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Une étude de María Inclán409 fournit une illustration visuelle du déclin relatif du niveau d’activité des militants néozapatistes au Chiapas entre 1994 et 2003, comme l’indique la courbe ci-dessous. L’auteur a calculé, à partir du quotidien national mexicain La Jornada, le nombre d’actions

protestataires au Chiapas, en distinguant cinq types d’actions : les blocages de routes (roadblocks), les invasions de champs (invasions), les manifestations (marches), les meetings (meetings), les expropriations (seizures), les sit-in et grèves (sit-in/strikes)

409 Inclán M., « Sliding Doors… », op. cit.

Le tableau ci-dessous présente un récapitulatif des trois grands cycles de mobilisation du Néozapatisme au Chiapas, présentés dans cette section, entre la formation de l’EZLN en 1983 et la fin de l’Autre Campagne en 2006. Les principales idées-forces qui dominent le cadre de mobilisation sont distinguées à chaque fois : révolution (1983-1994), démocratie (1994-2001), autonomie (2001-2006).

Les trois cycles de la mobilisation néozapatiste (1983-2006)

1980-1983 Sélection des guérillas urbaines pour former l’EZLN 1983 Implantation du FLN au Chiapas, création le 17 novembre de

l’EZLN

1984-1985 Apprentissage de la vie dans la jungle

1985-1990 Premiers contacts avec communautés indigènes et recrutement.

Expansion de l’organisation

1990-1992 Expansion explosive avec dégradation des conditions politiques et économiques des communautés au début des années 1990 1993 Préparation de la guerre dans les communautés de base de l’EZLN,

Fin 1993 Préparatifs finaux de la guerre

1. REVOLUTION (1983-1994)

Début 1994 Soulèvement armé le 1er janvier. Première déclaration de la forêt Lacandone. Cessez-le-feu le 12 janvier

1994 Négociations avec le gouvernement (février/mars). Deuxième déclaration (juin). Convention nationale démocratique (août). Prise

de nouvelles municipalités (décembre)

1995 Troisième déclaration (janvier). Opération militaire contre les bases zapatistes (février). Poursuite des négociations de paix 1996 Quatrième déclaration (janvier) Accords de San Andrés (février).

Rencontres continentales (avril) puis intercontinentale (juillet) pour l’humanité et contre le néolibéralisme

1997 Massacre d’Acteal (22 décembre)

1998 Cinquième déclaration (juillet). Silence 1999 Consultation nationale 2,5 millions de réponses

2000 Déclaration néozapatiste invitant à une reprise du dialogue avec le gouvernement suite à la victoire de Vicente Fox (PAN)

2. DEMOCRATIE (1994-2001)

2001 Marche sur México pour la dignité indigène

2002 Silence relatif. Prises de position de Marcos sur le conflit basque 2003 Naissance des Caracoles et des Conseils de Bon Gouvernement –

Plan La Realidad-Tijuana (9 août) 2004 Campagne 20 & 10 (1er janvier) 2005 Sixième déclaration de la forêt lacandone

3. AUTONOMIE (2001-2007)

2006 Autre Campagne (janvier). Soutien aux mobilisations d’Atenco (mai) et Oaxaca (juillet-novembre). Rencontre internationale au

Chiapas (décembre 2006/janvier 2007).

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B/ Les intellectuels et universitaires dans les luttes politique de classement du néozapatisme

Pour saisir pleinement la dimension construite des représentations collectives du mouvement néozapatiste, et les effets de légitimation ou de délégitimation du mouvement produites par ces représentations, les deux points suivants proposent une réflexion sur le rôle d’intellectuels de gauche et d’universitaires dans la construction d’une image favorable des insurgés. Comme le suggère Clifford Bob dans son étude sur l’essor international du néozapatisme, ces derniers ont en effet joué un rôle de matchmakers dans les luttes de légitimation nationale et internationale menées par le mouvement410.

Un classeur inclassable : la thèse de l’indéfinition du mouvement et ses bénéfices symboliques

Depuis le 1er janvier 1994, le mouvement néozapatiste est l’objet de multiples « luttes de classement »411 de la part d’observateurs et de commentateurs variés, qu’ils soient journalistes, militaires, experts en contre-insurrection, professionnels d’ONG, travailleurs sociaux, acteurs politiques, hommes d’Eglise, ou universitaires412. L’Armée Zapatiste de Libération Nationale est-elle, comme l’affirment les représentants du gouvernement, l’armée, ou les opposants locaux réunis dans le groupe des Coletos Auténticos, une guérilla marxiste- léniniste classique, organisée clandestinement autour de strictes hiérarchies militaires, dans laquelle une poignée de révolutionnaires professionnels, venus de l’étranger, est parvenue, avec l’aide des « prêtres rouges » de l’Eglise locale, à recruter des marginaux déracinés, pas toujours très attachés aux traditions indigènes, et à les convaincre par une série de manipulations habiles, de la nécessité et de la possibilité d’une « libération nationale » par la voie armée, qui viserait le renversement du gouvernement central ? Ou bien le mouvement néozapatiste est-il, comme le soutiennent les sympathisants de l’EZLN, cette organisation populaire sans précédent ni équivalent, composée de paysans indigènes, issus de communautés pauvres du Chiapas, opprimés par le système politique et économique néolibéral, qui décident de prendre les armes pour se faire entendre, de s’auto-organiser et de revendiquer, dans une utopie en acte qui ne peut se réaliser pleinement qu’au sein d’un Etat- nation démocratique, l’identité indigène, la participation et l’autonomie, l’égalité homme- femme, le respect de la nature, et un monde plus respectueux et solidaire ?

Les Néozapatistes, ou du moins leurs représentants, ont généralement répondu aux exégèses savantes dont ils étaient l’objet en se classant comme inclassables, avec ce sens du

410 Pour rappel, chez C. Bob les matchmakers sont des acteurs tels que des missionnaires ou des universitaires qui peuvent assurer un mouvement de leur soutien et lui apporter leur crédit, ce qui peut avoir des conséquences sur la décision des gatekeepers (Bob C., The Marketing… op. cit., p. 19).

411 Les luttes de classement renvoient au travail de représentation des groupes sociaux qui construisent des catégories de perception et d’évaluation d’eux-mêmes et des autres agents, visant à « imposer leur vision des divisions du monde social et de leur position dans ce monde » (Bourdieu P., « Espace social et genèse des ‘classes’ », in Langage… op. cit., p. 307).

412 La diversité des points de vue qui s’expriment en 1994-1995 dans l’espace public mexicain est dépeinte avec précision in Flores G., « Voces y susurros » La seducción… op. cit.

paradoxe qui caractérise les écrits du « Sous-Commandant Marcos ».A la question sérieuse que lui pose le sociologue français Yvon Le Bot en 1996 sur la définition du néozapatisme (« pas seulement un mouvement social, plus une guérilla orthodoxe, pas non plus un parti politique, on peut dire que vous êtes un mouvement politique sans être rien de tout ça… ? »), Marcos répond de façon iconoclaste : « nous, on dit qu’on est un joyeux bordel ! »413. Cette rationalisation pratique du modèle de l’anarchie organisée, qui conduit à une définition du néozapatisme par son indéfinition, est reprise en 1999 par le même sociologue, à son tour questionné sur le néozapatisme : « coller une étiquette sur les Zapatistes est une façon de les objectiver […]. Je préfère de pas les mettre en formule, ce serait une façon de les enfermer dans une case »414. On peut s’étonner d’une telle position chez un sociologue professionnel et s’interroger sur les raisons de ce refus de catégoriser l’objet. S’explique-t-il par le fait qu’il s’agit d’un mouvement radicalement nouveau dont l’unique étiquette acceptable serait celle

« d’objet politique non identifié »415 ? Ou bien ce sentiment de « jamais vu » résulte-t-il de la réaction d’un observateur complaisant face à un « phénomène stupéfiant »416 ?

Cette thèse de l’indéfinition est en cohérence avec les valeurs de tolérance et d’inclusion défendues dans le discours néozapatiste. Elle reflète également son caractère expérimental et un principe revendiqué d’incertitude, que résume la formule « marcher en questionnant » (caminar preguntando). Pour Alex Khasnabish, un sociologue et anthropologue canadien proche de la gauche radicale, « le néozapatisme n’est pas une idéologie cohérente ; ce n’est pas un ensemble codifié de règles absolues, une plateforme, ou une ligne de parti à laquelle on pourrait adhérer […]. Marcos a appelé le Néozapatisme une ‘intuition’ »417. Il souligne que, dès le départ le mouvement refuse tout avant-gardisme et ne suit pas dans sa genèse une

« pure trajectoire révolutionnaire ». En effet, une place centrale est théoriquement accordée à la démocratie directe, à l’égalité entre les hommes et les femmes418, et un rapport au pouvoir qui vise à « changer le monde sans prendre le pouvoir » en développant les principes d’autonomie, d’ouverture, de liberté et de justice. Le succès du néozapatisme s’expliquerait ainsi par son ethos d’ouverture, et la mise en avant d’un anti-dogmatisme corrélée à une pratique concrète.

Selon Jérôme Baschet « l’indéfinition est la vertu d’un mouvement qui veut être un processus permanent d’auto-transformation »419. Cet auteur montre cependant que le discours idéologique de l’EZLN s’est transformé, depuis sa création en 1983. Au départ, le mouvement

413 Le Bot Y., Marcos S.-C., Le rêve… op. cit., p. 240.

414 Duterme B., « ‘Le néozapatisme… », op. cit.

415 Le jeu de mots « objets politiques non identifiés » (OPNI) renvoie à deux perspectives de recherches complémentaires

« l’étude de pratiques culturelles, et de produits issus de ces pratiques […] dont les visées ne sont pas explicitement politiques, ou de pratiques et de produits politiques saisis autrement que dans leur rapport immédiat à l’officiel du politique » (Constant-Martin D. (dir.), Sur la piste des OPNI (Objets politiques non identifiés), Paris, Karthala, col. Recherches Internationales, 2002, p. 16).

416 Ce terme désigne une situation où « quelque chose se produit ou doit se produire qui amène les observateurs à remettre en cause leur approche générale du cours du monde » (Goffman E., Les cadres… op. cit., p. 37).

417 Khasnabish A., « ’Everything for everyone, nothing for ourselves’. Zapatismo as Political Philosophy and Political Practice », in Zapatistas… op. cit., p. 62-95.

418 Cet aspect constitue une des grandes originalités de l’EZLN dans l’histoire des mouvements révolutionnaires (voir EZLN,

« Loi révolutionnaire sur les femmes », in ¡Ya Basta !, vol. 1… op. cit., p. 36-37)

419 Baschet J., « Une critique en acte des révolutions passées », in La rébellion… op. cit., p. 49-99.

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est dominé par les idées classiques de la gauche révolutionnaire, en particulièrement le castro- guévarisme et le marxisme-léninisme. Mais, à partir de 1985-1987, le mouvement aurait intégré progressivement des éléments de la culture indigène, au contact des communautés autochtones du Chiapas, et de militants de la théologie de la libération. Le néozapatisme serait ainsi une « critique en acte des révolutions passées ». La première critique s’adresse au guévarisme. Les Néozapatistes refusent l’idée selon laquelle les indigènes seraient incapables de s’organiser sans l’appui d’une avant-garde éduquée et politisée. Ils prennent également leurs distances avec la stratégie du « foyer révolutionnaire » (foco) qui mise davantage sur l’organisation militaire que sur l’organisation politique420. La seconde critique s’adresse au léninisme. Les Néozapatistes ne se donnent pas pour objectif la prise du pouvoir d’Etat et refusent la définition du parti prolétarien comme avant-garde ainsi que le concept de dictature du prolétariat. Enfin, la conception néozapatiste de la révolution prend certaines distances avec le marxisme parce que ce dernier reposerait sur une croyance messianique en l’inéluctabilité du « grand soir ». La révolution néozapatiste serait davantage « une révolution qui rend possible les révolutions », autrement dit un mouvement « à partir de » et non d’un « mouvement vers ». Jérôme Baschet souligne néanmoins les limites de cette indéfinition, notamment les risques d’une contradiction croissante entre le néozapatisme militaire, incarné par l’EZLN, et le néozapatisme civil, incarné par les communautés autonomes, le FZLN et les soutiens extérieurs au mouvement. On en verra un exemple très concret dans le chapitre 5, lorsque nous étudierons les conditions dans lesquelles l’EZLN s’est installé sur le campus de l’Ecole Nationale d’Histoire et d’Anthropologie, à Mexico, lors de la marche indigène de mars 2001 : le décalage entre les mesures drastiques de sécurité imposées par le commandement militaire, et les compétences en la matière des enseignants et étudiants, s’est alors manifesté de façon particulièrement concrète421.

De telles définitions comportent néanmoins certaines limites sur un plan sociologique, dans la mesure où elles tendent à faire de l’idéologie une variable indépendante. Elles tiennent ainsi faiblement compte du travail politique dont le cadre de mobilisation néozapatiste est le produit et des facteurs extérieurs (en particulier les interactions avec d’autres groupes) permettant de rendre compte de ce processus de construction. Ces définitions tendent ainsi à occulter le fait que la thèse de l’indéfinition est mobilisée par les Néozapatistes eux-mêmes, dont Marcos, qui use de la malléabilité de l’image du néozapatisme comme d’un instrument d’accumulation de capital politique auprès de groupes de soutiens variés. Comme le souligne Bernard Duterme, « c’est un mouvement briseur d’encerclements et rompu au refus des réductions, un mouvement qui fait preuve d’un art consommé du dépassement »422. La stratégie consistant à laisser ses idées dans une indéfinition relative pourrait apparaître de prime abord comme une source de faiblesse dans un espace politique national où l’occupation

420 Sur la conception guévariste de la guerre de guérilla, voir Vayssière P., « L’échec des guérillas castro-guévaristes », in Les Révolutions d’Amérique latine, Paris, Le Seuil, 2001, p. 173-188, ainsi que l’ouvrage classique : Debray R., Révolution dans la révolution. Lutte armée et lutte politique en Amérique latine, Paris, Maspéro, Cahiers Libres, 98, 1967.

421 Serch S., Imuris V., entretien, 2006.

422 Duterme B., « ‘Le néozapatisme… », op. cit.

d’une position, même dominée, structure des prises de position. Cependant, elle permet premièrement au mouvement de se distinguer et de s’immuniser en partie contre les discours convenus des professionnels de la politique, y compris une certaine « langue de bois » révolutionnaire. Cette stratégie permet en retour d’accumuler un capital de sympathie, auprès d’une grande variété de sympathisants locaux, nationaux et internationaux – y compris des chercheurs universitaires423. A l’égard de cette clientèle militante hétérogène, une définition trop précise de la cause néozapatiste présenterait des menaces de rupture de consensus dans les réseaux de soutien. Les luttes pour l’imposition d’une définition légitime du néozapatisme sont ainsi parties intégrantes de la dynamique de structuration de son capital réputationnel, fondé sur le nécessaire maintien d’une indéfinition relative. A ce titre, les productions savantes qui, paradoxalement, naturalisent la thèse de l’indéfinition, participent indirectement de cette définition.

Cette approche comporte une deuxième limite. Bien que prenant en compte la construction diachronique du discours néozapatiste, notamment la montée en puissance progressive du thème de la lutte contre le néolibéralisme, elle semble attribuer ces changements essentiellement à des facteurs endogènes. La thèse reprend alors indirectement l’analyse proposée par Marcos de l’évolution du « cadre de mobilisation » néozapatiste :

« Le discours zapatiste est très souple, ça lui a permis de tourner, mais aussi de déraper… Au fil du temps, on a incorporé d’autres éléments. Le discours zapatiste de janvier-février 1994, au moment où on se lance au dialogue de la cathédrale, est différent de celui qui apparaît à la Convention [été 1994], ça change encore après la trahison de 1995 [offensive militaire de février], puis au moment de la Consultation nationale et internationale [1996], et c’est encore autre chose dans les contacts internationaux, avec les gens des campements de la paix ou des personnalités internationales. Le langage du néozapatisme devient de plus en plus dense, plus difficile à contrôler, comme s’il y avait, derrière le discours, une logique qui l’entraîne »424.

On peut se demander dans quelle mesure le mouvement néozapatiste, qui, comme tout agent politique, effectue constamment des opérations de classement, de reclassement et de déclassement des groupes qui entrent en relation avec lui (le « mauvais gouvernement » contre « la société civile » par exemple), n’a pas intérêt à se poser comme un classeur inclassable, en partie pour euphémiser les conflits internes et externes qui le structurent, et en partie pour compenser la faiblesse politique par l’originalité des idées.

Un duopole académique : la normativité des luttes entre post-matérialistes et marxistes Les travaux universitaires consacrés au néozapatisme se polarisent autour de quatre enjeux principaux : leurs répertoires d’action collective ; leur rapport à l’Etat et à la politique institutionnelle ; les valeurs et revendications portées par le mouvement ; l’identité des insurgés et la forme de leur organisation ; le rôle joué par ses réseaux de soutiens nationaux et

423 Cette thèse, défendue par Andres Oppenheimer est contestée par Alex Khasnabish. On peut cependant se demander si la position de ce dernier ne relève pas davantage de la proximité de l’auteur aux idées du mouvement, dont il reprend dans ses analyses l’essentiel des cadres de mobilisation (Oppenheimer A., « Guerillas in the Midst », in Hayde T., The Zapatista Reader, New York, Thunder’s Mouth Press, 2002, cité in Khasnabish A., Zapatistas… op. cit.).

424 Le Bot Y., Marcos S.-C., Le rêve…, op. cit.

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internationaux. Ainsi, le mouvement néozapatiste peut être analysé comme un mouvement principalement paysan si l’on considère sa composition, sa structure et ses revendications425, ou comme un mouvement essentiellement indigène, si l’on s’en tient aux résultats politiques de sa lutte426. Mais la question dominante dans les études qui lui sont consacrées semble davantage d’évaluer sa dimension novatrice, une problématique n’évitant pas le double écueil du « jamais vu » et du « toujours ainsi ».

Bernard Duterme distingue ainsi deux courants dominants dans l'analyse universitaire du mouvement néozapatiste427. Le premier courant s’inscrit dans l’analyse des « nouveaux mouvements sociaux » (NMS), et insiste sur le caractère profondément novateur d’un mouvement, parfois qualifié avec enthousiasme de « post-communiste » ou « post- moderne »428. Ainsi pour Yvon Le Bot, l’EZLN est une guérilla de paysans et non une guérilla de professionnels. Les deux axes des revendications néozapatistes seraient l’identité indigène et la démocratie, c’est-à-dire les droits sociaux et culturels et non des droits politiques et la prise de pouvoir429. Pour cesanalystes, il faut prendre au sérieux les discours du mouvement sur son identité et celle de ses ennemis430. L’espagnol Manuel Castells, qui exprime sa sympathie envers les Néozapatistes, adopte une posture d’analyse phénoménologique : « il faut absolument comprendre les mouvements sociaux dans leurs propres termes : ils sont ce qu’ils disent qu’ils sont. Leurs pratiques (et d’abord leurs pratiques discursives) constituent leur autodéfinition »431. On peut cependant se demander dans quelle mesure l’abondante propagande néozapatiste ne contribue pas à submerger les observateurs sous les mots, au risque d’une confusion entre le sens que les acteurs donnent à leur action et leurs pratiques effectives. Si l’analyse doit « laisser parler les objets », pour reprendre une formule de la politiste française Cécile Péchu, la réduction des pratiques aux discours sur les pratiques est problématique. « Quand mon faire consiste à dire, demande Bourdieu, fais-je nécessairement ce que je dis ? »432. Une telle affirmation n’est valable qu’à la seule condition d’ajouter à l’explication les « conditions extérieures » des pratiques, précisément lorsqu’elles

425 Aguilar Sanchez M., « La rébellion du Chiapas », in Mouvements sociaux… op. cit., p. 91-96.

426 Velasco Cruz S., « El movimiento indígena… », in El Movimiento… op. cit., p. 145-171. L’auteur précise que « l’EZLN n’a pas surgi initialement comme un mouvement indigène en ce qui concerne ses demandes ».

427 Duterme, B., « Quelles lunettes… », op. cit.

428 Pour l’anecdote, les sociologues français du même laboratoire de recherche Alain Touraine et Yvon Le Bot se rendent au Chiapas à l’été 1996 lors de la réunion internationale néozapatiste, affichant ouvertement leur sympathie pour le mouvement.

Pour une synthèse sur l’analyse des NMS depuis sa naissance dans les années 1960 voir Neveu E. Sociologie… op. cit. 2002, 66-74. Pour un aperçu des travaux de ce courant en Europe, voir notamment pour l’Italie Melucci A., « Société en changement et nouveaux mouvements sociaux », Sociologie et Société, 10/2, 1978, p. 37-53, pour l’Allemagne Offe C.,

« Challenging the boundaries of institutional politics: social movements since the 60's », in Maier (ed.), Changing the boundaries of the political, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 63-91.

429 Le Bot Y., « Le néozapatisme… », op. cit.

430 Conformément à l’approche d’Alain Touraine qui distingue dans un mouvement social 1/ un principe d’identité, 2/ un principe d’opposition, 3/ un principe de totalité, c’est-à-dire un idéal, un modèle de société ou un objectif sociétal.

431 Il ajoute cependant qu’il est nécessaire de corréler cette analyse de discours des mouvements sociaux avec celle des

« processus sociaux auxquels ils sont associés », mais sans chercher à dévoiler la « vérité » de ces mouvements en révélant leurs « contradictions structurelles ‘réelles’ » (Castells M., « Les zapatistes du Mexique, première guérilla informationnelle », in Le pouvoir de l’identité. L’ère de l’information (1997), Paris, Fayard, 1999, p. 94-107).

432 Bourdieu P., Langage et pouvoir…, op. cit., p. 109. Il ne s’agit pas ici de dire que le « faire » des Néozapatistes consiste uniquement à « dire ».