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Des philosophies d’accompagnement divergentes

Un collectif inter - associatif d’insertion : Modèle d’insertion et lutte contre le sida

3.1. L’émergence de la thématique VIH et Emploi

3.1.1. Scission associative

3.1.1.1. Des philosophies d’accompagnement divergentes

L’association Mille Horizons a pour objectif l’insertion professionnelle des PvVIH. L’initiative est valorisée publiquement le 5 octobre 2005, un an après la fermeture de l’association, lors d’un séminaire rassemblant 200 personnes organisé par l’association Sidaction à l’ENSP104 à Rennes :

« Je pense que l’apport qu’a pu faire Mille Horizons au niveau des relations VIH et emploi, c’est cette capacité à mettre en relation l’emploi comme activité concrète avec les services médicaux, l’accompagnement médical et la médecine du travail. C’est à dire que nous avons pu constater que cette collaboration était possible, était nécessaire et que nous sommes arrivés à la mettre en place. » (Ancien directeur Mille Horizons, chargé de mission emploi, Sidaction - séminaire public

« VIH & Emploi », organisé par Sidaction, ENSP, Rennes, 5 octobre 2005).

L’association accueille des PvVIH qui souhaitent retrouver un emploi :

« L’association Mille Horizons s’est donnée pour but la réinsertion professionnelle des personnes contaminées. Selon [Mme X], fondatrice, « alors que d’autres associations agissent pour les séropositifs, Mille Horizons fait avec eux.» Cette association veut occuper un terrain duquel seraient absentes celles qui ont apparu au début de l’épidémie et qui, pour [Mme X], « font surtout de la prévention en jouant sur la peur de la maladie » : les sept salariés aident les 80 personnes qu’ils suivent dans toutes leurs démarches administratives et dans leur recherche d’emploi. » (Bureller, 2001 ; Interdépendances, 2005a). Son objet est d’insérer socialement et professionnellement des personnes atteintes d’une maladie chronique et de manière spéciale des personnes atteintes du VIH et du

104 Ecole Nationale de Santé Publique, devenue Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique.

VHC ; de promouvoir l’information et la prévention sur le VIH et le VHC ; de participer à la formation des différents professionnels sanitaires et sociaux, de l’enseignement autour du VIH et du VHC105.

C’est en raison d’une mésentente concernant la philosophie et la méthode de l’accompagnement des PvVIH qu’il faut comprendre le départ de ces membres de AIDES. Leur projet, fondé sur le constat de demandes croissantes de retour à l’emploi de la part des personnes accueillies à AIDES-Bretagne, ne trouva pas à se développer localement au sein de l’association.

« Au sein de AIDES, c'est vrai que [X – conseiller social - le futur directeur de Mille Horizons]

recevait les personnes et la demande était qu'ils voulaient retravailler et il n'y avait rien. On a essayé de proposer à AIDES en interne des projets sur l'emploi mais ce n'était pas leur priorité. Ils ne voyaient pas du tout l'intérêt et c'est là où la scission a commencé à se faire. » (Entretien, présidente, T2).

On peut s’étonner de ce décalage car, au niveau national, la thématique de l’insertion professionnelle est portée au jour par AIDES et d’autres projets naissent.

En effet, au même moment, AIDES mène une enquête nationale sur l’insertion socioprofessionnelle des PvVIH suite à laquelle la préconisation essentielle est d’organiser des actions concernant le retour et/ou le maintien dans l’emploi, comme l’indique la conclusion du rapport : « En plus des motivations économiques, le profond désir d’insertion ou de maintien dans une activité professionnelle correspond à une projection dans l’avenir et à une dynamique d’action pour les personnes atteintes. Sans projet d’avenir, comment pourraient- elles trouver un intérêt à suivre leur traitement très contraignant ? ». (AIDES, 1997, p.30)106. AIDES renouvelle par ailleurs ce type d’enquête menée en interne

105 Article 2 des statuts de l’association.

106 AIDES Fédération Nationale, 1997, Enquête nationale. Insertion professionnelle des personnes atteintes par le VIH, Résultats complets, Paris, novembre : « Depuis quelques mois, grâce aux effets des nouvelles thérapies, de nombreuses personnes atteintes par le VIH voient leur état de santé s’améliorer. Avec cette nouvelle donne thérapeutique, et dans un contexte économique difficile, reprendre une vie professionnelle interrompue parfois depuis plusieurs années du fait de la maladie peut entraîner un certain nombre de difficultés. (p.4). Notons que l’association AIDES mène régulièrement les enquêtes « Aides et Toi » sur les situations vécues des PvVIH.

en 2000107. L’accent est mis sur le lien avec l’observance des nouvelles thérapies et leur articulation avec l’emploi (Fabre, Tchobanian, 2001)108.

AIDES saisit la problématique du retour et/ou du maintien dans l’emploi mais semble privilégier l’axe de la sensibilisation et de la diffusion des informations en direction de l’entreprise, plutôt que d’expérimenter des actions concrètes pour le retour à l’emploi par la création de structure ad hoc. Bien que l’association crée fin 1990 au niveau national une mission « insertion sociale et professionnelle », les actions concrètes demeurent peu visibles. Impulsées suite au colloque organisé le 14 avril 2000 intitulé « Accès, retour et maintien dans l’emploi des personnes atteintes par le VIH/sida » à Paris, AIDES mena des opérations de sensibilisation sur cette problématique en direction des Cap Emploi et des acteurs du SPE. Ce programme se déroula entre 2002 et 2007 et donna lieu à la publication d’un guide pratique à destination des PvVIH, des acteurs de l’emploi, de l’entreprise et du handicap109.

La fin de la décennie 1990 voit également naître d’autres projets : l’association ARCAT-sida impulse la création de l’association Envol Insertion à Paris, dont

107 L’enquête AIDES IPSOS de 2000, menée auprès de 1007 personnes du réseau de Aides, indique que le retour ou l’accès à l’emploi est une demande pour 67 % des personnes qui ne travaillent pas et le besoin en formation est exprimé par 55 % d’entre elles. 30 % des personnes déclarent avoir eu des problèmes de l’ordre juridique du fait de leur séropositivité. Pour ces personnes, ces problèmes concernent des difficultés de l’ordre professionnel pour 25 % d’entre elles. 31 % des personnes avaient une activité salariée. Cf. AIDES Fédération Nationale, 2000, Enquête AIDES IPSOS 2000 auprès des personnes séropositives et de leurs proches en contact avec l’association AIDES, Rapport final, octobre.

108 FABRE G., TCHOBANIAN R., 2001, « Les tensions actuelles entre le VIH et l’emploi », Sciences Sociales et Santé, vol.19, n°3, pp.43-68. Selon eux, les dispositifs institutionnels de la fin des années 1990 tentaient surtout de combattre le danger de la discrimination, le secret dans le milieu du travail pouvant faire office de protection. « Les dispositifs de prise en charge institutionnelle du handicap permettrait une régulation en fonction des phases de la maladie, à travers la médecine du travail, des dispositifs transitoires comme le mi-temps thérapeutique, ou l’attribution de prestations sociales de substitution au salaire, comme l’AAH. » (p.53). Il s’agit alors surtout de chercher à concilier l’observance des thérapies et le milieu du travail, ainsi que les effets secondaires des traitements qui ont un impact sur la vie au travail, sur le rapport à la hiérarchie et aux collègues.

109 L’association a publié le guide « Travail et Maladie Chronique » en direction des professionnels du handicap, de l’emploi et des entreprises et a impulsé la création de l’association Impatient Chroniques et Associés qui met en place des actions de représentation et de sensibilisation sur la thématique maladies chroniques et Emploi, dans une démarche d’ouverture avec d’autres associations représentant de personnes souffrant de pathologies chroniques. Cf.

AIDES, 2006, Maladies chroniques et emploi. Témoignages et expériences. Guide créé par et à l’usage des personnes concernées décembre ; Chroniques Associés, 2010, Maladies chroniques et emploi. Témoignages et expériences. Guide créé par et à l’usage des personnes concernées, réédition, janvier ; Chroniques Associés, 2010, Maladies chroniques : un défi, nos propositions.

Vivre comme les autres, préfacé par THIAUDIÈRE C. et PIERRU F., mai.

l’objet est l’accompagnement des PvVIH vers l’emploi (Interdépendances, 2005b). AIDES crée le lieu d’accueil « Arc en Ciel » (Weller, 2003) et l’association APARTS conjugue une prise en charge de la maladie avec celle de la marginalité à travers l’hébergement en ACT de personnes en situation de vulnérabilité sociale (Rosman, 1999). Envol Insertion met en place un accompagnement ouvert vers l’extérieur, en s’appuyant sur le milieu du handicap et de l’insertion professionnelle, en opérant comme un passage sur le modèle du cocon, de la structure « cocooning », en mettant en place des informations collectives et des entretiens individuels.

Ces initiatives convergent vers l’idée qu’il est nécessaire de mettre en place des leviers d’insertion des PvVIH mais elles divergent sur la question des modalités de leur mise en place. AIDES s’oriente davantage sur l’idée d’aller vers le droit commun et de créer des supports de communication en direction des entreprises et des acteurs du SPE110. Pour les acteurs associatifs qui quittent AIDES fin 1990, la scission se fonde sur l’opérationnalisation de l’accompagnement vers l’emploi. En effet, ces acteurs défendent l’idée qu’il s’agit de travailler à la fois sur la sensibilisation du monde du travail et des acteurs du SPE et sur l’accompagnement direct des PvVIH pour préparer avec elles le retour à l’emploi.

« Il fallait faire un travail de sensibilisation et d’accompagnement des PvVIH, car si on ne fait pas ça, il y aura une incompréhension lors de la rencontre entre accompagnants du SPE et PvVIH. » (Entretien, président, association d’économie solidaire, août 2012)111.

Ils proposent à AIDES de créer un chantier d’insertion, comme un sas spécifique pour les PvVIH, un milieu de travail à la fois protégé, ouvert et mixte, afin de préparer l’insertion dans l’emploi ordinaire. Cette proposition est refusée par le Conseil d’Administration d’AIDES-Bretagne qui la critique en dénonçant le

110 Sur l’histoire, la dimension politique de AIDES, et la stratégie globale de publicisation du

« visage » de l’épidémie, voir l’article de Pierre Lascoumes : LASCOUMES P., 2009, « Changer le droit, changer la société : le moment d’un retournement », Genèses, 4/2009, n°77, pp.110-123 ; et les chapitres de Pierre-Olivier de Bussher dans l’ouvrage collectif dirigé par Patrice PINELL : PINELL P. (dir.), 2002, Une épidémie politique. La lutte contre le sida en France. 1981-1996, PUF, Paris.

111 Une fois les premiers résultats de la monographie présentée, au cours de la recherche, nous avons réalisé un entretien avec un des fondateurs du collectif inter-associatif, hors de la période principale de l’enquête, en août 2012.

risque de ghettoïsation que ce modèle peut engendrer.

Or, ce choix sera suivi par les acteurs de Mille Horizons qui décident de mener leur expérimentation en faisant d’une certaine manière « cavalier seul ».

L’association sera dès sa création fortement soutenue financièrement par l’association Sidaction et par l’AGEFIPH car elle présente une nouveauté dans le paysage de la lutte contre le sida en France. Cette association « a en effet été la première en France à construire son projet associatif autour de la question du maintien dans l’emploi ou du retour vers l’emploi des personnes atteintes du VIH ou du VHC ». (Bonny, Banovitch, 2013, p.72). Selon le directeur de l’association Mille Horizons, il s’agissait donc de former à la fois les professionnels et les PvVIH pour favoriser la résolution de la problématique VIH et emploi. En effet, le cadre institutionnel doit à la fois être modifié quand l’individu qui s’y insère doit également s’y adapter112.

Le clivage sur le mode opératoire pour organiser l’accompagnement des PvVIH vers l’emploi réside donc dans deux solutions contradictoires qui peinent à être mener sur un front commun : celle de l’orientation vers l’existant et la diffusion d’information de sensibilisation et celle de la création de sas de transition pour travailler la question de l’insertion professionnelle préalablement à l’insertion dans l’emploi durable.