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Le Code civil italien de 1942 et la doctrine de Josserand, deux modèles pour le législateur brésilien de 2002

Véra Jacob DE FRADERA

1. Le Code civil italien de 1942 et la doctrine de Josserand, deux modèles pour le législateur brésilien de 2002

En accord avec le meilleur de la doctrine nationale (Wald, 2005, p. 233 ; Alves, 1986, p. 68 ; Mac Donald, 2002), nous conviendrons que les plus importantes sources d’inspiration du légis- lateur10 du Code de 2002 ont sans aucun doute été le Codice civile, suivi de la doctrine italienne11, représentée entre autres par Asquini12 (1940, point 1 ; 1943, p. 1), Ascarelli (1962) et Betti (2003).

Les deux législateurs nationaux, Freitas et Reale, chacun à leur époque, s’étaient prononcés pour l’unification des obligations civiles et commerciales.

Comme indiqué en introduction, le législateur du projet du premier Code civil brésilien était convaincu de la nécessité de la réunion des obligations civiles et commerciales au sein du même Code. Cependant, à l’époque, cette idée avait été mal reçue par ses contemporains, malgré la démonstration faite par Teixeira de Freitas de l’absence d’une distinction substantielle justifiant la dichotomie droit civil/droit commercial13.

En conséquence, le Code civil de 1916 intéresse uniquement les obligations civiles, les obliga- tions commerciales restant intégrées au Code de commerce.

En revanche, le Code civil de 2002 a repris le modèle du projet de Freitas, selon l’inspiration du Codice civile, comme nous le verrons par la suite.

1.1. L’unification des obligations civiles et commerciales dans le Code civil brésilien de 2002

Lors de l’élaboration du Code civil de 2002, à la suite de vives discussions menées un peu partout au Brésil autour de l’unification des obligations civiles et commerciales (Moreira Alves, 2008, p. 36), le législateur de ce Code, Miguel Reale, a affirmé que cette unification « a[vait] une

19. Dans le sens d’une charge, d’un devoir dont l’inobservation expose son auteur non à une condamnation, mais à la perte des avantages attachés à l’accomplissement du devoir (Cornu, 2011, p. 530).

10. Miguel Reale, le président de la Commission chargée de l’élaboration du projet de Code civil brésilien, a vécu quelque temps en Italie, où il a été un des disciples de Giorgio Del Vecchio, auteur d’un ouvrage très connu et lu encore partout (Del Vecchio, 1908). Ce fait explique quelques caractéristiques du Code civil de 2002.

11. La doctrine comparatiste signale trois sortes de réception d’un droit étranger par un législateur : la volontaire (considérée comme la réception authentique), l’involontaire (imposée par un gouvernement étranger victorieux après une guerre) et la transplantation.

12. Cet auteur a écrit plusieurs livres et articles, encore lus et commentés au Brésil.

13. Pendant son cours de droit commercial à Bologne, Cesare Vivante a émis la même opinion, vingt et un ans après la manifestation du juriste brésilien.

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portée législative et non doctrinaire, [qu’]elle n’affect[ait] pas l’autonomie de ces disciplines » (1975, note 33, p. 112). Le nouveau Code civil a adopté une unification des obligations et non une unification du droit privé. On peut le constater par l’existence dans le Code civil, dans sa partie spéciale, d’un livre dédié au droit de l’entreprise.

Ainsi, l’article 2.045 du Code civil de 2002 a abrogé le Code de 1916 et la partie première du Code de commerce de 185014.

Malgré l’enthousiasme produit par le nouveau Code civil, plusieurs voix se sont soulevées contre l’extinction presque totale du Code de commerce et l’existence de quelques lacunes concer- nant les sociétés, de telle sorte que, depuis quelques années, un mouvement autour de l’élabo- ration d’un nouveau Code de commerce prend forme au Brésil. Le Congrès national est en train d’examiner et d’améliorer ce projet, et d’apprécier les arguments en faveur d’un nouveau Code de commerce. Parmi les défenseurs du projet se trouvent de grands juristes commercialistes et des avocats experts dans le domaine du droit des sociétés.

Arrêtons-nous maintenant sur le concept d’entreprise selon le Code civil de 2002.

1.2. Le concept d’entreprise selon le Code civil brésilien de 2002

L’histoire du développement du concept d’entreprise est un sujet fascinant car, en l’étudiant, on se rend compte du long chemin parcouru par les juristes et économistes en Europe, notam- ment en France15, jusqu’à l’avènement d’un droit économique des privatistes, qui aboutit à la réforme du droit commercial sous le concept d’entreprise16.

Le législateur du Code civil de 2002 a dédié le livre II de son Code au droit de l’entreprise. En conséquence, il abandonna le système français, celui de la théorie des actes de commerce, adop- tée par le législateur de 1916, en raison de l’influence des idées prônées par les juristes italiens.

On verra par la suite quelle est l’idée philosophique dominante dans le nouveau Code civil brésilien, idée qui a contribué, malgré quelques critiques, à changer la conception de l’entreprise au Brésil.

14. Aujourd’hui, notre Code de Commerce de 1850 est réduit à un seul domaine, le droit commercial maritime.

15. Les études et recherches autour de ce nouveau droit, le droit des affaires, ont eu un premier centre de divulgation à l’Université de Rennes, à partir des années 1970, grâce à l’influence de l’École de Rennes et de ses fondateurs, les professeurs Claude Champaud, Michel Despax et Jean Pailluseau. Leurs idées ont été reçues au Brésil par Fábio Konder Comparato, son introducteur parmi nous. Pour approfondir ces informations, consulter Warde Jr. (2018, p. 69 et suiv.).

16. Les privatistes ont adopté une conception du droit économique plus élargie, le droit des affaires, considérée comme un progrès par rapport au droit commercial classique. De telle sorte, le droit commercial a été élargi et son champ d’influence est devenu très fort. Aujourd’hui, on remarque que le droit des affaires est beaucoup plus avancé et évolué que le droit civil au Brésil.

chaPitrE 7. La rESPonSaBiLité SociétaLE dE L’EntrEPriSE au BréSiL

1.3. Le rayonnement des doctrines solidaristes et finalistes en Italie (1942) et au Brésil (2002) par rapport au contrat et à l’entreprise

Décrire de manière approfondie le parcours des doctrines solidaristes et finalistes françaises en Italie et au Brésil est une tâche longue et difficile. En outre, des comparatistes l’ont déjà fait de façon remarquable, en particulier en Italie. Néanmoins, connaissant les raisons de ce choix par deux législateurs, et notamment deux législateurs séparés par un océan et par le temps, 1942 et 2002, nous exposerons quelques idées, sans prétendre épuiser le sujet.

À l’époque de la publication du Codice civile en 1942, l’Italie était, pour des raisons idéolo- giques et politiques, un terrain fertile pour la dissémination des idées finalistes et solidaristes.

Toutefois, le législateur italien n’a pas adopté à l’époque la fonction sociale du contrat ni fait men- tion de la fonction sociale de l’entreprise17.

Alors qu’en France ces idées n’ont été reçues que par un nombre très réduit de juristes18, elles ont eu à l’étranger soit un relatif succès (Italie), soit un retentissement considérable (Brésil) [Pirovano, 1972].

Nous avons déjà signalé brièvement les raisons de la circulation du modèle doctrinal fran- çais en Italie. Étant donné l’objet de notre étude, le droit brésilien, il semble indispensable de se tourner vers le passé pour repérer les premières manifestations de sympathie des législateurs brésiliens vis-à-vis des doctrines solidaristes et finalistes, à commencer par Clóvis Bevilácqua, le législateur du Code civil de 1916, adepte d’une conception sociologique du droit résultant de ses lectures des œuvres de Raymond Saleilles, alors très admiré au Brésil19.

Cependant, comme démontré, le Code de 1916 a adopté, dans son ensemble, une autre voie, et ce fut seulement vers la fin des années 1960, quand les études pour la rédaction d’un nouveau Code civil ont commencé, que le président de la Commission chargée de ce projet, Miguel Reale,

17. « Il principio dell’abuso del diritto non è stato espressamente accolto dal codice civile italiano. Una parte de la dottrina individua tuttavia un’aplicazione del principio nela dispozione sul divieto degli atti emulativi (art. 830 cc). Altri, vicever- sa, negano la possibilitá di recoltegare il principio in esame a questa norma, affermando che essa testimonia vice versa la concezione egoista del diritto di proprietá accolta dall’ordenamento » (Bianca, Patti, Patti, 2001). [Traduction : « Le principe de l’abus de droit n’a pas été expressément admis par le Code civil italien. Toutefois, une partie de la doctrine a identifié une application du principe dans la disposition sur les actes émulatifs (article 830). D’autres, en revanche, ont rejeté la possibilité de reconduire le principe de cette disposition en affirmant qu’elle témoi- gnait d’une conception égoïste du droit de la propriété par la législation »].

18. À propos du parcours des doctrines finalistes et solidaristes, voir l’excellente étude de Frédéric Audren et Catherine Fillon (2009).

19. Au cours des années, il y a eu quelques manifestations isolées de la doctrine sur les atouts de l’adoption d’une conception solidariste et finaliste du contrat, comme celle d’un des plus grands juristes brésiliens, Orlando Gomes, pendant les années 1980 (Gomes, 1983). Par ailleurs, Antonio Junqueira de Azevedo, dans le texte de sa thèse de doctorat, soutenue à São Paulo, en 1974, mettait en relief le contenu social du contrat (Junqueira de Azevedo, 2000).

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inspiré par sa culture juridique italienne20, a adopté les idées qui ont vu le jour en 1975 lors de la présentation du projet de Code civil pour le Brésil. Ce projet deviendra le Code civil de 2002.

Le législateur Miguel Reale affirme que le Code de 2002 a comme caractéristique majeure le

« sens social », par contraste avec l’individualisme qui caractérise l’ancien Code. Il ajoute que, si le socialisme a échoué, le principe de la socialité, en revanche, a triomphé et que, par conséquent, les valeurs collectives doivent dominer les valeurs individuelles21.

C’est pour cette raison que le contrat et l’entreprise doivent exercer une fonction sociale22. La deuxième valeur présente dans le Code de 2002 est le souci de la morale (eticidade), une sorte de pilier sur lequel est édifié le Code civil de 2002.

Selon Reale, le Code reconnaît un pouvoir d’interprétation créateur aux juges, leur permet- tant de mieux adapter la norme aux cas concrets, un pouvoir dont le fondement est la valeur de la personne humaine, source de toutes les valeurs. Par ailleurs, dans ce même domaine, Reale met en relief la différence entre les deux Codes en notifiant l’abandon du formalisme techno-ju- ridique, propre à l’individualisme, et la prise d’une position différente, qui assume une attitude plus ouverte prenant en compte le développement de l’information, ce qui a pour effet d’élargir les rapports entre les personnes et la société.

La fonction sociale de l’entreprise trouve son origine dans la fonction sociale de la propriété, adoptée pour la première fois par la Constitution de Weimar de 1919, dans son article 153, para- graphe 2, dans lequel des restrictions au droit de la propriété étaient imposées. Au Brésil, l’article 5, XXIII, de la Constitution fédérale de 1988 déclare que la propriété doit exercer sa fonction sociale23.

20. En 1938, Miguel Reale s’est exilé en Italie pour des raisons politiques. Là, il a été en contact avec les plus grands juristes de l’époque et a assimilé les idées solidaristes et fonctionnalistes, alors en vogue sous l’influence de la doctrine de Josserand et d’autres penseurs.

21. Cette pensée n’est pas nouvelle au Brésil où les législateurs ont toujours eu un certain penchant pour le social.

On peut citer comme exemple de cette prédisposition nationale l’adoption du principe de la fonction sociale de la propriété, inspiré de l’article 153 de la Constitution allemande de Weimar de 1919, et adopté par les Constitutions fédérales brésiliennes de 1934, 1946, 1967 et l’actuelle, de 1988 ; par ailleurs, le décret no 24.150, du 20 avril 1934, qui régissait les conditions et la procédure du renouvellement des contrats de bail destinés à des fins commer- ciales ou industrielles, est inspiré des nouvelles doctrines, alors en vogue en Europe ; la loi de 1970, qui créa l’Insti- tut national de la propriété industrielle (INPI), dans son article 2, disposait que l’INPI a pour but principal d’exécuter les normes qui régissent la propriété industrielle en prenant en compte leur « fonction sociale ». S’agissant de la fonction sociale de l’entreprise, elle est mentionnée dans la loi qui régit les sociétés anonymes, la loi 6.404/1976, dans les articles 116, seul paragraphe, et 154. D’après la Constitution fédérale de 1988, si l’on considère la fonction sociale de la propriété, le comportement des sociétés anonymes doit aussi prendre en compte les intérêts sociaux.

22. De nombreux ouvrages ont été écrits sur la fonction sociale du contrat après la publication du Code de 2002. Nous nous limiterons à citer les deux auteurs qui, à notre avis, ont le mieux écrit sur le sujet : R. G. da Fonseca (2007) et L. de F. Beraldo (2011). Voir aussi un article très bien écrit sur la fonction sociale de l’entreprise, du Pr Rachel Sztajn, de l’Université de São Paulo, qui met en évidence quelques aspects, cibles de ses critiques de la discipline de l’entreprise dans le Code civil de 2002 (Sztajn, 2008, p. 115 et suiv.)

23. La fonction sociale impose des limites au droit de propriété, dans le but de garantir que son exercice ne soit pas nuisible à la collectivité.

chaPitrE 7. La rESPonSaBiLité SociétaLE dE L’EntrEPriSE au BréSiL

En prescrivant à l’entreprise le devoir d’accomplir une fonction sociale, le législateur du Code de 2002 a contribué à la transformation du droit des affaires brésilien par le principe du règle- ment externe des intérêts déployés par la grande entreprise.

Il résulte une conséquence très importante de la reconnaissance de l’influence de la grande entreprise sur le milieu où elle exerce son activité : l’imposition des obligations positives à l’entre- prise, dont la nature est différente de celles qui découlent de la règle neminem laedere. En effet, il s’agit d’une conception sociale qui prône l’intervention de la loi pour restaurer l’équilibre au sein de rapports sociaux inégaux, et notamment pour la prise en compte des groupes affectés par l’activité de l’entrepreneur.

La reconnaissance de l’existence d’une responsabilité sociétale retombant sur l’entreprise doit influencer la loi anti-trust, le droit de la consommation et le droit de l’environnement.

La partie qui suit exposera la façon dont les entreprises brésiliennes ont, pour la plupart, adopté un comportement social responsable dans leur activité.

2. Le développement de l’accomplissement

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