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Chapitre 1 Des cadres institutionnels aux cadres théoriques et empiriques pour étudier la théoriques et empiriques pour étudier la

1.2 Narration et ergonomie

1.2.3 Confrontation des paradigmes

Après avoir illustré et relaté l'historique de ces paradigmes, nous proposons au cours de ce paragraphe de les confronter du point de vue des thématiques d'entrée, de l'unité d'analyse, ainsi que des méthodologies. Nous terminerons en précisant ce que nous en retenons pour la suite de ce travail.

1.2.3.1 Thématiques prédominantes ou sous jacentes dans l'analyse de la narration selon les approches

Les études relatées ci-dessus appréhendent les activités narratives selon différents focus, niveaux d'analyse ainsi qu'en empruntant divers points d'entrée, elles apportent toutes un éclairage particulier.

Les éléments qui ressortent de l'étude de Hayes et Flowers (1980) sont les fortes itérations temporelles.

Leur analyse nous parait cependant limitée dans la mesure où elle n'englobe pas les artefacts externes.

O'Hara et al. (2002) évoquent la complémentarité des artefacts numériques et papiers, ce qui nous conforte dans l'idée d'appréhender les outils existants au sens large. Mashall (1998) et Piolat et al;

(2005) rendent compte de la diversité et de la variabilité des stratégies d'annotation en fonction des caractéristiques des sujets et de leurs projets. Havelange et al. (2003) et O'Hara et al. (2002) mettent en évidence l'intrication de l'écriture et de la lecture.

Piolat et al.(2005) et Piolat et Olive (2000) étudient l'activité de prise de notes et l'activité de rédaction mais dans deux études distinctes. Quant à Decortis et al. (2001) et Brunner (1990), ils abordent la narration selon un empan temporel large et de leur point de vue l'expérience semble au cœur des processus narratifs. Ils évoquent la fonction dialogique, nous pourrions dire réflexive du récit, ainsi que les diverses étapes qui consistent à vivre, puis relater son expérience et enfin la mettre en forme pour rendre la narration compréhensible par autrui.

Enfin De Van Hoven (2004) et les tenants de la cognition située laissent une place prépondérante à la mémoire dans leurs analyses. Cependant ils adoptent deux positions différentes à propos de la conceptualisation de la mémoire. En effet, dans son étude, De Van Hoven (2004) teste l'effet de certains artefacts intermédiaires sur la remémoration de l'évènement (ex : odeur…). A cette fin, elle s'appuie notamment sur le modèle tripartite élaboré par Baddeley (1999). Elle explore donc la mémoire autobiographique qu'elle situe comme une sous mémoire à long terme : la mémoire épisodique. Les hypothèses sous jacentes de l'étude sont que tous les sujets présentent tous les mêmes prédispositions aux différentes modalités sensorielles. Ce cadre théorique évacue totalement une dimension primordiale de la mémoire autobiographique, à savoir la subjectivité. Mais plus gênant à notre sens a été le choix de l'auteure de tester l'effet d'artefacts intermédiaires imposés sans que ceux- ci soient le produit ou le choix du sujet. Enfin, le paradigme cognitiviste s'inscrit dans une vision passive de la mémoire. Or l'opposition mémoire passive versus mémoire active (la mémoire comme un processus actif) a déjà été analysée par Bartlett (1932) qui démontre les impasses où conduit le fait de considérer la mémoire comme un processus passif. En effet, à partir d'études expérimentales, il montre que la remémoration est une construction et non une simple reproduction. A ce titre, Stiegler (1994) et Havelange et al. (2003) s'inscrivent également contre l'idée d'une mémoire passive. Le concept de

finitude rétentionnelle de Stiegler évoque clairement une mémoire qui oublie le passé pour pouvoir le reconstruire, et souligne l'externalisation de la mémoire dans des artefacts externes. Cette dernière position est d'ailleurs largement relayée par la cognition distribuée. Plus précisément, Hutchins (1995) a étudié la manière dont un cockpit mémorise sa vitesse. Il fait référence au rôle joué par la coordination des représentations des divers médias (carte de vitesse, cadran, configuration des ailerons, des représentations orales…). Ces mémoires et/ou représentations externes fournissent une information qui peut être directement perçue et utilisée sans avoir besoin d'être interprétée et formulée explicitement. Elles permettent donc d'ancrer et de structurer le comportement cognitif en contraignant le choix des possibilités. Elles participent à modifier la nature de la tâche et sont une part indispensable du système représentationnel de toute tâche distribuée.

Pour finir, et en résonnance avec les thématiques soulevées dans les études ci-dessus que sont l'expérience et la mémoire, arrêtons nous sur les réflexions de certains chercheurs en ergonomie de langue française (Rabardel, 2000 ; Sauvagnac et al. 1997 ; Folcher, 1999) : Ils se sont interrogés sur l'articulation de la mémoire et des activités réflexives. Ils se positionnent contre le concept de mémoire passive en soulignant les différences entre les contextes de production et de réutilisation de la mémoire qui impliquent une reconstruction des connaissances mémorisées pour leur utilisation. Ils montrent que la mémoire organisée est étroitement liée à l’action, autant pour le recueil que pour la réutilisation.

En effet, le travail de rappel va filtrer, réorganiser les expériences pour en donner une vue opératoire en fonction des objectifs nouveaux, ils insistent donc sur l’importance de l’individualisation (chaque sujet a des objectifs spécifiques), de la contextualisation (les différentes manières de réutiliser les éléments mémorisés en fonction du contexte de mémorisation et de réutilisation) et de l’anticipation du futur (au moment du recueil, les éléments peuvent être organisés en fonction des possibles réutilisations ultérieures)

Pour résumer, reprenons les grands points qui attirent notre attention : la mémoire passive semble inopérante pour traiter des activités narratives mobiles et post-mobiles. L'expérience et la signification sont indispensables à une analyse narrative d'évènements vécus, tout comme la prise en compte de la diversité des artefacts externes (numériques et papiers) mobilisés au cours des activités narratives.

Enfin, un large empan temporel nous permettra d'appréhender les activités narratives mobiles et post- mobiles en incluant la signification, l'expérience et les artefacts externes.

1.2.3.2 Les unités d'analyse de chaque approche

Tout d'abord, le paradigme cognitiviste se focalise sur les processus cognitifs internes et prend plus ou moins en compte le contexte. En effet, dans cette perspective, l'esprit humain est assimilé à un système de manipulation de symboles descriptibles et modélisables selon la métaphore computationnelle. A contrario, l'action située (Suchman, 1987) adopte comme unité d'analyse la situation d'interaction.

Cette approche laisse donc une place prépondérante au contexte, ce qui a un impact théorique, elle exclut l'idée de planification. En effet, dans ce cadre, les plans ne déterminent pas l'action qui serait plutôt opportuniste, voire réactive. Ce sont les interactions sociales qui priment dans l'action située et le but est construit dans la situation. La cognition située (Lave, 1988) retient comme unité d'analyse l'environnement équipé. L'action est guidée et inscrite dans l'environnement spatial et social. Elle prend en compte le rapport entre l'action humaine et l'environnement. À ce titre, Nardi (1996) résume le positionnement de l'action et de la cognition située de la manière suivante : la structure de l'activité n'est pas quelque chose qui précède mais qui est directement liée à la situation immédiate. La cognition distribuée (Hutchins, 1995) ne concerne plus seulement l'individu mais un système fonctionnel constitué d'agents humains, d'artefacts et d'objets en interaction. Dans ce cadre, la relation

entre un agent humain et un artefact est perçue comme symétrique. L'unité d'analyse est le système fonctionnel engagé dans l'atteinte d'un but. Quant aux théories de l'activité, les actions sont orientées par un but, pour réaliser l'objet. Les buts sont conscients et plusieurs actions peuvent être entremêlées pour remplir le même but. Les objets peuvent être transformés au cours de l'activité : ils ne sont pas des structures immuables, cependant ils ne changent pas de moment à moment. Ils conservent une certaine stabilité au cours du temps. L'unité d'analyse est l'activité qui est structurée en trois niveaux comme le montre la Figure 2 ci-dessous issue de Kutti(1996) : le niveau de l'activité caractérisée par le motif, le niveau des actions orientées vers un but conscient et enfin le niveau des opérations contraintes par les conditions de réalisation du but.

Figure 2 : Organisation des trois niveaux de l'activité (d'après Kuuti, 1996)

Tous les niveaux de l'activité peuvent changer, monter ou descendre en action, opération ou activité.

Enfin, Nardi (1996) précise qu'au sein des théories de l'activité, le contexte est à la fois interne aux gens (objets) et externe (artefact). Les théories de l'activité déterminent une situation en fonction du point de vue subjectif du sujet.

En résumé, contrairement au cognitivisme qui exploite la métaphore computationnelle et contrairement à la cognition distribuée qui se centre sur le système fonctionnel, la cognition située et les théories de l'activité partagent l'idée d'une asymétrie entre le sujet et le dispositif technique. Par contre, les théories de l'activité et la cognition distribuée se retrouvent sur l'idée de l'atteinte d'un but, (que celui-ci engage un sujet ou un système fonctionnel) tandis que l'action située rejette toute idée de plans préalables à l'action. Nous pouvons également préciser que l'action située ne rend pas compte de la subjectivité des acteurs dans son analyse.

1.2.3.3 Méthodologies prônées par les approches

Comme les débats des années 80 l'ont révélé, il existe des différences méthodologiques sous jacentes aux divers paradigmes.

Le cognitivisme prône les études quantitatives en laboratoire. Cette méthodologie présente l'avantage de faciliter le recueil de données variées, de se focaliser sur un phénomène spécifique et d'être accessible en général à un grand nombre de participants. Ceci permet d'effectuer des traitements statistiques des résultats. De fait, les résultats sont souvent généralisables (Monk et al. 1993).

L'objectif est d'évaluer la performance. Ce type d'étude peut cependant être adapté aux évaluations de dispositifs techniques, de maquettes et de prototypes.

La cognition distribuée, les théories de l'activité et l'action située privilégient les études qualitatives en situation naturelle. Elles présentent une pertinence écologique. Les approches qualitatives peuvent, d'une part, se confronter à des problèmes cibles nouveaux, et qui à ce titre n'ont pas de métriques

déterminées associés à ces nouveaux objets d'étude, d'autre part correspondre à une démarche qui consiste à faire émerger de l'activité les structures ayant du sens, afin de ne pas mobiliser de manière aléatoire une grille d'analyse a priori. De plus, ces études qualitatives permettent d'appréhender la diversité et la subjectivité humaine. La comparaison des résultats peut cependant être difficile. C'est une approche qui permet d'explorer et d'identifier des points forts des problématiques ainsi que de nouvelles méthodologies de ces nouveaux objets d'étude. Les études en situation naturelle peuvent être des études de cas ou des études ethnographiques. A ce titre, Nardi (1996) souligne les pré-requis méthodologiques des théories de l'activité de la manière suivante : l'importance d'un temps de recherche suffisamment long pour comprendre les objets des utilisateurs et éventuellement le changement de ces objets de l'activité, faire attention à élargir les patterns d'activité plutôt que relater des fragments épisodiques, utiliser un ensemble de données et de techniques incluant les entretiens, les observations, la vidéo, le matériel historique, et enfin s'engager à comprendre les choses du point de vue de l'utilisateur. En revanche, l'action située et la cognition distribuée privilégient l'enregistrement vidéo. Plus précisément, Suchman (1987) se centre sur des petits temps d'observation et la vidéo est donc la bienvenue pour décrire l'action de manière exhaustive. Elle exclut les entretiens de ses analyses et accorde une importance particulière à la construction de l'action pas à pas au cours du temps. Soulignons cependant que le cours d'action qui s'inscrit dans la lignée de l'action située mobilise méthodologiquement l'enregistrement vidéo et les entretiens d'autoconfrontation dans la perspective d'accéder à la conscience pré-réflexive des acteurs. Les commentaires de l'acteur sur son action permettent de reconstruire la dynamique intrinsèque d'un cours d'action, c'est-à-dire une description articulant conjointement le point de vue propre de cet acteur, et le point de vue d'un observateur-chercheur.

Pour résumer, les partisans de l'approche ethnographique reprochent aux études expérimentales en laboratoire de ne pas être assez sensibles au contexte, de réduire les catégories de données ainsi que d'exclure le sens du comportement observé. Tandis que les expérimentalistes reprochent aux études ethnographiques de ne pas être capables de généraliser leurs données (Monk et al., 1993).

1.2.3.4 Un premier constat sur notre positionnement théorique et méthodologique

A partir de la discussion concernant les paradigmes et en fonction de critères théoriques et méthodologiques, nous allons rendre compte des cadres que nous souhaitons utiliser pour aborder les activités narratives mobiles et post-mobiles.

Tout d'abord, nous considérons l'importance de l'asymétrie du sujet et des dispositifs techniques comme premier axiome. De fait, nous excluons le paradigme du traitement de l'information et de la cognition distribuée bien que nous soyons sensibles à la manière d'englober les artefacts externes de la cognition distribuée. Il s'agit donc dans un second temps de confronter l'action située et les théories de l'activité qui appréhendent différemment leurs objets d'étude. Dans la théorie de l'activité, l'objet est le début de l'analyse. L'objet précède et motive l'activité. L'objet détermine partiellement l'activité et permet de distinguer une activité d'une autre en raison des objets qui sont différents. Cette position s'inscrit en contraste avec la contingence de l'action située, où une activité ne peut être distinguée d'une autre par l'objet, car les objets sont rétrospectifs et réflexifs, et plus précisément des constructions rétrospectives pour Suchman. A priori, nous sommes d'accord avec Nardi (1996) pour souligner que le modèle de l'action située est confiné à ce que les théories de l'activité appellent les niveaux d'action et d'opération (si on exclut la notion de but). L'action située se centre à ce niveau sur la manière dont les

gens orientent les changements de condition. Ces deux approches pourraient donc co-exister avec un focus différent, bien que des contradictions persistent quant à la manière de considérer les objets et les plans qui sont rétrospectifs pour l'action située et prospectifs pour les théories de l'activité. Nardi (1996) évoque également la manière dont les différents paradigmes extraient des structures persistantes de l'activité ou encore de l'action. Selon elle, le niveau d'analyse de l'action située est trop bas pour comparer différentes études, différentes situations. En effet, la description détaillée de toutes les actions pollue les comparaisons en incluant dans la description de l'action, des évènements non présents dans d'autres situations et néglige les notions d'intentionnalité en ne prenant pas en compte les caractéristiques propres des personnes. De plus, elle explique également la divergence de position des deux cadres à propos de la recherche de structures invariantes. Alors que l'identification de structures invariantes de l'activité est une étape nécessaire des théories de l'activité, cette question ne semble pas centrale pour l'action située. Suchman utilise tout de même le terme de routine pour évoquer les invariants, les régularités qui émergent parfois a posteriori. Or, la question des invariants nous semble primordiale pour pouvoir donner un statut scientifique, une valeur de généralisation aux résultats issus de l'activité, d'une part, ainsi que pour alimenter des processus de conception ultérieurs, d'autre part.

Psychologie cognitive Cognition

distribuée Action située Théories de l'activité 1) Asymétrie du sujet (dimension

éliminatoire) ---- ---- +++ +++

2) description singulière au cours du temps

+++ ---

3) recherche de structures invariantes --- +++

Tableau 1: Sélection des cadres théoriques

A ce stade, nous pouvons tout de même souligner les points forts des cadres de l'action située et des théories de l'activité pour appréhender les activités narratives (Tableau 1). D'une part, nous avons la volonté d'articuler une approche nous permettant de faire émerger les objets des activités narratives selon le point de vue du sujet à travers une description temporelle fine, d'autre part, nous tenons à faire émerger des structures invariantes. Ceci nous amènera à effectuer des observations en situation naturelle, en mobilisant l'enregistrement vidéo, ainsi que les outils méthodologiques de l'action située permettant de mettre en évidence les dimensions temporelles de l'activité, tout en adoptant ensuite une approche structuro-fonctionnelle que prônent les théories de l'activité.