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Section 2. Section 2. Les problématiques soulevées par le concept de légitimité légitimité

2. Légitimation et processus de construction de légitimité

2.2 Les stratégies de légitimation

Tyler, 2001) en se justifiant. Construire et gérer sa légitimité est d’abord tenter d’accorder ses interlocuteurs, aussi variés soient-ils, et satisfaire leurs intérêts et valeurs par des procédés symboliques (un discours par exemple) ou concrets (une action). D’après Oliver (1991), Suchman (1995) ou Elsbach et Sutton (1992), les organisations œuvrent à leur processus de légitimation en essayant d’influencer ou manipuler les interlocuteurs les entourant, autant que possible.

La légitimation implique donc une intentionnalité de construire ou maintenir sa légitimité auprès des interlocuteurs organisationnels, avec une stratégie propre, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une organisation.

dernière a été adoptée de façon rationnelle. Nous la qualifions de stratégie de conformité de l’objet à légitimer avec les interlocuteurs. A et B partagent alors un référentiel normatif que Bourgeois et Nizet qualifient de stratégie de légitimation de « premier degré ». Cette stratégie est passive d’après Zimmerman et Zeitz (2002), c’est-à-dire que le sujet de légitimation, pour être légitime, doit se conformer passivement à des caractéristiques sociales incontournables. Elle est en phase avec l’approche néo-institutionnelle (DiMaggio et Powell, 1983).

La deuxième stratégie tient au fait que A se légitime lui-même en tant que décideur et ses actions deviennent ainsi légitimes pour B. Pour Bourgeois et Nizet, il s’agit d’un report de légitimité du décideur vers le contenu de la décision. La stratégie ici est d’user d’un principe d’autorité sur ses interlocuteurs, proche de la perspective wébérienne. Cette stratégie est proactive car l’acteur agit pour influencer ses interlocuteurs, d’après Zimmerman et Zeitz (2002). De même lorsqu’il existe un report de légitimité de la procédure de décision vers le contenu de la décision. En ce cas, la stratégie de légitimation est de type rationnel (au sens wébérien du terme), c’est-à-dire qu’elle convainc par la croyance en la supériorité des règles et procédures du groupe social. Ces deux auteurs soulignent que le report de légitimité le plus efficace du point de vue de A est lorsque le contenu ou la procédure de la décision se reporte sur le décideur lui-même. En effet sur le long terme, une procédure peut être amenée à varier plus significativement que le décideur lui-même.

Il se peut également que la stratégie de légitimation de A vers B soit de « deuxième degré » c’est-à-dire que A suit ses propres normes qui diffèrent des normes de B, mais qui apparaissent à B comme supérieures à ses propres schémas normatifs et donc qu’il partage. Il s’agit d’une stratégie de compétence, proactive.

Bourgeois et Nizet distinguent également une étape préalable à l’usage de la stratégie de légitimation, le loyalisme ou la non implication, c’est-à-dire lorsque l’individu B adhère ou non aux actions et décisions de A car il se les représente comme bénéfiques ou pas.

Ces déclinaisons de légitimation s’inscrivent dans un continuum d’exercice du pouvoir représenté dans la figure 5.

Figure 5. Conditions du pouvoir (Bourgeois et Nizet, 1995)

Nous synthétisons dans le tableau 6 les types de stratégies destinées à gagner de la légitimité, que nous avons identifiées à la lecture de Bourgeois et Nizet.

Types de stratégies de

légitimation Objectif Participation du sujet de

légitimation

Stratégie de conformité

Faire coïncider ses normes avec celles de l’interlocuteur

légitimant

Passive Stratégie d’autorité Faire accepter à

l’interlocuteur légitimant son autorité décisionnelle

Proactive

Stratégie de compétence

Faire reconnaître à l’interlocuteur légitimant sa

supériorité propre (expérience, réflexion…)

Proactive

Stratégie rationnelle

Faire reconnaître à l’interlocuteur légitimant sa légitimité en s’adossant à des

instruments rationnels (procédures…)

Proactive

Tableau 6. Types de stratégies de légitimation, analyse d'après les travaux de Bourgeois et Nizet (1995)

Suchman (1995) étudie lui-aussi les stratégies de légitimation, pour une organisation, et distingue 3 types de déclinaisons :

- les stratégies de conformité à l’environnement, qu’il qualifie lui-aussi de passives ; - les stratégies de sélection de l’environnement qui favorisent l’obtention de la légitimité ; - les stratégies de manipulation de l’environnement.

En ce cas les managers dans l’organisation promeuvent de nouvelles explications de la réalité sociale (Aldrich et Fiol, 1994 ; Asforth et Gibbs, 1990).

Ce qui distingue donc la légitimation de la seule construction de la légitimité est justement cette intentionnalité de l’individu à acquérir des privilèges et à instrumentaliser des sources potentielles de légitimité.

Une intentionnalité guidée par des représentations

Dans ces relations de pouvoir entre deux individus, Bourgeois et Nizet (1995) soulignent que le comportement de A comme de B s’explique par des actions intentionnelles pour exercer des stratégies de pression et de légitimation mais également par des représentations sur la manière de percevoir les choses. Ces représentations ont des conséquences sur les choix de A comme de B. Ainsi les représentations désignent les constructions mentales d’un individu élaborées à partir d’une situation spécifique.

Ainsi la légitimation pour l’individu A consiste à faire activer par B une ou plusieurs représentations alors que pour B, il s’agit d’être amené par A à adhérer à de nouvelles représentations de la décision prise et les évaluer positivement.9 L’individu B paraît donc ici avoir une rationalité limitée puisqu’il examine les alternatives proposées par A.

Les objectifs initiaux de A et de B ne doivent, en ce cas, pas différer de manière trop profonde car les schémas de connaissance des individus concluront à une représentation négative des décisions de l’autre. De plus A doit être au fait des schémas de connaissance de B pour réussir sa stratégie de légitimation. En outre si A doit légitimer une décision auprès de plusieurs individus, il se heurte alors à des représentations différentes. A peut alors contourner cette difficulté en légitimant non pas la décision mais la procédure de décision ou en se légitimant lui-même. Il peut aussi jouer sur le discours en tentant d’activer plusieurs schémas de connaissance à la fois.

Néanmoins pour Bourgeois et Nizet (1995, p 89), l’individu n’est pas toujours conscient du caractère subjectif de sa représentation et ceci peut être qualifié de « distance à la représentation ». Le caractère inconscient de certaines motivations de l’acteur (Giddens, 1984) est ici évoqué. Ainsi si B est peu distant de sa représentation, c’est-à-dire qu’il la considère comme évidente, l’individu A pourra plus aisément user avec lui d’une stratégie de légitimation. De même B, s’il a conscience des tentatives d’influence de A, sera plus réticent

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à légitimer les décisions de A. Il apparaît également que plus A sera conscient de la relativité de sa représentation, plus il sera enclin à choisir des schémas de représentation qui permettent la légitimation de ses décisions. Aussi la représentation que se fait un acteur de ses actions et de celles d’autres individus est fondamentale dans les relations de pouvoir entre individus et dans la réussite des stratégies de légitimation.

Goffman évoque également ce point à travers les jeux ou rôles tenus par les acteurs. Si certains acteurs sont conscients de leurs interactions avec d’autres jeux d’acteurs, d’autres ont le sentiment que leur propre jeu est la réalité même, et non pas une impression de réalité.

Goffman qualifie les premiers de « sincères » et les deuxièmes de « cyniques ».

La théorie des impressions permet d’analyser la légitimation. « Chaque organisation a un intérêt à voir sa définition de la réalité acceptée… et être accepté est l’un des éléments de la légitimation d’une organisation avec le développement de ses ressources » (Pfeffer, 1981, p 23).

Selon cette théorie, les managers doivent montrer le bien-fondé des actions de l'organisation et promouvoir son image à l'intérieur et à l'extérieur de l'organisation. Le désir d’améliorer l'identité organisationnelle, de se valoriser socialement et d’augmenter l'image et la réputation d'une entreprise et de ses dirigeants conduit les managers à gérer les « impressions » en contexte organisationnel (Ginzel et al., 1992).

Pour Elsbach et Sutton (1992), la gestion des impressions est un moyen de garantir la légitimité organisationnelle. La légitimité est accordée lorsque les interlocuteurs internes et externes d'une organisation sont convaincus et soutiennent les objectifs et les activités de cette organisation.

La gestion des impressions permet, à travers l'usage du discours et de la rhétorique, d’influencer la perception des interlocuteurs.

Les théories de la gestion des impressions démontrent notamment que les individus usent de tactiques pour justifier leurs actions lorsqu’ils le ressentent nécessaires.

Chaque acteur adoptera en ce sens une stratégie en fonction des représentations qu’il se fait des stratégies des autres acteurs, dans le but de se justifier. Il est donc vraisemblable que les acteurs adoptent des stratégies relativement proches du fait des interrelations avec leurs

interlocuteurs. Le tableau 7 résume les combinaisons de stratégies et de représentations pour un acteur.

Individu 1 Individu 2

Choix Stratégies Représentations Choix

Représentations Stratégies

Tableau 7. Combinaisons de stratégies et de représentations (Bourgeois et Nizet, 1995, p 120)

Dans l’approche de Bourgeois et Nizet, si l’individu 1 adopte une stratégie de pression, elle sera perçue par l’individu 2 comme assez divergente de sa propre stratégie. Au contraire, si l’individu 1 opte pour une stratégie de légitimation, l’individu 2 se fera une représentation des objectifs de 1 comme proches de ses propres objectifs. De plus si 1 se représente 2 en attente de consensus dans les objectifs, il adoptera une stratégie de légitimation. Dans le cas contraire, il se dirigera vers une stratégie de pression.

Dans le cadre d’une relation de pouvoir qui s’instaure entre individus, l’issue de cette relation est que l’un des individus s’incline devant l’autre. Si tel n’est pas le cas, dans une organisation, l’un des deux individus sera « éliminé » (licenciement, mutation…). Nous sommes ici dans une approche par pression. L’approche par légitimation est plus consensuelle et laisse à l’individu qui a cédé des sentiments moins négatifs que dans la première stratégie évoquée.

Bourgeois et Nizet concluent que les stratégies de pouvoir adoptées par les individus sont fonctions des différences d’objectifs entre les acteurs et aussi de l’importance que chaque acteur porte à ces objectifs.

Il apparaît donc que les stratégies de différents acteurs en présence s’inter-influencent et que les jeux de pouvoir se régulent entre eux (Crozier et Friedberg, 1977).

Conclusion de la section :

La légitimation désigne autant l’action de rendre légitime que le fait de le devenir. Dans ses acceptions les plus variées, elle fait référence à une intentionnalité.

Le processus de constitution (Golant et Sillince, 2007) ou de construction (Berger et Luckmann, 1966) de la légitimité résulte des stratégies de légitimation, mais seulement en partie. La quête engagée par un individu ou une organisation peut s’appuyer sur des sources légitimatrices variées (la reconnaissance formelle d’une compétence…), mais ces dernières sont volatiles, et plus encore la perception que les autres peuvent en avoir. Par conséquent, l’étude des seules stratégies de légitimation se limite à analyser des intentions et la mise en œuvre individuelle de ces dernières. C’est pourquoi, pour une recherche comme la nôtre, il est préférable d’appréhender aussi les interactions du sujet de légitimation avec son environnement. Nous préférons ainsi étudier le processus de construction de la légitimité plutôt que le processus de légitimation.

Nous pouvons dès lors étudier les natures de légitimité identifiées dans les travaux de recherche ainsi que les fondements sur lesquels s’adosse la construction de légitimité. Nous verrons que les travaux sur ce sujet portent principalement sur les organisations.

Section 3. Les théories de la légitimité, natures et sources de