• Nenhum resultado encontrado

1.2 - Les collectivités territoriales, porte d’entrée du managérialisme dans le secteur public français

bien que l’on assiste à l’émergence d’une gestion urbaine spécifique anticipant et favorisant parfois les réformes initiées au niveau étatique. Comme le résume Lorrain (1991 : 462), « les collectivités locales participent ainsi à la transformation de notre société car elles sont aux avant-postes, en prise directe sur les besoins. L'Etat n'est pas tout, le local existe et apporte sa marque. Entre le centre et la périphérie la relation est interactive ». En ce qui concerne notre objet de recherche, la réforme des collectivités territoriales a eu pour conséquence inattendue de faire de celles-ci le point d’entrée du managérialisme dans le secteur public français.

1.2 - Les collectivités territoriales, porte d’entrée du managérialisme dans le

réel pouvoir d’action sans nécessairement savoir comment le mettre en œuvre. Afin de gérer le changement de rôle des collectivités et la croissance des effectifs de leurs bureaucraties, les élus ont souvent eu recours aux cabinets de conseils en management. Plus vastes, car les missions qui leur furent confiées ont couvert toutes les dimensions du savoir gestionnaire (RH, stratégie, contrôle de gestion, systèmes d’information, communication, marketing…).

Plus profondes, car ces interventions visaient parfois à transformer drastiquement la totalité de l’administration communale pour la calquer sur le modèle de l’entreprise. L’exemple du maire de Nîmes voulant gérer sa ville comme une entreprise à la fin des années 1980 fut souvent évoqué au moment même où l’Etat cherchait à renouveler le service public (Maury, 1997).

Certains observateurs de ces diverses mutations constatent l’apparition d’un « modèle alternatif de gouvernement urbain » (Thoenig, 1998 : 26 ; Huron, 2001) dont la référence est l’entreprise. Cette formule met en exergue la dimension cognitive et symbolique du recours aux savoirs et aux outils de gestion dans les municipalités. L’utilisation de ces outils ne répond pas seulement à des problèmes purement techniques, elle trouve sa source à la fois dans un volontarisme politique et une pression de l’environnement porteurs d’une

« philosophie gestionnaire » qui, en retour, est naturalisée et normalisée par ces outils.

Padioleau et Demesteere font une analyse similaire de la mise en œuvre de démarches stratégiques dans les collectivités locales françaises : « Une vision instrumentale de la ville se dégage de ces expériences, incarnée dans la métaphore de l'entreprise. À l'image de celle-ci, symbole-phare de la modernité contemporaine, la ville devient un acteur guidé par le critère d'une rationalité technico-économique de fonctionnement entendue comme la quête de l'efficacité définie dans un langage utilitariste de développement, de productivité, voire même de profit. À la manière d'une entreprise, la ville s'apparente à une organisation, à un instrument pour atteindre des buts. Dès lors, un tel dessein nécessite que la ville excelle dans ses activités de management. Cette représentation instrumentale ne correspond pas simplement à des images, elle recouvre aussi des pratiques, des activités de perception, de connaissance, d'action dans lesquelles des acteurs sociaux investissent des intérêts et des stratégies. Les idées d'instrument, d'entreprise ou d'efficacité rendent possibles, désirables, voire même inéluctables, l'emploi de méthodes managériales. En plus des techniques managériales utilisées dans la gestion quotidienne de la vie urbaine, les outils d'analyse stratégique participent à construire directement des représentations instrumentales de la ville en créant l'impression de pouvoir les contrôler » (Padioleau et Demesteere, 1991 : 18).

D’autres auteurs font une analyse plus nuancée du développement du management dans les collectivités. La mise en œuvre d’une réforme managériale ne signifie pas nécessairement la conversion totale aux valeurs managériales et peut cacher d’autres enjeux. Ainsi, Anquetin (2007 : 184) analysant la politique de modernisation de la ville de Strasbourg à la fin des années 1980, considère que : « ce n’est ni la croyance de l’équipe municipale strasbourgeoise dans les vertus du NPM, ni sa recherche d’un optimum d’efficacité administrative qui expliquent le recrutement d’un secrétaire général ardent promoteur des techniques du public management ». Le recours aux outils et discours de la réforme managériale est parfois sciemment instrumenté par les élus pour éviter une désapprobation massive de la part des fonctionnaires, lors d’une tentative de reprise en main de l’administration après une alternance politique.

De son côté, Ughetto (2004 : 18) montre que dans les collectivités territoriales « il est assez souvent possible d’observer un mouvement qui se rapproche, sans le dire (sans le savoir ?), d’une forme de new public management. Sans viser un achèvement de la réalisation de l’esprit gestionnaire (qui risquerait de tendre vers une économicisation de l’action publique), l’esprit économique semble pénétrer sous la forme d’un effort pour préciser les finalités poursuivies et les mettre en correspondance avec des moyens et des résultats évaluables ». Mais, selon l’auteur, de telles démarches sont d’une part assez partielles car elles ne concernent pas la totalité des opérations menées et, d’autre part, elles « ne procèdent pas d’un souci doctrinaire des élus ou des dirigeants de ces collectivités en faveur du nouveau management public. Les démarches se veulent généralement pratiques et non pas théoriques, d’où le recours aux démarches qualité - empruntées aux entreprises - avec l’appui de cabinets de consultants auxquels les collectivités font appel dans le but d’insuffler de l’efficacité dans le fonctionnement administratif. Certains personnels dirigeants, venus de l’entreprise ou y ayant effectué un passage, incitent à ce transfert, sans qu’il y ait nécessairement érection de l’entreprise au rang de modèle à atteindre mais plutôt de source d’inspiration devant rester relativement libre » (Ughetto, 2004 : 19). Certaines collectivités territoriales, en expérimentant l’adaptation de démarches dont les entreprises se sont révélées adeptes, se trouvent, de près ou de loin, à réinventer le schéma de base du NPM. Ainsi, le managérialisme progresse dans les collectivités territoriales, mais dans des limites qui ne doivent pas être négligées.

Pour comprendre cette progression et ses limites, la grille d’analyse développée par Lorrain (1991) s’avère heuristique. Il propose de concevoir les collectivités territoriales comme des institutions politiques produisant des biens et des services pour un territoire donné : « Trois mots sont importants, politique, production, territoire. Ils représentent trois champs aux logiques différentes et l'originalité des collectivités locales et de se trouver à leur intersection » (Lorrain, 1991 : 464). La politique renvoie à la gestion d’intérêts contradictoires, la production renvoie à la diversité des biens et services délivrés par les collectivités.

Cette fonction de production donne aux collectivités un ancrage matériel, un rapport concret au monde : « la production pèse sur le fonctionnement interne. Elle implique une exigence de fiabilité. Il faut que les choses marchent, il faut respecter des délais et des engagements. Là le réel tire le politique vers le bas, le force à ne pas abandonner aux délices des réformes qui reposent sur des constructions fictives » (Lorrain, 1991 :465). Le territoire, troisième dimension, introduit des composantes patrimoniales et individuelles. Plus que pour toute autre organisation l'ancrage local impose de prendre en compte le passé inscrit dans le patrimoine (Marié, 1989). Cela se vérifie aisément dans les politiques de réhabilitation des centres, dans la gestion des droits fonciers, dans l'organisation spatiale des réseaux urbains. Cette variable territoriale implique aussi une proximité aux habitants. Ainsi, par la gestion des héritages et l’écoute active des habitants « la composante territoriale vient amender la rationalité de l'ordre productif […] La fonction de production implique le respect des délais, une maîtrise des coûts. Pour produire efficacement, il faut de l'organisation : planning et de maintenance des bâtiments ou d'entretien de la voirie. Tout cela est classique dans les entreprises privées. Dans les mairies, cette question va sans cesse être obscurcie par des demandes individuelles, toutes pressantes et toutes légitimes, vont venir désorganiser cet ordonnancement. Une ligne de tension passe donc entre la gestion des imprévus et le respect d'une planification. On peut la résumer comme la rencontre du champ de la production avec celui du territoire » (Lorrain, 1991 : 465).

Cette structuration générale autour de trois champs hétérogènes fait donc naître une série de frictions qui constitue autant de points de fragilité, mais qui fait également la force des mairies: « comme pour les sportifs du triathlon l'originalité des mairies n'est pas d'être les meilleurs en une discipline mais complets dans les trois exercices. Leur force n'est pas d'être

trois champs aux logiques différentes » (Lorrain, 1991 : 466). On peut, à partir de cette grille de lecture, interpréter le développement du managérialisme public local comme le reflet de la montée en puissance de la fonction de production des collectivités locales. Mais, en retour, on peut considérer que les rationalités politiques et territoriales viennent pondérer la rationalité managériale par delà la force du discours entrepreneurial.

Au total, si les termes précis du NPM étaient, de façon générale, irrecevables en France durant les années 1980, les réformes décentralisatrices amorcées dans les années 1970 ont conduit à une intégration progressive des outils de gestion inspiré du secteur privé, qui ont par la suite été consacrés au niveau de l’Etat. L’exemple de la LOLF est à cet égard révélateur puisqu’

une grande partie des dispositions qu’elle prévoit sont depuis longtemps applicables aux collectivités territoriales.