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Légitimité : De quel droit j’agis ?

Section 1. Le concept de légitimité : d’une polysémie à un essai de synthèse synthèse

2. Ce qu’est la légitimité et ce qu’elle n’est pas, examen des concepts liés

2.1. Légitimité : De quel droit j’agis ?

La légitimité est la reconnaissance d’un droit à agir par soi-même et par les autres. Elle trouve ses fondements dans une loi commune à un ensemble d’hommes concernant leurs actions et leurs discours. En s’inspirant des travaux d’Habermas (1987) et ceux de Boltanski et Thévenot (1991), Hatzfeld (1998, p 90) définit la légitimité comme « le droit reconnu à une personne (ou à un groupe) d’agir ou de parler au nom d’un principe ou d’une valeur ». Cette conception peut apparaître réductrice à l’égard des sources de légitimité (la légitimité ne s’appliquerait qu’à des actes). Nous montrons toutefois que si la légitimité se fonde sur une

loi humaine issue d’une communauté, cette loi provient d’un droit naturel et non pas un dispositif réglementaire, ce qui la distingue de la légalité.

2.1.1. Loi naturelle et loi positive

Le droit est le « fondement des règles régissant les rapports des hommes en société et impliquant une répartition des biens, des prérogatives et des libertés » d’après le dictionnaire TLFI5de l’ATILF6. La loi, quant à elle, est une règle ou une prescription. Le droit en est donc l’essence. Trois acceptations de la loi existent : la loi positive, la loi naturelle, et la loi divine.

La loi positive s’oppose à la loi naturelle en ce sens qu’elle est écrite, c’est-à-dire rédigée par le législateur. Il s’agit d’une disposition réglementaire qui « émane d’une autorité souveraine dans une société donnée et qui entraîne pour tous les individus l’obligation de s’y soumettre sous peine de sanctions » (TLFI). Appliquer ces lois est agir dans le cadre légal. Néanmoins, à l’origine de toute loi positive, « il existe un droit universel et immuable, source de toutes les lois positives. Il n’est que la raison naturelle, en tant qu’elle gouverne tous les hommes » (Bonald, 1802, p 143). Aussi, nous utilisons fréquemment le mot de loi en nous référant à des principes moraux issus du droit naturel et qui renvoient à l’éthique et à des codes de conduite de groupes sociaux. Ces lois sont également établies par les hommes mais sont moins formalisées, « enfouies dans les structures sociales, plus inconscientes » (Hatzfeld, 1998, p 80).

La loi positive et la loi naturelle sont donc créées par l’homme et s’opposent à « la loi divine qui est une règle, un principe émanant de Dieu ou d’une autorité supérieure à l’homme et qui s’impose à lui et à sa conscience » (TLFI). « Et ce qui ne contredit pas la raison, les hommes l’appellent DROIT » (Hobbes, 1651). Nous montrons dans le paragraphe suivant sur quels types de lois s’appuient la légitimité et la légalité.

2.1.2. Légitimité et légalité

Le terme de légitimité provient du latin « legitimare » qui signifie déclarer légal. Il porte en lui les notions de droiture et de légalité.

5 Trésor de la langue française informatisé

6 Analyse et traitement informatique de la langue française (CNRS et Université Nancy 2)

D’après la définition du petit Larousse, la légitimité est « la qualité de ce qui est fondé en droit, en justice et en équité, ce qui est conforme à la raison et aux règles établies ».

La légalité, quant à elle, renvoie au « caractère de ce qui est légal, à la loi ». Elle se fonde donc sur la loi positive.

La légitimité relève donc d’abord du champ juridique mais aussi de celui des normes et valeurs sociales. Ainsi, ce qui est juste ou équitable pour une communauté humaine suppose l’exercice d’une rationalité et un construit normatif social de ses membres pour permettre ce jugement.

Le terme renvoie également à la sociologie à travers l’étude de la reconnaissance par un groupe social, et également à la philosophie. La légitimité repose sur un accord tacite subjectif et consensuel axé sur des critères éthiques et de mérite quant au bien-fondé d’une action humaine. Elle s’appuie donc sur la loi naturelle.

Weber (1922, p 36) constate néanmoins que la forme la plus suivie de légitimité est la croyance en la légalité, « c’est-à-dire la disposition à obéir à des prescriptions formellement correctes ».

La légitimité se distingue pourtant de la légalité. Si cette dernière apprécie l’action humaine selon des règles de droit et de loi, la légitimité ne se décrète pas. Elle est un construit social (Suchman, 1995). Ainsi Habermas (1978) rappelle que la légitimité relève partiellement de la conscience alors que la légalité est du registre de la procédure. Ainsi, la loi peut être illégitime si le gouvernement qui la décrète ne se fonde pas sur des valeurs humaines, et si cette loi utilise des principes non rationnels. Par exemple, l’Allemagne nazie a promu des lois antisémites. Or nous pouvons juger ces lois illégitimes à la condition de faire référence à un ordre de valeur dissociable du fait historique, en l’occurrence le fait de la prise de pouvoir par le parti nazi. La légitimité suppose de la sorte une norme supérieure en référence, issue du droit naturel, qui permet de déterminer si les lois instituées et si les exercices du pouvoir sont justes ou non. Ainsi la légitimité renvoie à une hiérarchie des droits, le droit « naturel » (bien distinct toutefois de l’état naturel évoqué en 1.), étant supérieur au droit promulgué. Hatzfeld (1998, p 85) le qualifie d’« au-delà » de la loi. Pour cette dernière, « la légitimité présente un caractère visible et invisible car elle s’exprime par des actes, des paroles, des comportements et se réfère à des principes qui ne sont pas les textes de lois eux-mêmes mais au-delà ».

2.1.3. La valeur au fondement de la légitimité

Puisque la légitimité renvoie à des principes informels, elle nécessite une justification plus importante que la légalité.

Accorder de la légitimité à une institution ou à une personne signifie donc, pour les évaluateurs, associer à un principe une valeur, c’est-à-dire une appréciation sur cette dernière et ses actes, paroles, opinions. « Par valeur, nous entendons ici un principe de jugement des hommes et des choses, des comportements, des idées, qui expriment ce qui importe. C’est ce jugement de « ce qui importe » qui dans une situation donnée, confère de la valeur à un acte, un projet, un rôle rempli par quelqu’un, à la place qu’il occupe » (Hatzfeld, 1998, p 87). Ce qui fonde la légitimité est donc de se faire attribuer une certaine valeur. « La valeur donne sens à ce qui est dit ou fait » (Hatzfeld, 1998, p 87). Ces valeurs relèvent de la loi naturelle et de l’éthique, mais aussi de normes pratiques dans le cadre d’une profession ou de normes culturelles et sociales. Les valeurs sont ce sur quoi l’individu se construit et forment le noyau ontologique de chaque personne. Néanmoins se voir accorder de la valeur ne signifie pas pour autant être légitime. Un individu peut être respecté et pour autant ne pas être légitime dans un contexte donné. Se demander si je suis légitime revient donc à se poser la question : à quoi sert ce que je fais et au nom de quels principes je le fais dans un contexte bien précis ? En ai- je le droit ?

Si l’on admet que la légitimité se fonde sur une appréciation de valeur d’un groupe social, il est délicat de concevoir la légitimité comme un état appréhensible dans l’absolu. Suchman (1995, p 577), appliquant le concept à une organisation, en souligne le caractère perceptif

« dans un système socialement construit de normes, valeurs, croyances et définitions ».

Kondra et Hinings (1998) ajoutent à ce référentiel les pratiques et les schèmes cognitifs en vigueur à un moment donné.

Si l’on admet le caractère construit de la légitimité, la multiplicité des échelles auxquelles cette dernière s’apprécie appelle à examiner ses natures multiples, et donc à lui conférer une forme multidimensionnelle. Imprécision, caractère mouvant et symbolique font de la légitimité un objet difficile à circonscrire et à mesurer (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2004).

La légitimité est donc une notion difficilement définissable dont nous résumons ci-dessous notre compréhension à travers notre revue de littérature :

La légitimité est La légitimité se fonde sur

-Un construit social -Des valeurs sociales

-Abstraite -Des normes et règles sociales

-Imprécise -Le droit naturel (une référence

absolue) -Une appréciation humaine qui attribue une

valeur à une personne ou une institution, et à ses actes, paroles, opinions

-Des principes informels de jugement humain

-La reconnaissance d’un droit humain

-La conscience humaine Tableau 1. Ce que serait la légitimité

Cette vision de la légitimité paraît plus large que les théories sur le pouvoir politique qui sont pourtant à l’origine de la réflexion sur le concept de légitimité. Bourdieu (1984) affirme qu’ « est légitime une institution, une action, ou un usage qui est dominant et méconnu comme tel, c’est-à-dire tacitement reconnu », cité par Hatzfeld (1988, p 101). Il sous-entend donc une relation entre dominant et dominé. En ce cas, la légitimité d’un acte s’appuie sur l’obtention du pouvoir sur autrui. Etre légitime dans le champ politique signifierait donc nécessairement dominer pour être reconnu, et non pas seulement s’appuyer sur des principes de valeur ? Pourquoi la légitimité est-elle reliée au pouvoir, et pourquoi les deux concepts sont-ils souvent associés dans la littérature ?

2.2. La légitimité : croyance des dominés dans la valeur intrinsèque de l’ordre social