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Le Bal des Saintes-Maries - Electre NG

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Extrait de la publication

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LE BAL des

SAINTES-MARIES

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DU MÊME AUTEUR

V

IRLANDE Extrême-Orient, 1931.

ÉTAT DES FORCES EN FRANCE, 1935.

LES PAPILLONS VERTS, 1937.

SOUVENIRS DU TIR AUX HOMMES, 1938.

LE BAL DES SAINTES-MARIES, 1946.

A paraître

NOÉMI.

ON NE VITjyj'UNE FOIS.

Il-, ta

Chez d'autres éditeurs

L'ANGE ET LA COURONNE (Calmann-Lévy),

TA MAIN GAUCHE (Calmann-Lévy).

CONQUÊTE (Calmann-Lévy) GOYA (Artisan du Livre).

MACHINES EN AsiE (Plon).

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SAINTES-MARIES

PIERRE FRÉDÉRIX

LE BAL

des

roman

nrp

m

GALLIMARD

Sixième édition

Extrait de la publication

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Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays, y com pris la Russie.

Copyright by Librairie Gallimard, 1946.

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I

Il fut un temps où Albert de Ripaud du Vollard, auteur d'un ouvrage sur Les Dernières Sultanes de Constantinople, professait l'histoire et la géographie à Toulouse. Au' tableau des classes, il figurait simplement comme « de Ripaud 8 h. 1/2 à 9 h. 1/2, histoire » ou « 2 h. à3 h., France physique». Mais les élèves

de première l'appelaient de Vollo du Ripard, ou Rivollo, ou

Ripollard. Ou encore de Machinchouette. Il avait l'œil bleu comme humecté de bonté, un visage plutôt fort en ganache, les épaules tombantes, les jambes trop longues. Ses cravates lavallière, son indifférence aux chahuts, sa distraction étaient célèbres au lycée on le prétendait capable de passer des heures devant une glace, à étudier la disposition de ses cheveux, qu'une raie médiane séparait en deux nappes minces et lisses, tombant sur les tempes.

Il rêvait d'écrire une bonne histoire des Barbaresques. Ses collè- gues le tenaient pour un amateur inoffensif ses amis personnels, pour un homme du monde que la dureté des temps obligeait à gaspiller quelques heures chaque semaine en compagnie de galo- pins.

Ripaud avait un peu plus de trente ans alors. Célibataire, il

coulait à Toulouse une existence délicieuse. Ses travaux n'étaient

pas de ceux qui rendent insociable loin de là. Les châtelains du sud-ouest le conviaient à fouiller leurs archives. Le soir, au salon, il parlait. Ainsi eut-il l'occasion de rencontrer Mademoi- selle Sylvie Malet la fille du fameux Arsène Malet, des ferme-

tures-éclair et de lui exposer que le sang le plus bleu de nos

grandes familles n'est pas latin, germain ni celte, mais arabe.

Sylvie Malet, dont le grand-père avait été fruitier à Barcelone,

Extrait de la publication

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fut séduite par le charme aristocratique du premier intellectuel qu'elle eût jamais approché. Avec sa nonchalance, ses gilets de couleur tendre, ses vestons pendants et ses ronds de main, Albert

de Ripaud ne pouvait être, aux yeux de la jeune fille étonnée que la parfaite incarnation du gentilhomme français. « Quel esprit original. » soupirait-elle. Le surlendemain, elle se reconnut amoureuse. Six mois plus tard, l'esprit se laissait épouser.

Deux jours avant le mariage, Ripaud quitta sa garçonnière de la rue Ozenne pour l'immense maison du Boulevard Carnot où Arsène Malet avait jadis établi ses bureaux. Les bureaux occupaient le rez-de-chaussée une trentaine d'employés y tra- vaillaient. Sylvie, et Albert de Ripaud s'installèrent au premier étage. Arsène Malet était mort quatre ans auparavant. Sa veuve disparut à son tour. Restait un certain William Malet, frère de Sylvie, que presque personne ne connaissait. à Toulouse il par- courait la planète, en quête de clients et de fabriques pour les fermetures-éclair familiales. Nommé administrateur de la Société, Albert de Ripaud continuait à répandre sur la jeunesse les lumières de la connaissance. Il les répandit bientôt du haut d'une chaire de l'enseignement supérieur où Sylvie l'avait poussé sans qu'il s'en aperçut. On recevait bien et l'on mangeait magnifiquement Avenue Carnot. On ne s'y ennuyait même pas, tant les hôtes montraient de bonne grâce et de modestie. « Un couple idéal », murmuraient les dames, éperdues d'envie. Et comment ne pas admirer un homme qui, dans les situations les plus pathétiques,

n'oublie jamais ses brosses à habit, ses presse-pantalons, ses pâtes

à chaussures ?

En sept ans, les Ripaud eurent trois enfants. Antoine d'abord

cinq ans après, Pauliane puis Charles qui fut surnommé Lolo.

C'étaient de beaux enfants, très sains, d'intelligence moyenne.

On les pourvut de nourrices, de gouvernantes, de répétiteurs et d'institutrices qui ne leur firent aucune impression. Tout glissait sur eux. Pauliane était presque aussi distraite que son père,

Antoine aussi aimable et beaucoup plus paresseux. Lolo, au con-

traire, avait une tête de cochon, des manières brusques, un voca- bulaire emprunté aux garnements de la rue. « Tu n'as pas honte ? gémissait Sylvie. Avec un père comme le tien. » Toujours indulgent, Ripaud estimait que cela se tasserait il faut de tout pour faire un monde.

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LE BAL DES SAINTES-MARIES

En dépit de sa participation aux conseils de la F. E. M. (ferme- tures-éclair Malet), les affaires de la société étaient assez mal gérées. Les filiales s'engraissaient aux dépens de la maison mère.

La fabrique de l'Illinois, visitée par le beau-frère William à cha- cun de ses interminables voyages, déclarait d'absurdes frais géné- raux. Les représentants volaient. Et cependant il y avait tant de Français et de Tchèques et de Russes et d'Américains et de Chinois qui employaient les fermetures-éclairMalet que l'argent ne cessait pas d'affluer à Toulouse. Madame de Ripaud n'aimait pas les bijoux. A peine aimait-elle le luxe pour lui-même. Elle n'adorait vraiment que son mari et comme lui elle eût jeté de l'or par les fenêtres pour ne voir que des visages heureux. Quand elle eut fondé quelquesdispensaires et comblé de bienfaits des

gens à qui elle ne devait rien, ses ressources en furent à peine

diminuées.

Albert de Ripaud continuait de se rendre à pied à l'Université pour y faire ses cours. Mais il disposait de deux ou trois voitures, d'un chauffeur, d'un valet de chambre et il possédait une des plus belles bibliothèques particulières que pût réunir un homme de son état. Des châteaux du sud-ouest, ses recherches s'étaient étendues au bassin de la Méditerranée tout entier. Il avait emmené

Sylvie à Madrid, au Maroc, en Algérie, en Égypte, à Istamboul, à Malte et publié sur les Sarrazins deux livres remarqués. C'était

l'adversaire subtil de Roland et de Charles Martel. Au bout de

quelques années, sur le conseil de son épouse, il abandonna l'en- seignement pour se consacrer aux études barbaresques.

Tout lui avait été merveilleusement facile. Au lieu d'Albert

de Ripaud, ex-professeur d'histoire à la Faculté de Toulouse et gendre d'Arsène Malet, des fermetures-éclair, il pouvait se croire par instants Haroun-al-Raschid. Les bénéfices substantiels de la F. E. M. nourrissaient les imaginations de son esprit. Il pensait que la vie étant de plus en plus légère, ses enfants s'éléveraient tout naturellement vers les sphères éthérées de l'Art, du Grand

Monde et de l'Intellectualisme. Par malheur Lolo ne s'intéressait

qu'au rugby et à Douglas Fairbanks Pauliane n'était encore qu'une petite fille aux jupes courtes. Quant à Antoine sauf un penchant à collectionner des disques et à se la couler douce dans un endroit où il serait chez lui, si possible avec des gens élégants il n'avait aucune vocation bien déterminée. « S'il

Extrait de la publication

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LE BAL DES SAINTES-MARIES

faut prendre un métier, déclara-t-il au lendemain de son bachot, je choisis celui de propriétaire terrien. » On le fit entrer dans une école d'agriculture d'où il ne sortit, pourvu d'un honorable diplôme, que pour passer au service militaire. A la même époque, pour la première fois, Ripaud allait en Camargue.

Cette excursion qui devait changer le sort de toute sa famille n'avait pour objet que le service des sciences historiques. Albert de Ripaud cherchait les traces des colonies mores établies dans le sud de la France les Gitans, les Caraques hantaient sa cervelle.

Mais lorsque, par le plus grand des hasards, on lui montra Pin- Rabut, qui était à vendre, l'idée lui vint d'en faire cadeau à

Antoine.

Pin-Rabut est un petit château, situé au nord des Saintes- Maries, entre l'étang des Lones et le Mas dicard. Il comprend un corps de bâtiment à deux étages, couvert d'une carapace de tuiles brunes, une chapelle désaffectée, des écuries, des granges, un pressoir, une ferme. Côté jardin, un enclos de platanes et de ficus protège du mistral. Devant, une terrasse dallée, avec des lauriers en caisses une allée de pins conduit à la route.

Alentour, quinze à vingt hectares de vignes ou de garrigue puis la sansouire saline. Le tout à plat, sous un ciel bleu de lavande, d'outremer ou de cristal.

Pourquoi, demanda Ripaud à son fils Antoine la semaine suivante, ne t'installerais-tu pas en Camargue ?

En Camargue Quelle idée.

Pas plus bête qu'une autre. La maison n'est pas laide. Je

l'achèterais à ton nom.

Il n'y a que des marais par là.

Erreur, complète erreur.

On avait l'air d'y vivre fort heureux. Et quels types admirables que ces Gitans. Les Saintes-Maries et leur servante Sarah, c'était toute l'aventure de la Méditerranée, l'Afrique et l'Orient débar- quant sur les côtes provençales. Avant qu'Antoine de Ripaud eût

pris possession de ses terres, Albert commençait à s'amouracher

du pays.

Cela débuta par une exploration de la basilique et de ses alen- tours par une série de visites au Musée, à Madame Coste, à Baroncelli, à Léopold le cordonnier, à madame Mazard la bou- langère par de longs palabres à la terrasse de l'hôtel Boisset,

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LE BAL DES SAINTES-MARIES

devant le jeu de boules. Cela continua par un séjour à Saint-Gilles du Gard, auprès des gitans-maquignons, et par une petite tournée en auto qui mena Ripaud à Codognan, à Béziers, à Tarascon (toujours la chasse aux Caraques) pour le ramener, après un arrêt à Château Davignon, sur les rives incertaines du Vaccarès.

Au bout de quelques semaines, Ripaud découvrit que la Camargue est une république à part ses lois, ses mystères l'excitaient déli- cieusement. « Excellent, excellent. »jubilait-il chaque fois que se soulevait un nouveau coin du voile. Le Trésor des Almoravides

ou les Vierges du Sérail ne l'eûssent pas ému davantage.

Les moustiques, à vrai dire, sont un désagrément des Saintes.

Mais les moustiques ne vivent qu'une saison. Albert de Ripaud fit garnir de treillage métallique les fenêtres de Pin-Rabut. Il acheta des meubles Directoire il aménagea un cabinet de travail pour lui, un boudoir pour sa femme, une chambre en bois de citronnier et en vieilles soies à ramages pour sa fille. Il ouvrit des crédits à Antoine. Autour de la maison, les vignes étaient bonnes. Dans les parties marécageuses on essaya de planter du riz. Antoine eut un fermier, des ouvriers, des domestiques, des revenus personnels. S'il n'avait dépensé beaucoup plus d'argent à Paris, à1 Monte-Carlo ou à Biarritz qu'en Camargue, l'exploi- tation eût couvert ses frais. En soi c'était un résultat plutôt satis- faisant. A d'autres points de vue Pin-Rabut devait enchanter les Ripaud.

Sylvie, en sa prime jeunesse, n'avait jamais été qu'une petite personne boulotte, aux cheveux bruns et frisés. Avec l'âge ses yeux gris prirent une expression inquiète « Est-il vrai que je vieillisse ? » Lorsque son époux s'éprit de la Camargue, elle pensa qu'il serait doux de l'avoir, deux ou trois mois par an,

« bien à elle ». Des coli-bacilles s'étaient mis à la tourmenter, elle se soignerait mieux à la campagne. « Nous n'occuperons que trois pièces Antoine restera maître chez lui. » Maître de courir les villes d'eaux, d'inviter ses amis quand on lui laissait de quoi les loger, et le reste du temps de surveiller son vignoble.

A l'automne ses parents hésitèrent à le quitter. Au printemps ils revinrent. La Camargue leur était nécessaire. Pauliane y avait pris goût, Lolo en oubliait le rugby. La même année, pendant que Sylvie de Ripaud créait un fonds de secours pour les pêcheurs des Saintes, son mari dotait le musée. Dans leur impatience à

Extrait de la publication

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LE BAL DES SAINTES-MARIES

se faire adopter ils eussent tous deux distribué les billets de

banque à pleines mains. Albert de Ripaud apprenait le provençal,

il ne manquait pas une fête, il demandait humblement des con- seils à chacun et les écoutait avec une touchante politesse. « Je

ne suis pas d'ici, avait-il l'air de dire. Je le sais. Pardonnez-moi. »

Puis il retournait à ses Mille et Une Nuits provençales, à ses sultanes chrétiennes, à ses galants pirates. « Kaïreddhène Barbe- rousse a fait souche aux Saintes, je vous assure. » On lui tapait sur l'épaule. Il en rougissait d'aise. Cette tardive passion pour la Camargue avait quelque chose d'attendrissant.

Ce fut alors qu'Albert de Ripaud et Joseph Mourailles se lièrent.

Mourailles était une célébrité locale, un de ces personnages dont il est tout bonnement impossible de ne pas faire connaissance un^petit bonhomme maigre, aux noirs sourcils proéminents, âgé d'une quarantaine d'années, et dont l'existence entière semblait

avoir été consacrée aux taureaux. C'était lui qui, aux,arènes de

Lunel, quinze ou vingt ans auparavant la belle époque

avait enlevé la dernière cocarde entre les cornes du Mamaï

personne, après lui, ne put même toucher le front de la bête.

Les corridas à l'espagnole, avec mise à mort, ne l'intéressaient aucunement. Il avait été bayle-gardian jadis, chez le vieux Papi- naud acheteur de bétail pour l'intendance française en Argentine et au Far-West. Il avait essayé aussi de la grande vie à Paris Léopold, le cordonnier, un de ses confidents, parlait de soupers

ruineux offerts à des femmes de luxe « avec deux cents francs

de fleurs sur la table ». Après quoi, il s'était installé chez sa sœur, Angèle Brun, au Mas du Raffi.

On le voyait parfois assister à une course, debout dans le couloir de l'arène, coiffé d'une casquette beige à carreaux et vêtu d'un rasepet qui laissait apparaître sur son torse un vieux tricot de laine déteinte il s'en allait, dégoûté, sans avoir prononcé une parole. L'élevage camarguais et la course provençale, à son avis,

ne cessaient de décliner. D'autres fois il s'habillait avec un soin

extrême, en grande tenue gardiane et il rassemblait autour de

lui un cercle d'initiés. Pendant une ou deux heures il vous éblouis-

sait. Puis il redevenait morose ou dédaigneux. Aux Saintes on subissait son prestige à Nîmes ses vestes de velours noir et ses pantalons clairs, serrés au genou, étonnaient. Il régnait sur une

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LE BAL DES SAINTES-MARIES é

demi-douzaine d'associations taurines il correspondait avec la Société du Bison d'Amérique. La plupart des manadiers, en Petite Camargue, le consultaient. Il leur servait de démarcheur, il faisait des affaires avec eux. Dans le triangle sacré que forment les bras du Rhône tout le monde tombait sous sa juridiction.

Quand les Ripaud apparurent aux Saintes, Joseph Mourailles commença par les observer. Antoine lui fit l'effet d'un sauteur.

Pas méchant certes, mais inutile. Sa petite boulotte de mère ? La crème des femmes. Quant au père noble ce devait être, en dépit de ses manières un peu ridicules, un excellent homme.

Il avait une façon si désarmante de mettre son temps et sa fortune

à votre service.

Mourailles vint déjeuner à Pin-Rabut. Il vendit à Ripaud un cheval blanc, croisé arabe. Il fournit aussi deux petits camarguais à Lolo et à Pauliane. Antoine préférait les Chrysler. Pour Sylvie de Ripaud, il n'était plus de son âge, assurait-elle, d'apprendre l'équitation. Elle n'en admirait que plus la sveltesse et l'intrépi- dité de son époux. Mourailles cependant continuait de penser aux taureaux. Quelque temps après il eut une idée géniale.

Savez-vous, demanda-t-il brusquement à Ripaud un jour

qu'ils se promenaient ensemble dans la grand'rue des Saintes, savez-vous ce qui vous manque, monsieur de Ripaud ?

Non.

Une manade.

Des taureaux ? précisa Ripaud en pâlissant un peu.

Oui, des taureaux et des vaches.

Pourquoi faire, grands dieux ?a

Pour en avoir. Parce qu'il n'y a que les manadiers qui comptent vraiment dans ce pays.

De tous les arguments c'était celui qui pouvait frapper Ripaud davantage. Il demeura muet pendant quelques instants.

Mais je n'y connais rien, aux taureaux.

D'accord.

Je ne peux pas.

Vous pouvez tout ce que vous voudrez. Il n'y a personne ici qui ait le moyen de faire pour la race camarguaise, pour la gloire de notre cause, ce que vous pourriez vous permettre de

faire.

Moi ?

Extrait de la publication

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LE BAL DES SAINTES-MARIES

Vous, monsieur de Ripaud. Et vous seul.

A l'Hôtel du Commerce, les mains à plat sur une table et les tendons de la mâchoire roulant sous sa peau glabre, Mourailles

énonça des principes qui lui tenaientà cœur. Pas de sélection, pas de race. Pas de race, pas de bonnes courses. Et que faut-il pour assurer la sélection ? Du temps, de l'expérience, cela va de soi mais aussi de l'argent.

Vous croyez ?

Je ne crois pas. C'est ainsi. Comprenez-moi il ne s'agit pas d'importer à grands frais des vaches navarraises, de copier les éleveurs espagnols et de préparer des taureaux pour une cor- rida unique où ils seront mis à mort. Il s'agit d'amener à nos courses provençales des produits de Camargue qui n'aient pas été conçus au petit bonheur la chance et nourris de cailloux.

C'est beaucoup trop long à vous expliquer.

Je vous en prie.

Non, puisque cela ne vous intéresse pas.

Je vous demande mille pardons, protesta Ripaud désolé.

Le visage de Mourailles, avec son nez qui pointait vers le bas, sa bouche creuse et ses dents écartées, prenait volontiers une expression méprisante. Ripaud sentit une grande faiblesse se répandre dans son âme. Il avait eu déjà un peu de mal à s'ac- coutumer aux moustiques. Il ne demandait pas mieux que d'as-

sister aux courses et de figurer à cheval dans les défilés. Les

défilés se font au pas. Mais entrer au beau milieu d'une manade, trier des taureaux, les amener aux arènes, voilà des aventures auxquelles il ne s'était jamais exposé. Et d'abord où sont les taureaux ? Il y a un taureau de bronze, qui remue la queue et gonfle les narines, dressé sur un socle, dans un jardin de Nîmes.

De la route, quand on passe en voiture, on n'en aperçoit aucun.

Où sont les taureaux ? Comment les approcher ? Si encore, ces animaux avaient été familiers aux Arabes. Non, tous les livres l'enseignent le taureau vient de Babylone, de Pergame. La vache Hathor n'était qu'une orientale. Bos asiaticus. Mithra l'a envoyé à Minos Minos à Néron ou aux Volsques. La fréquentation des califes ne prépare pas un homme à celle des taureaux. A ce point dé ses réflexions, Ripaud se souvint des Mores de Grenade

qui combattaient les taureaux. Il ne se déconsidérerait pas aux

yeux de Mourailles. Il irait voir des taureaux de tout près, il en

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LE BAL DES SAINTES-MARIES

achèterait si c'était nécessaire. Mais pour l'amour de la Camargue, qu'on ne le laisse pas seul avec eux.

Ce n'était pas l'intention de Mourailles. Son intention était de tenter, aux frais d'un amateur généreux et intelligent, une expé- rience dont toute la Camargue profiterait. Il avait du temps de reste et la volonté très ferme de ne pas lésiner sur la dépense.

Deux cent mille francs de plus ou de moins, qu'est-ce pour un

monsieur qui vend des fermetures-éclair aux Chinois ?

Six semaines plus tard Mourailles présentait à Ripaud, près des Grandes Cabanes,- le premier noyau de .sa manade une trentaine de bêtes, pour la plupart issues du sang illustre de Papinaud, taureaux neufs, jeunes vaches et leurs veaux, dont les

Gauvillain avaient consenti à se défaire. Elles battaient les bords

d'un étang les joncs leur montaient jusqu'au* ventre.

Eh bien, qu'en dites-vous ?

Excellent, balbutia Ripaud en se penchant sur sa selle et en raidissant ses longues jambes. Excellent. Et. cela n'attaque jamais ?

Rarement.

Même les chevaux ?

Surtout pas les chevaux.

C'est extraordinaire.

Extraordinaire ou non, Mourailles paraissait assez content de prendre en mains une partie des affaires de Ripaud. Il avait déjà choisi ses adjoints, un certain Escouffier, gardian, et son fils qui feraient tout le travail quotidien et loué des pâtis à bou- vine entre l'étang des Lones et le Rhône, non loin du mas qu'il habitait lui-même avec sa sœur, Angèle Brun. Ces pâtis, assez vastes, furent divisés par une barrière continue en fil de fer. Au nord Mourailles fit amener et répandre de la fumure sur les terres vagues couvertes d'enganes, de saladelles et de trèfle pauvre jamais on n'avait assisté' à pareille opération en Camargue. Au sud il établit un enclos en palissades destiné aux taureaux et un autre où l'on pourrait isoler les vaches. Désormais, décida-t-il, on ne permettrait plus les saillies que dans la première quinzaine de juin ainsi les naissances auraient-elles lieu vers la fin mars, à la saison où l'herbe pousse, où la mère se nourrit le mieux et peut élever son veau dans les meilleures conditions.

En hiver chaque bête recevrait une ration de foin jusqu'à l'âge

Extrait de la publication

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LE BAL DES SAINTES-MARIES

de trois ans et plus tard de la luzerne ou de l'avoine si elle com-

battait.

Évidemment, tout ceci vous coûtera un peu plus cher qu'aux autres manadiers. Mais je suppose que c'est le résultat qui vous

intéresse ?

Certes, dit Ripaud.

Cela vous est égal de ne pas faire de recettes pendant quelque temps ?

Oui.

Nous ne louerons donc aucune bête pour les courses avant d'être sûrs de notre coup.

Et quand saurons-nous.

Dans trois ou quatre ans peut-être.

Pas avant r*"™

Si c'est trop long, revendez.

Non, non, c'est parfait. Excellent, absolument ex-cellent.

(19)

s,

II

Pauliane avait dix-sept ans et Lolo quinze lorsque Mourailles commença de former la manade. Lolo était encore au lycée. Il passait en Camargue ses vacances de Pâques et retournait à Tou- louse, sitôt après, comme externe surveillé. Aux grandes vacances, deux années de suite Sylvie réussit à l'expédier dans le Sussex pour qu'il y apprît l'anglais et si possible les bonnes manières.

Mais l'Angleterre l'assommait. Il s'amusait bien mieux aux envi- rons de Pin-Rabut. Sa mère voyait approcher avec inquiétude

le moment où il deviendrait intenable.

Quant à Pauliane, elle était toute douceur. Et si simple avec cela. Dès son premier séjour en Camargue, laissant ses robes de sport et ses culottes d'écuyère, elle s'était mise à porter des bleus de jardinier. « Est-ce un genre ? » raillait Antoine. « Non, c'est commode. » Lorsqu'elle se promenait, les mains dans les poches, sur la terrasse de Pin-Rabut ou qu'elle traversait les paluds au pas de son petit cheval camarguais on eût dit, avec ses pantalons serrés à la cheville et ses bretelles croisées dans le dos, un gracieux éphèbe aux hanches à peine marquées. Sa figure pourtant n'était pas celle d'un jeune homme. Elle avait des lèvres pures et pro- fondes, un teint ambré, de grands yeux sombres où scintillait comme une lueur d'étonnement, des boucles brunes qui auréo- laient son front. De ses parents elle tenait un naturel heureux et une disposition naïve à croire que la bienveillance efface tous les maux. On ne l'avait jamais vue maussade ni fâchée. Habituel- lement elle souriait mais d'un air un peu vague sans paraître rien chercher que le plaisir de l'heure qui passe.

Elle aimait bien Mourailles et ce fut lui qui après l'avoir mise

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Extrait de la publication

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en selle fit à Pauliane les honneurs de la Camargue drailles sablonneuses et sentiers à taureaux Malagroï, nappe grise du Vaccarès d'où s'élèvent les flamants île de Mornes, roseaux de la Grand Mar landes salées qui craquent et brillent sous le sabot nu des chevaux dunes de Bauduc avec leurs chardons bleus pins de Brasinvert et grands genévriers des Rièges radeaux que l'on atteint de gué en gué. Lui qui un soir de juillet, après que la sécheresse eût vidé les étangs put montrer à Pauliane les clochers des Saintes inversés dans le lac azuré d'un mirage. Lui qui pour la première fois cueillit une touffe violette de saladelle et l'épingla sous son épaule, en hommage.

Deux ou trois fois par semaine ils allaient voir la manade.

Elle était maintenant de soixante-dix bêtes auxquelles les engrais et le fourrage procuraient une nourriture abondante. De temps

en temps on les changeait d'enclos pour fumer d'autres pâtis.

Mais le paysage restait le même les touffes vertes et rousses des salicornes la silhouette mince des tamaris et la tache blanche des mas la levée du Rhône et vers les Saintes-Maries, au-dessus de l'étang des Lones, un vol de mouettes dans la grande chaleur bleue. Les taureaux, les bœufs noirs regardaient Pauliane. Elle ne les craignait pas. Elle leur souriait comme elle souriait à toutes choses aux lagunes douceâtres où l'eau de mer et le suc des lotiers se confondent aux amas d'oeufs de mouches et de sauterelles qui fermentent le long des marais aux coquillages écrasés que le soleil, depuis des siècles, réduit en poudre aux

racines pourries, aux larves, à la Camargue entière et à ses hori-

zons tremblants. Elle posait peu de questions. Elle n'avait que dix-sept ans Mourailles en avait plus de quarante. Elle tournait vers lui des yeux lumineux, un visage engageant. Elle savait à

merveille écouter.

A la fin de leur promenade les deux cavaliers s'arrêtaient au

Mas du Raffi. C'était une bâtisse blanche à deux étages, située

entre le Rhône et la route qui descend vers le Grau d'Orgon.

Le beau-frère de Mourailles, Anselme Brun, y passait jadis tous

ses étés. Il admirait l'endroit et il l'avait chanté. Anselme Brun

était poète provençal un plus grand poète que Mistral, affirmait sa veuve un génie méconnu. Au temps de sa prospérité il pos- sédait une autre maison en Arles, où l'on demeurait de l'automne à la fin du printemps. Mais le destin avait voulu qu'il se ruinât

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Extrait de la publication

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Referências

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