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Des crises révélatrices des mécanismes de relations entre marchands et pouvoir

No documento Governar a Cidade na Europa Medieval (páginas 195-200)

la Loi musulmane (sharî‘a)60.

Le cadre légal des relations entre les marchands et le pouvoir était donc défini par les traités de paix, et faisait intervenir, selon des configurations variables, différents représentants des communautés latines et du pouvoir sultanien. L’analyse de moments de crise permet cependant de voir que dans les faits ces relations étaient caractérisées par le poids des relations informelles, autant que par celui des règles institutionnelles.

drogmans, qui servaient notamment d’interprètes pour les marchands latins. Parmi les marchands des Pisans bien installés, un certain Pace est en relations avec de puissants marchands tunisois mais aussi avec l’administration almohade, notamment la douane. La chronologie de ces lettres montre d’abord la recherche d’une solution par la voie diplomatique officielle, avec des demandes formulées par la chancellerie à la commune de Pise pour que les pirates soient punis et les victimes indemnisées, comme le prévoient les traités. Devant l’échec de ces démarches, ce sont d’autres acteurs qui entrent en scène, avec des lettres envoyées par des marchands de Tunis à leurs partenaires pisans, notamment Pace, pour leur demander d’intervenir et surtout de revenir à Tunis afin de s’acquitter de leurs dettes et de reprendre leurs affaires commerciales. S’ajoutent à ces démarches les demandes des drogmans aux mêmes marchands pisans. Les drogmans avaient une position intermédiaire dans l’organisation des échanges, car ils dépendaient à la fois du pouvoir, notamment de la douane, et des marchands pisans dont ils tiraient leurs revenus64. Mais il faut souligner que ces lettres, envoyées par les marchands et le drogman, sont rédigées par des scribes de la chancellerie. Même si le style employé et le ton sont différents des lettres officielles, marquées par une rhétorique impériale, elles participent d’une entreprise concertée entre le pouvoir et les marchands visant à résoudre la crise et faciliter le retour des marchands et du commerce65. Il est difficile de suivre les modalités précises de résolution de la crise, dans la mesure où les réponses des Pisans n’ont pas été conservées, mais ce qui est sûr est que très vite le commerce reprend, montrant le succès de ces démarches entreprises par les marchands. À un moment où les relations entre Latins et pouvoir musulman ne sont pas encore complètement institutionnalisées, la résolution de cette crise résulte de l’action conjointe, ou consécutive, d’agents du pouvoir et de marchands auprès à la fois de la Commune et des marchands pisans. La solution adoptée, qui semble marquée par un certain pragmatisme et une souplesse des institutions, a permis ainsi une résolution rapide de la crise.

Le second cas concerne les marchands vénitiens à Alexandrie au début du XVe siècle, étudiés par Georg Christ66. Il développe plusieurs cas de conflits bien documentés par les sources vénitiennes et notamment la correspondance des marchands et du consul Biagio Dolfin. À la différence du cas précédent, la présence vénitienne dans l’Égypte mamelouke est très encadrée par des traités de paix précis et des institutions contrôlées par le pouvoir, tant du côté vénitien avec le consulat, que du côté mamelouk avec la douane. Dans les années 1420 le consul doit se défendre

64 BRUCE, Travis – “‘Dragomans and the Cultivation and Use of Trust in Thirteenth-Century Mediterranean Commerce”. Journal of Medieval Worlds 2/34 (2020), pp. 57-71.

65 ROUSSEAU, Romain, – L’affaire de Tunis…, pp. 118-143.

66 CHRIST, Georg – Trading conflicts. Venetian Merchants and Mamluk Officials in Late Medieval Alexandria. Leyde: Brill, 2012, pp. 209-228.

devant le Sénat de Venise contre des accusations liées à sa gestion des relations avec la douane d’Alexandrie et son directeur, qui impose des taxes non prévues par le traité67 et confisque indument des marchandises. Dans cette affaire le consul met en avant un accord local et informel passé par son prédécesseur avec le directeur de la douane, mais aussi les relations privilégiées entre les grands marchands vénitiens résidant à Alexandrie68 et ce chef de la douane, qui a des affaires commerciales avec eux. Ces liens leur permettent de négocier directement avec lui les règles et les pratiques commerciales. Ces mêmes grands marchands font alors pression sur le consul pour faciliter un compromis qui s’écarte des termes du traité de paix, mais arrange leurs intérêts. Après avoir menacé de se rendre au Caire pour se plaindre directement au sultan, un accord est accepté par tous. Finalement le Sénat de Venise, mécontent de cette solution qui pénalise les marchands vénitiens moins importants, décide d’envoyer une ambassade au Caire, mais sans succès, puis menace d’interrompre les convois de galères d’Égypte, mais sans mettre cette menace à exécution. Cette affaire montre comment, dans un cadre fixé par des traités de paix et des institutions politiques bien définies, les intérêts personnels des différents acteurs poussent à contourner ces règles pour trouver des solutions pragmatiques et profitant à la fois aux intérêts commerciaux des grands marchands installés durablement à Alexandrie et du chef de la douane. Le traité de paix reste alors un cadre général, mais un accord local s’en écarte pour certaines règles, et résulte d’un rapport de force entre le chef de la douane et les marchands vénitiens les plus importants d’Alexandrie. Face à ces arrangements locaux, le consul comme le sultan du Caire ou le Sénat de Venise, malgré les protestations réitérées, restent globalement impuissants, soit parce qu’ils ne sont pas présents et dépendent d’intermédiaires, soit, dans le cas du consul parce qu’il l’est de manière trop provisoire.

Conclusion.

Les sources nous offrent une double image des relations entre les marchands et le pouvoir musulman: d’un côté les traités de paix montrent un système très institutionnalisé, incarné dans des représentants du pouvoir, chrétien et musulman;

de l’autre les protestations contenues dans la correspondance diplomatique et privée insistent sur les abus et l’arbitraire du pouvoir musulman, surtout au niveau local, qui viole les principes affirmés dans les traités bilatéraux. Cette dichotomie a alimenté une historiographie qui insistait d’un côté sur le caractère régulé et apaisé des relations

67 Une taxe de 4% est imposée sur toutes les importations, donc à l’arrivée des navires, au lieux de 10%

levés sur les seules marchandises effectivement vendues à Alexandrie à l’issue du séjour des galées vénitiennes.

68 Notamment, sans doute, les membres du Conseil des Douze, qui comprend les grands marchands vénitiens d’Alexandrie.

commerciales entre chrétiens et musulmans69, et de l’autre u contraire sur le caractère arbitraire et despotique des pouvoirs musulmans, notamment mamelouks70.

Mais il faut nuancer cette impression, car lorsqu’il est possible d’analyser des cas précis de conflits on constate la mise en place de mécanismes de régulation et de résolution pragmatique de ces conflits, qui certes s’appuient sur le cadre normatif mis en place par les traités et sur les définitions de juridictions qui en découlent, mais aussi sur des réseaux plus personnels de relations avec le pouvoir ou les élites locales. On est donc loin de l’image d’un pouvoir musulman dépossédé de ses moyens d’action politique et réduit à n’agir qu’à travers un comportement despotique et irrationnel.

Les institutions restent un cadre général, garant de la souveraineté des sultans comme des États chrétiens, mais aussi de la bonne marche des affaires, mais le poids des grands marchands résidant dans les ports, comme de leurs partenaires commerciaux musulmans, est décisif. Les premiers en particulier sont introduits dans les réseaux économiques et politiques locaux qu’ils connaissent bien, et peuvent donc intervenir pour défendre leurs intérêts, mais aussi, dans une certaine mesure, ceux de leur communauté. Ce fonctionnement n’exclut pas des possibles conflits d’intérêts, des deux côtés, et il favorise incontestablement certains acteurs bien implantés dans le milieu local. Mais il permet aussi une vraie souplesse et une résolution pragmatique des crises qui surviennent régulièrement entre les marchands latins et les pouvoirs musulmans, et plus largement entre les puissances chrétiennes et musulmanes.

69 Voir, en particulier, MAS LATRIE, Louis de – Traités de paix…, 1865.

70 ASHTOR, Eliyahu – Levant trade…, p. 401. Pour une critique de cette idée de despotisme oriental, voir DAKHLIA, Jocelyne – L’empire des passions: l’arbitraire politique en Islam. Paris: Aubier, 2005, et pour l’époque ottomane VALENSI, Lucette – Venise et la Sublime Porte: la naissance du despote. Paris: Hachette, 1987.

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