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Spécificités des relations salariales : principe d’égalité entre pratiques et convivialité radicale

D e la prise en charge globale à l’accompagnement vers l’emploi

2.4. L’association : un espace de protection

2.4.3. Gouvernance et délibération associative

2.4.4.4. Spécificités des relations salariales : principe d’égalité entre pratiques et convivialité radicale

Les premières observations que l’on peut faire lorsque l’on partage le quotidien de l’association sont que les relations salariales sont non hiérarchisées. L’harmonie et la cohésion globale entre les membres de l’équipe salariée ressortent très nettement des échanges entre les salariés de l’association. En effet, les différents volets de l’accompagnement ne sont pas hiérarchisés entre eux.

Au regard de l’histoire de l’association, l’accompagnement global était dominé par les aspects liés au soutien psychologique. Les pratiques telles le massage ou les activités physiques adaptées ont progressivement pris leur place dans la palette d’activités de l’association, à travers l’échange et la délibération entre les membres de l’équipe99. Puis l’accompagnement social et professionnel s’est institué comme une facette centrale de la prise en charge globale. Ce volet de l’accompagnement prend progressivement une place importante du fait des questionnements politiques qu’il soulève.

Le fonctionnement non pyramidal de l’association exige un questionnement constant sur les pratiques d’accompagnement proposées par l’association, faisant de la dimension réflexive une caractéristique importante des échanges entre acteurs associatifs.

« C’est à la fois extrêmement exigeant et extrêmement privilégié avec tous les retours qu’il peut y avoir, c’est-à-dire qu’on est à fond, tous, et dans notre engagement professionnel et dans notre engagement affectif, on l’est trop par moment. Il y en a qui ne l’ont pas supporté, il y en une qui est partie, une assistance sociale qui n’a pas supporté et ça nous questionne très souvent parce qu’il y a une forme, oui il y a l’aspect affectif qui, par moment, nous déborde, oui qui est important et même si, ça se voit bien, on voyait ce matin, l’exigence permanente qui est stimulante, qui est passionnante et par moment ça peut être épuisant aussi. » (Entretien, psychologue, T1)

99 Ces aspects sont soulevés par le chargé de mission emploi-formation « C’est un lieu de travail qui permet l’échange et tout est fait pour que l’échange puisse se faire. On a des temps pour ça.

Mais en même temps, il faut toujours être attentifs et vigilant à ce que certaines pratiques ne prennent pas plus de place que d’autres ou soient mises plus en avant. Je pense que les activités physiques adaptées, il a fallu faire leur place. La parole des masseurs, il a fallu que ça prenne sa place. C’est quelque chose qui a été travaillé et qui continue. » (Entretien, chargé de projet emploi-formation, T1).

Ce type de fonctionnement peut également être un facteur d’exclusion quand un nouveau professionnel prend ses fonctions et ne peut s’adapter à cette dynamique de réflexion collective.

Les rapports salariaux à l’intérieur de l’association sont de l’ordre de la relation affective, dépassant bien souvent le simple cadre professionnel (sortie culturelle et artistique commune, par exemple). De plus, ces rapports de travail se développent dans un contexte que l’on qualifie de convivialité radicale. Cette convivialité est le mode d’expression et de circulation de la parole dans la délibération entre les acteurs associatifs et constitue un mode de résolutions des conflits. Mais ce type de convivialité peut avoir des effets non escomptés et être facteur d’exclusion, comme le montre plusieurs départs de professionnels qui ne se sont pas intégrés à ce type de relation sociale100. En cela, le mode de régulation de l’organisation présente une limite.

« Vue aussi l'addition des individus qu'est cette équipe et aussi le passé que l'on a pu avoir avec certaines personnes, je pense qu'il y a une espèce d'aptitude à la convivialité que tout le monde n'a pas, qu'on le veuille ou non. C'est arrivé avec une stagiaire que j'ai eue en art thérapie qui était une très jeune fille, bon... Qui avait déjà un souci je pense par rapport à sa propre discipline et qui avait vraiment un souci à communiquer des choses de sa pratique projective. C'est quelqu'un qui n'avait pas encore vraiment de pratique mais qui avait encore beaucoup de mal à communiquer au groupe et qui avait du mal à être dans une dynamique simple de convivialité avec des gens à un moment donné, ce qui a fait qu'elle s'est très vite sentie exclue. » (Entretien, musicothérapeute, T1).

Néanmoins, cet espace associatif met en place des arènes de délibération à différents niveaux qui révèlent sa dimension institutionnelle et évoquent un mouvement plus large d’approfondissement de la pratique de la démocratie (Laville, 2013 ; Dacheux, Goujon, 2013b ; 2012a ; Dacheux, Goujon, 2010a).

100 Dans ce sens, la convivialité radicale nuance les propositions récentes quant à la mise en œuvre plus générale d’un système politique et économique basée sur la convivialité, l’excessive convivialité étant potentiellement source d’exclusion de collectifs militants. Cf. CAILLE A., HUMBERT M., LATOUCHE S. VIVERET P., 2011, De la convivialité. Dialogues sur la société conviviale à venir, Paris, La Découverte.

Conclusion

À travers la monographie de cette association de lutte contre le sida, nous repérons en quoi le travail d’accompagnement est spécifique quand il se déroule dans une association et en quoi il découle d’une construction sociale. L’espace associatif est un espace pluriel dans lequel l’accompagnement est mis en délibération entre les différents types d’acteurs qui le construisent (Dacheux, Goujon, 2010b, 2012a ; 2012b).

L’accompagnement associatif est organisé de telle manière qu’il offre une pluralité de services d’accompagnement constitutifs d’une prise en charge globale. Cette prise en charge est complémentaire avec celle de l’hôpital. L’action associative s’adosse initialement à l’accompagnement dans le soin. Le volet concernant l’accompagnement social et l’accompagnement vers l’emploi se renforce et tend à prendre de l’importance dans l’accompagnement global.

L’accompagnement associatif révèle la dimension politique de l’association, exprimant la tension entre intérieur et extérieur et figurant un double mouvement.

Ce double mouvement est celui de l’action sur l’individu pour qu’il intègre la société et l’action sur la société dans son ensemble pour qu’elle insère l’individu.

L’association semble insister sur ce second volet, révélant une pratique orientée vers le changement social. La production de l’accompagnement associatif est rendue possible par les processus de délibération entre membres, dont le mode d’expression est celui de la convivialité radicale.

Les modalités d’accompagnement vers l’emploi laissent une grande place à l’expression de la personne comme sujet101, à travers différentes stratégies co- construites entre l’accompagnant et l’accompagné. L’accompagnement vers l’emploi provoque une tension au cœur des rapports associatifs. Cette tension est illustrée par différentes positions sur la question. Le pôle médiation de santé, social et emploi défendent l’approfondissement de cet axe quand le pôle

101 Marcel Gauchet conçoit le sujet contemporain comme « un sujet préoccupé au plus haut point par son « identité » et en quête de « reconnaissance ». Un sujet pour lequel l’ « émotion » constitue la pierre de touche, qu’il s’agisse de s’orienter dans le vaste monde ou de s’assurer de sa propre expérience. » (Gauchet, 2010, p.73). Cf. GAUCHET M, 2010, « Trois figures de l’individu », Le Débat, 2010/3, n°160, pp.72-78.

psychologique semble freiner son développement. La vision du travail et de l’accès à l’emploi défendue par le directeur pointe ce débat qui ne semble pas se fixer sur une ligne claire :

« Je pense que ce qui est important, c’est d’aider les personnes à démystifier le travail et la recherche de travail. Moi, ça me rend dingue quand il y a des gens qui arrivent et qui disent qu’ils veulent bosser. Ok : « C’est quand la dernière fois que tu as travaillé ? C’était il y a 20 ans...

Attends, le marché de l’emploi il y a 20 ans, toi, il y a 20 ans, aujourd’hui, excuses-moi mais ce que tu es en train de rêver, cela n’a plus rien à voir.» Le boulot aujourd’hui, c’est juste l’horreur, c’est France Telecom... La réalité elle est là. Et cela va être de pire en pire... » (Entretien, directeur, T1).

Enfin, fin 2011, après la période d’enquête, le directeur de l’association a quitté le champ associatif de la lutte contre le sida. Le chargé de mission emploi-formation lui a succédé à ce poste. L’accompagnement vers l’emploi a été totalement intégré au pôle social, pris en charge par un nouveau professionnel.

L’évolution de cette association est prise dans ce que Marcel Gauchet appelle le renforcement des singularités. Dans ce cadre, cette forme associative relève d’une dimension politique critique inscrite dans un combat réfutant les cadres institutionnels stabilisés : « La souveraineté des singularités est sans égard aucun pour les références de surplomb, elle récuse les autorités, elle ignore les maîtres à penser. Reconnaissons-lui la vertu de n’être ni conformiste ni suiviste. » (Gauchet, 2010, p.76).