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1 ère partie : Problématique vectorielle et nuisance : des enjeux de société

A. Prévenir le risque sanitaire : référence au passé (Sérandour et al., 2007)

A.3. Discussion

A.3.1. Contrôle des crues, densité des populations d’Anophèles et fluctuations démographiques

Pendant la période 1828-1900, les températures moyennes du mois de juin sont corrélées à la mortalité dans les communes de la vallée de l’Isère l’année suivante.

Actuellement, les Anophèles sont observées à l’état larvaire au printemps en Rhône-Alpes. Il est probable que les fluctuations de températures du mois de juin aient eu une influence sur

Figure 6 : Evolution du nombre de décès entre 1830 et 1900 dans les communes situées au voisinage de la confluence entre les rivières Arc et Isère.

1 : Crues récurrentes de l’Arc et du Gelon consécutives à leur endiguement 2 : Achèvement de l’endiguement de l’Isère 3 : Colmatage artificiel en cours 4 : Début des opérations de drainage

0 20 40 60 80 100 120 140

1830 1840 1850 1860 1870 1880 1890 1900

Années

Villages d'Aiton, Chamousset, Chamoux, Bourgneuf Villages de Grésy-sur-Isère, Fréterive

Villages de Notre-Dame-des-Millières, Sainte-Hélène-sur-Isère

Nombre moyen de décès annuels 1

2

3

4 3

4

les quantités d’Anophèles atteignant le stade adulte, et par conséquent sur les densités de vecteurs. Néanmoins, les températures de juin n’expliquent pas les densités larvaires d’Anophèles dans la vallée de l’Isère, et des facteurs liés au fonctionnement hydrologique et à la production de gîtes larvaires sont probablement en cause dans la transmission du paludisme au 19ème siècle.

Les résultats de cette étude démontrent l’impact qu’eurent les opérations de contrôle des crues sur la progression des fièvres et l’augmentation des décès dans la vallée de l’Isère au 19ème siècle. Les pics de mortalité observés concordaient avec les périodes d’expansion des mares et marais, favorables au développement des moustiques, ce qui confirme que les fièvres paludéennes transmises par les Anophèles ont eu un impact manifeste sur la démographie locale. La transmission était favorisée par les pratiques agricoles des paysans qui récoltaient la blâche dans les marais, au contact des Anophèles, quand leurs densités étaient les plus fortes.

Avant le début des opérations d’aménagement de l’Isère et de ses affluents, les bras secondaires des rivières tressées s’asséchaient en été, créant des mares temporaires idéales pour le développement larvaire des moustiques. La transmission du paludisme par les Anophèles adultes aux paysans avait donc lieu à la fin de l’été et au début de l’automne.

Après l’endiguement de l’Isère et de l’Arc, la diminution espérée des fièvres et des décès n’eût pas lieu. Les densités d’Anophèles étaient fortes, dès le début de l’été, suite à la création de gîtes larvaires par les infiltrations et les débordements des rivières pendant la période des hautes eaux.

Pendant les premières années du colmatage artificiel des plaines alluviales, les bassins de sédimentation en eau tout l’été, favorisaient un contact prolongé entre Anophèles et paysans jusqu’à l’automne. Comme les travaux d’endiguement de l’Isère avaient eu lieu progressivement d’aval (Grésy-sur-Isère) en amont (Notre-Dame-des-Millières), le colmatage artificiel commença plus tard en amont. Ce délai dans la réalisation des opérations explique très bien le décalage de quelques années entre les pics de mortalité observés dans les années 1860-1870, dans les deux localités.

Il est certain que le colmatage complet de la plaine alluviale et son drainage ont progressivement stoppé la production de gîtes à moustiques, ce qui expliquerait la diminution définitive du taux de mortalité dans la population locale à partir de 1880.

Au cours de l’endémie de paludisme, il est probable que la transmission du paludisme par les Anophèles ait pu se poursuivre à l’intérieur des habitations, après la période de récolte

31 de la blâche, comme cela a été reporté dans d’autres pays (Reiter, 2000 ; Hulden et al., 2005).

Le principal vecteur supposé du paludisme en France, An. atroparvus, a en effet été décrit comme une espèce pouvant passer l’hiver dans les fermes, s’y nourrissant occasionnellement (Sicart & Escande, 1954 ; Marjolet, 1977). L’espèce de plasmodium la plus dangereuse, P.

falciparum, était présente depuis longtemps en Europe du sud au 19ème siècle (Sallares et al., 2004), mais il est probable que la majorité des cas de paludisme dans les vallées alpines étaient dus à P. vivax, espèce supportant mieux les conditions climatiques parfois rudes dans la région. Cette espèce est rarement la cause de la mort chez les paludéens mais de récentes études ont démontré qu’il ne devait plus être considéré comme responsable d’un paludisme bénin (Mendis et al., 2001 ; Picot, 2006).

Comme dans les régions marécageuses d’Angleterre, P. vivax a probablement été un facteur de morbidité et de mortalité important dans les vallées alpines, en association à la malnutrition et aux maladies (Hutchinson & Lindsay, 2006). Hormis le paludisme, les populations des vallées alpines ont peu connu les épidémies au 19ème siècle. Les épidémies de choléra de 1854 et de 1867 touchèrent peu le département de la Savoie, et touchaient surtout les villes. Il est probable que moins de 1% de la population savoyarde soit décédée du choléra pendant les épidémies en Savoie (Tous, 1976).

A.3.2. Un message du passé à replacer dans le contexte actuel de changement global

Le cas de la transmission du paludisme dans la vallée de l’Isère n’est pas unique. A travers l’histoire, des témoignages nous rappellent que des mesures liées à la gestion de l’eau ont souvent été prises pour lutter contre les fièvres des marais (Salvagnoli-Marchetti, 1859 ; Gouvert, 1883 ; Bertaux 1900). Le drainage des marais Pontins en Italie entre les deux guerres mondiales par le dictateur Mussolini est l’une des plus grandes opérations de ce type et l’une des plus documentée, qui fait suite à de nombreux échecs, notamment au temps des Romains (Linoli, 2005). Dans de nombreux cas, la diminution du paludisme observée suite à la réalisation de ces aménagements, a été suivie d’une recrudescence de la maladie, conséquence de la mauvaise gestion et au délabrement des ouvrages mis en place. D’autres facteurs comme les changements dans les pratiques agricoles, l’urbanisation et le développement des voies de communication ont entraîné par endroits de profondes perturbations des systèmes fluviaux, en lien direct avec des recrudescences du paludisme (Girel, en préparation).

Les progrès dans l’hygiène et la santé au début du 20ème siècle, avec notamment la large consommation de dérivés de quinine en traitement anti-paludéen, ont joué un grand rôle dans la disparition du paludisme en Rhône-Alpes, en même temps que l’assainissement des vallées alpines (Marchoux, 1929 ; Charmot, 1997). Le changement des pratiques agricoles, de l’utilisation des terres et l’exode rural ont également contribué à réduire le contact entre populations humaines et Anophèles (Ramsdale & Gunn, 2000). Depuis un siècle, la majorité des zones humides de Rhône-Alpes a disparu, par manque de connectivité avec les cours d’eau endigués, ou tout simplement pour satisfaire au développement de l’agriculture et de l’urbanisation. Actuellement les populations humaines sont concentrées dans les vallées alpines, le long des fleuves, là où subsistent les dernières zones humides de plaine.

Les Alpes sont déjà sensibles aux prémices du réchauffement climatique et les scientifiques prédisent d’ici 2050 la fonte des glaciers, des pluies torrentielles plus fréquentes et l’augmentation de 20% des inondations (Beniston, 2003). Pour prévenir le risque d’inondations dans les vallées urbanisées et industrialisées de Rhône-Alpes, des opérations d’aménagement des cours d’eau sont en projet. Dans la vallée de l’Isère, la dernière crue centennale remonte à 1859 ; elle avait alors noyé l’agglomération grenobloise sous 1m50 d’eau et fait 6 morts. Le Projet Isère Amont prévoit d’utiliser certaines parcelles agricoles de la plaine du Grésivaudan comme zones de débordement contrôlé de l’Isère, en cas de crue, afin de protéger une population de plus de 300 000 habitants d’une catastrophe. Les travaux, prévus à partir de 2008, doivent également permettre d’élargir le lit du fleuve dans certains secteurs, de renforcer les digues fragilisées et de restaurer la ripisylve et les zones humides riveraines (Rouillon, 2006). Ce type de projet d’aménagement, basé sur le retour à une divagation plus libre de la rivière et sur la protection des zones humides, peut favoriser la création d’habitats favorables aux moustiques. Les populations d’Anophèles de Rhône-Alpes, actuellement faibles, pourraient s’en trouver renforcées à l’avenir.

Les entomologistes s’accordent à dire que certaines maladies infectieuses comme le paludisme pourraient s’étendre au-delà de leurs limites septentrionales actuelles, avec le réchauffement annoncé (Sutherst, 2001). Anopheles et Plasmodium sont sensibles aux variations climatiques, leur développement et leur survie dépendent de la température et de l’humidité (Martens et al., 1995 ; Snow, 1999). Par conséquent une élévation des températures pourrait avoir une influence sur les densités de moustiques et leur capacité vectorielle (Epstein et al., 1998).

33 La région Rhône-Alpes, parce qu’elle bénéficie de services de contrôle des moustiques et de veille sanitaire efficaces, n’est pas un territoire au potentiel malariogénique fort.

Toutefois, au regard de l’impact que pourrait avoir un changement climatique sur les systèmes fluviaux et les populations de moustiques dans la région, l’étude des facteurs à risque pour une ré-émergence du paludisme s’impose.

Le message fort de cette étude historique est que les perturbations humaines sur les cours d’eau peuvent être considérées comme des facteurs à risque pour le retour du paludisme. Comme les nouvelles stratégies d’aménagement hydraulique et de contrôle des crues sont relativement récentes (Green et al., 2000), seules des hypothèses quant à leur impact sur les paysages fluviaux et la possible ré-émergence de maladies infectieuses peuvent être avancées.