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La légitimation, processus intentionnel de construction de légitimité

Section 2. Section 2. Les problématiques soulevées par le concept de légitimité légitimité

2. Légitimation et processus de construction de légitimité

2.1 La légitimation, processus intentionnel de construction de légitimité

Les recherches sur la légitimation sont nombreuses en sociologie (Beetham, 1991 ; Habermas, 1973), en psychologie (Tyler, 2006), ainsi qu’en philosophie (Moreau de Belling, 1997 ; Ricoeur, 1986). Du point de vue des sciences de gestion, et plus précisément des études sur les organisations, « le processus de légitimation demeure une boite noire » (Zucker, 1991). En effet les recherches, principalement issues du courant néo-institutionnel (cf. section 3), ont davantage exposé les effets du processus que le processus lui-même (Phillips, Lawrence et Hardy, 2004).

2.1.1 Légitimation et sujets de légitimation

La légitimation peut s’entendre en premier lieu comme une justification intentionnelle, et en second lieu comme une acceptation morale (Kelman, 2001). En ce sens elle peut s’appréhender comme un processus d’évaluation de l’objet à légitimer. La légitimation s’entrevoit alors comme un processus perpétuel de catégorisation d’objets de légitimation (ceci est-il légitime, cela est-il illégitime ?). Ainsi Beaulieu (2001, p 99) propose cette définition : « le processus de légitimation est le processus suivant lequel la légitimité est développée, maintenue et restaurée. Il importe de comprendre la dynamique derrière le concept de légitimité. [...] La légitimité évolue en fonction des normes et valeurs sociales qui évoluent en fonction des besoins changeants de la population. La perception de ce qui est légitime évolue aussi avec les changements culturels, donc la définition de la légitimité change dans le temps et suivant les circonstances ». Boulding (1974, p 511) affirme d’ailleurs que le processus prend de multiples formes. « La légitimité n’est pas un phénomène statique, les concepts de ce qui est ou n’est pas légitime sont en mouvement constant, et différentes légitimités sont en conflit permanent ». La légitimation consiste donc à redéfinir continuellement la légitimité en utilisant plusieurs perspectives.

Dans ses recherches sur la comptabilité en tant qu’institution légitimante, Richardson (1987, p 342) définit le processus de légitimation comme « une tentative pour établir une relation sémiotique entre les actions et les valeurs ». L’emploi du mot sémiotique dans cette définition démontre que la gestion de la communication et la symbolique sont fondamentales pour

garantir le bon fonctionnement des stratégies de légitimation. Richardson (1987, p 342) précise que : « la relation entre les valeurs et les actions est une convention, c'est-à-dire que l’évaluation morale des actions dépend du contexte historique et culturel des actions. La sémiotique constitue un puissant outil pour conceptualiser cette relation ». Richardson propose une synthèse des différentes approches de la légitimation dans les travaux de recherche, citée par Dejean (2004, p 103), que nous présentons en tableau 5.

La figure qui suit récapitule ces différentes approches: l’approche structuro-fonctionnaliste (Durkheim, Parsons), l’approche socio-constructionniste (Weber, Berger et Luckmann), et l’approche hégémonique (Marx).

Structuro- Fonctionnaliste

Socio-

Constructionniste Hégémonique Instruments de la

légitimation

Processus pour développer les valeurs sociales

Processus pour donner du sens aux faits sociaux

Processus du pouvoir mystificateur

Fonction

Assurer l’allocation de ressources en adéquation

avec les impératifs

« fonctionnels » de la société

Permettre l’interaction sociale et la continuité

culturelle

Maintenir des relations de pouvoir stables pour faire progresser l’accumulation

du capital

Source des valeurs

Consensus grâce aux fonctions sociales

Consensus grâce à

l’interaction sociale Idéologie de l’élite

Eventail d’actions Défini par les fonctions Défini par la tradition Défini par le propre intérêt de l’élite

Nature du lien entre actions et

valeurs

Supposé être unique et

objectif Etabli par le discours Faux, mais à l’insu des subalternes

Domaines de recherche

Rôle des systèmes comptables pour minimiser

les conflits

Rôle des systèmes comptables pour la continuité culturelle

Rôle des systèmes comptables pour créer, distribuer et mystifier le

pouvoir

Tableau 5. Les 3 approches de la légitimation (Richardson, 1987, p 342)

Nous avons utilisé le terme d’objet de légitimation. Mais dans les recherches sur la légitimation, les auteurs préfèrent évoquer les « sujets de légitimation » qui peuvent être des entités sociales, des structures, des actions, et des idées dont l’acceptabilité est soumise à

légitimation peuvent être un groupe, une équipe, une autorité, des symboles organisationnels, un système de pouvoir. Si le terme de sujet est préféré, c’est dans le but de mettre en valeur la relation du sujet de légitimation à d’autres règles, lois, normes, valeurs et cadres cognitifs dans un plus vaste système social. Le terme permet aussi de renvoyer à la subjectivité de la légitimité parfois, en particulier lorsqu’une organisation cherche à gagner ou défendre sa légitimité face à une opposition (Ashforth et Gibbs, 1990 ; Suchman, 1995).

Enfin le choix, par Deephouse et Suchman (2008), du terme de « sujet » montre que ces sujets peuvent être actifs dans la création de légitimité.

2.1.2 De la justification de l’objet à légitimer…

La quête de légitimité peut être qualifiée de légitimation lorsqu’elle s’appuie sur un processus intentionnel de justification de sa légitimité. Ainsi Maurer au sujet de l’organisation (1971) affirme que la légitimation est le « processus par lequel une organisation justifie à un système (…) son droit d’exister, c’est-à-dire de continuer à importer, transformer et exporter de l’énergie, des matériaux et de l’information » (Maurer, 1971, p 361). Cette perspective rejoint Weber qui aborde la légitimation comme la qualification justifiée d’une domination.

Beaulieu (2001) assimile le processus de légitimation à la quête de privilèges, s’inscrivant ainsi dans les travaux de Della Fave (1986). La légitimation est ici décrite comme une

« approbation normative » de stratification sociale c’est-à-dire « un processus par lequel la répartition inégale de richesses et de pouvoir dans la société se transforme en normes de distribution qui sont assimilées dans les identités propres des membres de la société » (Della Fave, 1986 ; p 478).

2.1.3… A l’adhésion des parties prenantes par l’influence ou la manipulation

Ricœur (1984) affirme que l’idéologie peut se concevoir comme la légitimation d’une domination. « Toute domination veut se justifier et elle le fait en recourant à des notions capables de passer pour universelles, c’est-à-dire valables pour nous tous » (Ricoeur, p 56).

Ainsi pour Ricoeur, la légitimation est ce qui est accordé au dominant par le dominé.

Pour Tyler (2006) en psychologie, la légitimation est l’acceptation par les individus de mythes légitimants élaborés par d’autres. Ainsi ces mythes de légitimation sont bien souvent le reflet de croyances culturelles simples sur ce qui peut être qualifié de normal. Mais se créer des mythes légitimants permet aussi aux individus de rendre leur statut social approprié (Chen et

Tyler, 2001) en se justifiant. Construire et gérer sa légitimité est d’abord tenter d’accorder ses interlocuteurs, aussi variés soient-ils, et satisfaire leurs intérêts et valeurs par des procédés symboliques (un discours par exemple) ou concrets (une action). D’après Oliver (1991), Suchman (1995) ou Elsbach et Sutton (1992), les organisations œuvrent à leur processus de légitimation en essayant d’influencer ou manipuler les interlocuteurs les entourant, autant que possible.

La légitimation implique donc une intentionnalité de construire ou maintenir sa légitimité auprès des interlocuteurs organisationnels, avec une stratégie propre, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une organisation.