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Rapport au travail et investissement envers autrui

3. Restitution  et  analyse  du  récit  de  vie

3.3 Analyse thématique

3.3.2 Rapport au travail et investissement envers autrui

l’une des membres fondatrice. On remarque qu’au fil du temps et des événements, Isabel s’est appropriée sa migration : elle en a fait son propre projet qu’elle a décidé de poursuivre, seule. Cela laisse imaginer qu’elle y a trouvé suffisamment de satisfaction personnelle, malgré l’éloignement de sa fille: les bénéfices de la migration semblent donc être, à ses yeux, suffisamment prépondérants par rapport à ceux liés à la maternité, tout comme pour de nombreuses femmes migrantes, comme nous l’avons vu précédemment.

3.3.2 Rapport au travail et investissement envers autrui

 

« C’est le travail, les autres et après Isabel » (7.03).

Cette phrase illustre pleinement la relation qu’Isabel entretient avec son travail, mais également son investissement envers autrui. En effet, le rapport qu’Isabel entretient avec son travail prend une place importante dans le récit de sa vie. Cet aspect a été présent dans tous les entretiens que nous avons eus. En effet, hormis le fait, non négligeable, qu’il lui permet de gagner sa vie, le travail semble avoir rempli plusieurs fonctions qui dépassent l’unique aspect financier.

En premier lieu, une fonction de refuge dans les moments difficiles de sa vie. Isabel explique :

« Le travail était un échappatoire à certaines périodes. Je pouvais ne penser à rien d’autre que le travail » (20.01).

Dès notre premier entretien, quand elle évoque sa vie loin de sa fille, elle parle en ces termes :

« … A cette époque, je me noyais dans le boulot… Je travaillais comme une malade.

Durant cette période où j’ai laissé ma fille, je me suis noyée dans le travail. Quand je me suis divorcée de mon mari, la logique a été la même… C’est mon échappatoire.

Mais noyée, vraiment : c’est travailler 13 ou 14 par jours, 7 jours sur 7, sans congé.

J’étais tout le temps ici, tout le temps… ça a été mon refuge (pleurs) » (20.01).

Elle fait de même quand elle raconte sa séparation d’avec son mari :

« Après je travaillais énormément, je me suis lancée dans le travail comme une malade après mon divorce, le boulot était mon refuge, je travaillais presque 7 jours sur 7, je travaillais 12 ou 14 heures par jours. Je travaillais comme une barge » (20.01).

Ces deux événements sont particulièrement emblématiques, reste que même dans les périodes plus calmes de sa vie, Isabel a toujours travaillé énormément. Actuellement encore, s’il est affirme travailler moins que par le passé, elle admet y passer plus de temps qu’il n’y faudrait :

« J’ai levé le pied depuis deux ans et demi, pour deux raisons. Premièrement, j’ai estimé que cela suffisait. J’avais un projet : construire ma maison et je l’ai fait.

Maintenant, l’argent que je gagne me suffit pour passer des vacances, pour être tranquille. Je ne peux pas faire une vie de riche, mais ça va, je tourne. L’autre raison est l’ambiance ici, au travail. J’ai le sentiment que plus tu donnes, plus on te prend, plus on te demande. Par contre, je suis encore à plus de 100% actuellement, mais cela reste moins qu’avant : au lieu d’être à 160%, je suis plus qu’à 120%. C’était vraiment trop. J’avais des mois et des mois d’affilée à faire 260, 270 heures dans le mois. Je mens pas tu sais, j’ai tout garder, j’ai un petit carnet, je te le montre. Je marquais toutes mes heures, toutes, regarde. Ici, ce n’est que les heures en plus de l’horaire normal, uniquement les heures supplémentaires… Cela ne correspond pas une ou deux heures, tu vois, et pendant ce temps là, ma fille était toute seule à la maison. Et encore, là il a pas les heures qu’ils me payaient comme ça » (20.01).

Ensuite, sont travail est source de fierté. En effet, il lui a permis de subvenir à ses besoins sans aide extérieure :

« Je me suis toujours débrouillée toute seule, tout le temps, tout le temps, tout le temps. Je travaillais beaucoup, donc c’est vrai que j’avais des bons salaires mais il y avait les heures de travail qui allaient avec » (20.01).

« J’avais un projet : construire ma maison et je l’ai fait. J’ai tout fait, je n’ai pas demandé de l’argent à la banque, j’avançais dans les travaux à mesure que je gagnais les sous » (20.01).

Isabel met également en lien son énorme investissement au travail avec sa condition de migrante :

« Moi je suis une personne immigrée, j’ai beaucoup travaillé, j’ai réalisé ce que je voulais faire. Maintenant, je travaille même pas la moitié de ce que je faisais avant : je travaille un 100% et pas un 200% » (7.03).

« Moi, j’estimais que quand on émigre, quand on est émigré, c’est pour avoir un objectif, un projet. Si tu es dans un pays, que tu es loin de ta famille, ça sert à rien d’être loin de ta famille sinon » (7.03).

De plus, Isabel aime son travail. Cela lui procure un sentiment d’utilité, même si elle est consciente de parfois prendre les choses trop à cœur et de négliger certains autres aspects de sa vie, comme sa santé, sa sécurité ou le maintien des liens avec sa famille.

« Une chose est certaine, mon travail, j’aimais beaucoup. J’aime mon travail, je me donne trop. Ma thérapeute me dit que je ne suis pas mariée avec mon travail et qu’il faut que je me mette en tête que mon travail, c’est mon travail. Le jour où ils ont plus besoin de moi, c’est un coup de pied et dehors. Et là, je vais souffrir… parce qu’avec les temps qui courent aujourd’hui, on est sûr de rien avec le boulot. Tout le monde me dit la même chose, tout le monde. Mais moi je vis mon travail. Moi j’aime mon travail, il y des jours plus dur que d’autres mais c’est comme partout. Je pense que c’est pareil pour tout le monde. On se plaint sûrement parce qu’on pas autre chose à dire. Mais c’est ce que me dit ma thérapeute, de pas prendre les choses trop à cœur.

Ma fille me le dit aussi : si c’était pour aller au travail, je trouverais le temps, mais si c’est pour la santé, non. Quand c’est pour me soigner, je ne trouve pas de solution.

Elle me dit que je n’ai jamais le temps pour aller chez le médecin et pour le travail j’ai toujours le temps. Elle a raison, je sais qu’elle a raison, je le sais » (7.03).

Isabel explique qu’elle se mettait dans l’illégalité afin de continuer à travailler :

« En effet, j’avais des permis de neuf mois et je devais sortir trois mois du territoire.

Mais cette période de trois mois correspondait à la période durant laquelle il y avait beaucoup de travail ici : le mois de décembre. De ce fait, je restais en Suisse de manière illégale ». (20.1)

Quand elle évoque ses visites à la famille au Portugal, la question de son investissement pour le travail revient :

« Mon frère a demandé deux jours de plus à son parton pour qu’on puisse se croiser.

Je ne pouvais pas faire autrement car j’avais un grand congrès de 1500 personnes et du coup ma patronne n’a pas voulu que je prenne les vacances. Ce n’est pas qu’elle a dit non, mais j’ai compris. Du coup, je n’ai vu mon frère que trois jours cet été ».

(23.3)

Isabel a également besoin que son travail soit reconnu :

« Moi, cela fait 26 ans et demi que je suis en Suisse : j’ai toujours travaillé. Si je ne faisais rien dans mon travail, on ne me garderait pas. C’est cela aussi, les gens pensent que c’est facile, mais si tu ne travailles pas, les patrons ne gardent pas. Il faut te donner aussi, quel que soit le domaine. Si tu ne te donnes pas dans ton boulot, on ne te garde pas. Il y en a assez à la porte qui attendent » (7.03).

Le travail semble être un moyen de reconnaissance et d’émancipation pour Isabel.

Par ailleurs, on peut se demander si Isabel ne se sent pas redevable: peut-être qu’elle se doit de rendre quelque chose en contrepartie de sa migration et du fait d’avoir délaissé sa

fille. Si elle a confié sa fille à sa mère, ce n’est au moins pas pour rien, que son sacrifice en vaut la peine.

Le fait de travailler énormément peut être également un moyen de justifier le fait de ne pas avoir sa fille à ses côtés. Elle n’a pas les moyens pratiques de la prendre en charge correctement : elle ne peut pas la faire garder et elle n’est pas présente à la maison pour s’en occuper. Elle est donc mieux chez ses parents : la laisser chez ses parents serait donc le moyen qu’Isabel a trouvé pour prendre au mieux soin de sa fille, c’est pour son bien qu’elle ne la garde pas à ses côtés.

D’un autre côté, on peut aussi imaginer que cette vie de « surtravail » est une façon pour Isabel de combler le vide laissé par l’absence de sa fille et de sa famille : cela lui permet de ne pas trop y penser. Si tel est le cas, ce surinvestissement représente une protection émotionnelle pour Isabel.

Enfin, en parallèle à son investissement pour le travail, ce qui ressort fortement du récit de vie, est le fait qu’Isabel est très disponible pour les autres.

« Oui. J’ai connu beaucoup, beaucoup de monde, vraiment. C’est pour ça qu’encore aujourd’hui, quand les gens ont besoin, ils viennent taper à ma porte » (20.01).

Elle vient également volontiers en aide aux personnes de son entourage, ceci quitte à se pénaliser elle. Pour exemple, durant la période de nos entretiens, Isabel a aidé une de ses connaissances qui était en dépression :

« Je connais énormément de monde et j’écoute beaucoup, c’est un problème : il faudrait que j’arrive à mettre un distance. Je ne vis plus les problèmes des gens, mais ce n’est pas facile, je suis beaucoup à l’écoute des personnes. J’essaie de ne pas me mettre à leur place. Je suis… Et là ce truc de deux mois avec cette personne dépressive que j’ai dû hospitaliser. Actuellement, elle est sortie. Elle est restée chez moi durant quelques temps : elle est partie de chez moi il y a 8 jours, mais ce n’est pas encore fini. Hier, elle m’a envoyé un sms : elle est à Monthey dans un hôpital. En effet, elle avait emménagé chez une copine mais finalement elle est partie à l’hôpital : chez les autres, c’est pas comme chez Isabel. Elle s’en est rendue compte. Elle est restée deux jours chez la copine et elle est partie tout de suite à l’hôpital, mais moi là je ne peux pas ! Je lui ai envoyé un sms en lui disant que je suis désolée mais je ne peux pas l’aider plus que ce que j’ai fait…(…) Non, je suis désolée moi je ne peux plus et j’ai une fille. Cela a commencé à être tendu à la maison. (…) Tout cela, c’est trop. Il faut que je me mette dans la tête que ce n’est pas moi, ce n’est pas mon travail. Il faut qu’elle se dirige vers des gens qui font ce boulot et qui sont adéquats à résoudre ces problèmes-là. Moi non, je suis une amie et c’est tout. J’ai encore dû

aller regarder tout son courrier ce week-end parce qu’elle ne recevait pas mes messages à Monthey. J’ai eu l’idée de l’appeler via Whatsapp et cela a marché, mais après elle m’a plus lâchée, ceci depuis vendredi. Hier, elle m’a envoyé un message qui disait : « c’est bon, merci beaucoup pour tout ce que tu as fait pour moi, au revoir… ». Comme ça ! « Au revoir » d’une façon de dire : « je m’en vais de ce monde, au revoir… ». Tu vois ? Cela m’a travaillé un petit peu mais après je me suis dit qu’il ne fallait pas que je me culpabilise, ce n’est pas de ma faute, point barre.

Alors ma fois… » (7.3)

Le fait d’avoir hébergé cette dame a détérioré sa vie privée et sa relation avec sa fille, déjà tendue :

« Avec ça ma fille qui n’arrête pas de me prendre la tête. A la maison, avec cette dame dépressive. Ma fille rentrait du stage et elle partait tout de suite parce que de voir cette loque à la maison, c’est devenu très, très lourd. On avait une mauvaise relation : moi et ma fille on était en froid. Et la dame, quand elle voyait que ma fille commençait à gueuler, elle partait dans ma chambre. Ma fille la voyait au salon, elle partait dans sa chambre. Moi au milieu, j’étais divisée en 50 morceaux… Et ici au travail, c’était pas gai : il y avait pas de travail, les patrons sur le dos… Mais voilà, c’est passé. Mais c’est encore là (Isabel montre son cœur). On dit que c’est passé, c’est passé c’est un mot que j’utilise pour voir si j’oublie, mais on oublie pas… ça reste toujours, comme une coupure, il reste toujours la petite cicatrice et voilà on essaie de survivre. » (7.3)

Isabel est consciente de cet aspect de sa personnalité et elle se questionne d’ailleurs elle- même à ce sujet :

« (…) Je me culpabilise et je veux sauver la terre moi, mais je peux pas… je peux pas… Et là, je suis en train de faire une thérapie avec une dame » (7.3).

« Mais des fois je me pose la question : est-ce que j’ai besoin de ça ? Est-ce que pour me valoriser moi-même j’ai besoin de ça ? Je ne sais pas… parce que j’aime quand même être toute seule à la maison, je suis une personne qui aime lire, qui suis bien, je suis avec ma chienne. Je suis quelqu’un qui va au cinéma toute seule, je vais au fitness toute seule, je vais au loto toute seule, je fais beaucoup de choses toute seule. Je n’ai pas besoin d’être tout le temps avec les gens, je n’ai pas besoin des gens pour vivre ma vie non plus. Je ne sais pas, sincèrement je ne sais pas » (7.03).

L’aide qu’elle apporte aux personnes de son entourage semble lui donner un sentiment d’utilité et la valoriser. Par ailleurs, comme pour son investissement au travail, c’est peut-être

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