• Nenhum resultado encontrado

L ES USAGES DU SIGNE DANS L ’ ASPHERE DU LANGAGE

No documento Approche psychanalytique du discours sectaire (páginas 184-200)

Le recours que l’on a fait plus haut à la logique et à la linguistique permet d’introduire certaines distinctions intéressantes entre les différentes structurations éthiques que peuvent prendre les discours. Dans cette partie, nous tenterons de tirer les conséquences pour chacun de la structure du langage, et tout particulièrement de la propriété différentielle des signifiants.

Et cette différence joue son rôle aussi bien dans les rapports syntagmatiques (c’est-à-dire rapports de successivité, de contiguïté des signes linguistiques dans la chaîne parlée, rapports dont le signe tire sa signification) que dans les rapports paradigmatiques (c’est-à-dire des rapports associatifs hors de la chaîne du discours, rapports dont le signe tire sa valeur)267. Le fait que la différence soit si essentiellement inscrite au cœur de la logique du langage nous fait dire que le sacré découle moins d’un « sentiment religieux » – ou pire : d’un instinct religieux – que de l’expérience de la différence des signes entre eux qui façonne nos institutions268. Alors, ce qui paraît distinguer les différentes structures éthiques tient ainsi à l’usage qui est fait du signe linguistique et donc à l’attitude spécifique à l’égard des éléments langagiers269. Saussure a proposé d’imaginer le langage comme une symphonie dont la « réalité est indépendante de la manière dont on l’exécute ; les fautes que peuvent commettre les musiciens qui la jouent ne compromettent nullement cette réalité270 ». Façon de souligner que

267 La linguistique saussurienne distingue en effet la signification du signe dans ses rapports syntagmatiques aux autres signes : [b a r] est différent de [b r a] et cette différence intervenant dans le déroulement linéaire des signes permet au premier de signifier l’idée de « bar » (et non de « bras ») et la valeur du signe dans ses rapports paradigmatiques aux autres signes auxquels il s’articule par voie d’association (phonétique, idéique, morphologique, etc.) et cette articulation permet de donner à la valeur du terme « madame » un certain attribut dans une communauté linguistique où il existe aussi un terme « mademoiselle » que le terme « madame » n’aurait pas dans une communauté dépourvue du terme « mademoiselle ». Concernant cet exemple, la circulaire n°5575 du 21 février 2012 qui supprime l’utilisation des termes « mademoiselle », « nom de jeune fille », « nom patronymique », « nom d’épouse » dans les documents officiels, n’opère en réalité que sur le plan syntagmatique (dans les formulaires, on ne distinguera plus que « Monsieur » / « Madame ») tandis que le paradigme de la langue est toujours riche des mots « mademoiselle », etc.

268 Cf. Régis Debray, Jeunesse du sacré, Paris, Gallimard, 2012.

269 Cette idée d’une « attitude » particulière à l’égard des signes linguistiques constitue une sorte d’écho, certes d’une théorisation différente de la sienne, à ce que peut affirmer Jean-Claude Maes pour qui « la secte propose moins un objet idéal, qu’un mode de relation à l’objet […] », cf. « Le lien sectaire », op. cit., p. 145.

270 Cf. Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale [1916], édition critique préparée par Tullio De Mauro, Paris, Payot, 1972, p. 36, cité par Sandrine Tognotti : « Le Cours de Linguistique Générale de Saussure :

le langage est structuré de la même façon pour tous et indépendamment de ce qu’on y fait mais qu’il existe néanmoins des manières singulières de l’exécuter (et il me semble qu’on pourrait élargir absolument cette perspective aux systèmes sémiotiques a-signifiants). En particulier, quelle que soit la façon d’exécuter le langage, la propriété différentielle des signifiants n’est pas modifiable. Nous allons donc reprendre névrose, psychose et perversion, pour tenter de préciser la spécificité de l’usage du système-langage par chacune de ces structures psychiques. Julia Kristeva a employé le terme d’idéologème pour cerner une certaine valeur du signe linguistique, valeur historiquement déterminée, et dont l’évolution et les transformations façonnèrent intrinsèquement l’histoire littéraire271. Je propose d’importer ce concept d’idéologème au cœur de ma « psychopathologie discursive » et de l’entendre comme le système sous-jacent qui régule l’usage du signe linguistique et structure a priori son champ et sa modalité de déploiement. Idéologème est le nom que je donne ainsi aux différents usages possibles du signe linguistique dont les propriétés intrinsèques, insistons, sont néanmoins les mêmes pour tous. Ces différents usages possibles sont en somme des attitudes, des dispositions, à l’égard du signe linguistique, des façons de se rapporter aux éléments d’un système symbolique et de les mobiliser. Nous en reconnaissons deux principaux : le signifiant (dans ses usages névrotique ou perverse) et l’holophrase psychotique (qui a peut-être à voir avec le « pictogramme » du psychotique chez Piera Aulagnier). Le tableau suivant présente le développement qui lui fera suite :

Ethos Idéologème Usage Articulation

Névrose Signifiant (de l’asphère) Usage représentationnel S2={S1,a}

différentiel, hétérogène

Perversion Signifiant (de lasphère) Usage exclusif S2={S1,±}

différentiel, homogène

Psychose Holophrase Usage sui-référentiel Hn={Hn,$} différentiel

ou Hn={Hn} non-différentiel

J’y ajoute une dernière ligne ouverte, car reste à comprendre la spécificité de l’idéologème au cœur de l’autisme que j’écarte méthodiquement de nos investigations sur le discours sectaire. Il ne faut pas exclure non plus que des idéologèmes particuliers puissent être à l’œuvre dans la schizophrénie ou dans la mélancolie ; qu’en est-il de l’état-limite et de l’hypothétique sujet capitaliste ou « post-névrotique » (si les deux se recouvrent) ? Prenons

Le rôle de la langue vis-à-vis de la pensée », session de juillet 1997, en ligne : http://tecfa.unige.ch/~tognotti/staf2x/saussure.html [consulté le 20 juillet 2012]

271 Cf. Kristeva, La révolution du langage poétique, Paris, Seuil, 1974.

soin enfin de toujours maintenir ouvert ce tableau, ou mieux : de savoir nous affranchir aussi des nosographies quelle qu’elles soient, afin de ne pas être sourds aux inventions jusqu’à présent inouïes que nous réservent les êtres qui prendront la parole, quitte à ce que ces

« inventions de l’autre », pour reprendre l’expression de Derrida, échappent totalement à cette classification programmatique, inventions par définition inanticipables272. C’est donc comme production contre-transférentielle et comme abstraction théorique qu’il faut entendre mon jeu de concepts… toujours formés « de l’oubli de ce qui différencie un objet d’un autre273 » (Nietzsche).

1.NEVROSE

Dans le régime névrotique de la parole, c’est le passage par l’analyse de la situation de locution qui indexe que ce qui se dit se réfléchit métaphoriquement dans ce qui est dit. Une telle analyse est elle-même une orientation du discours tourné vers lui-même, discours intéressé par ce qui se tient « à fleur de dire » (l’expression est de Roland Gori), à fleur de discours. L’éthique névrosée dialectise le discours en plain-chant (cantus planus) et contre(s)- chant(s) ou chant obscur (cantus obscurior), en des contre-discours qui s’interpellent et se renvoient l’un l’autre les productions langagières nouvellement puisées dans le champ vaste des productions possibles. Les discours de névrose sont, au moins tacitement, construits sur la mobilisation de l’Autre et de l’Ailleurs et l’Autrefois : le signifiant, tel que Lacan en a fourni une théorisation à l’usage du psychanalyste, est moins lié au signifié qu’aux autres signifiants avec qui il s’articule dans un système de renvois infinis. Voilà l’usage que fait le névrosé du signe linguistique. Allons plus loin : il s’agit donc d’un usage représentationnel du signifiant, c’est-à-dire que le discours de névrose est l’expérience que fait le sujet de ne pas exister ailleurs que dans la représentation que le langage peut lui fournir de lui. Pourtant ces mots, et l’ordre du langage tout entier, sont insuffisants à répondre entièrement à l’énigme ontologique : qu’est-il, ce sujet particulier ? La logique sous-jacente à son activité de

272 Jacques Derrida, Psyché, Inventions de l’autre [1984, 1986], t. 1, Paris, Galilée, 1998, p. 53 : « Voilà ce que tentent toutes les politiques de la science et de la culture modernes quand elles s’efforcent […] de programmer l’invention. La marge aléatoire qu’elles veulent intégrer reste homogène au calcul, à l’ordre du calculable. […]

Pas de surprise absolue. C’est ce que j’appellerai l’invention du même. C’est toute l’invention, ou presque. Et je ne l’opposerai pas à l’invention de l’autre (d’ailleurs je ne lui opposerai rien), car l’opposition, dialectique ou non, appartient encore à ce régime du même. L’invention de l’autre ne s’oppose pas à celle du même. » Plus loin, « Une invention doit s’annoncer comme invention de ce qui ne paraissait pas possible, sans quoi elle ne fait qu’expliciter un programme de possibles, dans l’économie du même » (p. 59).

273 Nietzsche, « Vérité et mensonge au sens extra-moral », Œuvres philosophiques complètes, Paris, Gallimard, t.

1**, 1975, p. 281.

symbolisation, fût-elle une stochastique, est-elle formalisable, peut-elle s’écrire ? Ces questions sont présentes déjà chez Freud, leurs formulations se précisent largement chez Lacan.

Les effets de sens se déduisent de la nature différentielle des signifiants entre eux. Sur cela, la linguistique a beaucoup insisté ; Lacan également. Cependant, une autre propriété importante distingue le signifiant maître (S1) du signifiant second ou signifiant savoir (S2), c’est qu’ils ne relèvent pas du même niveau, ils ne sont pas de même nature. Pierre Bruno le précise ainsi :

L’implication signifiante S1→ S2 est inintelligible si elle n’est pas entendue comme la conséquence de la contradiction (il n’y en a qu’une, celle que Russell a découverte et formulée en 1901) qui hétérogénéise les deux termes. S1 doit être entendu comme le signifiant qui fait intrusion, par forçage logiquement indu, dans le langage. Il se veut représentatif, mais ne peut l’être seul. S2, renonçant à l’intrusion, n’est pas représentatif, et s’exerce dans le corps comme coupure prélevant un objet du corps (a de A). Ce qui rend le corps, à l’instar du langage, asphérique274.

Et il entend cette propriété asphérique du langage et du corps comme la continuité du dedans avec le dehors ; propriété dont nous avons rendu compte supra en termes d’imprédicativité, d’extimité ou d’auto-inclusion de la grille en elle-même. Dès lors, si la nature linguistique de S1et S2 est fondamentalement la même, leurs participations respectives au discours sont rigoureusement hétérogènes, asymétriques. Pierre Bruno en fait une démonstration aux accents russelliens comme suit :

Disons S1 le signifiant qui s’inscrit dans l’Autre alors qu’il ne le devrait pas. C’est le signifiant d’intrusion – celui que Lacan appelle maître. Disons S2 le signifiant second qui ne s’inscrit pas dans l’Autre, car, sinon, il se confondrait avec S1. Ce S2, ne s’inscrivant pas dans l’Autre, pourrait dès lors s’y inscrire. […] C’est en ce sens que le signifiant S2est tout à fait asymétrique par rapport au S1. Il est un représentant à jamais non représentatif, et ce qu’il dénote est un objet qui ne pourra jamais être objectivé, c’est-à-dire appartenir à la collection des objets qui peuvent entrer dans une proposition ayant du sens. Je rappelle ici la liste de ces objets, dits par Lacan a : sein, fèces, regard, voix275.

L’Autre, trésor des signifiants, se définit comme l’ensemble des signes linguistiques s’articulant différentiellement. Autre={S1,S2…Sn}. Or, le sujet emploie S1 pour être représenté dans l’ordre du langage (« l’intrusion, par forçage logiquement indu ») : A={{$},S2…Sn}. Répétons que le sujet n’est pas un signifiant, qu’il n’est que représenté et ce faisant il joue sur la propriété qu’a le signifiant de représenter. Le S2 en s’articulant différentiellement276 à S1 délimite nécessairement un écart : S2={a,S1}={a,{$}}, c’est-à-dire cerne un bout de Réel en rencontrant une impossibilité logique à s’articuler sans reste à S1 du fait de l’articulation par définition différentielle des signifiants entre eux. L’intrusion du

274 Cf. Pierre Bruno, La passe, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2003, p. 7.

275 Id., p. 91.

276 La nature différentielle du signifiant pourrait être écrite ainsi : ∀n, ¬∃x, Sn=Sx. Nous lisons : quel que soit n, il n’existe pas de x tel qu’un signifiant n serait identique à un signifiant x. Nous écrivons aussi Sn={Sx,∅} et nous reconnaissons dans l’ensemble vide ∅ ce que Lacan note « objet a ».

signifiant, c’est l’évènement langagier nouveau par lequel le locuteur (sujet de l’inconscient) vient à s’inscrire dans le langage, à s’y faire représenter. Manifestations de l’inconscient qu’on a pu lister peut-être un peu trop restrictivement en symptôme, lapsus, acte manqué, rêve, traits d’esprit, oubli… et que l’on généralisera en tout ce qui se tient à fleur de dire (constante équivocité, infinité des interprétations sémantiques…), qu’on le pense comme chant obscur ou comme épaisseur ou profondeur de l’habitat langagier. Le signifiant non- intrusif s’articulant à S1 est comme condamné à ne pouvoir représenter (ou entourer) que l’irreprésentable, l’innommable, le non symbolisable, soit à se tenir sur l’accore de la contradiction, c’est-à-dire à circonscrire le Réel. Autrement dit, il indique négativement ce qui du sujet ne peut s’inscrire dans le langage. Or, semble-t-il, c’est ce paradoxe de la logique des signifiants qui fonde et alimente ce qui cause le désir du sujet et l’aliène davantage à mesure qu’il se reflète dans l’ordre du langage. L’être parlant désire donc du fait d’être et de n’être pas parlé. Paul Valéry dit mieux ce qu’il en est du rapport d’auto-négation au cœur du désir, ce surtout pas consubstantiel à la cause du désir néanmoins nue de tout mot, pas présent au cœur de toute différence (≠, « pas pareil »), qui n’en finit pas d’être approché, et dont on tirera bien quelque plaisir à le désirer encore s’avançant.

Tes pas, enfants de mon silence, Saintement, lentement placés, Vers le lit de ma vigilance Procèdent muets et glacés.

Personne pure, ombre divine, Qu’ils sont doux, tes pas retenus ! Dieux !... tous les dons que je devine Viennent à moi sur ces pieds nus !

Si, de tes lèvres avancées, Tu prépares pour l’apaiser, A l’habitant de mes pensées La nourriture d’un baiser, Ne hâte pas cet acte tendre, Douceur d’être et de n’être pas, Car j’ai vécu de vous attendre, Et mon cœur n’était que vos pas.277

Au passage, j’admets volontiers ici le plaisir à poursuivre l’enquête et l’écriture, au prétexte de la secte et ses discours, dont l’aboutissement doctoral ne vaudra pas. C’est-à-dire que la construction théorique, pour élégante qu’elle soit et combien captivante fût sa

277 Poésies, Paris, Gallimard, 1983. Le baiser demeure absent tant qu’il n’est pas, ou plutôt il n’est qu’à quelque pas de l’habitant de mes pensées. Et si trop tôt le cœur s’arrête de battre, Nougaro interroge l’au-delà de vos non- pas : « Nos vies ne sont qu’un bout d’essai / Pour qui, pourquoi, Dieu seul le sait / Toi qui connais la fin du film, / Dis Marylin, est-ce un baiser ? / Dis Marylin, est-ce un baiser ? »

rédaction, ne désigne qu’en creux l’objet fantomatique qui hante les discours de névrose. J’y fonde mon désir.

Le développement ci-dessus sur la logique des signifiants, je n’en suis finalement à peu près que le répétiteur : on le trouve déjà dans Lacan et chez ses commentateurs ; je ne fais que proposer ma façon de l’organiser et de le penser. Plus original, je crois, sera mon développement infra sur le langage dans la perversion et dans psychose.

2.PERVERSION

Nous envisageons ici la question de la perversion et des discours où elle peut s’établir ; nous tentons de cette façon de voir si la discursivité sectaire est affaire de perversion ou non, ou encore, si la perversion peut nous apprendre quelque chose de ce qui se déroule au sein d’un collectif sectaire.

Ce qui est à l’œuvre dans le régime perverti de la parole, c’est à nouveau la propriété différentielle des signifiants. La formule de cette propriété est : S2={S1,∅}, où l’ensemble vide permet d’introduire l’irréductible différence qui existe entre S2 et S1. On le voit, ce rapport différentiel des signes linguistiques ne consiste pas simplement à dire que S2 ≠ S1 (car rien n’exclurait alors qu’un S3 = S1), mais bien à ne baser leur articulation que sur la différence en elle-même insignifiante mais qui du fait de rendre les deux signes articulés non-identiques permet l’articulation signifiante. Remarquons à quel point nos institutions sont traversées par ceci qu’elles n’ont de sens que d’être distinctes. Le lieu sacré est séparé du reste par une frontière symbolique (le bel ouvrage de Régis Debray, Jeunesse du sacré, l’illustre à merveille278) : le temple ou bien l’église, le cimetière, mais aussi le palais de justice, le jardin d’enfants, le domicile, le mariage, le bordel, les duty free… Le sacré fait une enclave au milieu du non sacré, du profane. Passées ces lignes qui démarquent, qui dénotent, le sacré du profane ou le privé du public, revient à faire l’expérience de l’articulation différentielle des signifiants attachés aux lieux et aux choses. « Profane »={« sacré », a}. Le profane diffère du sacré auquel il s’articule. Pourquoi parler du sacré et de la différence pour rendre compte de l’usage pervers du langage ? Parce que c’est la nature de cette différence, et la position que l’on peut adopter face à elle, qui est en jeu dans la perversion : différence des lieux, des sexes, des genres, des générations, différences hiérarchiques…Aussi, la loi que transgresse le

278 Paris, Gallimard, 2012.

pervers, n’est-elle donc pas la loi qui décrète que cela est illicite et que ceci est licite. La loi transgressée par lui est la loi structurelle du système symbolique qui veut que l’articulation des éléments de ce système (du licite et de l’illicite par exemple) soit une articulation différentielle. Comment la transgresse-t-il ? Quelle est la logique de la profanation perverse ? Au fond, le pervers nous dit ceci : il y a certes des signes exclusifs les uns des autres et il n’est bien sûr pas possible d’être à la fois homme et femme, à la fois sacré et profane, à la fois privé et public, à la fois dedans et dehors… Mais il est quand même possible de se tenir au lieu même de cette différence (le a résiduel), la question étant de savoir de quel côté de la différence on s’oriente. Il y a certes une différence, mais les deux termes de cette différence sont homogènes et fait de la même matière. Le voyeur regarde par le trou de la serrure, soit le non-lieu exact entre l’intérieur et l’extérieur. L’exhibitionniste est regardé par le trou de la serrure (ou par la webcam, ou à travers la barrière qui isole la cour de récréation). Le sadisme et le masochisme profanent un corps par les interfaces qu’il entretient avec l’autre corps : peau, sexe, bouche, tétons, anus, yeux (soit le lieu précis qui sépare le corps de ce qui n’est pas lui). Le travesti et le fétiche annulent la différence en s’y maintenant indifférenciés : ni homme, ni femme ; ni sacré, ni profane ; ni dedans, ni dehors. Si le pervers provoque un trouble, une gêne, c’est qu’il emploie son être à la pure différence, il l’emploie à n’être pas représenté dans le langage, il se fait différence pure de tout langage. Et c’est dans la mesure où il touche précisément à ce qui du langage fuit à mesure qu’un sujet parle, que le pervers mobilise le désir du sujet et lui rappelle qu’il n’est pas entièrement dans le langage.

Le signe linguistique dans l’économie perverse du discours est donc employé de façon différentielle, certes : S2={S1,a}. D’être effet de la pure différence des unités langagières, le sujet de la perversion radicalise cette différence et détermine la polarité de l’exclusion et la nature de l’élément à insérer entre deux signifiants pour équilibrer, pour symétriser leur articulation : S2={S1,+} ou bien S2={S1,-} ou bien S2={S1,±}. La propriété différentielle du signifiant est en partie conservée, cependant ce n’est plus une différence comme telle qui est au principe de l’articulation des signifiants entre eux, mais une différence relative au sens où l’on peut écrire le signe de cette différence.

Pour rendre plus claire cette nuance, reprenons l’articulation de deux éléments d’un système-symbolique : le sacré et le profane. La différences entre ces deux champs tient à la cloison mitoyenne qui sépare et consacre la différence. Mais au juste, duquel de ces deux champs relève la cloison qui les sépare ? Le torii, la porte japonaise qui constitue le point d’entrée du lieu sacré, appartient-il au lieu ou lui est-il encore extérieur ? Le calcul pervers consiste à annuler le non-lieu de la différence, à combler cet espace interstitiel qu’est

No documento Approche psychanalytique du discours sectaire (páginas 184-200)