Véra Jacob DE FRADERA
2. Le développement de l’accomplissement d’un comportement socialement responsable
2.2. Les critiques d’une partie de la doctrine brésilienne à l’attribution d’une fonction sociétale à l’entreprise et à la reconnaissance
d’une responsabilité sociale à sa charge
Malgré l’apparent succès de ces idées car, comme on vient de le démontrer, elles ont été bien reçues au Brésil, certains juristes très renommés ont remis en cause la validité de l’attribution de cette mission aux entreprises.
C’est le cas du professeur Vera Helena de Mello Franco qui, dans un article très connu paru en 2008, intitulé « A função social da empresa » (« La fonction sociale de l’entreprise »), affirme qu’il s’avère impossible d’attribuer à la fonction sociale de l’entreprise un contenu déterminé, du fait que le mot « fonction » recèle un devoir d’agir dans l’intérêt de l’autre, distinct de celui à qui la fonction est attribuée.
Cet auteur pense, comme nous le pensons, que la fonction sociale de l’entreprise consiste primordialement en un devoir de respect des objectifs de développement économique fixés par l’article 170 de la Constitution fédérale (« De l’ordre économique et financier ») dont le caput dispose que :
« L’ordre économique, fondé sur la valorisation du travail humain et sur la libre initiative, a pour but d’assurer à tous une existence digne, en accord avec les impératifs de la justice sociale, observés dans les principes suivants : I. Souveraineté nationale ; II. Propriété privée ; III. Fonction sociale de la propriété ; IV. Libre compétition. »
Ainsi, nous souscrivons à la pensée du professeur Mello Franco, dans le sens où nous consi- dérons que la fonction sociale de l’entreprise correspond à un devoir de collaboration de l’entre- prise avec l’État en vue de l’exécution des objectifs précités.
Par ailleurs, un autre aspect mérite d’être souligné : d’après nos recherches, malgré les vingt années écoulées depuis la publication du Code civil de 2002, les frontières entre fonction sociale et responsabilité sociétale de l’entreprise ne sont pas encore déterminées par la doctrine. Il semble que, une fois de plus, le professeur Mello Franco ait raison en affirmant que « tandis que la phi- lanthropie a pour but les actions de bienfaisance de l’entreprise, le concept de responsabilité sociale a une plus grande envergure » (2008, p. 135). Or, il ne peut rien avoir de plus grand que de collaborer avec le gouvernement suivant les objectifs de l’État exposés dans l’article 170 de la Constitution brésilienne26.
26. L’ordre économique, fondé sur la valorisation du travail humain et de la libre initiative, a pour but d’assurer à tous une existence digne, conforme aux normes de la justice sociale, en observant les principes suivants : « II. Propriété privée ; III. Fonction sociale da propriété ; VI. Protection de l’environnement à travers des traitements différenciés en accord avec l’impact environnemental des produits et services et de leurs processus d’élaboration et prestation. »
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En effet, la Constitution fédérale de 1988, dans son article 225 concernant l’environnement, souligne l’importance de maintenir un écosystème équilibré par le moyen de la préservation et de la restauration environnementale dans le but d’assurer à chaque citoyen la qualité de vie à laquelle il a droit.
Pour atteindre ce but, le législateur a modernisé des lois surannées, de telle sorte que le Brésil est désormais doté de nombreuses lois constituant un outil précieux pour assurer le droit à un environnement sain et durable27 par l’imposition de sanctions, notamment aux entreprises, quand leur activité est susceptible de porter atteinte aux biens protégés par ces lois.
Conclusion
Nous évoquerons, pour conclure, le juriste Claude Champaud, qui, à l’occasion de sa dernière leçon à l’Université de Rennes, faisait référence à la prédominance d’un « humanisme » dans les affaires. Il a fini son exposé en citant Adolf Berle et Bergson : « L’entreprise est une société ouverte, dans laquelle le dirigeant accomplit une vraie mission, un pouvoir-devoir, qui déchaîne des res- ponsabilités pas seulement économiques, mais aussi sociales et politiques » (Wald, Fonseca, 2005, p. 3). Nous partageons totalement cette idée.
Bibliographie
27. Voici quelques exemples de lois qui protègent l’environnement contre les actions nuisibles résultant de l’activité des entreprises, passibles de sanctions : le nouveau Code forestier, loi no 938/1981 ; la politique nationale de l’environnement, loi no 6.938 de 1981 ; la loi no 9.605/1998 qui définit les crimes contre l’environnement ; la loi no 9.433/199 relative aux ressources en eau ; Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (IBAMA), loi no 7.735/1989 ; la loi no 7.802/1989 relative à l’utilisation des agrotoxiques.
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