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Chapitre 6 Discussion et conclusion

6.1. Une source péridotitique carbonatée

L’étude des caractéristiques pétro-géochimiques et des inclusions fluides des deux types de néphélinites de Saghro décrite au Chapitre 3 a permis de montrer qu’elles sont issues de faibles taux de fusion partielle d’une source mantellique riche en CO2, à des pressions supérieures à 2 GPa (c.-à-d. supérieures à 70 km). L’étude des inclusions fluides a donc mis en évidence l’importance du rôle d’un composant carbonatitique dans la genèse des néphélinites du Jbel Saghro. Les modélisations des processus de fusion mises en œuvre dans le Chapitre 4 sont en accord avec ce résultat puisqu’elles ont révélé que les néphélinites et basanites de Saghro ont été produites par des taux de fusion partielle faibles (< 2.5 %) au niveau de la transition entre les champs de stabilité du grenat et du spinelle à 2.5–2.7 GPa et 1250–1300 °C (Klemme et O’Neill, 2000 ; Robinson et Wood, 1998). Cette fusion s’est produite à partir d’une péridotite enrichie en éléments les plus incompatibles par un composant carbonatitique et en présence d’amphibole comme l’atteste la modélisation des concentrations en K et Ba.

Chapitre 5 – Discussion et conclusion

La présence d’inclusions fluides riches en CO2 dans les néphélinites et la présence d’amphibole déduite des modèles de fusion suggère que la source des laves était enrichie en CO2

et H2O. Un tel enrichissement s’explique généralement par la fusion à grande profondeur de lithosphère océanique subductée riche en éléments volatils (p.ex. Dasgupta at al., 2007). Cette fusion produit des fluides carbonatés hydratés qui percolent et réagissent avec la péridotite, l’enrichissent en éléments volatils et en éléments incompatibles (cf. partie 5.4.3), et peuvent entraîner la précipitation/cristallisation d’amphibole métasomatique hydratée (Niu et O’Hara, 2003 ; Pilet et al., 2004, 2005, 2008 ; Sun et Hanson, 1975). De plus, des études géophysiques ont mis en évidence la présence d’une ancienne coûte océanique subductée dans le manteau sous le Maroc (Ledo et al., 2011). Les résultats acquis au cours de cette thèse corroborent la présence d’un manteau métasomatisé par des fluides carbonatés/hydratés issus de la fusion de lithosphère océanique subductée.

Comme expliqué dans la partie 5.2.3, les liquides carbonatés/hydratés ont des caractéristiques géochimiques (enrichis en éléments les plus incompatibles, anomalies négatives en K, Zr, Hf et Ti, rapports Ca/Al et Zr/Hf élevés) qui se transmettent à la péridotite lors du métasomatisme, puis aux laves lors de la fusion de la péridotite métasomatisée. La Figure 6.1 représente les rapports Ca/Al, Zr/Hf et Ca/Sc des néphélinites et basanites de Saghro ainsi que les champs des néphélinites et basanites intracontinentales. L’augmentation conjointe des rapports Ca/Al, Zr/Hf et Ca/Sc sur ces diagrammes reflètent une augmentation progressive de l’influence du composant carbonatitique sur la source des laves. On remarque que la source des néphélinites pliocènes semble avoir subi le plus d’influence du composant carbonatitique, et que cette influence décroit pour les néphélinites miocènes, et est minimale pour la source des basanites (Figure 6.1).

Parmi les études reportées impliquant un composant carbonatitique, les néphélinites de São Vicente étudiées par De Ignacio et al. (2012) montrent la plus forte influence du métasomatisme carbonatitique (Figure 6.1). Ces néphélinites sont associées à des carbonatites, et les deux sont issues de la différentiation d’un magma parent alcalin riche en CO2. Ulrych et al.

(2008) ont montré que les néphélinites à olivine-mélilite de République Tchèque trouvent leur source dans un manteau hétérogène contenant des veines produites par métasomatisme carbonatitique. Ulianov et al. (2007) ont déterminé qu’un liquide carbonatitique a réagi avec la péridotite dans le manteau profond (champ de stabilité du grenat), et que la wehrlite carbonatée issue de cette réaction a fondu pour produire les néphélinites du Kaiserstuhl (Allemagne).

Melluso et al. (2011) ont démontré que les néphélinites du nord de Madagascar sont le produit de

faibles degrés de fusion d’une péridotite à grenat enrichie par un métasomatisme dolomitique (±

phlogopite). Zeng et al. (2010) ont déterminé que les anomalies négatives en K, Zr, Hf et Ti, l’enrichissement en éléments incompatibles et les rapports Ca/Al et Zr/Hf élevés des néphélinites et basanites intraplaques issues du volcanisme cénozoïque au sud du craton nord-chinois impliquent une source ayant subi un métasomatisme de type carbonatitique, bien qu’ils ne puissent pas écarter l’influence de veines d’amphibole, puis de faibles taux de fusion (< 3%).

Enfin, Dautria et al. (2010) ont montré que les basanites du Languedoc sont le produit de 1–5%

de fusion d’une lherzolite enrichie par un métasomatisme qu’ils supposent carbonatitique.

Les autres champs reportés représentent des compositions interprétées comme le résultat de la fusion d’une source métasomatisée, sans précision sur un éventuel composant

Figure 6.1. Variations des rapports (A) Ca/Al vs Zr/Hf et (B) Zr/Hf vs Ca/Sc pour les laves primaires du Jbel Saghro et pour d’autres néphélinites et basanites en contexte intraplaque de la littérature, mettant en évidence l’influence d’un métasomatisme carbonatitique sur la source du volcanisme du Saghro. Les valeurs chondritiques des rapports Ca/Al, Ca/Sc et Zr/Hf viennent de McDonough et Sun (1995). La séquence de liquides issus de la fusion du manteau pour le rapport Ca/Sc est issue de Rudnick et al. (1993).

Chapitre 5 – Discussion et conclusion

carbonatitique mais suggérant plutôt l’implication de veines d’amphibole. Duggen et al. (2005) ont proposé que les basanites affleurant dans la partie ouest de la Méditerranée (marge sud- Ibérique) soient issues de faibles taux de fusion (< 2%) d’une lherzolite métasomatisée au niveau de la transition grenat-spinelle. Melluso et al. (2007) ont déterminé que les basanites de Madagascar sont le produit de faibles taux de fusion partielle (3–5%) d’une source péridotitique enrichie par métasomatisme dans la partie inférieure du manteau lithosphérique, et contenant possiblement de l’amphibole. Johnson et al. (2005) ont montré que les néphélinites et basanites du Rift de Baikal (proche du Craton Sibérien) sont issues de la fusion d’une pyroxénite à grenat et phlogopite enrichie par métasomatisme.

Les néphélinites de Saghro analysées pendant cette thèse sont comparables aux néphélinites de la littérature ayant subi l’influence d’un composant carbonatitique dans leur source. Les rapports Zr/Hf les plus élevés mesurés dans nos néphélinites pliocènes sont équivalents à ceux des néphélinites de São Vicente pour lesquelles le fractionnement d’amphibole est également impliqué (De Ignacio et al., 2012), suggérant qu’un couplage entre un métasomatisme carbonatitique de la source et la présence d’amphibole dans la source peut produire des fractionnements Zr/Hf plus élevés que l’un ou l’autre pris séparément. Les néphélinites miocènes ont également des rapports Zr/Hf élevés, équivalents à ceux des néphélinites de Shandong (Zeng et al., 2010) mais avec des rapports Ca/Al plus élevés, similaires à ceux des néphélinites de Madagascar (Melluso et al., 2011) (Figure 6.1). Ceci suggère que l’influence d’un composant carbonatitique est moins importante dans la genèse des néphélinites miocènes que dans la production des néphélinites pliocènes. Cette évolution peut être reliée à la distribution temporelle du volcanisme du Saghro. Nous avons vu au Chapitre 5 que les néphélinites pliocènes (2.9 Ma) étaient issues de taux de fusion plus élevés que les néphélinites miocènes (9.6–5.2 Ma). Une telle évolution peut suggérer l’influence (physique et chimique), croissante au cours du temps, d’une composante « panache » (cf. modèle de Duggen et al., 2009) entraînant un apport de chaleur couplé à un apport de fluides, et donc un métasomatisme plus importante de la source et des taux de fusion plus élevés (p.ex. Dautria et al., 2010 ; Duggen et al., 2005).

Les basanites ont des rapports Ca/Al, Zr/Hf et Ca/Sc présentant une plus grande variabilité que ceux des néphélinites, et qui correspondent à une plus faible influence d’un métasomatisme carbonatitique, comparable aux basanites analysées par Duggen et al. (2005) et Johnson et al. (2005) (Figure 6.1). La variabilité géochimique des basanites observée au Chapitre 4 se retrouve donc dans les diagrammes de la Figure 6.1, ce qui suggère qu’elle est due à une

hétérogénéité de leur source vis-à-vis du degré de métasomatisme et de la présence d’amphibole dans des proportions variables.

L’influence d’un composant carbonatitique et de la présence d’amphibole dans la genèse des néphélinites et basanites du Jbel Saghro est donc certaine, mais ces deux composantes présentent des variations qui suggèrent une hétérogénéité, sinon spatiale, au moins temporelle de leur source.