De nombreuses méthodes ont été décrites dans la littérature pour évaluer et quantifier les caractéristiques électroniques des ligands de type diphosphine, et plus particulièrement la densité électronique sur les atomes de phosphore. Nous présentons ici trois de ces méthodes qui ont été appliquées plus particulièrement aux diphosphines chirales par atropoisomérie.
a. Mesure du pouvoir σ-donneur (diphosphine libre)
Le pouvoir σ-donneur d'une diphosphine, c'est à dire la disponibilité plus ou moins grande du doublet libre des atomes de phosphore vis à vis des orbitales du métal, peut s'évaluer en RMN du phosphore par la mesure des constantes de couplage 1J(31P-77Se) dans des disélénures de diphosphine correspondantes ((P*P)Se2).
En effet, les travaux de Allen et Taylor351 ont montré que plus cette constante de couplage 1J(31P-77Se) était grande, plus la distance entre les atomes de phosphore et de sélénium était petite, c'est à dire moins la diphosphine était basique. Ainsi, si la diphosphine est substituée par des groupements électro-attracteurs, cette constante augmente ; alors que si elle est substituée par des groupements électro-donneurs, elle diminue. L'équipe de Keay a utilisé ce résultat pour comparer le pouvoir σ-donneur de trois diphosphines atropoisomères, le BINAP, le BITIANP et le BINAPFu (Schéma 210).136 Les deux diphosphines à motif bihétéroaromatiques (J = 762Hz pour le BINAPFu et J = 754 Hz pour le BITIANP) sont ainsi beaucoup moins riches en électrons que le BINAP (J = 738 Hz).
PPh2 2
O PPh2
Se 2 Se
S PPh2 2 Se
1J(31P-77Se) 762 Hz
754Hz 738Hz
pouvoir σ-donneur
(BINAP)Se2 (BITIANP)Se2 (BINAPFu)Se2
Schéma 210
Cette méthode semble donc permettre de comparer les propriétés électroniques des diphosphines à motif biphénylique et bihétéroaromatique.
351 Allen, D. W.; Taylor, B.F. J. Chem. Soc. Dalton Trans. 1982, 51.
b. Mesure du potentiel d’oxydation (diphosphine libre)
Dans le cadre d’une étude générale sur les propriétés des diphosphines bihétéroaromatiques, l'équipe de Sannicolò a mesuré le potentiel d'oxydation du couple (P/P.) par voltamétrie cyclique pour une large gamme de diphosphines atropoisomères.352
Plus le potentiel d'oxydation est élevé, plus la densité électronique sur les atomes de phosphore est faible. Un exemple de diagramme de voltamétrie cyclique est représenté sur le Schéma 211 pour le ligand Cy-BIMIP (E° = 1.00 V).
Schéma 211
Ainsi les auteurs classent les diphoshines chirales par atropoisomérie en trois catégories :
9 les diphosphines riches en électrons pour lesquelles E° < 0.68 V,
9 les diphosphines moyennement riches pour lesquelles 0.68 < E° < 0.85 V, 9 les diphosphines pauvres en électrons pour lesquelles E° > 0.85 V.
Quelques exemples représentatifs des valeurs de E° obtenues pour les diphosphines chirales par atropoisomérie sont représentés sur le Schéma 212. Ainsi, le N-Me-2-BINP (E° = 0.52 V) est plus riche en électrons que le BINAP (E° = 0.63 V), qui lui-même est plus riche que le BITIANP (E° = 0.83 V).
BITIANP E° = 0.83 V
S
S PPh2
PPh2
N-Me-2-BINP E° = 0.52 V
N N
PPh2 PPh2
PPh2 PPh2
BINAP E° = 0.63 V richesse électronique
Schéma 212
352 a) Benincori, T.; Brenna, E.; Sannicolò, F.; Trimarco, L.; Antognazza, P.; Cesarotti, E.; Demartin, F.; Pilati, T.; Zotti, G. J. Organomet. Chem. 1997, 529, 445. b) Celentano, G.; Benincori, T.; Radaelli, S.; Sada, M.;
Sannicolò, F. J. Organomet. Chem. 2002, 643-644, 424.
Cy-BIMIP E° = 1.0 V
N N N
N PCy2 PCy2
Les auteurs ont corrélé ces propriétés électroniques avec les études effectuées dans diverses réactions de catalyse asymétrique :
9 En hydrogénation asymétrique, les diphosphines bihétéroaromatiques riches en électrons sont bien plus actives que les diphosphines bihétéroaromatiques pauvres en électrons. Pour l’exemple de l’hydrogénation de l’acétoacétate d’éthyle catalysée par des complexes de ruthénium, les auteurs précisent qu’il existe une relation linéaire entre le potentiel d'oxydation de la diphosphine (E°) et le logarithme de la constante de réaction (kobs) : plus le ligand est riche en électrons (plus E° diminue), plus la réaction d’hydrogénation est rapide (kobs augmente).353
Nous avons effectué cette corrélation entre E° et kobs et il s'avère que la régression linéaire qui relie au mieux ces points est en réalité une courbe polynomiale d'ordre deux (Schéma 213). Le seul point qui est "hors" de cette courbe de tendance est celui qui correspond au BINAP, seul ligand à squelette biphényle de la série. Il convient donc d’être prudent avant de généraliser ces observations à l’ensemble des diphosphines chirales par atropoisomérie.
O OH
* 100 bar / 40°C / EtOH
OEt
O O
OEt 0.1 % [RuCl2(DMF)n(P*P)]
kobs
y = -7,1201x2 + 6,8049x - 6,0818 R2 = 0,9769
-7 -6,5 -6 -5,5 -5 -4,5 -4 -3,5 -3
0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1 1,1
E° (V) log kobs
Schéma 213
9 En réaction de Heck asymétrique intermoléculaire catalysée par le palladium, Tietze a montré que ce sont au contraire les diphosphines hétéroaromatiques pauvres en électrons (BITIANP, E° = 0.83 V) qui donnent les meilleures sélectivités (ee = 93%, Schéma 214). Le ligand tetraMe-BITIOP (E° = 0.57 V), plus riche en électrons, fournit des excès énantiomériques décevants (ee = 2%).134
353 Benincori, T.; Piccolo, O.; Rizzo, S.; Sannicolò, F. J. Org. Chem. 2000, 65, 8340.
BINAP
tetraMe-BITIANP BISCAP
BICUMP N-MOM-2-BINP
N-Me-2-BINP tetraMe-BITIOP
(R)-BINAP (S)-BITIANP (S)-tetraMe-BITIOP Pd2(dba)3, (R)-P*P
éponge à protons DMF, 90°C
ee = 70%
ee = 93%
ee = 2%
N OMe O
+ N
OMe O OTf
tetraMe-BITIOP S
PPh2
2
E° = 0.57 V BITIANP
S PPh2 2
E° = 0.83 V
Schéma 214
Les études effectuées par Sannicolò et Tietze confirment donc qu’il n’existe pas de diphosphine aux propriétés électroniques idéales et que chaque réaction catalytique nécessite un choix de ligand spécifique. La possibilité de pouvoir quantifier la densité électronique du phosphore par la mesure du potentiel d’oxydation E° permet donc de rationaliser ce choix de ligand.
c. Mesure du pouvoir π-accepteur (diphosphine chélatée)
Les deux méthodes précédentes de mesure de densité électronique présentent un inconvénient majeur dans le cadre de notre étude, puisqu’elles mesurent uniquement le pouvoir σ-donneur des diphosphines et ne prennent pas en compte leurs propriétés de chélation vis-à-vis d’un métal de transition. En effet, au sein d’un complexe organométallique, la liaison phosphore métal se compose :
9 d’un recouvrement σ entre les orbitales s pleines du phosphore et les orbitales du métal de symétrie axiale (donation phosphine -> métal)
9 d’un recouvrement de type π entre les orbitales p vides du phosphore et les orbitales d pleines du métal (rétrodonation métal -> phosphore)
Il a été montré dans la littérature, que la fréquence de vibration infrarouge du ligand carbonyle (CO) dans les complexes de type [Rh(CO)Cl(P*P)] était directement reliée aux propriétés électroniques de la diphosphine (P*P).354 Ce résultat a par exemple été utilisé par l’équipe de Takaya pour comparer les basicités relatives du BINAP et de ses analogues.47
En effet, lors de la chélation sur le rhodium du ligand CO, qui est un excellent π- accepteur, la donation σ s’équilibre avec la rétrodonation π en fonction de la densité électronique présente sur le métal, c’est à dire ici en fonction des propriétés électroniques de la diphosphine (P*P). Au sein de ces complexes de type métal-carbonyle (MLn(CO)), les effets π sont supérieurs aux effets σ puisque les fréquences de vibration obtenues sont de l’ordre de 2000 cm-1 (Schéma 215).
354 Vastag, S.; Heil, B.; Marko, L. J. Mol. Catal., 1979, 5, 189.
M C O
M C O
la donation σ C-M augmente ν(CO) par rapport au ν(CO libre)
la retrodonation π M-C abaisse ν(CO) par rapport au ν(CO libre)
ν(CO)
2143 cm-1 CO libre
π σ
MLn(CO) complexe metal-
carbonyle effets
Schéma 215
La fréquence de vibration infrarouge du ligand carbonyle est proportionnelle à la distance C-O et peut donc donner des informations précises sur les caractéristiques électroniques du complexe [Rh(CO)Cl(P*P)] : plus la fréquence de vibration IR du ligand carbonyle est petite, plus la distance C-O est petite, donc plus la distance carbone–métal est grande et plus la diphosphine donne d’électrons au métal.
Ainsi, si une diphosphine comporte des groupements électro-donneurs, la fréquence de vibration IR du CO dans [Rh(CO)Cl(P*P)] sera petite, alors que si elle comporte des groupements électro-attracteurs, cette fréquence sera grande.
La comparaison des différentes valeurs de ν(CO) obtenues permet d’établir un classement des diphosphines P*P en fonction de la densité électronique présente sur le phosphore. Contrairement aux deux échelles de classement électronique précédentes, cette méthode permet d’appréhender plus précisément les propriétés électroniques d’une diphosphine au sein d’un complexe organométallique.
2. Résultats : comparaison des trois échelles électroniques
Afin d’évaluer précisément les propriétés électroniques des ligands SYNPHOS et DIFLUORPHOS au sein de la famille des diphosphines atropoisomères, nous avons donc choisi d’évaluer les profils électroniques d’une trentaine de diphosphines de ce type selon les trois échelles électroniques que nous venons de définir. Les résultats sont rassemblés dans le Tableau 17 (1 à 3).
Les ligands que nous avons choisis pour cette étude se classent en trois catégories : 9 les diphosphines à motif biphényle comportant des groupements PPh2 (BINAP,
MeO-BIPHEP, SEGPHOS, SYNPHOS, DIFLUORPHOS, etc…),
9 les diphosphines à motif biphényle comportant de groupements aryles variés sur les atomes de phosphore (3,5-diMe-MeO-BIPHEP, p-Tol-SYNPHOS, etc…),
9 les diphospshines à motif bihétéroaromatique (tetraMe-BITIOP, BITIANP, BICUMP, etc…).
Pour chacune de ces diphosphines, nous avons synthétisé les disélénures de diphosphine ((P*P)Se2) correspondants (Schéma 216) et mesuré la constante de couplage
1J(31P-77Se) par RMN du phosphore 31P. A l'état naturel, l'atome de sélénium se présente de
façon majoritaire sous la forme de son isotope 78Se (93%) à spin nul qui ne permet pas de visualiser de couplage en RMN 31P (signal singulet majoritaire), alors que son isotope minoritaire 77Se (7%) couple avec les atomes de phosphore de la diphosphine. On observe alors un doublet de faible intensité en RMN 31P avec une constante de couplage 1J caractéristique du disélénure de diphosphine (Schéma 217). Ces constantes de couplage sont rassemblées dans le Tableau 17 (1 à 3) pour l’ensemble des diphosphines étudiées.
P P
*
P P
* Se
Se Se (poudre)
CHCl3, reflux
35.9409 33.8770 33.6788 33.6483 33.6178 33.4014 31.3588
(ppm)
31.2 31.6 32.0 32.4 32.8 33.2 33.6 34.0 34.4 34.8 35.2 35.6 36.0
PPh2
1J(31P-77Se) = 738 Hz 2
77Se
PPh2
77Se : spin nul PAS DE COUPLAGE
2 78Se
Schéma 216 Schéma 217 : spectre RMN 31P du disélénure de BINAP
Les potentiels d’oxydation E° du couple (P/P.) ne sont disponibles dans la littérature que pour les diphosphines à motif bihétéroaromatique. En collaboration avec l’équipe de F.
Sannicolò de l’Université de Milan, nous avons étendu ces mesures de E° par voltamétrie cyclique aux ligands à motif biphényle. Les résultats obtenus pour une large gamme de ligands sont également rassemblés dans le Tableau 17.
Enfin, pour chaque diphosphine de cette étude comparative, nous avons synthétisé les complexes [Rh(CO)Cl(P*P)] à partir du dimère de rhodium [RhCl(CO)2]2 et de deux équivalents de diphosphine comme indiqué sur le Schéma 218. Le spectre infrarouge de ces complexes présente une bande d’absorption caractéristique du ligand CO (ν(CO)) qui permet de classer les différents complexes en fonctions des propriétés électroniques de la diphosphine P*P.
Rh Cl Rh Cl
CO CO OC
OC
P * P
CH2Cl2, T.A., 2h RhCO P Cl P
*
2
2
Schéma 218
Les différentes diphosphines de cette étude ont été classées dans le Tableau 17 par ordre de basicité décroissante, c'est-à-dire du plus riche au plus pauvre en électrons en fonction des valeurs de ν(CO) des complexes [Rh(CO)Cl(P*P)] (classement par valeurs de ν(CO) croissantes). Les valeurs de 1J(31P-77Se) et E° ont été indiquées pour chaque ligand afin d’effectuer une comparaison des trois échelles électroniques.
RhCO P Cl P
*
P P
*
Se
Se P
P
*
entrée
P P
*
diphosphine IR (νCO,CHCl3) (cm-1)
1J (31P-77Se)
(Hz) E° (V)
1 MeO PAr
2 2
Ar = NMe2
4-NMe2- MeO-BIPHEP
- 708 -
2 MeO PAr
2 2
Ar = OMe
4-OMe- MeO-BIPHEP
- - 0.43
3 N 2
Me PPh2
NMe-2-BINP 2008 715 0.52a
4 MeO PAr2
2
Ar =
3,5-diMe- MeO-BIPHEP
- 730 0.54
5 MeO PAr
2 2
Ar =
tBu
tBu
3,5-di-tBu- MeO-BIPHEP
- - 0.54
6 MeO PAr
2 2
Ar =
OMe
OMe OMe
3,4,5-triMeO- MeO-BIPHEP
- - 0.54
7 MeO PAr
2 2
Ar =
4-Me- MeO-BIPHEP
- 733 -
8 PAr
2 2
O O
Ar =
p-Tol-SYNPHOS - 733 -
9 PAr
2 2
O O
Ar =
m-Xyl-SYNPHOS
2008 734 -
a : ref 352
Tableau 17-1 : ligands riches en électrons
Tableau 17-2 : ligands moyennement riches en électrons
RhCO P Cl P
*
P P
*
Se
Se P
P
*
entrée
P P
*
diphosphine IR (νCO,CHCl3) (cm-1)
1J (31P-77Se)
(Hz) E° (V)
10 MeO PAr
2 2
Ar =
tBu
tBu OMe
4-MeO-3,5-di-tBu- MeO-BIPHEP
- 736 0.58
11 MeO PAr
2 2
Ar =
iPr
iPr
3,5-di-iPr- MeO-BIPHEP
- 738 -
12 MeO PPhPPh2
2 MeO-NaPhePHOS 2009b 739b
742b 0.57
13 PPhPPh22 TriMeNaPhePHOS 2011b 723b
736b -
14 PPh
2 2
O
O SYNPHOS 2012 740 0.57
15 MeO PPh
2 2
MeO-BIPHEP 2014 742 0.66
16 PPh2
2
S tetraMe-BITIOP 2014 722 0.57
17
O
O PPh2
2
SEGPHOS 2016 738 0.56c
18 PPh
2 2
BINAP 2017 738 0.63a
a : ref 352 b : ref 152
c : ref 340 d : ref 136
Tableau 17-3 : ligands pauvres en électrons
RhCO P Cl P
*
P P
*
Se
Se P
P
*
entrée
P P
*
diphosphine IR (νCO,CHCl3) (cm-1)
1J (31P-77Se)
(Hz) E° (V)
19 MeO PAr
2 2
Ar = S
2-thienyl- MeO-BIPHEP
- - 0.68
20 MeO PPh
2 2 Cl
Cl-MeO-BIPHEP 2018 739 0.75
21
O
O PPh2
2
F
F DIFLUORPHOS 2024 749 0.77
22 PPh2
2
S tetraMe-BITIANP 2024 757 0.76a
23 PPh2
2
S
BITIANP 2028 753 0.83a
24 PAr
2 2 O O
Ar = CF3
p-CF3-SYNPHOS - 758 -
25 N 2
PPh2
BISCAP 2032 - 0.90a
26 PPh2
2 O
BICUMP 2033 761 1.03a
27 PPh2
2 O
BINAPFu - 762d -
28 MeO PAr
2 2
Ar = O
2-furyl- MeO-BIPHEP
- 768 0.89
29 MeO PAr2
2
Ar =
CF3
CF3
3,5-di-CF3- MeO-BIPHEP
- - 1.57
a : ref 352 d : ref 136
Le classement électronique établi à l’aide des données du Tableau 17 nous permet d’obtenir des données quantitatives sur les propriétés électroniques des ligands SYNPHOS et DIFLUORPHOS en comparaison avec les autres diphosphines à squelette biphényle. Le classement de cette famille de ligands selon leur pouvoir σ-donneur est représenté sur le Schéma 219.
1J(31P-77Se) 749Hz
742Hz 738Hz
pouvoir σ-donneur
BINAP MeO-BIPHEP DIFLUORPHOS
740Hz SYNPHOS SEGPHOS
P P
* Se
Se
739 Hz
Cl-MeO-BIPHEP
734Hz m-Xyl-SYNPHOS
758Hz p-CF3-SYNPHOS
733Hz
p-Tol-SYNPHOS
Schéma 219
On constate que les ligands à squelette biphényle oxygéné comme le SEGPHOS, le MeO-BIPHEP, le Cl-MeO-BIPHEP et le SYNPHOS (J(P-Se) = 738-742 Hz)) possèdent un pouvoir σ-donneur proche de celui du BINAP (J(P-Se) = 738 Hz). En revanche, le DIFLUORPHOS se démarque nettement de cette série de ligands avec une constante J(P-Se) de 749 Hz, caractéristique d’une diphosphine beaucoup moins riche en électrons. Ainsi, le SEGPHOS et le DIFLUORPHOS, dont la structure ne diffère que par la présence d’atomes de fluor sur le motif benzodioxole, présentent des profils électroniques littéralement opposés.
L’introduction de substituants sur les groupements phényle du SYNPHOS induit des modifications électroniques importantes pour ce ligand. Le p-Tol-SYNPHOS et le m-Xyl- SYNPHOS (J(P-Se) = 733-734 Hz) sont en effet plus riches en électrons que le SYNPHOS (J(P-Se) = 740 Hz), alors que le p-CF3-SYNPHOS (J(P-Se) = 758 Hz) est un ligand avec un pouvoir σ-donneur beaucoup plus faible que celui du SYNPHOS.
L’échelle électronique des ligands à motif biphényle obtenue à partir des données infra-rouge ν(CO) des complexes [Rh(CO)Cl(P*P)] permet d’obtenir le classement des diphosphines représenté sur le Schéma 220. On constate que ce paramètre ν(CO) permet d’affiner le classement préliminaire effectué sur le Schéma 219 effectué à partir des données de RMN 31P. En effet, les différences électroniques observées sur cette échelle tiennent compte du pouvoir π-accepteur des diphosphines. Par exemple, le Cl-MeO-BIPHEP se démarque nettement du MeO-BIPHEP alors que leurs pouvoirs σ-donneurs étaient proches sur l’échelle du Schéma 219.
De plus on constate très nettement sur cette échelle électronique que les ligands SYNPHOS et DIFLUORPHOS, qui nous intéressent plus particulièrement dans cette étude, sont placés aux deux extrémités de ce classement, le DIFLUORPHOS possédant un pouvoir π-accepteur nettement plus important (ν(CO) = 2023 cm-1) que le SYNPHOS (ν(CO) = 2012 cm-1) et son analogue non fluoré le SEGPHOS (ν(CO) = 2016 cm-1) (Schéma 220).
ν(CO) (cm-1)
pouvoir π-accepteur BINAP
MeO-BIPHEP DIFLUORPHOS
2012 2014 2017 2023
RhCO P Cl
*P
SYNPHOS SEGPHOS
2016 2018
Cl-MeO-BIPHEP
2008 m-Xyl-SYNPHOS
Schéma 220
3. Comparaison des différentes échelles
Ces quelques remarques concernant les ligands biphényliques nous permettent de constater que les trois échelles ne mesurent pas exactement le même type de propriétés électroniques. Seule l’échelle des ν(CO) représente réellement le comportement électronique de la diphosphine au sein d’un complexe organometallique et c’est donc le classement que nous allons privilégier par la suite pour étudier l’influence des propriétés électroniques sur l’activité et la sélectivité des diphosphines en catalyse asymétrique.
Le Graphique 2 représente un classement des différents ligands du Tableau 17 en fonction de leur place sur cette échelle des fréquences de vibration infrarouge de [Rh(P*P)(CO)Cl].
N-Me-2-BINP m-Xyl-MeOBIPHEP
m-Xyl-SYNPHOS DTBM-MeOBIPHEP
MeO-NaPhePHOS SYNPHOS
MeO-BIPHEP Tetra-Me-BITIOP
SEGPHOS BINAP Cl-MeOBIPHEP
DIFLUORPHOS Tetra-Me-BITIANP
BITIANP BISCAP
BICUMP
2-furyl-MeOBIPHEP
Rh 2000
2005 2010 2015 2020 2025 2030 2035
2040 ν(CO) in (P*P)Rh(CO)Cl (cm-1)
Graphique 2
Le Graphique 3 et le Graphique 4 reprennent le classement des ligands selon l’échelle précédente et représentent respectivement les valeurs de 1J (31P-77Se) des sélénures de diphosphines et les valeurs de potentiel électrochimique E° du couple (P/P.).
Graphique 3 Graphique 4
Cette comparaison d’échelles électroniques montre que les classements des diphosphines atropoisomères selon les ν(CO) dans les complexes [Rh(P*P)(CO)Cl] et selon les valeurs de E°(P/P.) sont quasiment identiques (à l’exception du MeO-BIPHEP qui ne se place pas au même endroit sur les deux échelles). D’autre part le classement électronique que nous avons effectué permet de comparer à la fois les diphosphines à motif biphényle et celles à motif bihétéroaromatique.
Le Graphique 5 illustre également cette bonne corrélation entre les deux paramètres énergétiques ν(CO) et E°(P/P.), entre lesquels on observe une relation quasi-linéaire pour une large gamme de diphosphines chirales par atropoisomérie.
y = 0,0062x + 0,2463 R2 = 0,922
0,247 0,248 0,249 0,25 0,251 0,252 0,253 0,254 0,255
0,50 0,60 0,70 0,80 0,90 1,00 1,10
E (V)
v (CO) in Volt
TMBTP
tetraMe-BITIANP
BISCAP
N-Me-2-BINP
BICUMP BINAP
BITIANP
DIFLUORPHOS MeO-BIPHEP
SEGPHOS
SYNPHOS
Graphique 5
N-Me-2-BINP m-Xyl-MeOBIPHEP
m-Xyl-SYNPHOS DTBM-MeOBIPHEP
MeO-NaPhePHOS SYNPHOS
MeO-BIPHEP Tetra-Me-BITIOP
SEGPHOS BINAP Cl-MeOBIPHEP
DIFLUORPHOS Tetra-Me-BITIANP
BITIANP BISCAP
BICUMP
2-furyl-MeOBIPHEP
Se 700
710 720 730 740 750 760
770 J(P-Se) in (P*P)Se2 (Hz)
N-Me-2-BINP m-Xyl-MeOBIPHEP
m-Xyl-SYNPHOS DTBM-MeOBIPHEP
MeO-NaPhePHOS SYNPHOS
MeO-BIPHEP Tetra-Me-BITIOP
SEGPHOS BINAP Cl-MeOBIPHEP
DIFLUORPHOS Tetra-Me-BITIANP
BITIANP BISCAP
BICUMP
2-furyl-MeOBIPHEP E 0,4
0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1 1,1
E° (Volts)
4. Bilan : profil stéréoélectronique des ligands SYNPHOS et DIFLUORPHOS
Cette étude détaillée des propriétés stériques et électroniques intrinsèques des diphosphines atropoisomères nous permet d’effectuer deux types de classement des ligands à motif biphényle : un premier classement stérique, basé sur l’angle dièdre θ du biaryle, et un classement électronique, basé sur la fréquence de vibration infrarouge du ligand CO dans les complexes [Rh(P*P)(CO)Cl].
Si nous mettons en parallèle ces deux échelles de classement, nous constatons que l'angle dièdre et le caractère π-accepteur des ligands BINAP, MeO-BIPHEP, SYNPHOS et DIFLUORPHOS, qui vont nous intéresser plus particulièrement dans la suite, ne varient pas dans le même sens pour les quatre ligands (Schéma 221).
richesse électronique
BINAP MeO-BIPHEP SYNPHOS DIFLUORPHOS
angle dièdre
BINAP MeO-BIPHEP
DIFLUORPHOS SYNPHOS
profils stériques comparables profils électroniques
opposés
Schéma 221
Alors que les trois ligands BINAP, MeO-BIPHEP et SYNPHOS se placent sur des échelles stériques et électroniques superposables, le DIFLUORPHOS se place aux deux extrémités de ces classements. Ce ligand possède un profil stéréoélectronique atypique puisqu’il possède un angle dièdre faible et une densité électronique faible sur les atomes de phosphore, ce qui n’est le cas d’aucune autre diphosphine connue à motif biphényle.
A ce stade, nous disposons donc de deux diphosphines SYNPHOS et DIFLUORPHOS, dont les profils stéréoélectroniques sont littéralement complémentaires. La suite de ce travail a donc consisté à évaluer ces ligands en catalyse asymétrique et à déterminer l’influence exacte des propriétés stériques (angle dièdre θ) et électroniques (basicité du phosphore) des diphosphines chirales par atropoisomérie sur leurs performances en catalyse (activité et sélectivité).
C. Influence des paramètres stéréo-électroniques sur la cinétique en hydrogénation