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CHAPITRE I VOLTAIRE

I. LE COURAGE DE SE SERVIR DE SON ENTENDEMENT

II. 1. Le rejet de la métaphysique

Après l’exposé sur le combat de Voltaire contre le fanatisme religieux, et sur son ambition d’instaurer la tolérance religieuse en passant par la conception voltairienne de Dieu, nous voulons dans cette deuxième partie de notre analyse parler de l’attitude de cet auteur par rapport à la métaphysique en général et plus particulièrement vis-à-vis de la religion. En parlant de la conception voltairienne de Dieu, avons vu son adhésion au système de Newton c’est-à-dire à la physique expérimentale qui définit les lois de l’univers. Ainsi lorsqu’au dix-huitième chapitre de Zadig, racontant l’histoire de « L’ermite »35 l’auteur laisse son acteur invoquer le Très-haut, exprimant l’élévation de l’âme vers le Dieu source de sagesse détachée de la matière, il fait justement allusion à ce dieu impassible aux sollicitations matérielles pour ainsi dire à un ordre immuable qui assure l’harmonie de l’univers. Voltaire récuse la contemplation métaphysique pour se réfugier à la physique c’est –à-dire à l’observation des faits tels qu’ils se déroulent dans l’histoire. Il invite ses contemporains à tourner le dos vers un au- delà à jamais insaisissable. Dieu s’étant éloigné du monde, il le conçoit comme un Etre suprême qui ne peut être saisit que par l’esprit. Or Voltaire s’intéresse aux êtres de chair, dotés d’un corps et ayant des besoins matériels et immédiats à pourvoir. C’est pour cela qu’au chapitre III de son ouvrage Candide, il fait dire à Candide, personnage principal de son œuvre en réponse à cette question de son interlocuteur :

35Ibidem, p. 136

« croyez-vous que le pape soit l’Antichrist ? – … mais qu’il le soit ou qu’il ne le soit pas, je manque de pain »36.

Et plus loin au dernier chapitre, le même Candide rétorquera à Pangloss : « qu’il faut cultiver son jardin »37,

cela signifie que l’auteur invite ses contemporains et sa descendance à organiser la vie ici-bas pour qu’elle soit agréable. Voltaire affirme ainsi sa confiance en l’humanité. Pour lui les hommes parviendront à améliorer leurs conditions de vie en se détournant de ce qui les divisent et en mettant en exercice les facultés mentales et physiques dont ils disposent. Il s’attaque ainsi à Pascal qu’il considère comme un misanthrope du genre humain parce que ce dernier insiste sur l’incapacité de l’homme à se mobiliser tout seul pour changer sa vie et compte plus sur la grâce providentielle de Dieu.

Voltaire refuse de remettre le sort de l’humanité entre les mains de la providence qui pour lui n’intervient jamais en faveur de l’homme. C’est pourquoi au deuxième chapitre de Candide, il montre la déception son acteur principal abandonné dans son malheur. Celui-ci après avoir en effet été chassé du château où il a été initié à la métaphysique et où il a appris que tout allait au mieux souffre tout seul dans la rue en :

« marchant longtemps sans savoir où, pleurant, levant les yeux au ciel, les tournant souvent vers le plus beau des châteaux »38.

Cela veut dire que son salut ne viendra ni du ciel (absence de la providence), ni du château (symbole de la méchanceté et de la cruauté humaines). Il a fallu rencontrer les autres hommes pour qu’il reçoive cette aide escomptée, pour qu’il reçoive le secours attendu. De fait, Voltaire est témoin des fléaux qui minent les peuples au cours de l’ancienne monarchie. Les hommes se battent pour les discussions d’ordre métaphysique et s’abandonnent dans des

36 Voltaire, op.cit., p. 28

37Ibidem, p. 155

38 Ibidem, p. 22

spéculations oiseuses qui dégénèrent en violences et persécutions continues.

Pour comprendre la démarche de l’auteur, il faut se référer à la situation qui prévalait dans son temps.

Les conditions de vie pendant l’ancienne monarchie devenaient de plus en plus difficiles à cause de l’étroitesse et de l’immobilisme en vigueur. Aucune législation en matière religieuse n’était envisagée, et tout le pays souffrait des violences nourries par des débats religieux et bientôt cette violence affectait les autres domaines de la vie sociale – la politique, la morale, la philosophie- Pour Voltaire, la voie de sortie de cet immobilisme n’est possible que si les peuples se mettent au pas pour s’ouvrir au mouvement que préconise la philosophie des Lumières. Il s’agit pour lui du courage d’une remise en question radicale de tout le système d’organisation traditionnelle handicapante et désuète pour instaurer un ordre nouveau au cours duquel sera respectée la liberté de chacun et la tolérance religieuse.

Telle est l’ambition que se donne Voltaire, la feuille de route du combat qu’il entend mener. On comprend donc pourquoi à cette époque l’auteur revendique plutôt une monarchie éclairée qui supplantera la monarchie absolue dans laquelle sont encore enfermées les libertés individuelles (liberté de conscience, liberté religieuse) à l’instar de celle qui a existé au cours du règne de Louis XIV, dont il n’hésite pas malgré tout de chanter la gloire à travers son ouvrage intitulé L Siècle de Louis XIV ouvrage dans lequel l’auteur célèbre la grandeur du Roi Soleil, de sa politique et du développement des arts. C’est cette époque que les Français ont appelé « le Grand Siècle ». Pour effectuer le passage vers cette monarchie éclairée, l’auteur s’inscrit volontiers comme l’initiateur d’une révolution qui marque son appartenance à la philosophie des Lumières et à la laquelle il ajoute sa tonalité en mettant en valeur, le pouvoir critique de la raison comme moyen de libération de l’immobilisme dogmatique du système traditionnel en vigueur dans la monarchie ancienne. Dans ce sens, la révolution voltairienne est une révolution philosophique qui affirme la

possibilité de changer le monde dans le pouvoir des idées ; dans la capacité de la raison de se mettre à distance d’elle-même et de faire l’inventaire de ses préjugés, de ses crédulités, de ses faiblesses et même de ses lâchetés.

La révolution de Voltaire est donc pour cela une révolution intérieure, c’est-à-dire celle qui se réalise par la lumière de l’entendement, la vivacité de l’esprit et la clarté des idées. Voltaire prend pour cela en son compte la devise même des Lumières pour adopter une attitude critique par rapport à la tradition métaphysique et il montre par-là que l’exercice de la pensée requiert la liberté.

Penser, c’est penser par soi-même et non sous la tutelle d’un autre. Voltaire apprend à avoir une attitude critique vis-à-vis de la tradition, à regarder autour de soi, à questionner et à juger quant à la légitimité de ce qui se passe jusqu’ici.

Il s’affirme donc comme un défenseur de l’autonomie de la pensée, et fait de la faculté critique l’élément fondamental de la raison humaine, c’est-à-dire ce qui la caractérise en propre. L’auteur préconise ainsi une révolution mentale, la révolution philosophique pour purifier les mentalités et adoucir les mœurs.

Cette révolution conduit finalement par sa radicalité au mépris de la religion à laquelle il impute une responsabilité plus grande dans les maux dont souffrent les peuples au cours de l’ancienne monarchie, la démarche de Voltaire peut donc s’identifier à l’irréligiosité et dans ce sens, on comprend pourquoi il préconise d’adopter une attitude d’indifférence à l’égard de la religion. C’est cette attitude qu’il envisage pour manifester l’avènement de la nouvelle monarchie : la monarchie éclairée ; cadre dans lequel l’auteur peut faire valoir sa passion aux Lumières. C’est pour cette raison que Groethuysen a pu intituler le quatrième chapitre de son ouvrage que Voltaire a incarné « La passion de la raison »39 cela pour dire que ce dernier fait de la philosophie des lumières un véritable objet de passion. Il n’est pas un bâtisseur de systèmes, c’est qui explique ces railleries à l’endroit des métaphysiciens tels que Pangloss ce

39 Groethuysen Bernard, op.cit., p. 133

métaphysicien obnubilé et enfermé dans un système d’optimisme désincarné, et décalé des conditions historiques dans lesquelles vivent les hommes. C’est un ton, un style, un esprit, démolisseur et démystificateur des préjugés toujours en action. Il adopte volontiers le ton de l’exhortation comme dans cet appel du Dictionnaire philosophique :

« Il ne tient qu'à vous d'apprendre à penser; vous êtes né avec de l'esprit;

vous êtes un oiseau dans la cage de l'inquisition; le Saint-Office vous a rogné les ailes, mais elles peuvent revenir. Celui qui ne sait pas la géométrie peut l'apprendre; tout homme peut s'instruire : il est honteux de mettre son âme entre les mains de ceux à qui vous ne confieriez pas votre argent; osez penser par vous-même. »40.

Telle est la démarche de Voltaire contre la dogmatique métaphysique traditionnelle. De ce parcours sur le projet de la révolution voltairienne contre la monarchie ancienne marquée par le dogmatisme et l’absolutisme, que nous pouvons-nous retenir ? En réponse, nous pouvons d’abord caractériser la démarche de l’auteur comme un refus opposé à la métaphysique en montrant l’intérêt et le choix que Voltaire a porté à la physique de Newton afin de purifier la mentalité de son temps enfouie dans les considérations et des débats concernant des questions qui ont jusqu’ici enfermé ces peuples dans l’obscurantisme et nourri les violences entre eux.

Pour se faire, Voltaire invite ses contemporains à se rendre compte qu’ils sont abandonnés à eux-mêmes et qu’ils ne doivent pour cela compter sur aucun autre appui que celui qui leur vient de leur propre initiative humaine. Dans ce sens, les idées telles que la providence, la prédestination, l’au-delà et toute chose qui éloigne les hommes de la situation concrète ne devraient pas les préoccuper.

Il invite plutôt les hommes à organiser leur existence ici-bas et les incite à travailler pour l’avènement d’un monde où il règne la tolérance religieuse entre

40 Voltaire, Dictionnaire Philosophique, Paris, Flammarion, 1964, p. 261.

les peuples. Cette réaction de Voltaire contre la métaphysique se caractérise par un ton radical, une passion démesurée de la raison qui s’ils font le lit de la philosophie des Lumières ouvrent malheureusement la voie à l’irréligiosité. On peut donc comprendre pourquoi l’auteur va s’attaquer particulièrement à la religion qu’il considère comme une superstition capable d’alimenter les querelles entre les peuples si celle-ci n’est pas maîtrisée.