• Nenhum resultado encontrado

Projet 4 Rôle physiologique de NUT au cours de la spermatogenèse

II) Cancer et facteurs CT

IIA) Implication des gènes CT dans les cancers

p. 191

Depuis longtemps, les similarités entre le développement des cellules germinales, du trophoblaste, et le développement des tumeurs, ont interpellé les chercheurs : par exemple, un grand nombre de cancers produit de la gonadotrophine et d’autres hormones trophoblastiques (Louhimo et al, 2004). Ces hormones servent actuellement d’indicateur de pronostic pour plusieurs types de cancers. Mais la découverte la plus frappante est le nombre de protéines spécifiques des cellules germinales retrouvées anormalement exprimées dans les cancers. Ces protéines ont été regroupées au sein de la superfamille des antigènes cancer/testicule - ou gènes C/T (Scanlan et al, 2004). Cette observation permet d’émettre une hypothèse fort intéressante : l’expression aberrante de gènes de la lignée germinale résulterait d’une réactivation du programme gamétogénique normalement réprimé dans les cellules somatiques, et cela pourrait entraîner les cellules vers la voie de la tumorigenèse (Old, 2001).

En effet, au cours de la gamétogenèse et lors de la tumorigenèse, les différentes cellules partagent des phénotypes en commun : une hypométhylation globale de l’ADN, un pouvoir angiogénique et une évasion immunitaire. Les deux types cellulaires présentent également des similarités troublantes comme l’immortalisation des cellules germinales souches et la transformation des cellules tumorales, la migration des cellules primordiales et les cellules métastatiques, etc… (Figure B, p193)

Les gènes C/T ont été historiquement découverts pour leur caractère antigénique. Un antigène de cancer idéal pour espérer une thérapie doit être stablement exprimé par la tumeur, être absent des tissus normaux et être crucial pour la survie des cellules tumorales. Le premier antigène C/T a été découvert à partir d’un patient atteint d’un mélanome, dont les cellules T cytotoxiques reconnaissaient les cellules tumorales. Le gène codant cet antigène a été cloné et dénommé MAGEA1. Des études relatives à MAGEA1 ont permis de se rendre compte que son expression était également détectable au sein de plusieurs mélanomes, carcinomes du sein et autres cancers, mais jamais dans des tissus sains, à l’exception du testicule. Il s’est avéré par la suite que MAGEA1 appartient à un groupe de douze gènes localisés sur la région du chromosome Xq28 (famille MAGEA). De plus, deux autres familles de gènes C/T ont été découvertes, MAGEB et MAGEC, localisées également sur le chromosome X. Ces trois groupes de gènes présentent tous la particularité d’avoir une expression restreinte au testicule et aux cancers.

La super famille des gènes C/T regroupe de nos jours plus de 40 familles correspondant à une centaine de gènes, tous spécifiques du testicule et anormalement exprimés dans les cancers. Le criblage bioinformatique de l’expression de gènes au sein de

p. 192

transcriptomes de différents tissus et de cancers permet de prédire l’ensemble des membres de cette famille. Les antigènes C/T peuvent être classés en deux sous-groupes, ceux localisés sur le chromosome X, et les autres.

Une des particularités des antigènes CT, principalement ceux du chromosome X, est leur réactivation simultanée dans les cancers. En effet, les antigènes C/T sont très souvent co- exprimés. Dans des études d’expression de neuf antigènes C/T au niveau de tumeurs, il s’est avéré que 65% des mélanomes sont positifs pour trois ou plus de ces protéines, et 57% des tumeurs de poumons en expriment au moins deux (Sahin et al, 1998; Tajima et al, 2003).

Dans les tumeurs testées, il s’est avéré également que le gène NY-ESO-1 est rarement exprimé en l’absence de MAGEA3. Bien que l’expression illégitime de la plupart des gènes C/T résulte d’une levée de l’hyperméthylation de l’ADN qui pourrait être aléatoire, il serait malgré tout curieux que ces co-expressions surviennent spontanément. Les cellules tumorales subissent une hypométhylation globale de l’ADN, mais les mécanismes impliquant la levée spécifique de la répression des gènes C/T reste incertains. Une première indication semble cependant émaner de la caractérisation du gène BORIS.

La protéine BORIS, paralogue du facteur CTCF, est spécifiquement exprimée dans les cellules germinales mâles. CTCF est un régulateur de l’information épigénétique ayant un rôle déterminant dans la régulation spécifique d’allèle de gènes soumis à l’empreinte parentale, et il n’est pas exprimé dans les cellules germinales. (Gabory & Dandolo, 2005). Il possède entre autres une fonction de barrière transcriptionnelle ainsi qu’un rôle dans la régulation de l’expression des gènes en général (Wallace & Felsenfeld, 2007). Une récente étude démontre que les souris délétées du gène BORIS présentent des défauts de spermatogenèse, avec des petits testicules et une mort importante des cellules germinales (Suzuki et al, 2010). Il a été observé que BORIS régule directement l’expression d’au moins un autre gène spécifique du testicule, CST, en se fixant sur son promoteur. Il est donc fort possible que BORIS régule l’expression d’autres gènes spécifiques du testicule, et que son expression illégitime dans les cancers entraîne l’expression de plusieurs autres gènes C/T. De manière intéressante, l’activation de BORIS dans les cellules somatiques induit l’expression d’autres facteurs C/T (pour cancer/testis), plus particulièrement celle des gènes MAGE-A (Vatolin et al, 2005) et de CTAG1/NY-ESO1 (Hong et al, 2005). Dans ce dernier cas, BORIS recrute le facteur de transcription SP1 au promoteur de CTAG1 pour déréprimer sa transcription (Kang et al, 2007). Ainsi, une première phase d’expression anormale de facteurs transcriptionnels spécifiques du testicule amènerait, dans un second temps, à la réactivation d’un programme

p. 193

germinal au sein de cellules somatiques, participant à la tumorigenèse de ces cellules. Il a été clairement établi que l’expression illégitime de la famille MAGEA peut convertir les cellules somatiques dans une configuration favorisant leur transformation maligne. En effet, il a été montré que la suppression de leur expression induit une apoptose des lignées cellulaires issues de mélanomes les exprimant illégitimement. Des études supplémentaires ont montré que cette résistance à l’apoptose était associée à une action neutralisante des MAGE sur p53 (Yang et al, 2007a). En accord avec ces données, une autre étude a montré que MAGEA2 recrute l’histone-déacétylase 3 (HDAC3) et cible p53, s’opposant ainsi à l’acétylation et à l’activation de p53 à la suite d’un traitement génotoxique (Monte et al, 2006).

Figure B : Comparaison entre les cellules germinales et les cellules tumorales. (issu de Simpson et al, 2005)

p. 194

De plus, MAGEA1 recrute l’histone déacétylase HDAC1 et transforme ainsi le régulateur transcriptionnel SKIP en un répresseur de transcription (Laduron et al, 2004).

Certains antigènes C/T sont spécifiques des spermatocytes et des spermatides. Comme nous venons de le voir, ces cellules sont le siège de réorganisations globales très importantes de leur génome, sans équivalent dans les cellules somatiques. L’expression illégitime, dans les cellules somatiques, des protéines testiculaires impliquées dans ce remodelage de la chromatine pourrait avoir des conséquences dramatiques sur l’organisation et les fonctions du génome et de l’épigénome, et participer ainsi à la transformation cellulaire.

Par exemple, la protéine Spo11, qui induit des cassures double brins d’ADN lors de la méiose, est exprimée dans des cellules cancéreuses et pourrait faciliter des translocations chromosomiques (Keeney et al, 1997). La protéine BRDt, capable de compacter la chromatine acétylée, a été retrouvée anormalement exprimée dans des cancers du poumon.

Ainsi, une expression anormale de BRDt pourrait fortement perturber les fonctions génomiques impliquant l’acétylation des histones, en particulier la transcription des gènes. La protéine HSP70.2, impliquée dans l’incorporation de protéines basiques au sein de la chromatine, est également décrite comme nécessaire à la croissance et à la survie de cellules tumorales (Daugaard et al, 2005). Une autre protéine à bromodomaine, ATAD2, dont il existe une isoforme spécifique du testicule, est retrouvée dans des cancers, et son expression est corrélée à un mauvais pronostic dans les cancers du poumon (Caron et al). Cette étude montre également que la répression par siRNA du gène ATAD2 induit un changement global de la transcription des cellules. Son expression illégitime dans des cancers est donc à même de perturber la transcription des cellules somatiques.

IIB) La protéine NUT est un nouveau gène CT

L’activation illégitime dans les cellules somatiques de facteurs spécifiques du testicule, notamment de ceux qui sont impliqués dans la modulation de l’épigénome, peut donc avoir un effet amplificateur, aboutissant à des perturbations épigénétiques secondaires et déterminantes dans la transformation cellulaire.

p. 195

Lors de ma thèse je me suis attaché à caractériser la protéine testiculaire NUT. Bien que les analyses transcriptomiques réalisées dans le laboratoire n’ont pas permis de détecter la protéine NUT au sein de cancer, nous avons pu observer une expression de NUT au sein d’au moins trois lignées tumorales, A7R5, A549 et U2OS. Des données préliminaires réalisées sur différents cancers du poumon laissent supposer que la protéine NUT soit exprimée au sein de cancers directement récupérés sur des patients. Il est possible que le transcrit de NUT soit peu stable, et donc difficilement détectable lors des analyses transcriptomiques. La protéine quant à elle semble être particulièrement stable : il suffirait ainsi d’une faible quantité de traduction des ARNm pour avoir suffisamment de protéine NUT illégitimement exprimée. En effet, l’expression de NUT est faiblement détectée par PCR quantitative sur les cellules A7R5, A549 et U2OS, mais la protéine est bien détectable grâce à un anticorps anti-NUT. Les détections relatives sont bien spécifiques de NUT car dans les deux cas une répression par siRNA entraîne une diminution des quantités respectives d’ARNm et de protéines. Il est ainsi possible que les analyses systématiques de transcriptomes ne puissent permettre la caractérisation de certaines protéines à faible transcription.

IIC) NUT et CBP/p300

NUT est capable de s’associer à CBP/p300 et de stimuler son activité HAT. Au cours de la spermatogenèse, il est possible que ce couple de protéines participe à la vague d’hyperacétylation caractéristique qui touche les cellules germinales spermatides. Une fois exprimée au sein de cellules somatiques, NUT pourrait recréer cette interaction physiologique dans les spermatides, et déréguler les voies de signalisation impliquant CBP/p300. Comme nous l’avons montré dans le cas de la fusion BRD4-NUT, NUT pourrait séquestrer CBP/p300, ou tout du moins l’aiguiller vers des substrats ou des activités différentes. Il n’est en effet pas impossible que NUT puisse interagir avec la chromatine indirectement, ne serait-ce que grâce au bromodomaine et domaine PHD de CBP/p300. Cependant, l’expression ectopique de NUT dans des cellules COS n’induit pas la formation de foci acétylés. NUT ne semble donc pas capable de recréer seul des foci hyperacétylés uniquement grâce à p300, avec comme conséquence la séquestration des deux protéines. Nous n’avons également pas détecté

p. 196

d’augmentation de l’acétylation des histones dans les cellules exprimant ectopiquement NUT.

L’interaction NUT et CBP/p300 dans les cellules somatiques ne semble donc pas capable d’hyperacétyler le génome des cellules. Cependant, nos observations sont préliminaires, et réalisées sur le niveau global des histones par immunodétection des histones acétylées à l’aide d’un anticorps pan-acétylé. Nous n’observons pas non plus de variations à l’échelle des cellules de la marque spécifique de CBP/p300 H3K56ac. Mais l’utilisation d’anticorps après électrophorèse n’est sans doute pas la plus appropriée des méthodes. En effet, dans les cellules portant la translocation BRD4-NUT, malgré l’hyperacétylation ponctuelle des foci, une analyse globale par électrophorèse de l’acétylation ne révèle pas de variation du niveau générale dans la cellule. En réalité, l’hyperacétylation ponctuelle des foci est compensée par une baisse de l’acétylation dans le reste du génome de par l’absence de CBP/p300. Il faudrait ainsi réaliser une analyse fine de l’acétylation de la chromatine. Une possibilité reviendrait à effectuer une immunoprécipitation de chromatine à l’aide d’anticorps anti-histones acétylées et analyser ainsi les régions génomiques dont l’acétylation pourrait être perturbée. De manière similaire, il serait intéressant de comparer les régions de chromatine associées à CBP/p300 en présence ou absence de NUT.

Sans forcément être capable de modifier la localisation de CBP/p300 sur la chromatine, la protéine NUT pourrait inhiber les fonctions de la HAT ou en permettre de nouvelles. Il n’est en effet pas exclu que NUT entre en compétition avec d’autres protéines s’associant via le domaine CH3 de CBP/p300. Par exemple, bien que la protéine p53 interagisse avec plusieurs domaines de CBP/p300, le domaine TAZ2/CH3 de CBP/p300 semble avoir le plus d’affinité pour p53, et entre en compétition avec MDM2 pour se fixer en partie N-terminale de p53 (Teufel et al, 2007). La protéine MDM2 est responsable de la dégradation de p53, et la fixation de NUT avec le domaine CH3 de CBP/p300 pourrait favoriser l’inactivation de p53. Le domaine CH3 est également un des sites d’association de la famille de facteurs de transcription GATA1-6 (Blobel et al, 1998), et NUT pourrait perturber l’activité co-transcriptionnel de CBP/p300 avec les protéines GATA.

Les protéines CBP et p300 sont capitales pour la cellule, car elles interviennent dans de nombreuses voies de signalisation épigénétiques en acétylant les histones, mais également en tant que co-activateur de la transcription. Enfin, les centaines de partenaires connus pour CBP/p300 laissent imaginer des possibilités d’interconnexion entre les différentes voies de signalisation dans lesquelles elle est impliquée. Par exemple, CBP/p300 est à la fois capable de stabiliser p53 en l’acétylant dans le noyau, permettant alors la cascade de signalisation de

p. 197

l’apoptose p53-dépendante, comme elle est capable au contraire de participer à sa dégradation en stimulant l’activité de poly-ubiquitination de MDM2 au niveau du cytoplasme (Grossman, 2001). Il serait intéressant de déterminer si l’expression illégitime de NUT dans les cancers fait pencher cette balance de la régulation de p53 plutôt vers sa dégradation, bloquant ainsi la réponse apoptotique de la cellule à sa tumorigenèse. En effet, l’acétylation de NUT par CBP/p300 semble permettre sa relocalisation dans le cytoplasme, où elle pourrait également emmener la HAT avec elle, augmentant ainsi le ratio de CBP/p300 dans le cytoplasme. Ceci aurait pour conséquence une dégradation systématique de p53, et la perte du contrôle de l’homéostasie cellulaire par l’un des gardiens du génome. Cette possible relocalisation partielle de CBP/p300 pourrait également nuire à l’ensemble des activités de la protéine dans le noyau, notamment son importance pour la transcription cellulaire.

IID) NUT et autres partenaires

Les différents partenaires de NUT que nous avons identifiés en plus de CBP/p300 pourraient également voir leur fonction physiologique au sein des cellules somatiques altérée par l’expression illégitime de la protéine testiculaire.

Parmi ces partenaires, nous avons confirmé la protéine Stim1. A première vue, une implication de NUT et Stim1 dans les cancers semble peu probable. Cependant, Stim1, protéine senseur du calcium et associée à la membrane du Réticulum endoplasmique, semble jouer un rôle important dans la formation des métastase et la migration des cellules tumorales.

En effet, la réduction de la quantité de Stim1 ou de son partenaire Orai1 par siRNA dans des cellules de cancer du sein décroît considérablement le nombre de métastases dans des modèles animaux (Yang et al, 2009). Les canaux calciques et le stockage du calcium sont en effet importants pour la migration des cellules et semblent inhiber le renouvellement des adhésions focales. NUT pourrait d’une façon ou d’une autre participer à l’activité de Stim1. Dans ce cas la, le diagnostic de l’expression de NUT dans les cancers signifierait un risque élevé de formation de métastases.