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III. L ES PLAIGNANTS – LES VICTIMES

2. D AVID L

chemin qui se trahit (dans le discours rapporté de Tang) est un sillon (lira) ; s’en éloigner, c’est être fou (delirare). L’apparente alternative est déconcertante : mon chemin (lira) sinon (de) votre destinée (lira).

En 2010 et en 2012, Elsa est plaignante contre Robert Lé-Dinh. Vingt-cinq ans plus tôt, elle était alors une disciple passionnée, des gens malveillants étaient parvenus à faire condamner Lé-Dinh à une peine d’emprisonnement. « En 1987, on avait mis notre Christ en prison. On avait trois travaux sociaux [trois emplois]. Il continuait à donner des missions depuis la prison. Il n’avait rien dit au procès pour ressembler au Christ ». On apprend ainsi que ce n’est pas l’emprisonnement qui fera cesser l’influence, qu’au contraire, la condamnation vient confirmer ce que Tang a déjà prophétisé de son martyre, l’attitude passionnée des plaignants ainsi que leurs contradictions illustrent que le Saint Elu est attaquée par des traitres malveillants et obliques. De cela, Elsa peut témoigner car au procès de 1987, elle était assise du côté de la défense.

pas Tang qui positionne, mais c’est Tang qui a l’initiative qu’un tel positionne tel autre. » David fait son travail, il le fait bien, et fait tourner la machine du mieux qu’il peut. « Il me donnait des travaux, à charge pour moi de les accomplir au mieux ». Il est un implacable administrateur et terrorise les membres du groupe parce qu’il leur rappelle sans cesse combien chacun est en dessous de ce qu’il pourrait donner. David explique au juge qu’il n’exigeait jamais plus que ce que lui-même aurait été prêt à faire. Façon d’établir une limite.

David n’était pas seulement craint des adultes qu’il positionnait, une peur diffusa aussi parmi les enfants du groupe : « à Noël, on m’avait déguisé en Père fouettard chinois qui donnait un petit positionnement d’enfant. On m’a donné une image de Monsieur Lion qui faisait peur aux enfants. Cette image m’a collé à la peau jusque dans ma famille. » Des surnoms circulaient entre les enfants du groupe. David est « Le Chinois » ou le « Monsieur Lion » qui bat les enfants. Robert Lé-Dinh rapportera au procès de Foix avec émotion des souvenirs dans lesquels David aurait frappé des animaux ou donné un coup à un homme en prière. Le groupe actuel semble d’ailleurs projeter sur David toute une série de thèmes persécutoires : il serait en quête de l’argent du groupe, il souhaiterait en réalité prendre la place de Robert Lé-Dinh à la tête du groupe, il voudrait les femmes. La réaction de Lé-Dinh est à ce titre intéressante : « Monsieur L., s’il était à ma place [d’accusé], on dirait que c’est un deuxième Tang. Il a généré une atmosphère dans le groupe. Est-ce Tang qui a fait cela ? Il avait organisé une réunion pour les finances. Un vrai chrétien aime même son ennemi. En réalité, David s’est toujours opposé à moi. Ce n’est pas “ça m’a servi”, c’est “ça a servi”.

On avait un corps, on avait un esprit. » De fait, David n’est pas à la place de Tang, il ne fait pas l’objet d’une poursuite judiciaire. N’est-ce pas encore tautologique de dire si David était à la place de Tang, il serait Tang ?

David nous le dit : il met sa rationalité au service du signifiant-maître du discours. « On trouvait des arguments pour le justifier ».

3.LA SORTIE DU DISCOURS DE TANG

Peut-on comprendre ce qui a précipité la sortie du discours de secte ? Peut-on en dégager la logique ? Philippe et Angélique, deux adeptes de Tang, tombèrent amoureux l’un de l’autre et décidèrent de quitter le groupe qui n’acceptait pas leur relation : « C’est grâce à mon amour pour Angélique qui nous a décidé à partir du groupe. On est parti en deux fois.

Comme notre relation n’était pas possible au sein du groupe, nous sommes partis trois jours.

Nous avions commis l’irréparable. On avait peur du mal. On est rentré trois semaines, puis on est reparti un peu comme des voleurs, un beau matin. Parce que notre amour était impossible pour le groupe ». Le couple fait entendre que la sortie du discours de Tang est difficile et que le discours rattrape les fugitifs dans leur conscience. Mais l’amour est plus fort, et Angélique et Philippe dépassent la peur qui les habite pour être ensemble.Cette fuite ressemble à un acting out, elle ne semble pas rompre fondamentalement avec l’économie discursive de leur appartenance au groupe des amis de Tang. Au contraire, en revenant après une première sortie ébauchée, le discours du groupe intègre sans difficulté cette incartade qu’il positionne sévèrement. Ce qui en revanche constitue l’Acte révolutionnaire du couple, c’est leur amour illicite, c’est la soumission à un désir cette fois ouvert sur l’Autre et qui rompt avec le cloisonnement du discours tanguien. Cette sortie, malgré sa maladresse initiale, n’est-elle pas à proprement parler révolutionnaire ? Ne puise-t-elle sa force du cœur même de la doctrine tanguienne-chrétienne, à savoir l’amour de l’autre et le sacrifice ?

Elsa est sans doute celle qui aura témoigné du plus grand nombre de violences subies de la part de Robert Lé-Dinh. Il lui a demandé de manger ses excréments, il l’a poussée à avoir des rapports homosexuels avec d’autres femmes du groupe. « Il m’a fait mettre nue dans la voiture… Il a approché la cigarette dans mon cou, près de mon sexe, de mes seins… Je le masturbais. Je me suis dit : il peut te tuer. […] J’étais nue dans la voiture. J’avais honte mais je le faisais quand même. […] A partir du moment où il est parti en Ariège, je rêvais moins de lui. En 2006, il m’a appelé dans la nuit : il avait eu la Révélation que je quitte mon mari pour une mission divine en Ariège… une mission sexuelle. […]C’était pas des relations sexuelles, il n’y avait pas de partage, c’était un travail. Il n’avait aucune parole, aucune réaction, il était impassible. Je me dis aujourd’hui qu’il aimait voir les gens en difficulté, c’est ça qui le fait jouir. » Effrayée, Elsa parle à David de cette Révélation. Que doivent-ils faire ? Dans un premier temps, David ne réalise pas bien ce que son épouse est en train de lui dire : « Eh bien, oui, si c’est une Révélation, vas-y ! »

C’est la révélation à son mari des sévices dont elle fut victime qui permit le changement de discours, c’est la découverte massive de ce que David ne savait pas, ou se refusait à réaliser, qui permit d’inaugurer un nouveau rapport à Tang et au groupe.

Aujourd’hui, David et sa compagne s’inscrivent dans un autre discours, post-sectaire et victimaire. Ils sont parfois invités sur des plateaux de télévision pour témoigner de leur expérience douloureuse au sein d’une secte. « C’est une prison mentale… il y a beaucoup d’ouvrages qui expliquent ça… […] Quand le maître parle, le disciple obéit, poursuit David.

Il y a beaucoup d’ouvrages qui l’expliquent mieux que moi. […] Ce n’est pas parce qu’on a voulu, c’est qu’on était sous emprise. Celui qui l’a reconnu doit accepter sa parole sans condition. […]Tout ça, parce qu’il nous le demandait. J’ai lu des livres, j’ai rencontré des experts de la Miviludes qui m’ont expliqué. C’est terrible, on rentre tout à fait dans le moule.

[…] Cet homme nous a trompé, nous a humilié, nous a trainé dans la boue. Il nous a fait vivre ses pires fantasmes grâce à un stratagème. » Ce qu’un tel discours tente de construire, c’est l’image d’une victime violée dans son âme, ayant été fondamentalement trompée ; une victime qui n’aurait d’aucune façon pu éprouver du plaisir à ce qu’elle a fait malgré elle, ni jouissance à être sujet du discours de l’Autre, ni liberté à élire tel individu pour maître.