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Analyser l’accompagnement vers l’emploi : méthodes et approches

1.2. Logique biographique

1.2.1. Les trajectoires d’insertion

durant le rendez-vous, au cœur de la relation qui se tisse entre le jeune et le conseiller ? Comment ouvrir la boîte noire de l’accompagnement ?

Les études de ce type ne permettent pas de décrire de manière plus approfondie et complète le contenu de l’accompagnement et la relation d’accompagnement car l’objectif qu’elles se fixent au départ est de relier causalement deux phénomènes : ici, l’intensité de l’accompagnement et le degré d’insertion professionnelle, dont la relation est étudiée dans une logique hypothético-déductive. Même si le modèle intègre des variables de contrôle29, l’objectif poursuivi par ce type d’études, du fait de l’approche mobilisée, n’est pas de comprendre la dimension symbolique, c’est à dire les effets de sens du déroulement des trajectoires d’accès des jeunes à l’emploi.

Néanmoins, elles ont l’intérêt de montrer qu’il est important d’intégrer les différences interindividuelles dans les traitements économétriques des effets de l’accompagnement vers l’emploi, qui peuvent conduire, si l’on n’intègre pas l’hétérogénéité des populations concernées, à des résultats biaisés. Elles conduisent in fine à questionner la notion de public, et les difficultés à le catégoriser et à l’uniformiser pour son traitement statistique.

à partir de laquelle l’inférence peut être faite, et les similitudes et différences identifiées, est le sujet individuel. » (Rustin, 2006, p.47). Le principal outil mobilisé dans cette logique est l’entretien approfondi mené auprès des acteurs concernés. À propos de cet outil de recueil des données, rejoignons les analyses de Janine Pierret qui relevait la place et l’usage de l’entretien approfondi en sociologie : « Prendre les discours et les pratiques comme objet de connaissance conduit le chercheur à sécréter ses propres sources et donc à construire son terrain d’enquête et son propre dispositif de recueil de données. » (Pierret, 2004, p.203).

Une telle démarche relève davantage des recherches en sociologie (Passeron, 1991). Les travaux de Didier Demazière et Claude Dubar ont mis en avant cette méthode à partir de l’exemple des récits d’insertion. L’accompagnement vers l’emploi est informé par le vécu des personnes en accompagnement et par les liens qu’ils font eux-mêmes entre différents événements de leur trajectoire de vie.

Ces auteurs pointent les spécificités de ce travail de recueil de données qualitatives aux moyens d’entretiens de type « récit de vie »30 (Demazière, Dubar, 2004). L’idée sous-jacente est que ces trajectoires informent l’espace social dans lequel elles s’insèrent et peuvent remettre en cause les catégories sociologiques qui ont pour objectif de les analyser.

Didier Demazière et Claude Dubar retiennent l’importance de l’analyse structurale du langage dans l’analyse des entretiens biographiques. « La démarche inductive et le processus de théorisation peuvent ainsi être appréhendés, ce qui n’a pas été suffisamment fait à notre avis, à partir de la chaîne du langage et des transformations des catégories permettant au chercheur de rendre compte de faits ». (Demazière, Dubar, 2004, p.61). Ces auteurs écartent l’usage illustratif des entretiens parce que ce dernier ne sert qu’à soutenir l’argumentation du chercheur

30 La démarche biographique peut plus généralement s’appuyer sur la sociologie clinique de Vincent de Gaulejac qui a approfondi la démarche de recherche sur la base des récits de vie.

Vincent de Gaulejac développe une sociologie qui centre son analyse sur la trajectoire de la personne en prenant en compte la force de sa biographie tout en la considérant pour une part comme révélatrice d’un ensemble de données sociales incorporées. Cf. GAULEJAC (de) V., HANIQUE R., ROCHE P. (dir.), 2007, La sociologie clinique, Erès, Toulouse. Vincent De Gaulejac note d’ailleurs dans son ouvrage de 2009 : « Entre l’identité individuelle et l’identité collective, il existe des liens étroits. Loin de s’opposer, elles se coproduisent. » (Gaulejac, 2009, p.63). Cf. GAULEJAC (de) V., 2009, Qui est «je»? Sociologie clinique du sujet, Seuil, Paris.

d’une part et parce que cette manière d’avoir recours aux mots des acteurs pour justifier son propos est selon eux le résultat d’une logique hypothético-déductive d’autre part. De même, ils ne valident pas l’usage restitutif de l’entretien. Dans cet usage, l’entretien serait rendu dans son intégralité sans analyse, ouvrant la voie à un empirisme radical. Ils préconisent une analyse croisée du langage utilisé par les interviewés, en tentant de monter en généralité certaines structures du langage recueillies lors des entretiens. Ils recomposent des itinéraires d’insertion à partir des biographies de jeunes, en les reliant à différents mondes de significations qui émergent au cours de l’analyse de contenu des entretiens.

1.2.1.2. L’incommensurabilité des trajectoires31

Un débat intéressant est mis en avant en 2001 par François Dubet et Antoine Vérétout à propos des trajectoires des bénéficiaires du RMI. Leur article pose avec acuité le problème de l’incommensurabilité des trajectoires de vie (Dubet, Vérétout, 2001). En analysant les trajectoires des bénéficiaires du RMI à partir de 128 entretiens, ils questionnent la notion de « trappe d’inactivité » mise en avant par les économistes pour justifier l’inefficacité relative de ce dispositif d’insertion.

La réaction de Marc Gurgand vis à vis de cet article montre les différences de langage et d’approches entre ces deux disciplines (Gurgand, 2002), voire l’impossibilité de leur compréhension mutuelle, laissant penser qu’elles sont incompatibles. Dans la perspective de François Dubet et Antoine Vérétout, si l’on s’attache à chaque histoire individuelle, il est impossible d’identifier des régularités qui pourraient apparenter les trajectoires entre elles : « Dès que l’on s’approche des individus, l’image des ressources et des intérêts des acteurs explose littéralement dans une mosaïque de cas et d’histoires individuelles ».

(Dubet, Veretout, 2001, p.416). La singularité de chaque trajectoire pose donc un problème pour leur analyse sociologique et économique. Les auteurs concluent à la difficulté de construire un modèle général dont le but est d’expliquer les

31 Référons nous à la définition du commensurable et du non commensurable d’Amartya Sen, pour définir l’incommensurablité : « Deux objets distincts sont jugés commensurables s’ils sont mesurables dans des unités communes (comme deux verres de lait). Il y a non-commensurabilité lorsque plusieurs dimensions de valeur sont irréductibles entre elles. » (Sen, 2012, p.294). Ainsi, nous retenons ces éléments de définition pour aborder l’incommensurablité des trajectoires.

décisions des agents vis à vis de leur situation de bénéficiaire du RMI : « Le RMI et les diverses aides sont des systèmes généraux et universels destinés à des individus particuliers, enserrés dans des situations et dans des histoires particulières. Dès lors, les rationalités des conduites visant à en sortir ou à y rester doivent être indexées sur ces situations, ces histoires et ces projets, et l’on comprend qu’un modèle trop général ait du mal à en rendre compte. Il faut donc casser l’image d’un public, les RMIstes, pour comprendre les logiques des acteurs, leurs inscriptions dans les dispositifs sociaux et les usages qu’ils en font. » (ibid, p.417). Ce débat implique de revenir à des questions méthodologiques. Si l’on renoue avec l’approche d’Howard Becker, la difficulté de compréhension entre l’approche qualitative du sociologue et l’approche quantitative de l’économiste découle du fait qu’ils n’utilisent pas les mêmes techniques, qu’ils ne posent pas les mêmes questions de recherche et que « le rapport sur la réalité sociale » qu’ils proposent ne s’adressent pas à un même public et n’ambitionne pas d’expliquer les mêmes mécanismes.