• Nenhum resultado encontrado

Les cinq approches distinguées précédemment illustrent l'extrême labilité des

« critiques en acte » de l’ordre politique et médiatique dominant à travers la production militante d’instruments d’information et de communication qui entendent instaurer une rupture avec les pratiques dominantes. Cette hétérogéneité est en rapport étroit avec la multiplicité des définitions existantes du terme de « média alternatif » et ses équivalents, dont on a vu le caractère fortement polysémique et normatif86. Pour éviter les différents biais mentionnés, je propose, dans la continuité de récents travaux de John Downing, de distinguer par souci de clarification entre l’expression indigène de « média alternatif » et celle, plus à même de contribuer à l’objectivation sociologique du phénomène, de « médias des mouvements sociaux »87. Cette expression permet, en effet, une rupture épistémologique plus efficace avec les croyances des acteurs, et évite les présupposés normatifs du syntagme

« média alternatif ». Ce dernier tend à considérer comme acquis (au lieu de la prendre comme objet d’étude) la croyance indigène dans l’existence d’une différence ontologique entre ces médias et les médias conventionnels. L’expression « médias des mouvements sociaux » renvoie au fait, plus facilement vérifiable par l’observation empirique, que ces médias sont produits par et pour des groupes contestataires de caractère extra-parlementaire, qui revendiquent publiquement une transformation de tout ou partie des règles du jeu politique. Je considère que ce terme ne s’applique pas de façon universelle et uniforme à l’ensemble des médias auxquels renvoie l’expression de « médias alternatifs », mais à une partie d’entre eux seulement : ceux qui sont produits pour et par des acteurs de mouvements sociaux. Je propose

86 Lors de mes recherches bibliographiques, j’ai comptabilisé une cinquantaine d’adjectifs différents utilisés pour les désigner. Ces termes désignent des médias de nature très différente. En voici la liste par ordre alphabétique: Alternatif, Amateur, Autonome, Base (de la), But non lucratif (à), Citoyen, Clandestin, Communautaire, Contre-information (de), Diasporique, Dissident, Educatif, Ethnique, Libre, Indépendant, Indigène, Insurrectionnel, Jeune, Local, Marginal, Micro- média, Militant, Minorités (des), Mouvements sociaux (des), Multi-culturel, Opposition (d'), Parallèle, Participatif, Pirate, Politique, Populaire, Protestataire, Radical, Rebelle, Résistant, Révolutionnaire, Rue (de la), Rural, Société civile (de la), Subversif, Syndical, Tactique, Tiers secteur (du), Underground, Travailleurs (des).

87 Downing J. D. H., « Social movement theories and alternative media », Communication, Culture & Critique 1/1, 2008, p.

40-50. Voir également sous la direction du même auteur : Encyclopedia of Social Movement Media, Sage Publications, Reference, Thousand Oaks, London, New Delhi, Singapore, 2010.

donc cette définition des médias des mouvements sociaux, dont les différents termes font l’objet d’une explication plus détaillée dans les pages qui suivent, comme des technologies sociales d’information et de communication mobilisées par des entrepreneurs de problèmes publics occupant des positions sociales relativement dominées. Ces instruments, utilisés dans des conditions d’autonomie partielle, sont destinés à offrir un contrôle des messages que les mouvements sociaux souhaitent diffuser dans l’espace public. Cette définition repose sur une série de concepts analytiques tirés principalement de la sociologie, des sciences de l’information et de la communication et de la science politique, que je présente ici en trois temps : les « technologies sociales d’information et de communication » ; les « entrepreneurs de problèmes publics » ; les « positions sociales dominées ».

Des technologies sociales d’information et de communication

La réduction des « médias alternatifs » à se simples instruments techniques d’information et de communication constituerait une erreur d’analyse. Le politiste français Alain Garrigou suggère dans une analyse des effets sociaux de l’instrumentation du vote en France à travers des procédures concrètes, en particulier la mise en place du dispositif de l’isoloir en 1913, qu’il est nécessaire de rapporter les instruments techniques à des relations sociales88. Il s’agit donc de faire passer l’analyse des « médias » d’une approche de sens commun essentiellement fondée sur une vision instrumentale des instruments (selon laquelle ils ne seraient que des outils neutres de l’expression d’opinions pré-constituées89), à une approche qui leur donne un statut d’objet politique et une fonction d’objectivation de relations sociales et politiques historiquement situées. Ce changement de problématique replace au centre de l’étude du phénomène les relations structurées entre les groupes qui produisent ces médias et ceux qu’ils médiatisent, qu’il s’agisse des relations relativement symétriques avec les groupes dominés qu’ils « équipent » en technologies médiatiques, ou des relations relativement asymétriques avec les groupes dominants de l’establishement politique et médiatique.

La question est de savoir si le processus de division du travail de médiatisation des mouvements sociaux contribue à produire de nouveaux rôles différenciés pour les militants, et si cette différenciation a des effets sur la production et la diffusion des messages. De nombreuses études suggèrent, en effet, que les « médiateurs » ou les « intermédiaires culturels » (comme les experts, les journalistes, les traducteurs) ne sont jamais de simples agents neutres de transmission des messages. Au contraire, ils participent toujours d’un processus de décodage et de recodage qui leur octroît certains avantages (par exemple professionnels, financiers ou symboliques), mais qui leur impose en retour une série de

88 Garrigou A., « La construction sociale du vote. Fétichisme et raison instrumentale », Politix, 22, 1993, p. 5-42.

89 C’est ce que suggère la première partie de la définition du terme « média » de R. Rieffel.

30

contraintes (par exemple des normes de comportements ou de discours adaptés à leurs différents interlocuteurs)90.

C’est dans cette perspective, par exemple, que le chercheur britannique Chris Atton insiste fortement sur la nécessité de distinguer les attitudes politiques des positions sociales des différents acteurs qui participent à l’économie de production et de diffusion des médias alternatifs (rédacteurs, éditeurs, imprimeurs, distributeurs, libraires, lecteurs, etc.)91. Cette distinction permet, en effet, d’éviter d’aborder ces médias comme de simples instruments techniques de diffusion de savoirs et de savoirs-faire politiques contestataires. Il s’agit de les considérer comme des micro-univers sociaux dans lesquels non seulement des savoirs et savoirs-faire sont produits et circulent, mais qui favorisent des interactions et des synergies concrètes entre leurs producteurs et leurs récepteurs. L’auteur emprunte ici le concept de

« champ de production culturelle » à P. Bourdieu pour désigner ce jeu de relations où les médias alternatifs permettent des modes d’acquisition « hérétique » du capital culturel, et la formation autodidacte d’intellectuels critiques que leur habitus rend particulièrement peu disposés à accepter sans résistance les normes de classement et de perception dominantes du monde social92. La résistance symbolique des « médiactivistes » peut ainsi se manifester par des ruptures avec les manières socialement normales de faire fonctionner un « média » (absence de rédacteur en chef, pas de publicité, pas de salariés, styles rédactionnels hors- normes, etc.), ou encore des pratiques contestataires qui s’apparentent à des formes

« d’exercice illégal » de la politique ou du journalisme (graffitis, occupations de l’espace public, usage de l’insulte ad hominem dans les publications, etc.).

90 Osborne T., « On mediators : intellectuals and the ideas trade in the knowledge society », Economy and society, 33/4, 2004, p. 430-447, Mellor N., « Arab journalists as cultural intermediaries », The International Journal of Press/Politics, 13, 2008, p. 465-483, Heilbron J., Sapiro G., « La traduction littéraire, un objet sociologique », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 144, septembre 2002, p. 3-5.

91 Atton C., Alternative… op. cit.

92 Bourdieu définit les « champs » comme des petits univers sociaux (microcosmes) à l’intérieur du grand monde social (macrocosme), par exemple le champ politique, le champ religieux ou le champ scientifique. Un champ fonctionne « à la fois comme un champ de forces, dont la nécessité s'impose aux agents qui s'y trouvent engagés, et comme un champ de luttes à l'intérieur duquel les agents s'affrontent, avec des moyens et des fins différenciés selon leur position dans la structure du champ de forces, contribuant ainsi à en conserver ou à en transformer la structure » (Bourdieu P., « Espace social… », op.

cit., p. 55). Les rapports de forces entre les agents qui structurent un champ social dépendent du volume et de la structure de leur « capital », un concept qui ne se limite pas au « capital économique », mais définit une relation sociale structurée par les propriétés sociales des agents, comme le sexe, l’âge, le statut matrimonial, la résidence, etc. Pour éviter une interprétation réifiée de ce concept, qui se veut relationnel et dispositionnel, l’auteur précise : « le capital étant un rapport social, c’est-à- dire une énergie sociale qui n’existe et ne produit ses effets que dans le champ où elle se produit et se reproduit, chacune des propriétés attachées à la classe reçoit sa valeur et son efficacité des lois spécifiques de chaque champ : dans la pratique, c’est- à-dire dans un champ particulier, toutes les propriétés incorporées (dispositions) ou objectivées (biens économiques ou culturels) qui sont attachées aux agents ne sont pas toujours simultanément efficientes ; la logique spécifique de chaque champ détermine celles qui ont cours sur ce marché, qui sont pertinentes et efficientes dans le jeu considéré, qui, dans la relation avec ce champ, fonctionnent comme capital spécifique et, par là, comme facteur explicatif des pratiques » (Bourdieu P., « L’espace social et ses transformations », in La distinction… op. cit., p. 127.). Le concept « d’habitus », enfin, désigne un principe générateur « de pratiques distinctes et distinctives – ce que mange l’ouvrier et surtout sa manière de le manger, le sport qu’il pratique et sa manière de le pratiquer, les opinions politiques qui sont les siennes et sa manière de les exprimer – diffèrent systématiquement des consommations ou des activités correspondantes du patron d’industrie ; mais ce sont aussi des schèmes classificatoires, des principes de classement, des principes de vision et de division, des goûts, différents. Ils font des différences entre ce qui est bon et ce qui est mauvais, entre ce qui est bien et ce qui est mal, entre qui est distingué et ce qui est vulgaire, etc., mais ce ne sont pas les mêmes. Ainsi, par exemple, le même comportement ou le même bien peut apparaître distingué à l’un, prétentieux ou m’as-tu vu à l’autre, vulgaire au troisième » (Bourdieu P., « Espace social et espace symbolique », Raisons pratiques… op. cit., p. 23).

Que signifie maintenant la désignation de médias de mouvements sociaux, et quel en est l’intérêt sur un plan analytique ? Les mouvements sociaux désignent, selon une définition classique, « une série d’opinions et de croyances dans une population qui représente des préférences pour le changement de certains éléments de la structure sociale et/ou de la distribution des récompenses d’une société »93. Il s’agit d’une forme particulière « d’action collective » (au sens où toute action collective ne prend pas la forme d’un « mouvement social »94).

La plupart des travaux sociologiques sur les mouvements sociaux ont souligné le rôle de l’information et la communication dans leur genèse et leur développement. Ainsi, pour le politiste Karl Deutsch, une société en voie de mobilisation (phase préalable, dans sa perspective, à l’apparition de mouvements sociaux) se caractérise par une communication des idées plus rapide, des contacts plus fréquents et plus nombreux, y compris entre des individus qui ont peu de chances habituellement de se rencontrer, parce qu’ils occupent des niveaux hiérarchiques ou des espaces géographiques éloignés95. De même, selon la théorie des

« nouveaux mouvements sociaux », la principale différence entre la phase industrielle du capitalisme et sa phase « post-industrielle » (caractéristique de la période des « trente glorieuse ») réside dans le fait que la production n’est plus seulement tournée vers la transformation de la nature, mais de plus en plus vers la production des rapports sociaux et la production d’identités. Il ne s’agit pas de considérer que la société est le résultat de ses propres décisions, mais qu’elle n’est pas non plus que reproduction ou adaptation : elle serait aussi création, production d’elle-même96. Cette transformation confèrerait aux mouvements sociaux et aux médias d’information un rôle crucial, dans une société qui peut agir sur les rapports de classes qui la constituent, pour en réduire l’emprise et en contrôler la reproduction97. Enfin, dans la sociologie anglo-saxonne des mouvements sociaux, qui domine aujourd’hui ce sous-champ disciplinaire, rares sont les études qui ne mentionnent pas directement ou indirectement le rôle des médias dans la genèse et la conduite des mouvements sociaux : ils contribuent à ouvrir ou fermer la « structure des opportunités politiques » selon la couverture plus ou moins ample et favorable qu’ils donnent des revendications et actions d’un mouvements98 ; la prise en compte de la contrainte médiatique est désormais partie intégrante du travail militant de définition des « cadres de mobilisation collective »99 ; et la plupart des mouvements sociaux disposent aujourd’hui d’un « répertoire d’action médiatique ».

93 McCarthy J. D., Zald M. N., « Resource Mobilization and Social Movements: A Partial Theory », American Journal of Sociology, 82, 1977, p. 1212-1241.

94 Melucci A., « Société en changement et nouveaux mouvements sociaux », Sociologie et Société, 10/2, 1978, p. 37-53.

95 Cité in Boudon R., Bourricaud F., « Mouvements sociaux », in Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, PUF, 1982, p.

408-409.

96 Touraine A., Production de la société, Paris, Seuil, 1973, p. 30-34.

97 Touraine A., « Société en changement et nouveaux mouvements sociaux », Sociologie et Société, 10/2, 1978, p. 47.

98 Le concept de « structure des opportunités politiques » désigne l’ensemble des facteurs externes à un mouvement social qui favorisent (structure ouverte) ou freinent (structure fermée) l’émergence de mobilisations collectives (Mathieu L., « Contexte politique et opportunités », in Fillieule O. et al., Penser les mouvements sociaux… op. cit., p. 39-54).

99 Le concept de cadre de mobilisation rend compte des « schèmes d’interprétation qui permettent à des individus de localiser, percevoir, identifier et étiqueter des événements dans leur espace quotidien et le monde en général, et qui contribuent à les guider dans leurs actions et dans leurs interactions » (Contamin J.-G., « Cadrages et luttes de sens », in ibid., p. 55-75).

32

Ce dernier concept me semble ici particulièrement utile pour établir une distinction analytique, qui structurera la thèse, entre deux phénomènes à la fois distincts et imbriqués : la médiatisation d’un mouvement social (c’est-à-dire le fait que des médias d’information conventionnels publient des informations sur un mouvement social), et les médias d’un mouvement social (c’est-à-dire le fait pour un mouvement social de produire ses propres instruments d’information). Un répertoire d’action collective désigne en effet chez le sociologue et historien étasunien Charles Tilly « des moyens d’agir en commun sur la base d’intérêts partagés », comme la manifestation, la grève, l’occupation de locaux, etc.100 Or, comme l’indique la conclusion de son étude La France conteste de 1600 à nos jours, les médias jouent un rôle croissant dans le répertoire d’action des mouvements sociaux. La politiste française Sylvie Ollitrault en vient ainsi à définir les deux volets dominants d’un

« répertoire médiatique », un terme qui désigne « le répertoire composé des formes d’action destinées à attirer les médias ou celles visant à construire ses propres moyens de communication »101. Pour elle, « les deux registres se complètent tout en ayant chacun ses caractéristiques singulières. Le premier s’efforce d’utiliser les médias existants, en jouant sur la connaissance des dynamiques de production de l’information. Le second permet de mieux maîtriser la production de message, de chercher à maîtriser davantage la réception en l’anticipant ». Cette distinction permet à la fois de saisir relationnellement l’un des enjeux politiques que constituent les « médias alternatifs » pour les mouvements sociaux et, pour reprendre une expression d’E. Neveu, de contribuer à « casser la perception d’une relation duale entre médias et mouvements sociaux »102.

Des entrepreneurs de problèmes publics

L’expression « entrepreneurs de problèmes publics » a également pour objectif de replacer l’étude des stratégies médiatiques des mouvements sociaux dans une problématique plus sociologique. Elle se situe à la croisée de trois courants d’analyse. Le premier courant est l’analyse wébérienne de l’Etat comme « entreprise politique »103, qui a été utilisée par des chercheurs pour décrire d’autres organisations politiques comme des partis ou des groupes d’intérêt104.

La seconde approche est la sociologie de la déviance d’Howard Becker. Ce sociologue cherche à comprendre les effets des luttes engagés par des « entrepreneurs de morale » contre des groupes « déviants » (fumeurs de marijuana ou joueurs de jazz de clubs nocturnes). Il montre que c’est moins la nature des activités « déviantes » qui conduit à leur condamnation morale, que les activités mêmes de normalisation des groupes dominants, qui contribuent à

100 Tilly C., La France conteste de 1600 à nos jours, trad. Eric Diacon, Paris, Fayard, col. L’espace du politique, 1986). Je reviendrai ultérieurement sur ces concepts.

101 Ollitrault S., « De la caméra… », op. cit., p. 159.

102 Neveu E., « Médias, mouvements… », op. cit., p. 38.

103 Weber M., Le savant et le politique, Paris, Plon, 1919.

104 Offerlé M., Sociologie des groupes d'intérêt, Paris, Montchréstien, 1994, Sociologie des organisations patronales, Paris, La Découverte, Repères, 2009.

« étiqueter » les premières comme déviantes105. L’intérêt de cette approche est de permettre un saut qualitatif à l’analyse, en opérant un renversement de la vision de sens commun, selon laquelle les motivations (ou inclinations) des acteurs déviants permettraient d’expliquer leurs comportements déviants. Pour H. Becker, à l’inverse, « ce ne sont pas les motivations déviantes qui conduisent au comportement déviant mais, à l’inverse, c’est le comportement déviant qui produit, au fil du temps, la motivation déviante »106. Pour expliquer ce paradoxe, il montre que le processus d’étiquetage de pratiques comme déviantes contribue à la formation de « sous-cultures déviantes »107. La particularité des groupes qui participent à ces sous-cultures est que les comportements de leurs membres (comme la consommation de drogue par exemple) rendent inopérants les contrôles sociaux exercés par les entrepreneurs de morale pour les limiter ou les éradiquer.

La troisième approche sur laquelle se fonde le concept d’entrepreneur de problème public est la sociologie constructiviste des problèmes publics. Inspirée des travaux de Becker, ces travaux cherchent à montrer qu’un « problème public » (par exemple l’alcool au volant, la violence à la télévision, la faim dans le monde, etc.)108 n’est pas socialement donné mais construit. Ces recherches montrent qu’un problème social n’accède pas mécaniquement au statut de problème de société (relayé par des représentants politiques ou les médias d’information par exemple) en raison de sa gravité objective, mais à la suite de mobilisations de groupes sociaux et de la construction d’un discours permettant d’identifier un problème, de désigner ses responsables et de proposer des solutions109. En ce sens, l’intérêt d’utiliser le concept d’entrepreneur de problème public pour analyser les médias des mouvements sociaux est de chercher à comprendre le rôle qu’ils jouent dans l’essor et le déclin de certains problèmes dans différentes « arènes publiques »110. Comment les « médiactivistes » s’y prennent-ils pour construire un discours revendicatif susceptible d’être repris par d’autres acteurs ? Certains sont-ils conduits dans ce processus à occuper des « niches » (au sens des économistes) dans le marché très concurrentiel des problèmes publics, et endosser un rôle de

105 La thèse défendue par Howard Becker est que « les groupes sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la transgression constitue la déviance, en appliquant ces normes à certains individus et en les étiquetant comme déviants. De ce point de vue, la déviance n’est pas une qualité de l’acte commis par une personne, mais plutôt une conséquence de l’application, par les autres, de normes et de sanctions à un ‘transgresseur’. Le déviant est celui auquel cette étiquette a été appliquée avec succès et le comportement déviant est celui auquel la collectivité attache cette étiquette » (Becker H.

Outsiders… op. cit., p. 32-33).

106 Ibid., p. 64.

107 Définies comme un « ensemble d’idées et de points de vue sur le monde social et sur la manière de s’y adapter, ainsi qu’un ensemble d’activités routinières fondées sur ces points de vue » (ibid., p. 61).

108 E. Neveu définit un problème public comme « la transformation d’un fait social quelconque en enjeu de débat public et/ou d’intervention étatique. Du plus tragique au plus anecdotique, tout fait social peut potentiellement devenir un ‘problème social’ s’il est constitué par l’action volontariste de divers opérateurs (presse, mouvements sociaux, partis, lobbies, intellectuels…) comme une situation problématique devant être mise en débat et recevoir des réponses en termes d’action publique (budgets, réglementation, répression…) » (Neveu E. « L’approche constructiviste des ‘problèmes publics’. Un aperçu des travaux anglo-saxons », Etudes de communication, 22, 1999, p. 41).

109 Felstiner W. F., Abel R., Sarat A., “The emergence and transformation of disputes: naming, blaming, claiming”, Law and Society Review, 15, 1980, p. 630-654.

110 Une arène publique désigne un système organisé d’institutions, de procédures et d’acteurs dans lequel des forces sociales peuvent se faire entendre, utiliser leurs ressources pour obtenir des réponses politiques ou juridiques aux problèmes qu’elles soulèvent (Hiltgarner S., Bosk C., « The rise and fall of social problems: a public arenas model », American Journal of Sociology,, 94/1, juillet 1988, p. 53-78). Les arènes publiques sont donc à la fois des espaces de mise en visibilité et de traitement d’un dossier considéré comme un problème social, et elles reposent sur des processus de conversion de ressources (Neveu E., Sociologie des mouvements… op. cit., p. 17).