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3. LE COMPORTEMENT D'ORIENTATION A GRANDE DISTANCE DES

3.2. Contexte de l'étude

3.2.1. Les tortues marines

3.2.1.2. Comportement d'orientation et capacités sensorielles

Grâce à la méthode de suivi d'individu par satellite, il est possible d'observer des trajets de tortues marines et d'étudier leur comportement d'orientation à grande distance en milieu naturel (voir les synthèses de Luschi et al. 2003b et Plotkin et al. 2003). Les tortues adultes mâles ne montant jamais sur des plages, les marquages d'adultes concernent principalement des tortues femelles, accessibles durant leurs courtes présences sur des plages de pontes.

Des suivis de trajets migratoires en fin de saison de reproduction ont montré que les tortues marines font preuve de remarquables capacités d'orientation pour rejoindre leur site d'alimentation : de jour comme de nuit et quelles que soient les conditions météorologiques, elles sont capables de maintenir un cap durant des centaines de kilomètres en s'éloignant peu d’un trajet en ligne droite (Balazs 1994, Papi et al. 1995, Luschi et al. 1996, Hughes et al. 1998, Luschi et al. 1998). Pour comprendre le comportement d'orientation des tortues marines, des expériences de retour au gîte ont aussi été réalisées : des femelles ont été déplacées de leur site de ponte et relâchées le long des côtes ou à quelques kilomètres de celles-ci (Luschi et al. 1996, Papi et al. 1997) ou bien en mer, à des distances comprises entre quelques dizaines et plusieurs centaines de kilomètres (Papi et al. 1997, Luschi et al. 2001, Hays et al. 2003). Les résultats obtenus indiquent que les tortues déplacées le long des côtes ou à proximité sont capables de rejoindre rapidement

leur site de ponte ; parmi les tortues relâchées au large, seulement certaines d'entre elles sont parvenues à revenir sur leur site de ponte, au terme de trajets plus ou moins bien orientés.

Ces observations rendent compte de capacités d'orientation dans deux contextes bien différents : dans le cas des migrations naturelles entre sites d'alimentation et de reproduction, il s'agit de naviguer entre deux sites connus, envers lesquels les individus d'une population font preuve d'une forte fidélité. Le retour d'une tortue après déplacement expérimental suppose qu'elle puisse s'orienter vers son site de ponte à partir d'un endroit inconnu a priori. Des hypothèses d'orientation peuvent donc expliquer les capacités d'orientation observées dans un contexte de navigation mais pas dans l'autre. Lors de migrations naturelles entre site de reproduction et site d'alimentation, les tortues pourraient suivre un cap codé génétiquement ou appris au cours de leurs précédents déplacements (navigation vectorielle). Cela suppose qu'elles possèdent une boussole biologique (solaire ou magnétique par exemple), ce qui est vraisemblablement le cas. En effet, des travaux réalisés en milieu expérimental ont montré que les très jeunes tortues caouannes et luths (Dermochelys coriacea) sont capables de s'orienter grâce à l'angle d'inclinaison d'un champ magnétique (Lohmann 1991, Light et al. 1993). Cette boussole biologique serait acquise très tôt après l'émergence des jeunes tortues, durant les premières minutes de nage alors que les tortues choisissent une direction préférentielle grâce à la direction des vagues (Lohmann &

Lohmann 1996a, Goff et al. 1998). De plus, en simulant en bassin des intensités géomagnétiques correspondant à différentes localisations sur la route migratoire dans l'Atlantique Nord de tortues caouannes juvéniles, Lohmann & Lohmann (1996b) ont observé des directions de nage qui, en milieu naturel, auraient permis aux tortues de se maintenir sur leur route de migration, dans le gyre inter-tropical de l'Atlantique Nord. Ce résultat montre que le champ géomagnétique peut fournir des informations directionnelles aux tortues marines et que ces dernières sont capables de percevoir des différences d'intensité. L'hypothèse d'une navigation vectorielle pourrait donc expliquer les trajets migratoires naturels observés ; en revanche, elle n'explique pas la capacité de femelles déplacées expérimentalement à revenir sur leur site de ponte à partir de différents endroits.

Lorsque les tortues naviguent le long des côtes, elles peuvent se guider grâce à des repères terrestres ou bathymétriques (Luschi et al. 1996, Timko & Kolz 1982). En revanche, elles n'ont pas accès à ces informations durant leurs migrations transocéaniques. Outre la navigation vectorielle, en absence de repère visuel, les deux hypothèses d'orientation

proposées sont l'intégration de trajet et la navigation basée sur un ou plusieurs champs de gradients (cf. § 1.2.1.2). L'intégration de trajet est un processus de navigation qui consiste à mettre à jour régulièrement l’emplacement de son point de départ en fonction de sa propre position, en intégrant les informations de rotations et de translations sur son propre déplacement collectées en route (cf. § 1.2.1.2.1). Il s'agit d'un processus récurrent, donc particulièrement sensibles aux erreurs d'estimation. De ce fait, il n'est probablement efficace que pour des déplacements de courte durée. Or, les trajets migratoires entre zone d'alimentation et site de reproduction durent souvent plusieurs semaines. De plus, alors que les délais entre trajets aller et retour doivent être relativement courts, cela n'est pas le cas pour les tortues marines adultes, les délais entre migrations étant compris entre quelques semaines pour une femelle en période de ponte et quelques années entre deux saisons de reproduction. En outre, comme l'intégration de trajet consiste à acquérir des informations au court du trajet aller pour effectuer le trajet retour, un animal déplacé passivement d'un site attractif et privé d'informations extérieures durant le transport n'est pas en mesure de retrouver cet endroit rapidement s'il utilise ce processus de navigation. Or, des expériences de retour au gîte réalisées au large (Luschi et al. 2001, Hays et al. 2003) ont montré que certains individus étaient capables de retrouver leur site de ponte. Si ce mode de navigation est peut être ponctuellement utilisé, les tortues recourent probablement à d'autres processus d'orientation.

L'hypothèse d'une orientation à grande distance basée sur des champs de gradients pourrait expliquer la capacité des tortues marines à migrer périodiquement vers des sites de reproduction isolés. Puisque les jeunes tortues marines perçoivent les variations d'inclinaison et d'intensité du champ géomagnétique, ces deux champs de gradients semblent de bons candidats pour constituer une grille de coordonnées sur laquelle chaque site serait caractérisé par un couple de valeurs uniques. Des tortues vertes immatures, prélevées sur leur site d'alimentation et exposées dans une arène à des champs magnétiques équivalents à ceux rencontrés au nord et au sud du site de capture, nagent respectivement vers le sud et le nord, c'est à dire dans la direction leur site d'alimentation (Lohmann et al.

2004). Les auteurs concluent donc sur l'utilisation d'une carte géomagnétique permettant aux tortues vertes de localiser leur emplacement par rapport à celui d'un but et fournissant une ou deux coordonnée(s) (la seconde pouvant être déduite de l'environnement direct, comme par exemple le contour de côte). Nous verrons en discussion qu'il existe une interprétation plus parcimonieuse de ce résultat. Cepeandant, retenons ici que cette

expérience confirme la possibilité que le champ magnétique terrestre puisse d'être utilisé par les tortues marines pour estimer la direction d'un but. Papi et al. (2000) ont testé cette hypothèse avec des tortues vertes en milieu naturel, entre l'île d'Ascension et le Brésil. Dans cette zone, les directions des gradients d'intensité et d'inclinaison géomagnétique sont très différentes ; il s'agit donc d'un contexte idéal pour étudier la navigation par champs de gradients géomagnétiques (Lohmann & Lohmann 1996a). Dans cette expérience, les auteurs ont perturbé le champ magnétique autour de quelques tortues vertes femelles à l'aide de puissants aimants fixés sur la tête. Ils ont ensuite suivi les trajets migratoires de l'île d'Ascension vers la côte brésilienne et n'ont observé aucune différence significative entre les trajets des tortues perturbées et les trajets des tortues témoins. Les auteurs concluent que les informations géomagnétiques ne sont pas strictement nécessaires pour que les tortues rejoignent la côte brésilienne. L'hypothèse d'orientation à grande distance grâce à des champs de gradients suppose qu'un animal déplacé loin de son site de ponte (par exemple) soit capable d'y revenir à partir de n'importe quel endroit. Or, si certaines tortues déplacées de l'île d'Ascension sont revenues sur l'île, d'autres n'en ont pas été capables : après une recherche infructueuse, elles ont migré vers un site d'alimentation sur la côte brésilienne (cf. Luschi et al. 2001, Hays et al. 2003).

Une dernière hypothèse, également basée sur des champs de gradients mais restreinte à une partie de l'environnement, est celle de l'orientation grâce à des informations chimiques caractéristiques du but (i.e. de la plage de ponte ou de la zone d'alimentation), contenues dans les masses d'eau (Koch et al. 1969, Carr 1972, 1984) ou dans l'air (Luschi et al. 2001, Hays et al. 2003) et transportées par les courants ou le vent. Ces hypothèses s'appuient sur la forte sensibilité aux odeurs des tortues marines. En effet, celles-ci sont capables de différencier des composés chimiques à de très faibles concentrations (de l'ordre de 10-5 M, cf. Manton et al. 1979). De plus, au cours de leur incubation et de leur mise à l'eau, elles subiraient une phase d'imprégnation des caractéristiques chimiques de leur site de naissance (Grassman et al. 1984, Grassman & Owens 1987). Des années plus tard, cette empreinte permettrait aux tortues femelles en période de ponte de reconnaître leur plage de naissance.

Toutefois, les expériences de déplacements d'individus réalisées afin de tester l'utilisation d'une plume olfactive sous-marine n'ont, jusqu'à présent, pas permis de conforter cette hypothèse (Luschi et al. 1996, Luschi et al. 2001). En revanche, des travaux récents (Luschi et al. 2001, Hays et al. 2003) menés sur l'île d'Ascension suggèrent que les tortues vertes s'orientent grâce à des informations olfactives provenant de l'île et transportées par le vent.

Si cette hypothèse est susceptible d'expliquer le comportement d'orientation à courte distance des tortues marines, elle paraît moins vraisemblable pour l'orientation à des distances de plusieurs centaines de kilomètres vers une petite île isolée en plein océan.