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Contrôle sensoriel de l’activité des cellules de lieu

2. Les bases cellulaires de la mémoire spatiale

2.2. Cellules de lieu

2.2.3. Contrôle sensoriel de l’activité des cellules de lieu

Une autre population neuronale présente dans l’hippocampe est celle des interneurones. Il s’agit d’une classe de cellules qui ne présente pas les mêmes caractéristiques électrophysiologiques que les cellules pyramidales. La forme et la durée du potentiel d’action des interneurones diffèrent des cellules de lieu et le taux moyen de décharge est nettement plus élevé pour les interneurones que pour les cellules de lieu, allant parfois jusqu’à 50 PA/s. L’activité de ces interneurones n’est pas corrélée de façon prépondérante à la position de l’animal. En revanche, elle est modulée nettement par le rythme thêta, qui est lui même modulé par le comportement locomoteur de l’animal (McFarland et al., 1975 ; Slawinska et Kasicki, 1998). De ce fait, on les appelle les cellules thêta (Ranck, 1973) (figure 2.1.b).

fire (O’Keefe et Conway, 1978) et d’isoler le stimulus nécessaire et suffisant capable de contrôler une réponse des cellules de lieu. Néanmoins, tentons ici de passer en revue les entrées sensorielles les plus pertinentes à la construction et au maintien de l’activité des cellules de lieu.

Rôle de la vision

Le premier travail visant à explorer de manière spécifique le contrôle sensoriel de l’activité des cellules de lieu est celui de O’Keefe et Conway (1978). Ces auteurs ont enregistré l’activité des cellules de lieu alors que l’animal devait se rendre dans un bras particulier d’un labyrinthe en forme de T. Les indices disponibles pour guider l’animal vers le but étaient un ensemble d’objets et d’indices de nature différente placés autour du dispositif. Ce travail montre pour la première fois qu’une rotation complète des indices (en l’absence de l’animal) entraîne une rotation équivalente des champs d’activité. Ceci étant, la multiplicité et la diversité des indices est un obstacle à une étude rigoureuse du contrôle de l’activité des cellules de lieu. C’est pour cela que Muller et Kubie (1987), ont développé une tâche expérimentale beaucoup plus simple, qui est aujourd’hui communément utilisée pour l’enregistrement unitaire d’un animal libre de ses mouvements. Dans cette tâche, l’animal se déplace dans une arène circulaire (76 cm de diamètre) qui se trouve isolée visuellement du reste du laboratoire par un rideau circulaire opaque. Il s’agit donc d’un environnement contrôlé. Le seul repère mis à la disposition des rats est une grande carte blanche (couvrant 100°

d’angle) fixée sur la paroi du cylindre. Pour contraindre l’animal à se déplacer en permanence dans le cylindre, ce qui est essentiel pour arriver à un échantillonnage correct de tous les lieux de l’environnement, on l'entraîne à rechercher des granulés de nourriture qui tombent au hasard dans l’arène depuis un distributeur fixé au plafond. Dans cette expérience, les auteurs montrent que si on déplace l’indice de 90° sur la paroi de l’arène (et en absence de l’animal), on observe la rotation du champ d’activité équivalente à celle de l’indice une fois l’animal réintroduit dans l’arène. Les relations spatiales entre le champ d’activité et l’indice sont donc conservées (figure 2.4). La différence entre ces deux protocoles permet de mettre en évidence un aspect important d’une des propriétés des cellules de lieu : le contrôle des champs de lieu par les indices environnementaux ne dépend pas des aspects motivationnels ou attentionnels de la tâche.

Figure 2.4. Le seul indice dont dispose l’animal est une feuille blanche cartonnée (carte), sur la paroi du dispositif expérimental. b. Après avoir enregistré l’activité d’une cellule hippocampique, l’animal est déconnecté et retiré du dispositif. c. L’expérimentateur tourne alors la carte de 90° et réintroduit l’animal. L’activité de la même cellule est enregistrée dans ces nouvelles conditions, et on peut observer la rotation du champ d’activité équivalente à celle de l’indice. d. L’indice est repositionné dans sa position standard en l’absence de l’animal : le champ d’activité fait de nouveau une rotation équivalente à celle de l’indice. D’après Muller et Kubie, 1987.

De la même manière, la rotation de trois objets tridimensionnels placés contre la paroi va systématiquement être accompagnée par une rotation correspondante de la position des champs d’activité. En revanche, lorsque les objets occupent une position plus centrale dans le dispositif, ce contrôle disparaît : la position des champs d’activité devient indépendante de la position des objets, comme si ceux- ci n’étaient pas utilisés par le système hippocampique pour l’ancrage positionnel de l’activité unitaire (Cressant et al., 1997). Une autre étude de Cressant et al.

(1999) a permis de préciser que la configuration géométrique des objets dans l’arène avait aussi une importance notable sur le contrôle des champs d’activité : les champs sont mieux contrôlés par une configuration d’objets définissant un triangle isocèle plutôt qu’un triangle équilatéral. En effet, la configuration équilatérale est caractérisée par la présence de plusieurs axes de symétrie rendant ambiguë la discrimination spatiale si les caractéristiques intrinsèques des objets ne sont pas prises en compte. La distribution asymétrique dans l’espace des repères formant un triangle isocèle, au contraire, permettrait un meilleur ancrage de la décharge positionnelle des cellules de lieu (figure 2.5).

Le résultat qui émerge de ce travail et de nombreux autres travaux conduits dans cette optique est que les indices de l’environnement les plus efficaces sont ceux qui « polarisent » l’espace. La polarisation de l’espace, qu’elle soit créée par la disposition asymétrique des repères ou par leur éloignement, génère une anisotropie qui permet d’extraire des informations directionnelles.

a. dispositif expérimental b. configuration initiale c. rotation du repère d. retour configuration initiale Champ

d’activité

Figure 2.5. Résumé du contrôle de l’activité spatiale par les indices de l’environnement d’après les données de Muller et Kubie (1987), et de Cressant et al. (1997, 1999). Le pourcentage représente la proportion de champs d’activité dont la position est prédite par la position des indices. L’arc de cercle représente la carte indice et les petits cercles de couleurs représentent des objets distincts. La situation qui se différencie de façon marquante de toutes les autres est celle où les objets sont placés au centre du dispositif.

Rôle des informations non visuelles et idiothétiques

Le champ d’activité qui s’établit dans un environnement, est capable de persister plusieurs minutes après le retrait des indices visuels provenant de l’environnement (O’Keefe et Speakman, 1987), ou encore après une privation visuelle (obscurité, énucléation ou lésion du cortex visuel) (Quirk et al., 1990 ; Markus et al., 1994 ; Jeffery et O’Keefe, 1999 ; Save et al., 1998 ; Save et al. 2000). Cela suggère que cette stabilité repose sur l’utilisation d’autres indices que ceux d’origine visuelle, en particulier, des indices d’origine vestibulaire et proprioceptive (idiothétiques) liés à ses déplacements, ou encore les informations tactiles et olfactives (allothétiques). Dans la littérature, on ne trouve que très peu de données sur l’implication des informations auditives et olfactives. Ces informations ne semblent pas, seules, permettre à l’animal d’élaborer et de maintenir une représentation spatiale (Lavenex et Schenk 1997 ; Rossier et al., 2000).

L’hypothèse d’un rôle des informations idiothétiques s’est développée à partir d’une étude princeps dans laquelle les auteurs ont enregistré l’activité des cellules de lieu lors de l’extinction de la lumière au cours d’une session d’enregistrement (Quirk et al., 1990). Malgré l’obscurité, les champs d’activité restent stables, ce qui permet aux auteurs de conclure que les animaux utilisent les informations idiothétiques pour permettre la stabilité des champs. En outre, cette étude ne permet pas de déterminer si la stabilité des champs est due aux indices olfactifs/

tactiles ou aux informations idiothétiques relatives au mouvement de l’animal, ou aux deux. Un moyen de tester cette hypothèse serait d’enregistrer l’activité des cellules de lieu pendant un temps beaucoup plus long dans l’obscurité totale en retirant les indices olfactifs. En effet, on peut prédire que si les animaux utilisent les informations idiothétiques seules, les champs devraient devenir instables au bout d’un certain laps de temps, en raison de l’accumulation des erreurs, inhérentes au système d’intégration des trajets. Save et al. (2000) lèvent les

Carte 92%

Objets au centre

4%

Objets + Carte

89%

Objets regroupés

100%

Objets à la périphérie (isocèle)

100%

Objets à la périphérie (équilatéral)

80%

ambiguïtés de cette étude dans un travail qui montre que la suppression des informations olfactives dans l’obscurité perturbe la stabilité des champs de réponse, ce qui suggère que les informations olfactives, en l’absence d’informations visuelles, jouent un rôle important dans le contrôle de l’activité des cellules de lieu. De plus, le fait de supprimer les entrées visuelles (extinction de la lumière et retrait de l’indice) provoque l’arrêt de l’activité de la moitié des cellules de lieu. En conséquence, et contrairement à ce qui avait été décrit par Quirk et al.

(1990), les seules informations idiothétiques dans cette expérience ne semblent pas suffire à compenser l’absence d’informations visuelles et olfactives et à maintenir ainsi la stabilité des champs de réponse. Ce qui ne signifie pas bien entendu que les informations idiothétiques ne sont pas utilisées. Il est probable que pour naviguer dans l’obscurité, l’animal utilise de manière complémentaire les informations idiothétiques et les informations olfactives. Cette hypothèse est étayée par une autre étude dans laquelle les cellules de lieu chez des rats ayant une lésion au niveau du cortex visuel ont des champs d’activité qui restent stables malgré le retrait des objets qui polarisent l’arène circulaire dans l’obscurité (Paz Villagràn et al., 2002).

Afin d’isoler plus précisément la contribution des signaux vestibulaires ‘purs’ (en l’absence de signaux moteurs pouvant mettre à jour les décharges hippocampiques de position) à la construction d’une représentation spatiale, Gavrilov et al. (1998), ont mis des rats éveillés en contention sur un robot mobile piloté par ordinateur et ont appliqué des stimuli inertiels aux animaux (accélérations linéaires et angulaires). Lorsque le rat est déplacé passivement, les neurones hippocampiques présentent des réponses sélectives à certains endroits de l’espace. Sans retirer l’animal, le robot est ensuite déplacé dans l’obscurité. Dans l’obscurité, les cellules continuent à décharger pour les mêmes lieux. Néanmoins, les champs d’activité sont beaucoup plus étendus que ceux trouvés chez les rats libres de leurs mouvement. Ces résultats indiquent que les cellules de lieu reçoivent bien des informations vestibulaires, et qu’elles sont importantes et même suffisantes pour la stabilité des représentations spatiales. Cette conclusion semble aller néanmoins à l’encontre des résultats de Save et al. (2000), excepté si on considère que ces deux expériences ne sont pas comparables en de nombreux points. Dans l’expérience de Gavrilov et al. (1998), les animaux assoiffés étaient toujours récompensés lorsque le robot conduisait le rat vers un repère saillant de l’environnement, alors que dans l’expérience de Save et al., la récompense tombait aléatoirement dans l’arène: la différence dans l’état motivationnel et attentionel de l’animal pourrait suffire à expliquer la non cohérence des résultats (Kentros et al., 2004).

Les informations tactiles ont aussi leur importance dans le contrôle de l’activité des cellules de lieu. Une autre étude de Save et al. (1998), montre que chez des rats aveugles à la naissance, la rotation (en l’absence du rat) de trois objets distincts placés contre la paroi et formant un triangle isocèle s’accompagne d’une rotation équivalente des champs d’activité. Les rats sont capables d’utiliser les objets présents de l’environnement comme repères (aucune information olfactive n’est en effet laissée dans l’arène entre deux sessions d’enregistrement). Ce résultat permet de formuler deux points importants : 1) les rats sont capables d’identifier les objets sur la base de leurs caractéristiques propres, non visuelles, afin de calculer et de réactualiser leur position dans l’environnement, 2) les rats sont capables d’utiliser le système d’intégration des trajets pour assurer la stabilité des champs d’activité lors d’un déplacement entre deux objets.

Conflit de repères : un révélateur de flexibilité

Un nombre important d’études a suggéré que les cadres de référence allocentré et égocentré interagissent pour contrôler la localisation des champs d’activité.

Gothard et collaborateurs (Gothard et al., 1996), ont enregistré les cellules de lieu alors qu’un rat était entraîné à faire des aller-retour sur un couloir, entre une boîte de départ et une position récompensée à un endroit fixe. Au moment de l’aller vers le but, la boîte de départ pouvait être déplacée à une des cinq positions possibles sur le couloir, de telle sorte qu’après avoir obtenu la récompense, le rat retourne à la boîte qui est au nouvel endroit. Au cours de la sortie suivante vers le but, cette manipulation environnementale conduit à un conflit entre la position de l’animal estimée selon l’intégration du trajet et celle donnée par sa position actuelle par rapport aux repères environnementaux. Gothard et al. montrent que les champs d’activité situés dans la partie initiale du trajet de sortie de la boîte sont contrôlés par l’intégration du trajet (par rapport à la boîte de départ), alors que les champs d’activité situés en partie finale du trajet sont contrôlés par les indices externes (figure 2.6). Pour des champs d’activité en situation intermédiaire, les auteurs montrent que les champs peuvent être d’abord contrôlés par l’intégration du trajet, et ensuite par les repères de l’environnement. Cette étude révèle l’interaction flexible des deux cadres de référence pour le contrôle des cellules de lieu.

Figure 2.6. Schéma représentant les résultats de Gothard et al. (1996). Les rats sont entraînés à faire des aller-retour entre une boîte de départ et une coupelle de nourriture (goal) sur un couloir.

Pendant le trajet de sortie, la boîte de départ peut être bougée à différents endroits (en bas). Sur la portion initiale, les cellules déchargent à une distance constante de la boîte de départ (cell A), alors que sur la portion finale, les cellules déchargent par rapport aux indices fixes (cell B), ce qui suggère un contrôle par l’intégration du trajet et par les indices environnementaux respectivement.

Modifié d’après Gothard et al., 1996.

Dans une autre expérience mettant en conflit les informations allothétiques et idiothétiques, Jeffery et O’Keefe (1999) ont examiné quel type d’information prédomine dans le contrôle de l’activité des cellules de lieu. Ils ont réalisé un conflit entre un indice distal (carte accrochée aux rideaux entourant l’arène) et la position du rat (figure 2.7). Ils confinent le rat dans une petite boîte opaque au centre de l’arène, placée sur un plateau tournant, et ensuite procèdent à la rotation de la carte et du plateau afin d’évaluer si les champs d’activité sont contrôlés par la carte (repères allothétiques) ou bien par la position de l’animal (repères inertiels idiothétiques). Avant ce conflit, un groupe de rats a subi un entraînement dans lequel la carte bougeait d’un essai à l’autre. Un autre groupe n’a pas eu l’expérience que la carte pouvait bouger d’un essai sur l’autre. Chez les rats qui ont vu la carte bouger, les champs d’activité sont plutôt contrôlés par la position de l’animal, alors que chez les rats qui n’avaient jamais vu la carte bouger, les champs d’activité suivent de préférence la carte. Ainsi, si les repères sont mobiles, les cellules de lieu « apprennent » à ne plus les considérer comme des repères fiables, et donc, à plutôt se fier aux informations vestibulaires.

Figure 2.7. Dispositif d’enregistrement de Jeffery et O’Keefe (1999).

Dans d’autres types d’études utilisant le conflit, les indices environnementaux sont tournés pendant que l’animal reste dans le dispositif. Des travaux ont montré que lors d’une rotation de 45° des repères environnementaux en présence de l’animal, représentant un conflit modéré, les champs d’activité demeurent sous le contrôle des indices visuels (Knierim et al., 1998 ; Rotenberg et Muller, 1997).

Par contre, lors d’une rotation plus importante (180°), soit les champs d’activité restent stables, ce qui suggère un contrôle des champs d’activité par les informations idiothétiques (Rotenberg et Muller, 1997), soit un remapping (chapitre 7.1) se produit, ce qui suggère la formation d’une nouvelle représentation (Knierim et al., 1998 ; Gothard et al., 1996 ; Bures et al., 1997).

La stabilité des champs d’activité est donc assurée par l’interaction dynamique entre les informations allothétiques et idiothétiques. McNaughton et collaborateurs ont proposé que le câblage intrinsèque de l’hippocampe permettrait l’utilisation instantanée des informations idiothétiques alors que les informations allothétiques seraient progressivement incorporées à la représentation (McNaughton et al., 1996).

Toutes ces études mettent en évidence la flexibilité du système des cellules de lieu et sa capacité à s’adapter en maintenant une représentation spatiale cohérente, malgré l’absence d’une ou de plusieurs modalités sensorielles, ou malgré les changements environnementaux générés par des pertes d’indices ou par des conflits.

Finalement, les études visant à mieux comprendre le contrôle sensoriel de l’activité des cellules de lieu, montrent clairement la complexité et la diversité des réponses enregistrées, ce qui reflète aussi la diversité des entrées du système hippocampique et met en évidence l’intégration multimodalitaire qui prédomine dans cette structure. C’est justement cette caractéristique qui permet à l’animal de compenser la perte ou la distorsion de l’information lors d’une modification environnementale, et qui lui permet de naviguer de manière efficace.