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Analyser l’accompagnement vers l’emploi : méthodes et approches

1.2. Logique biographique

1.2.2. Trajectoire et espace institutionnel

décisions des agents vis à vis de leur situation de bénéficiaire du RMI : « Le RMI et les diverses aides sont des systèmes généraux et universels destinés à des individus particuliers, enserrés dans des situations et dans des histoires particulières. Dès lors, les rationalités des conduites visant à en sortir ou à y rester doivent être indexées sur ces situations, ces histoires et ces projets, et l’on comprend qu’un modèle trop général ait du mal à en rendre compte. Il faut donc casser l’image d’un public, les RMIstes, pour comprendre les logiques des acteurs, leurs inscriptions dans les dispositifs sociaux et les usages qu’ils en font. » (ibid, p.417). Ce débat implique de revenir à des questions méthodologiques. Si l’on renoue avec l’approche d’Howard Becker, la difficulté de compréhension entre l’approche qualitative du sociologue et l’approche quantitative de l’économiste découle du fait qu’ils n’utilisent pas les mêmes techniques, qu’ils ne posent pas les mêmes questions de recherche et que « le rapport sur la réalité sociale » qu’ils proposent ne s’adressent pas à un même public et n’ambitionne pas d’expliquer les mêmes mécanismes.

personnellement aux propos tenus. Dans cette approche, l’individu n’est pas le centre de l’univers mais l’artisan du système complexe qui le produit. (Kaufmann, 2001, p.8732).

Aussi, en sociologie de la maladie, la méthode biographique peut rendre compte des trajectoires de personnes malades et des différentes ruptures provoquées par les troubles de santé. Janine Pierret écrit en 2001 une synthèse intéressante à ce sujet : « Si la méthode biographique a été resituée dans les paradigmes de la sociologie pour en questionner la validité, l’analyse de ses conditions de réalisation a permis d’avancer dans l’interprétation des formes temporelles de causalité (…). L’irruption d’un événement permet ou conduit à une réélaboration éventuelle du passé, en d’autres termes à repenser ou à reconstruire sa biographie » (Pierret, 2001, p.7). En effet, l’analyse des trajectoires biographiques permet dans ce cadre de repérer les événements marquants et les reconstructions de soi que la personne opère par rapport à sa trajectoire passée et à celle qu’elle anticipe. Les études longitudinales empruntent également la voie de la méthode biographique. Les recherches dirigées par Dominique Lhuillier sur le VIH et le travail (Lhuillier & al., 2006, 2007, 2010) en sont un parfait exemple. Ces recherches rendent compte des trajectoires de PvVIH vis à vis de l’emploi à différents moments en s’appuyant sur le concept de carrière33 (Becker, 1985;

Goffman, 1975, 1979). Dans l’ensemble de ces travaux, l’approche biographique insiste sur la dimension psychologique dans la construction du fait empirique de l’accompagnement vers l’emploi.

D’autres travaux ont mis en évidence les distinctions entre les histoires de vie, les récits de vie et la méthode biographique (Acte de la recherche en sciences sociales, 1986) tout en pointant les limites de la démarche. Pierre Bourdieu, dans l’article classique « l’illusion biographique », met en garde les méthodes biographiques d’une analyse qui ne se centrerait que sur l’histoire d’un individu singulier : « Essayer de comprendre une vie comme une série unique et à soi

32 KAUFMANN J.-C., 2001, Ego. Pour une sociologie de l’individu, Nathan, Paris, cité dans GAULEJAC (de) V., 2009, Qui est «je»? Sociologie clinique du sujet, Seuil, Paris, p.46.

33 Pour une application du concept de carrière aux trajectoires de personnes souffrant de sclérose en place construite en adoptant une approche biographique, voir : COLINET S., 2011, La

« carrière » de personnes atteintes de sclérose en plaque. Implications associatives et travail biographique, L’Harmattan, Paris.

suffisante d’événements successifs sans autre lien que l’association à un « sujet » dont la constance n’est sans doute que celle d’un nom propre, est à peu près aussi absurde que d’essayer de rendre raison d’un trajet dans le métro sans prendre en compte la structure du réseau, c’est à dire la matrice des relations objectives entre les différentes stations. » (Bourdieu, 1986, p.71). Pour pallier ces limites, il s’agit de prendre en compte les différents mondes sociaux dans lesquels la personne est insérée et de les intégrer à une dimension spatio-temporelle. Sans réduire la trajectoire de vie de l’enquêté à une succession d’évènements, la démarche consiste à prendre en compte la situation d’enquête dans laquelle la trajectoire est mise en mots. « Le récit biographique n’est ni atemporel, ni a- spatial, il est produit « ici et maintenant ». Il résulte à la fois d’une histoire personnelle et collective (ou plus précisément de sa reconstruction et de sa reconstitution), d’une position (sociale, économique, symbolique) acquise au moment de l’enquête et d’un rapport singulier à l’enquêteur. » (Demazière, Samuel, 2010, £ 10).

On identifie la limite d’une telle méthode pour étudier l’accompagnement vers l’emploi dans la mesure où l’étude biographique des trajectoires informe une singularité individuelle qui peine à prendre en compte le caractère institué de son environnement et leurs interconnexions avec lui. Afin de pouvoir dépasser ce problème d’incommensurabilité des trajectoires, la méthode biographique doit s’entendre dans une perspective relationnelle (Corcuff, 2007 ; 2012), consistant en une approche qui donne de l’importance aux différentes relations tissées par la personne avec d’autres, c’est à dire à l’interaction et à la coordination. Cette approche renoue avec une tradition interactionniste. En ce sens, la trajectoire individuelle est également un ordre construit institutionnellement et socialement.

La méthode biographique doit intégrer une analyse des espaces sociaux dans lesquels les trajectoires s’insèrent à différentes périodes. Autrement dit, elle doit prendre en compte le contexte. Les recherches de Solen Berhuet sur les Maisons de l’Emploi (2013) prennent cette voie, en insérant les trajectoires dans leur contexte institutionnel et en construisant à partir de leur relation avec lui des catégories idéal-typiques.

On est tenté d’affirmer que l’économiste s’oriente davantage vers des démarches quantitatives appliquées à des échantillons de grande taille quand le sociologue s’oriente vers des démarches qualitatives pour analyser de manière approfondie les stratégies des acteurs à partir d’échantillon de plus petite taille. Cette vision quelque peu manichéenne doit être dépassée, dans la mesure où cette frontière est tangible si l’on prend en compte que les enquêtes sociologiques se basent sur de nombreuses observations statistiques34 d’une part et que les chiffres ont un usage social, qu’ils résultent d’une production sociale et détiennent en cela une valeur sociale d’autre part (Ogien, 2010). Le sociologue étaie ses recherches sur des faits statistiques35 et l’économiste peut emprunter une méthode biographique et s’appuyer sur des récits de vie. Dans le cas des trajectoires biographiques des demandeurs d’emploi, la démarche de l’économiste s’inscrit dans une socio- économie des parcours d’emploi (Eymard-Duvernay (dir.), 2012).

La position défendue est d’affirmer que les résultats des analyses qualitatives sont dans certaines conditions complémentaires à des résultats issus d’analyses quantitatives et que les résultats issus des techniques de recherches quantitatives ont besoin d’interprétations complémentaires qui peuvent être fournies par des recherches qualitatives36. Les données d’enquêtes mobilisées dans le cadre des recherches quantitatives sont construites par de nombreuses observations, équipées de peu de variables et de peu de modalités tandis que les données issues d’entretiens semi-directifs sont le résultat de peu d’observations, analysées avec de nombreuses variables dotées d’une infinité de modalités. Ces approches ne disent pas les mêmes choses alors qu’elles éclairent des faits semblables. Elles sont en ce sens profondément complémentaire. Cette complémentarité n’est réalisable que sous certaines conditions. Il semble indispensable que le protocole de recherche soit co-construit dès le départ entre les auteurs des recherches

34 On pense aux enquêtes et aux travaux dirigés par Serge PAUGAM : PAUGAM S. (dir.), 2007, Repenser la solidarité. L’apport des sciences sociales, Paris, PUF, col. Le lien social ; PAUGAM S, 2005, Les formes élémentaires de la pauvreté, Paris, PUF, col. Le lien social ; PAUGAM S, 1991, La disqualification sociale, Paris, PUF, Quadrige Essais Débats.

35 Les travaux de Nicolas Duvoux se basent sur des faits statistiques pour rendre compte des trajectoires des allocataires du RMI. Cf. DUVOUX, N., 2009, L’autonomie des assistés, sociologie des politiques d’insertion, Paris, PUF, Le lien social ; DUVOUX N., 2012b, « Le nouvel âge de la solidarité. Pauvreté, précarité et politique publique », Paris, Seuil, col. La république des idées.

36 Plus généralement, en termes de méthodes qualitatives, on se réfèrera à la revue québécoise Recherches Qualitatives éditée par l’Association pour la Recherche Qualitative (ARQ), Université du Québec.

quantitatives et des recherches qualitatives. Afin que les approches développées ne débouchent pas sur une incompatibilité de leur logique, les différents acteurs de la recherche doivent s’accorder sur une question de recherche commune. En deçà de ces questions, différentes conceptions des sciences sociales sont en tension.