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Apports de la sociologie à la problématique biologique de démoustication

1 ère partie : Problématique vectorielle et nuisance : des enjeux de société

B. La nuisance : mieux la connaître pour mieux la contrôler

B.2. Apports de la sociologie à la problématique biologique de démoustication

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A l’opposé, la vision biocentrique est récente, née à la fin des années 1960, lors des mouvements contestataires estudiantins et à la faveur d’un meilleur accès aux connaissances en sciences de la vie. Elle est relayée ensuite par les nouvelles couches moyennes intellectuelles et le développement des politiques environnementales à l’échelle internationale. Le biocentrisme place la nature au cœur de ses préoccupations, rejetant l’homme au rang de destructeur, pollueur, perturbant un équilibre écosystémique fragile.

Ainsi une part de la population considère que les moustiques sont utiles, et rejettent le qualificatif « nuisible » qu’ils trouvent trop fort et inadapté.

Ainsi les témoignages recueillis dans notre enquête sur la population de Rhône-Alpes nous permettent d’identifier deux catégories de personnes, l’une à culture plutôt anthropocentrique, l’autre biocentrique, et de les caractériser :

Sous-population à vision anthropocentrique du rapport à la nature et aux moustiques : Elle regroupe surtout les personnes les plus âgées de l’échantillon de population, notamment celles qui sont âgées de plus de 60 ans. Cette tranche de la population est à dominante rurale, son niveau d’étude est très variable et elle associe les moustiques à la transmission de maladies. Cette sous-population reste attachée à une culture anthropocentrique où l’espace rural est exploité par l’homme, où le moustique est considéré comme source de nuisance et lié à un environnement sale et nauséabond (marais). Les peurs ancestrales de maladies liées au moustique (fièvres, paludisme) persistent et sont renforcées dans l’inconscient collectif par des craintes liées à une actualité plus récente et très médiatisée (Chikungunya, grippe aviaire, SIDA).

Sous-population à vision biocentrique du rapport à la nature et aux moustiques : Elle est plus jeune puisque la majorité des personnes âgées de 20 à 60 ans y adhère. La majorité des urbains et péri-urbains interrogés en font partie, et ils sont plus nombreux à avoir fait des études supérieures que dans l’autre sous-population. Cette catégorie de personnes redoute moins la transmission de maladies par les moustiques de France métropolitaine, même si elle apparaît mal informée à ce sujet. On retrouve donc dans cette sous-population les différents aspects d’une conception biocentrique du rapport au moustique : indépendamment de la gêne ressentie, le moustique est considéré comme utile pour

45 l’environnement, notamment pour le rôle, la place qu’il a dans le réseau trophique d’un écosystème. Les piqûres et allergies sont certes gênantes mais le mot nuisible est pour la plupart un qualificatif trop fort qu’ils substituent à « momentanément et localement proliférant ».

Une troisième sous-population émerge dans les résultats de l’enquête, regroupant les individus les plus jeunes du panel (15-20 ans), en général désintéressés et peu concernés par la question des moustiques et de la démoustication. Les attentes de ce groupe envers la démoustication sont donc négligeables et ne font pas l’objet d’une analyse dans ce chapitre.

Une part des individus de l’échantillon global (28%) qualifie tout à la fois le moustique d’utile et de nuisible, partagés entre le subjectif (représentation du moustique comme maillon de la chaîne alimentaire) et l’objectif (piqûres, démangeaisons, allergies provoquées par les insectes). Si deux regards s’opposent au sein de la population, l’un empreint de la culture anthropocentrique, l’autre d’une vision biocentrique, ils cohabitent parfois chez le même individu.

B.2.2. Dualisme anthropocentrisme / biocentrisme et démoustication

L’EID Rhône-Alpes se définit comme un établissement de lutte contre les moustiques et de gestion des zones humides. La première mission est donc un service rendu à la société, la deuxième un service rendu à l’environnement. Mais plutôt que de s’opposer, ces deux missions se complètent dans la démarche de l’EID : un bon entretien des zones humides les rendant moins productives en moustiques (Besnard & Gruffaz 1999).

Dans sa mission première de démoustication, l’établissement doit cerner au mieux le niveau de la nuisance ressentie par la population pour répondre à ces attentes en matière de confort. Le contrôle des moustiques est guidé par une demande sociétale à la fois anthropocentrique et biocentrique, ce qui contraint l’EID à trouver un compromis entre une démoustication efficace et le respect de l’environnement. A l’heure actuelle, une forme de compromis existe : il s’agit d’une stratégie de lutte contre les stades larvaires de moustiques, par épandage du bactério-insecticide Bti. Cet insecticide sélectif est utilisé depuis plus de 20 ans en Amérique du Nord et en Europe et les études d’impact réalisées s’accordent à dire que

46 les différentes formulations de Bti sont inoffensives pour les organismes non cibles des milieux aquatiques, hormis les Simulidés et Dixidés, taxons de l’ordre des Diptères, très proches des Culicidés (Merrit 1989, Becker & Margalit 1993, Boisvert & Boisvert 2000). Le Bti n’ayant pas d’effet néfaste à court terme pour l’environnement et la faune compagne des moustiques, l’utilisation exclusive de cet insecticide par l’EID en Rhône-Alpes répond bien aux attentes d’une partie de la population.

Les enquêtes en Camargue et en Rhône-Alpes ont certes mis en évidence la cohabitation des deux catégories de personnes définies précédemment dans la population, mais elles montrent aussi une forte tendance de la société à adopter une conception biocentrique du rapport à la nature (Sérandour & Claeys-Mekdade, 2007). Cette tendance s’accompagne d’un intérêt grandissant pour les enjeux sanitaires et environnementaux, grâce à une plus grande accessibilité aux informations d’origine scientifique. La persistance de peurs et de croyances liées aux moustiques dans l’inconscient de personnes souvent âgées devrait s’atténuer dans le futur à la faveur d’une meilleure information collective (figure 11).

Population du territoire démoustiqué

Population à vision anthropocentrique

Population à vision biocentrique

Population non intéressée Peurs, croyances

Information scientifique (maladies, environnement…)

Entente Interdépartementale pour la Démoustication

Contrôle des moustiques Respect de l’environnement Nuisance due aux moustiques

Demande

Demande Informations

Figure 11 : Relations entre la nuisance due aux moustiques, l’EID, et la population du territoire traité

47 A l’avenir, il est donc probable d’observer un décalage des représentations de la société vers une vision plutôt biocentrique du rapport homme / nature. L’appréciation des nuisances ressenties et l’adaptation des traitements (doses, fréquence…) aux attentes de la population en seraient alors facilitées pour l’EID.