer brusquement. On aperçoit entre les arbres une langue de prairie qui s'avance dans l'eau, une ou deux barques à l'amarre et au fond, contre le semis des hêtres rouges, presque enfouie au milieu d'eux, une bâtisse à clocheton, petite « folie » éré- mitique qu'aura conçue quelque calviniste rousseauiste.

— Ça, je me rappelle, c'est Les Sonneurs.

— Les Sonneurs, oui, c'est exact.

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Chellah

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Un père et son garçon assis, presque muets, sur le fût d'une colonne romaine ; la mort d'un crapaud et les effets de son ago- nie sur une existence conjugale ; le ballet autour d'un client émerveillé de deux jeunes servantes d'auberge en Italie ; l'épui- sante journée d'un couple acharné à se mettre au diapason d'une brûlante nature méditerranéenne ; tels sont les tableaux qui nous enseignent que l'homme, contrairement à l'expression consacrée, n'est pas sans feu ni lieu. Son univers est parsemé de sites, ses journées sont jalonnées d'instants d'où émanent la chaleur, la passion, le souvenir ému ou amer.

Evoquant l'Allemagne, l'Italie, la Suisse, les pays de Loire en même temps que les âges de la vie et les étapes de l'amour, ce recueil de nouvelles possède d'exceptionnelles qualités de narration feutrée, subtile, de lyrisme contenu et savoureux.

DU MÊME AUTEUR

LA VIE SUPPOSÉE

DE THÉODORE NÈFLE, roman SAN ROCCO ET SES FÊTES, roman

1MP. PR1ESTER. PARIS

Referências

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