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TROISIEME PARTIE Phénoménologie de la violence

No documento Nathalie Leblanc (páginas 129-200)

« Le droit est l’ensemble des conditions qui permettent à la liberté de chacun de s’accorder à la liberté de tous. » E. Kant

« Il est aisé d’écraser, au nom de la liberté extérieure, la liberté intérieure de l’homme. » R. Tagore (L’Appel de la Vérité)

La violence est au cœur de l’univers psychiatrique. Elle l’habite sous des formes diverses, si indissociablement liée à lui qu’il semble illusoire de traiter de la liberté indépendamment d’elle, qu’il s’agisse des manifestations de la maladie mentale et des modes d’expression qu’elle emprunte ou de la façon dont nous, soignants, y répondons.

Il s’agit, en partant de ma pratique du terrain psychiatrique, qu’elle s’exerce dans le secteur public ou privé, d’observer comment la violence se manifeste, d’en déceler les différents registres, d’en lire les multiples sens et de relier ceux-ci aux mécanismes qui la sous-tendent. Il s’agit donc avant tout de l’aborder dans une perspective plus phénoménologique que critique.

Certes, il y a la virulence de certaines pathologies (état délirant, dissocié, confus…) dont l’expression entraîne pour le patient violence à l’égard de soi ou d’autrui. Mais il y a aussi, comme en écho, la violence de certaines pratiques médicales et institutionnelles, lorsqu’elles deviennent emprise, coercition d’autrui, qu’il s’agisse de modalités d’internement, de contraintes physiques ou de traitements chimiques massifs. Il y a la violence du discours psychiatrique lorsque, réduisant l’Autre à son symptôme, il lui dénie implicitement le statut de personne.

Il y a enfin, aujourd’hui plus que jamais, le délitement dans lequel est pris l’ensemble de la santé mentale et, plus généralement, la Santé (manque de personnel, de médecins, de moyens de tous ordres, réduction des budgets, augmentation des charges pour les libéraux..., alors que, simultanément, les demandes augmentent…), engendrant à son tour de nouvelles formes de violence.

La violence est-elle, dès lors, inévitable ? Comment la penser ? N’est-ce pas d’ailleurs elle qui, dans bien des cas, nous pense, faisant intrusion dans nos modes de pensée et régissant nos actes ?

Mais qu’est-ce que la violence?

S’agit-il de celle qui menace notre intégrité physique et psychique (qu’elle se traduise par des insultes, des menaces ou des coups pouvant aller jusqu’au meurtre) ou de celle qui porte atteinte à la dignité de l’homme (discriminations dont il est l’objet, injustices, tortures) ? S’agit-il de celle que nous vivons collectivement, lors d’un état de guerre ou encore de la violence de la nature (tremblements de terre, cyclones…), lorsqu’elle se déchaîne et réduit l’homme à néant ?

Ces différents aspects de la violence révèlent qu’il n’y a pas une mais des violences qui trouvent leur origine dans l’homme lui-même (et, notamment, dans les motions ou passions qui l’animent), dans ses rapports à autrui et au monde qui l’entoure, ou, à l’inverse, se situent radicalement hors de lui.

L’hétérogénéité de la violence me conduit, en considérant l’origine du terme, à en établir les différents sens.

Le concept de violence renvoie au concept latin violentia : violence, caractère violent ou farouche, lui-même à relier à violare : traiter avec violence, profaner, transgresser.

Toutefois, dans un livre sur « La violence », Hélène Frappat, faisant référence à un ouvrage d’Y. Michaud sur ce thème, rattache ces termes à vis : force, vigueur, puissance…, emploi de la force physique, mais aussi essence ou caractère essentiel d’une chose. Plus profondément, « vis signifie la force en action, la ressource d’un corps pour exercer sa force, et donc la puissance, la force vitale. »127 Au vis latin correspond l’is grec (muscle, force, vigueur) qui se rattache à bia signifiant force vitale, force du corps, vigueur et, en conséquence, violence, « ce qui contraint et fait violence »,128 écrit Y. Michaud.

Ainsi, violence renverrait à force, une force naturelle, brute, en action, sans pour autant se confondre avec elle. Car elle n’existe en tant que telle que si elle est associée à une contrainte, observe H. Frappat.

Contrainte : concept revenant souvent dans le vocabulaire psychiatrique, en particulier dans l’expression : « hospitalisation sous contrainte ». Que fait-il

127 Hélène Frappat, La Violence, Paris, GF Flammarion, 2000, p. 15.

128 Yves Michaud, La Violence, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1986, p. 4.

apparaître ? Le pouvoir de celui qui l’exerce, en vertu de l’autorité qui lui est légitimement conférée ou que, abusivement, il s’approprie.

Dans son ouvrage : « Du mensonge à la violence », Hannah Arendt définit précisément les concepts de pouvoir, puissance, autorité et force. Elle distingue le pouvoir, en tant qu’« aptitude de l’homme à agir de manière concertée », de la puissance, caractérisant la « propriété d’une personne », et de l’autorité (d’une personne ou d’une institution) impliquant que « ceux dont l’obéissance est requise la reconnaissent inconditionnellement… ». Elle réserve le concept de force, souvent considérée comme synonyme de violence, quand elle est utilisée comme moyen de contrainte, à la « qualification d’une énergie qui se libère au cours de mouvements physiques ou sociaux ». Quant à la violence, elle la définit par son

« caractère instrumental ». Elle s’apparente à la puissance, car ses outils « sont utilisés en vue de multiplier la puissance naturelle ».

Toutefois, ces différents concepts ne sont, écrit-elle, « que des mots indicateurs des moyens que l’homme utilise afin de dominer l’homme…»129Pour sa part, Hobbes décèle dans la nature humaine « trois causes principales de conflit et donc de violence : la compétition, la défiance, la gloire ».130 Or, la défiance pousse l’homme à attaquer pour défendre sa sécurité. Hobbes ne perçoit pas moins en elle qu’un « état de guerre de tous contre tous ».131 C’est implicitement reconnaître que la peur régit les rapports entre humains, peur qui, en l’absence de loi, justifie tout. La loi est nécessaire, en tant qu’elle protège les individus d’eux- mêmes. Elle est donc, dans son application, amenée à les contraindre.

Mais qu’est-ce que la contrainte ? Ce qui fait obstacle à la liberté de l’individu ou, à l’inverse, ce qui vient contrecarrer l’obstacle qui la met en échec ? Kant répond à cela dans sa Doctrine du droit, sur laquelle je reviendrai, à propos d’un cas clinique. S’il y a une contrainte interne, qui est de l’ordre de la morale, il y a aussi une contrainte externe, celle du droit et de l’Etat. Pour Max Weber, l’Etat moderne est l’instance qui revendique avec succès le monopole d’une contrainte, c’est-à-dire d’une violence physique légitime.

129 Hannah Arendt, Du mensonge à la violence, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1994, pp. 144- 146.

130 Thomas Hobbes, op. cit., p. 224.

131 Ibid., p. 231.

Mais, au regard de ce qui précède, ces concepts de contrainte, pouvoir, autorité, qui sont au cœur de la réalité psychiatrique, sont-ils compatibles avec le respect d’autrui, sa liberté, son altérité ? La violence à laquelle nous sommes quotidiennement confrontés, celle de la maladie mentale mais aussi la nôtre, à nous soignants, est-elle négation de l’altérité ? Ou bien la manifestation de cette altérité irréductible d’autrui n’est-elle pas ce qui nous fait violence, parce qu’elle nous déloge des sentiers battus de notre pratique, au point qu’il nous est nécessaire de la rejeter ou de l’annuler ? Et ne sommes-nous pas enclins à désigner comme violent ce qui nous échappe et, en définitive, nous fait peur ?

Peur de l’Autre, de ce qu’il est : différent. Peur des manifestations de l’étrange, insaisissable, qui se mue en peur de l’étranger.

Si la peur est à la racine de bien des pathologies pour lesquelles nous sommes consultés et engendre, faute d’être reconnue et entendue, certains comportements violents à l’égard de soi et d’autrui, n’est-elle pas également à la racine de bien des dysfonctionnements individuels, collectifs ou institutionnels ?

Dès lors, la violence est-elle cause ou conséquence ? Si la violence fait peur, la peur, à son tour, déchaîne la violence, sans que l’on puisse parfois déceler ce qui est à l’origine de ce couple infernal.

En outre, existe-t-il une légitimité de la violence ou n’est-elle à considérer qu’affectée d’une connotation négative ? Comment la penser dans une perspective éthique ? N’est-elle pas parfois l’ultime moyen pour l’individu de sortir de la totalité dans laquelle il est enfermé, pour accéder à un au-delà de soi, un in-fini ou une transcendance, seule juste mesure de ce qu’il est ?

A partir d’une situation clinique vécue relatant l’internement d’une patiente de mon service, je mettrai en perspective les différentes formes de violence rencontrées, qu’elles soient le fait des patients contre eux-mêmes ou autrui, de l’institution psychiatrique à leur égard comme à l’égard du personnel ou des différents pouvoirs en place qui, actuellement, pensent et décident en matière de santé mentale. Je tenterai d’expliciter comment ces divers protagonistes peuvent être tour à tour agresseurs et victimes, pris les uns et les autres dans les rets d’un mode de fonctionnement qui, bien souvent, les domine.

Chapitre premier Genèse d’une intrusion

Chronique d’un internement

N., d’origine serbe, est connue du service depuis vingt ans. Mariée, elle est arrivée en France dans les années soixante pour y travailler et s’y est rapidement intégrée. Divorcée six ans plus tard, sans enfants, elle reprend peu après une vie commune avec l’un de ses compatriotes. Vie houleuse, marquée par de nombreux conflits et disparitions du conjoint, lorsque la situation devient critique.

Un premier épisode délirant a entraîné, en 1983, une hospitalisation d’office en psychiatrie, suivie d’une prise en charge ambulatoire en secteur extra-hospitalier.

Elle est sous traitement neuroleptique depuis cette époque, ce qui lui a permis d’avoir une relative stabilité affective et professionnelle. Son médecin ayant quitté le service, j’ai été amenée à la suivre.

N. masque derrière un abord avenant une réticence évidente à parler d’elle- même, bien qu’elle entretienne d’excellents rapports avec toute l’équipe soignante. Depuis peu retraitée, sa situation matérielle, quoique précaire, lui permet de vivre avec une certaine autonomie. Mais qu’en est-il d’une vie psychique dont elle ne nous livre rien, marquée par la banalisation de ce qui l’a conduite en psychiatrie ? Pour ma part, je respecte son silence. Toutefois, je sais qu’elle est constamment sur la ligne de crête d’une excitation qui peut, à la faveur du moindre facteur déclenchant, la conduire à un état délirant entraînant un changement immédiat de comportement.

Dans un passé récent, plusieurs hospitalisations ont eu lieu, après intervention de la police, dans des circonstances éprouvantes pour elle, pour le voisinage immédiat qu’elle perturbe et finit par dresser contre elle, et pour l’équipe

soignante enfin, objet de la vindicte de l’entourage la mettant en demeure d’intervenir par n’importe quel moyen et la menaçant au besoin de poursuites judiciaires.

Le scénario est toujours le même. Elle cesse de venir en consultation, signe qu’elle a simultanément cessé tout traitement. Un appel téléphonique de notre part reste généralement sans réponse ou se heurte à une réaction violente de sa part.

Les voisins commencent, eux, à nous assaillir, signe infaillible du changement de comportement de N. : altercation avec l’entourage, propos incohérents, objets jetés par les fenêtres, violences diverses qui peuvent entraîner des détériorations dans les appartements mitoyens.

Pourtant, elle jouit d’une relative tolérance de la part du voisinage, mais cette tolérance a des limites. A chaque crise, la menace d’une pétition, voire d’une expulsion, se profile. Se pose alors, inexorablement, la question de notre intervention, selon des modalités chaque fois problématiques.

N. est-elle dangereuse pour elle-même et pour autrui ? Si oui, nous devons le constater, notamment lors d’une visite à domicile. Encore faut-il que celle-ci soit possible et qu’elle nous ouvre la porte, ce que, généralement, elle ne fait pas.

Nous repartons donc, sous l’œil désapprobateur et angoissé des voisins.

Ils savent pourtant que, en cas de crise, notamment la nuit, ils peuvent faire appel à un service de police. Ce qu’ils ont fait, avec réticence, ne voulant pas assumer la responsabilité de cette démarche. La police s’est parfois déplacée, réussissant même à se faire ouvrir la porte. Mais, chaque fois, elle est repartie,

« n’ayant constaté aucun signe particulier de dangerosité » de sa part ni anomalie de comportement justifiant son intervention. En effet, N. se méfie. Le délire qui l’assiège peut laisser libre une part de son champ psychique, et c’est cette part qui, momentanément, reprend les rênes. Mais, une fois la police repartie, la violence reprend ses droits, exacerbée par la conviction que désormais l’entourage la persécute.

Dans une telle situation, la vision de chacun peut être juste, même si elle contredit celle des autres : l’entourage est bien témoin de scènes de violence ; l’équipe médicale ne dispose d’aucun élément, sur place, lui permettant de faire intervenir la police, en vue d’une hospitalisation d’office. Quant à cette dernière, soucieuse d’épargner sa réputation et de ne pas donner l’image d’une instance

répressive, elle se retranche derrière une attitude prudente. Tant qu’il n’y a pas mort d’homme ou voies de fait incontestables, elle n’intervient pas. Peu au fait de la maladie mentale, elle ne voit rien.

Il n’est pas rare que chacun se renvoie la balle. Qui est responsable ? Chacun a peur : peur de soi, peur de l’autre, l’autre étant « celui qui m’attaquera », si je fais erreur. Tel est le contexte auquel nous sommes confrontés.

Depuis sa dernière hospitalisation, N. semble être stabilisée. Pourtant, quelques mois plus tard, elle ne se présente pas en consultation, sans qu’aucun signe ait pu me laisser présager un état de crise. Mais son absence marque sans doute l’arrêt et le refus implicite de tout traitement chimiothérapique. Je n’en ai pas de nouvelles pendant plusieurs jours. En revanche, dès la semaine suivante, les voisins nous assaillent au téléphone, en signalant son changement de comportement depuis plusieurs semaines. L’un d’eux, avocat, me somme d’intervenir immédiatement, faute de quoi il me tiendra personnellement pour responsable en cas d’accident. Je lui fais observer que tout signe de dangerosité de la part de N., à une heure où notre centre de consultation est fermé, relève d’une intervention de la police. La situation est dramatisée par le souvenir des situations antérieures. J’apprendrai plus tard que la police s’est déjà déplacée, mais que, n’ayant constaté aucun signe de dangerosité de la part de N., elle est repartie.

Comment évaluer la situation ? La police se voile-t-elle la face ou les voisins, inquiets, sont-ils eux-mêmes pris dans une spirale de violence qu’ils ne contrôlent pas ?

Au téléphone, N. ne répond pas. Elle peut être sortie ou se retrancher derrière un silence défensif.

Après concertation de l’équipe soignante, je fais un double signalement écrit, au commissariat du quartier et à l’Infirmerie Psychiatrique de la Préfecture de Police (IPPP). Nécessaire à l’égard du commissariat de police, cette démarche est beaucoup plus hypothétique en ce qui concerne l’IPPP, censée faire une enquête, mais dans un avenir incertain. Sans révéler le contenu de cette démarche au voisinage, je demande qu’il en soit informé, s’il se manifeste de nouveau.

En tant que médecin responsable de cette patiente, le signalement effectué me

« couvre ». Je ne peux rien faire de plus, ainsi que me le font observer plusieurs membres de l’équipe, chef de service inclus.

En effet, sur le plan déontologique et juridique, je pourrais en rester là, quoique sachant que la situation va se détériorer. Mais elle est sans traitement, diabétique de surcroît, ce qui augmente encore la précarité de son état. En outre, la violence monte de part et d’autre. Si cet état de crise ne cesse pas, une plainte sera déposée qui risque de mettre en jeu son maintien dans un lieu demeurant son seul point d’ancrage. Ce qui m’importe, ce n’est pas seulement sa santé psychique, c’est aussi son espace vital, tout ce qui, lorsqu’elle va mieux, lui permet d’être.

Je me rends chez N. avec une infirmière : une présence médicale sur le terrain, même si elle ne résout pas à elle seule la situation, peut être une médiation nécessaire. A notre arrivée dans l’immeuble, un voisin nous assiège d’emblée. N., nous dit-il, est bruyante la nuit, elle agresse verbalement l’entourage, commence à jeter des objets par la fenêtre. Un voisin a failli être atteint par un projectile.

A l’étage, elle ne répond pas. Nous déclinons nos identités. Temps de latence, puis une voix hostile : « Je n’ai rien à vous dire. Partez ». Nous pourrions repartir, car, à ce moment précis, si elle est hostile, elle n’est pas violente ni dangereuse pour autrui. Fait-on hospitaliser quelqu’un sur le seul signe de son hostilité ?

Pourtant, nous ne partons pas, attendant la suite, le signe qui nous permettra d’évaluer la réalité d’un état pathologique. Et ce signe vient. Nous sentant dans les lieux, elle se lance dans un monologue de plus en plus virulent et confus.

J’appelle le commissaire du quartier. Il a reçu mon signalement et accepte de m’envoyer immédiatement une équipe. En attendant, nous nous entretenons avec un voisin. N., semble-t-il, ne sort plus de chez elle. Elle est seule, ne s’alimente sans doute plus depuis quelques jours. L’hospitalisation est rendue nécessaire par ce que nous apprenons et constatons : elle chante à tue-tête, puis vocifère ; tantôt silencieuse, tantôt dans un état d’excitation qui s’autoalimente. Une hospitalisation sous contrainte se profile.

Arrive l’équipe de police, dont le chef frappe à la porte. Silence. « Madame, ouvrez ! C’est le facteur. » Contre-attaque de la patiente : « Il n’y a pas de facteur à cette heure-ci ! Si vous ne partez pas immédiatement, j’appelle la police. » -

« Madame, la police, c’est moi ! », semblant, comme le souligne T. Hobbes 132,

incarner en sa personne l’Autorité, sinon de l’Etat, du moins de l’institution policière.

« Je ne vous crois pas. » La souveraineté du policier est encore hésitante : « Si vous voulez, je peux vous montrer ma carte », qu’il tente de faire apparaître dans l’œilleton de la porte. La situation devient burlesque.

N. refuse d’ouvrir sa porte, mais elle est désormais lancée dans une revendication incohérente. Dans l’escalier, un voisin propose à l’équipe de police son pied-de-biche pour pénétrer dans les lieux. Refus catégorique : « Nous n’entrons pas chez quelqu’un par effraction. Ce n’est pas légal. » La loi l’autorise toutefois, si elle le juge nécessaire, à faire venir un serrurier pour entrer sans dommages matériels dans les lieux. Ce qu’elle tente d’effectuer, sans succès, celui avec lequel elle collabore étant ce matin-là débordé.

Où finit l’effraction, où commence l’intrusion ? Devant le refus de la patiente et l’absence de soutien logistique, le policier est perplexe. Comme nous, médecin et infirmière, il n’est témoin que de sa violence verbale. Toutefois, un pas est franchi, lorsque, nous sachant derrière la porte, elle branche à travers la serrure son tuyau de douche et ouvre le robinet d’eau chaude. La personne de l’officier de police est atteinte. La dangerosité de N. ne fait plus de doute. L’eau commence à filtrer sous la porte, ce qui permet au voisin de rappeler que, dans le passé, le plafond de son appartement a déjà été sinistré et qu’il souhaiterait ne pas avoir à le faire refaire une nouvelle fois.

Une équipe de renfort est appelée. Entre-temps, l’équipe déjà présente s’est postée dans la cour pour surveiller l’envoi d’objets par la fenêtre, lesquels fusent de temps à autre…

Arrivent cinq gardiens de la paix. L’officier de police, convaincu maintenant de la dangerosité de N. par ce dont il a été témoin et « couvert » moralement par la présence d’une équipe médicale sur le terrain, change de cap. Contre toute attente, il fait appel au pied-de-biche du voisin. Ce qui était illégal vingt minutes plus tôt cesse-t-il de l’être ? Si la loi reste la loi, elle cesse désormais d’être inviolable. Vu l’état de N., il faut entrer chez elle pour la faire hospitaliser d’office, par le biais du commissaire du lieu, représentant l’autorité du préfet de police.

132 Thomas Hobbes, op. cit., p. 288.

No documento Nathalie Leblanc (páginas 129-200)

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