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CHAPITRE I VOLTAIRE

I. LE RAPPEL DU CARACTERE PROTECTEUR DE LA TRADITION

II. 1. Le châtiment

Dans la présentation qu’en fait Pierre Manent, Joseph de Maistre est sinon le témoin authentique, du moins l’un des tous premiers auteurs qui parlent de la révolution pour dégager les conséquences qui en découlent du point de vue politique, moral et religieux ; et surtout pour y apporter une solution définitive.

Pierre Manent fait cette déclaration : les

« Considérations fondent la tradition de la réaction, ou de la contre- révolution, ce courant de pensée qui au lieu de critiquer la Révolution pour telle ou telle de ses mesures ou excès, la rejette tout entière dans son principe comme contraire à la nature même de l’homme social et moral »109.

Ce mot de Pierre Manent montre à suffisance le rejet que l’auteur des Considérations… oppose à la révolution. Aux yeux du présentateur des Considérations… la démarche de Joseph de Maistre développe tout un programme et ce programme constitue le point de départ de toute une tradition de la réaction qui s’en est suivie. Joseph de Maistre considère la révolution comme un crime causé par l’humanité notamment la France contre la volonté du créateur. C’est ce qui justifie pour lui le châtiment qui s’abat contre elle. De façon générale, le terme châtiment évoque la douleur infligée à quelqu’un après une faute.

Dans la perspective de Joseph de Maistre, il prend source dans le contexte chrétien et trouve son explication dans la colère de Dieu contre les hommes.

Dans ce sens, il s’agit de la terreur de Dieu qui dévore l’humanité. C’est pourquoi l’auteur trouve que la révolution comporte un caractère à la fois surprenant et mécanique. Car il trouve en elle la preuve la plus éclatante de la

109Manent Pierre, op.cit., p. vii

manifestation de la providence divine dans l’histoire et l’agir humains. Ce qui va en droite ligne avec les réflexions de l’auteur sur la révolution parce qu’elles montrent une fois de plus que ce ne sont pas les hommes qui en sont les auteurs.

Comprendre la terreur qui s’abat sur l’humanité comme le développement providentiel de la révolution traduit certes la position de l’auteur, mais à y regarder de plus près, il faut plutôt dire que Joseph de Maistre conçoit cette terreur d’abord comme une punition contre la France. Car aux yeux de Joseph de Maistre, la France est coupable devant Dieu pour avoir failli à sa vocation.

Dans la perspective maistrienne, le terme « vocation » est solidaire de celui de la responsabilité. Il s’agit pour Joseph de Maistre de souligner d’abord la responsabilité de la créature devant son Dieu. Et pour le cas de la France, l’auteur utilise ce terme pour interpeller la France quant à sa vocation sur l’Europe d’abord en particulier et sur le monde en général. Cette interpellation se formule ainsi :

« chaque nation comme chaque individu a reçu une mission qu’elle doit remplir ; la France exerce sur l’Europe une véritable magistrature qu’il serait inutile de contester, dont elle a abusé de la manière la plus coupable ; elle était surtout à la tête du système religieux…or comme elle s’est servie de son influence pour contredire sa vocation, et démoraliser l’Europe, il ne faut pas étonner qu’elle y soit ramenée par des moyens terribles »110.

Par ces mots, l’auteur reconnaît l’existence d’une responsabilité historique qui peut aussi être identifiée à la mission, c’est-à-dire que chacun est appelé à remplir sa mission devant le créateur. Nous retrouvons l’idée que l’anthropologie de Joseph de Maistre fait de l’homme un simple instrument de Dieu. C’est dire que l’homme agit en réponse à la mission que le créateur lui a confiée. Ainsi dans la mesure où l’action de l’homme correspond à cette mission de son créateur, il ne suscite pas la colère de Dieu qui entraînerait le cas échéant

110 De Maistre Joseph, op.cit., p. 22

le châtiment. En revanche lorsque l’homme a failli à sa mission, il attire sur lui la colère de Dieu qui conduit au châtiment. Tel est le cas de la France : elle avait reçu un rôle à jouer pour toute l’Europe ; ce rôle lui donnait la responsabilité d’assurer la pérennité du pouvoir monarchique d’inspiration chrétienne pour inspirer l’ordre temporel notamment dans les domaines politiques, religieux et moral ; mais sous l’influence de la philosophie des Lumières, elle a déclaré sa liberté vis-à-vis de Dieu et supplanté le pouvoir du roi pour imposer la souveraineté du peuple ; voilà pourquoi aux yeux de Joseph de Maistre le peuple français est coupable devant le créateur. A ceux qui ont contribué à ce changement, l’auteur déclare que:

« tous ceux qui ont travaillé à affranchir le peuple de sa croyance religieuse… tous ceux qui ont touché aux lois fondamentales de l’Etat, tous ceux qui ont conseillé, approuvé les mesures violentes employées contre le Roi etc. ; tous ceux-là ont voulu la Révolution et tous ceux qui l’ont voulu en ont été les victimes »111.

L’auteur montre par ces paroles que la Révolution française a été le théâtre des violences les plus atroces qui ont conduit à un changement radical.

Sur le plan politique, elle est à l’origine du passage de la monarchie absolue à la monarchie constitutionnelle, qui a donné lieu à la république. Mais ce passage s’est accompagné de la prise de la Bastille, du coup d’Etat de Napoléon Bonaparte…évènements au cours desquels ont eu lieu un grand nombre de morts. Il qualifie de crime l’attentat contre la souveraineté du roi Louis XVI alors qu’il le considère comme le meilleur des rois.

Sur le plan religieux, cette révolution a donné l’occasion à un vaste mouvement de désacralisation, pour désigner la contestation contre l’Eglise.

C’est surtout au cinquième chapitre que se voit le caractère anti-religieux de la Révolution française. Il s’agit des méfaits qui ont été perpétrés contre l’Eglise et

111Ibidem

qui justifient aux yeux de l’auteur le « caractère satanique »112 de la Révolution française. Au nombre de ces méfaits, l’auteur cite « le discours de Robespierre contre le sacerdoce, l’apostasie solennelle des prêtres, la profanation des objets du culte, l’inauguration de la déesse Raison… »113. C’est dire qu’à la place de Dieu, les révolutionnaires ont mis la raison qui désormais va les guider. Ce qui nous rappelle la démarche des auteurs de la philosophie des Lumières notamment Voltaire qui par l’exercice critique de la raison a inscrit dans son programme des Lumières la transformation du christianisme religion dogmatique à ses yeux à un christianisme religion naturelle qui est l’œuvre critique de la raison.

Sur le plan moral, c’est le renversement des critères de valeurs ou des critères de jugements qui est à l’origine de la déchéance morale dont parle l’auteur et qui se manifeste par une confusion du le bien et du le mal ; de l’innocent et du coupable. Cette confusion des valeurs rappelle bien aux yeux de Joseph de Maistre la déchéance morale au sein de la civilisation occidentale marquée par l’absence de Dieu, et le désir de la raison humaine de se déployer toute seule. C’est pour cela qu’au regard de toute cette violence, et tous ces méfaits causés par la Révolution française, l’auteur justifie le châtiment qui vient comme pour punir les auteurs ainsi que tous ceux qui ont approuvé cette révolution. Qualifiant cette punition, l’auteur fait remarquer que :

« depuis longtemps, on avait vu une punition aussi effrayante infligée à un aussi grand nombre de coupables »114.

Au nombre desquels se trouvent des philosophes qu’il appelle des savants qui ont introduit des idées nouvelles pour s’émanciper du pouvoir et de l’ordre établi. L’idée de châtiment aux yeux de Joseph de Maistre pourrait aussi se justifier à partir de l’influence qu’exerce sur lui le système aristotélicien,

112Ibidem., p. 69

113Ibidem.

114 De Maistre Joseph, op.cit., p. 22

notamment dans sa conception du terme vertu. Chez Aristote en effet, la vertu répond à l’excellence, c’est-à-dire à l’état qui permet à quelqu’un de réaliser parfaitement sa fonction en se préservant contre les excès pour mieux assurer le rôle qu’il joue dans la société. Cela renvoie à l’exigence de la prudence et au refus du débordement, qui introduit aussi l’exigence d’une limite.

Or au regard des conséquences qui découlent de la révolution française, l’auteur conclut au crime et à l’excès ; et par le fait même à la rupture. Pourtant chez Aristote, on peut lire dans ce passage de l’Ethique à Nicomaque qu’ :

« il faut noter que toute vertu met finalement en bon état ce dont elle est vertu et en même temps, lui permet de bien remplir son office. Ainsi la vertu de l’œil fait que nous voyons bien. Pareillement, la vertu du cheval fait qu’il est un bon cheval et parfait pour courir, porter son cavalier et tenir devant les ennemis »115.

Ceci veut dire que pour Aristote, chaque être et pas seulement l’homme est destiné à un objectif précis ; et pour le cas de l’homme, il est destinée à une vie de bonheur or pour y parvenir, il doit exceller dans l’exécution de sa fonction ; c’est-à-dire orienter son action vers l’acquisition de son bonheur. Ce qui veut dire chez Joseph de Maistre que c’est dans la mesure où l’action de l’homme s’oriente dans le plan de la providence que l’homme parvient au bonheur et au salut escompté. C’est dans cette même perspective que Joseph de Maistre a pu dire que :

« Chaque homme a certains devoirs à remplir, et l’étendue de ses devoirs est relative à sa position civile et à l’étendue de ses moyens »116.

L’auteur veut par-là démontrer l’importance du rôle que le roi est appelé à jouer au sein de la communauté. Mais comme la France s’est rebellée et destitué le roi, cela signifie qu’elle s’est par le fait même éloignée du rôle auquel elle était destinée à travers toute l’Europe, c’est pour cela qu’elle doit subir le

115 Aristote, op.cit., 112

116 De Maistre Joseph, op. cit., p. 25

châtiment de Dieu ; on comprend pourquoi l’auteur appelle de tous ses vœux la punition de Dieu contre la France.

Après avoir justifié les causes du châtiment qui pèse sur la France, il est important maintenant de dire en quoi consiste ce châtiment ? Aux yeux de Joseph de Maistre, le châtiment que doivent subir les coupables nombreux qui ont été soit à l’origine de la Révolution française soit des simples complices qui ont approuvé cette révolution c’est d’être les premières victimes ; c’est-à-dire ceux-ci sont morts d’une mort aussi violente que celle qu’ils ont eux-mêmes causée. C’est tout le sens de cette deuxième sous-partie qui consiste à montrer comment l’auteur légitime la violence des réactionnaires.

Au terme de cette brève analyse sur la notion du châtiment chez Joseph de Maistre, nous pouvons retenir deux grandes raisons pour lesquelles l’auteur justifie le châtiment contre la France : la première porte sur le fait que la France a failli à sa mission de répandre et de défendre le pouvoir de l’Eglise contre les revendications des Lumières. Ce qui a conduit à la désacralisation du pouvoir spirituel. D’autre part, hissée au sommet de la magistrature divine ce n’est pas sans raison que son Roi s’appelait (très-chrétien), la France était destinée aussi à une vocation morale ; cependant comme elle a s’est laissée aller avec le vent des contestataires, elle n’était plus à mesure d’assurer son rôle ; c’est pour cela que l’auteur exige sur elle le châtiment qui consiste à la mort des coupables. C’est ce qui constitue le programme maistrien de la contre-révolution.