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Si les éléments significatifs permettant de répondre à ma question de recherche ont été dégagés et discutés au fur et à mesure qu’ils apparaissaient dans le récit, je souhaite malgré tout conclure ce travail en insistant sur certains d’entre eux qui me semblent importants, ceci avant de présenter les perspectives que cette recherche permet s’envisager.

4.1 Conclusion de la recherche

Trois éléments clé de cette recherche m’apparaissent comme essentiels à relever.

Premièrement, l’aspect émotionnel a été abordé de manière récurrente dans le récit de vie d’Isabel et son analyse. Comme nous l’avons vu précédemment, il existe des liens importants entre la structure sociale, les règles de sentiments, la gestion des émotions et l’expérience émotionnelle. De ce fait, les émotions sont des phénomènes sociaux, et non pas uniquement intrapsychiques, auxquels il convient de correspondre tant extérieurement qu’intérieurement. Pour se faire, les individus doivent donc « travailler » leurs émotions en profondeur, ce qui est également le cas pour Isabel. Elle s’efforce de montrer, mais également d’éprouver les émotions socialement attendues dans sa situation. La culpabilité, est donc non seulement attendue de la part des mères n’ayant pas leur enfant auprès d’elles, mais elle est également générée par le fait de ne pas éprouver les sentiments

« adéquats » en pareilles circonstances. Ceci explique sa prédominance dans le vécu d’Isabel. On le voit donc, sans sous estimer sa souffrance, les émotions d’Isabel sont construites socialement.

Deuxièmement, ce qui ressort du récit d’Isabel, c’est qu’on sent qu’elle ne reste pas en Suisse uniquement pour le bien de sa fille, mais aussi pour elle, pour sa réalisation personnelle et pour son autonomie, ceci même si elle ne le verbalise pas en ces termes. Si cela est véritablement le cas, cela rejoindrait l’idée souvent attestée que la migration apparaît comme un gain pour bien des femmes, un gain qu’elles jugeraient supérieur à la maternité. Toujours dans cet ordre d’idée, Baldassar et Merla affirment que : « (…) la décision de migrer requiert des motivations économiques (les conditions nécessaires), mais celles-ci ne peuvent suffire à elles seules à pousser une personne à migrer : les conditions nécessaires ont également besoin de conditions suffisantes pour faire pencher la balance en faveur de la migration » (Baldassar & Merla, 2010, p. 4). Parmi ces conditions suffisantes, on peut trouver des éléments tels que le climat, les soucis de santé, la quête l’aventure,… De ce point de vue, l’émancipation et la réalisation personnelle peuvent également être considérées comme des conditions suffisantes à la migration pour certaines mères. Ce qui semble également être le cas pour Isabel.

Le troisième constat mis en évidence par ce travail est qu’il existe des difficultés liées à l’interprétation d’un récit de vie. En premier lieu, en tant que chercheur et chercheuse, il est parfois difficile de savoir jusqu’où il est possible d’aller dans l’analyse. En effet, quand on recueil un récit de vie, on crée un lien avec la personne qui se raconte, de ce fait on peut être pris-e, même inconsciemment, dans une forme de conflit de loyauté : les interprétations faites du récit peuvent donner le sentiment à celui ou celle qui les réalise de « trahir » la personne qui s’est confiée en toute confiance. J’ai moi-même crée une belle relation avec Isabel, de ce fait il se peut que je sois tombée dans ce travers, malgré ma vigilance. Un des moyens de palier à ce problème pourrait être d’interpréter le récit avec la personne. Cela permettrait d’ôter cette pudeur qui implique que le chercheur ou la chercheuse reste parfois dans la paraphrase et ne pousse pas plus loin l’interprétation du récit. Malheureusement, le cadre définit pour ce travail de Bachelor ne permettait pas cette possibilité qui aurait demandé un investissement en terme de temps beaucoup trop important.

Par ailleurs, une autre des difficultés rencontrées se situe au niveau de la généralisation des constats tirés de l’analyse du récit de vie. En effet, la question se pose de savoir dans quelle mesure l’analyse effectuée, grâce au travail d’interprétation, permet une montée en généralité (nécessaire dans un travail scientifique) et jusqu’où aller dans la généralisation sans risquer la surinterprétation ? En effet, focalisé-e sur le souci de trouver des réponses à ses questions, le chercheur ou la chercheuse peut risquer parfois de « faire pencher » le récit, par son analyse, là où il le souhaite, en fonction des réponses qu’il attend. Dans le cas de cette recherche, certaines interventions semblent peut-être timides et pas assez poussées dans l’interprétation, mais il s’agit là d’une manière d’éviter cette surinterprétation.

Pour conclure, je souhaite faire un dernier constat, mais non des moindres : cette recherche permet de désessentialiser la maternité, ainsi que les compétences qui lui sont liées. En effet, si l’analyse du récit a pour fil conducteur la maternité à distance, elle permet aussi de questionner la maternité de manière plus générale et, dans une certaine mesure, de la dénaturaliser. En effet, comme évoqué précédemment, certaines femmes sont prêtes à renoncer à la maternité au profit de leur autonomie. Cela va donc à l’encontre de l’idée socialement véhiculée qui considère la maternité comme l’accomplissement ultime et naturel dans la vie d’une femme. De ce fait, certaines femmes, tout comme Isabel, doivent en redéfinir les normes afin d’en inventer une nouvelle forme, ce qui leur permet malgré tout de se vivre en tant que mères. En définitive, la force de ce travail réside dans le fait qu’il montre qu’il est possible de vivre sa maternité à distance et qu’il existe d’autres formes de maternité ne correspondant forcément pas à la vision idéalisée et socialement admise.

4.2 Perspectives proposées

 

Si la subjectivité du récit de vie fait sa richesse et sa force, elle pourrait également être vue comme sa limite. Cependant, cette subjectivité est ce qui, par l’analyse, permet d’atteindre une généralité. Ferrarotti dit d’ailleurs : « Chaque narration autobiographique raconte, selon une coupe horizontale ou verticale, une pratique humaine. Or si “l’essence de l’homme (…) est dans la réalité, l’ensemble des rapports sociaux“ (Marx, VIe Thèse sur Feuerbach), toute pratique individuelle humaine est une activité synthétique, une totalisation active de tout le contexte social» (Ferrarotti, 2013, p. 52).

Concernant les perspectives de cette recherche, Bertaux affirme : « En mettant en rapport plusieurs témoignages sur l’expérience vécue d’une même situation sociale, par exemple, on pourra dépasser leurs singularités pour atteindre, par construction progressive, une représentation sociologique des composantes sociales (collectives) de la situation » (Bertaux, 1980, p. 36). Cette multiplicité des points de vue pourrait être explorée dans la continuité de ce travail, tout comme la possibilité de pouvoir interroger la fille d’Isabel. En effet, il serait très intéressant de savoir quel est son vécu émotionnel à elle et comment elle a géré cette relation à distance avec sa mère. Dans le même ordre d’idée, il aurait également été intéressant de connaître le point de vue des parents d’Isabel ainsi que celui de son mari.

Toujours selon cette perspective, il pourrait être intéressant d’interroger d’autres femmes migrantes vivant leur maternité à distance.

Par ailleurs, ma démarche pourrait s’appliquer à d’autres formes de maternité à distance dans des contextes tels que le milieu carcéral ou le placement d’enfant par exemple, ceci afin de découvrir à quels enjeux sont confrontées ces mères.

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