III. Protection contre les discriminations dans le droit de procédure
3. Qualité pour agir et pour recourir des organisations
3.3. Absence d’exercice collectif des droits en matière de discrimination raciale dans le domaine pénal
se fonde sur la race, la procédure pénale ne prévoit pas de mécanisme d’exercice collectif des droits comparable au droit d’agir des organisations177. Seuls ont qualité de partie dans une pro- cédure pénale le prévenu, la partie plaignante et, lors des débats ou dans la procédure de re- cours, le ministère public (art. 104, al. 1er, CPP). L’octroi de la qualité pour agir aux organisations a cependant fait l’objet d’un débat à plusieurs reprises, notamment lors de l’examen du projet de nouveau code de procédure pénale fédéral et dans la réponse donnée par le Conseil fédéral à deux motions sur ce sujet. Les partisans de l’octroi de la qualité pour agir aux associations anti- racistes motivaient leur demande notamment en signalant qu’en raison du faible nombre de vic- times de l’holocauste et de leurs proches encore en vie – compte tenu du temps écoulé depuis ces événements –, il aurait été judicieux de concéder le statut de partie aux organisations qui défendent leurs intérêts. Ils ajoutaient que les « victimes d’actes racistes ne peuvent souvent pas agir elles-mêmes, par crainte, manque d’appuis juridiques ou simplement méconnaissance de leurs droits »178. Un autre motionnaire a demandé d’attribuer à la Commission fédérale contre le racisme la qualité de partie lors de procédures fondées sur l’art. 261bis CP au sens de l’art. 104, al. 2, CPP179.
Le Conseil fédéral a jugé problématique l’octroi de la qualité pour agir aux organisations antira- cistes, craignant notamment que la complexité de la procédure pénale puisse s’en trouver ac- crue. Dans son message relatif à l’unification du droit de la procédure pénale, il a ainsi précisé
176 Cf. l’étude thématique no 4, ch. II.2.1.2.
177 C’est en ces termes que s’exprime le Tribunal fédéral dans l’ATF 125 IV 206.
178 Motion Schwaab 00.3268 du 13 juin 2000 « Discrimination raciale. Qualité pour agir ».
179 Motion Reynard 14.3980 du 26 sept. 2014 « Renforcer les compétences de la Commission fédérale contre le racisme ».
que « le code pénal et le droit régissant la procédure pénale, à la différence de ce qui vaut dans les domaines de la législation qui reconnaissent la qualité pour agir des associations (par exemple, en matière de lutte contre la concurrence déloyale, art. 10 LCD) instaurent une autorité, le ministère public, qui a pour mission de sauvegarder les droits dans l’intérêt de la société et, partant, doit exercer d’office le monopole de la justice répressive de l’Etat (…). Dans le cas où les autorités de poursuite pénale n’engagent pas spontanément une procédure, rien n’empêche toute personne ou association de personnes qui a constaté une infraction de cette nature de déposer plainte pénale, déclenchant ainsi une instruction pénale (…) »180.
Dans son analyse du droit contre la discrimination raciale, la CFR déplore que les organisations n’aient pas la qualité de partie181 et demande, dans sa recommandation no 7, let. f, l’introduction d’un droit de recours pour les organisations sans but lucratif « engagées dans la lutte contre le racisme ou en faveur de l’intégration des étrangers et des droits de l’homme »182. Elle y souligne que l’absence de qualité pour agir des associations rend notamment impossible tout recours contre les ordonnances de classement du ministère public (art. 322, al. 2, CPP).
180 FF 2006 1057, p. 1142.
181 CFR, point faible no 19, p. 15.
182 Idem, p. 24.
Tableau no 6 : Vue d’ensemble de la qualité pour agir et pour recourir des organisations
Domaine Conditions Champ d’application et requêtes possibles
Règles générales de procédure civile
(art. 89 CPC)
- Association ou organisation d’importance nationale ou régionale - Doit être autorisée par ses statuts, dans le but de défendre les
intérêts de certaines catégories de personnes, à introduire en son propre nom une action en violation de la personnalité des membres de ce groupe
- Champ d’application : limité aux atteintes à la personnalité, comme les actes discriminatoires au travail, dans les rapports de location ou dans les loisirs. Les dispositions de la LEg et de la LHand priment ces dispositions dans leur champ d’application - Requêtes possibles : action en interdiction, en cessation ou en
constatation de l’atteinte à la personnalité Règles générales
de procédure administrative
- Recours corporatif « égoïste » : les organisations introduisent, en leur propre nom, un recours pour défendre les intérêts de leurs membres (l’organisation en soi n’est pas lésée) ; (art. 48, al. 1er, PA)
- Recours corporatif à but idéal : les organisations introduisent, en leur propre nom, un recours pour sauvegarder des intérêts pu- blics. Possible seulement si des lois spéciales le prévoient (art. 48, al. 2, PA)
Recours corporatif « égoïste » :
- Champ d’application: règles générales de procédure administra- tive
- Requêtes possibles: action en cessation, en exécution et en constatation
Discrimination fondée sur le sexe
(art. 7 LEg)
- Doit avoir comme but statutaire la promotion de l’égalité entre femmes et hommes ou la défense des travailleurs et doit avoir au moins deux ans d’existence
- L’issue du procès doit être susceptible d’avoir des conséquences pour un nombre considérable de rapports de travail
- Champ d’application : limité au monde du travail - Requêtes possibles : action en constatation seulement
Discrimination fondée sur un handicap (art. 9 LHand)
- L’organisation doit être d’importance nationale et exister depuis au moins dix ans
- Il est probable que les inégalités de traitement affectent un grand nombre de personnes handicapées
- Champ d’application : contre les collectivités publiques, droit de recours en matière de bâtiments, équipements ou véhi- cules, mais pas de prestations des collectivités ; contre les parti- culiers, droit de recours en mat. de prestations offertes au public - Requêtes possibles : action en constatation seulement pour les
prestations privées, action en exécution également pour les autres prestations
LGBTI et race La question de savoir si les personnes LGBTI peuvent invoquer la qualité pour agir et recourir des organisations visée à l’art. 7 LEg n’est pas tranchée. La loi n’octroie pas la qualité de partie aux organisations dans les procédures pénales contre la discrimination raciale.
3.4. Résultats des enquêtes