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Confrontation à la contingence

2.2 Les aspects dialectiques dans la théorie des situations

2.2.3 Dialectique syntaxe-sémantique

Le point de vue épistémologique sur l’activité mathématique que nous avons adopté donne un rôle central aux objets mathématiques. La distinction et l’articulation syntaxe/sémantique permettent de prendre en compte, d’une part cette place importante des objets mathéma- tiques à la fois dans la formulation de conjectures et dans les processus de validation (construc- tion explicite de preuves ou contrôle et vérification de la validité d’un résultat), et d’autre part deux autres aspects de l’activité mathématique : le caractère expérimental et la dialectique

connaissances/heuristiques.

Précisons dans un premier temps la définition d’activité syntaxique et sa distinction de l’activité sémantique. L’activité syntaxique consiste en une manipulation formelle du langage où la nature des objets auxquels réfèrent les symboles n’a pas d’importance. Au contraire, l’activité sémantique trouve sa source au-delà du langage, au niveau de la référence aux mots (Barrier, 2009). A l’aide de cette distinction, Barrier a montré que les objets contribuent non seulement à un travail sur les énoncés (valider ou réfuter un énoncé) mais aussi à l’émergence de stratégies et de preuves. Il énonce l’hypothèse que « privilégier les énoncés par rapport aux objets conduit à faire un usage essentiellement syntaxique de l’analyse logique. Il est probable qu’il participe à la minoration du rôle des objets dans la construction des raisonne- ments » (Barrier, 2009, p. 127). Il précise que la distinction introduite par Balacheff (1987) entre situation de décision et situation de validation permet de préciser ce double rôle des objets mathématiques. Sur un exemple, il montre que « les objets interviennent d’abord pour contribuer à la décision » mais que les élèves « négligent ensuite la possibilité que la mani- pulation des objets puisse contribuer à l’émergence d’une preuve » (Barrier, 2009, p. 130).

Il avance une raison à cette difficulté : la culture scolaire « dans laquelle on montre qu’un énoncé est vrai par le travail sur les énoncés et l’on montre qu’un énoncé est faux par un contre-exemple » (Ibid. p. 130). Il ajoute que :

Cette conception de l’activité mathématique de validation comme essentiellement restreinte à l’usage de déduction construite à partir de théorèmes du cours et des hypothèses de la situation me parait susceptible de freiner le travail de recherche.

Les élèves semblent ici considérer qu’agir sur les objets et chercher une démons- tration sont deux activités disjointes ou dit autrement qu’il y a rupture entre les moments de décisions et les moments de validation. (Ibid, p. 130)

Nous partageons le point de vue de cet auteur et nous avons montré, dans notre mémoire de master 2, ces deux aspects :

1. d’une part les élèves étaient convaincus par un raisonnement par récurrence démontrant leur résultat et ont eu des difficultés à reconnaître qu’une « simple » réduction au même dénominateur couplée à une écriture des nombres en jeu (comme ils l’ont écrite ci-dessous, cf. figure 2.1) constituait une preuve. (M.-L. Gardes, 2009, p. 80-81)

Figure 2.1 – Démonstration d’un groupe d’élèves de Terminale Scientifique.

2. d’autre part, l’influence de la culture de l’enseignement spécifique à l’arithmétique a freiné, dans un premier temps, la recherche en termes de productions de résultats. (Ibid.

p. 109)

Ces dernières remarques nous ont conduite à examiner plus particulièrement l’articulation syntaxe/sémantique dans la construction de preuves. A l’instar de Barrier, nous nous référons à la distinction de Weber et Alcock (Weber & Alcock, 2004) entre production de preuve syntaxique et preuve sémantique.

We define asyntactic proof production as one which is written solely by manipula- ting correctly stated definitions and other relevant facts in a logically permissible way. In a syntactic proof production, the prover does not make use of diagrams or other intuitive and non-formal representations of mathematical concepts. In the mathematics community, a syntactic proof production can be colloquially defined as a proof in which all one does is "unwrap the definitions" and "push symbols".

(Weber & Alcock, 2004, p. 210)6

We define a semantic proof production to be a proof of a statement in which the prover uses instantiation(s) of the mathematical object(s) to which the statement applies to suggest and guide the formal inferences that he or she draws. (Weber

& Alcock, 2004, p. 210)7

Barrier précise que dans les procédures syntaxiques, « la nature des objets auxquels référent les symboles n’a pas d’importance » alors que pour les productions de preuves sémantiques,

« les objets mathématiques viennent s’ajouter au milieu sur lequel celui qui prouve s’appuie pour construire sa stratégie » (Barrier, 2009, p. 22-23).

Afin de montrer la nécessaire articulation des procédures syntaxiques et sémantiques pour la construction de preuves, Barrier fait référence aux travaux de Weber et Alcock (2004) qui

« ont mis en évidence une différence de comportement entre étudiants de licence de mathé- matiques d’une part et de doctorants et algébristes professionnels d’autre part. Les premiers ont davantage tendance à s’engager dans des procédures syntaxiques, procédures qui n’abou- tissent que rarement, alors que les seconds s’appuient plus volontiers sur leur connaissance intuitive des objets. Leur étude montre que les étudiants de licence ne disposent pour l’es- sentiel que d’une connaissance formelle des objets en jeu (essentiellement les définitions) » (Barrier, 2009, p. 23). Ces auteurs montrent en particulier l’apport d’une approche séman- tique dans les processus de validation avec construction de preuve :

Just as most streets in a town intersect many other streets, at any given point in a proof, there are many valid inferences that can be drawn that might seem useful to an untrained eye [...]. Hence, writing a proof by syntactic means alone can be a formidable task. However, when writing a proof semantically, one can use instantiations of relevant objects to guide the formal inferences that one draws,

6. Traduction de Barrier (2009, p. 22) : Nous définissons une production syntaxique de preuve comme une production de preuve reposant exclusivement sur des manipulations logiquement acceptables de défini- tions correctement énoncées et d’autres faits pertinents. Dans une production syntaxique de preuve, celui qui prouve n’utilise pas de diagrammes ou d’autres représentations intuitives et non formelles des concepts mathématiques. Dans la communauté mathématique, une production syntaxique de preuve peut être fami- lièrement définie comme une preuve dans laquelle tout ce que l’on fait est « dérouler les définitions » et

« pousser les symboles ».

7. Traduction de Barrier (2009, p. 22) : Nous définissons uneproduction sémantique de preuve comme une preuve d’un énoncé dans laquelle interviennent une ou plusieurs instanciation(s) d’objet(s) mathématiques auxquels s’applique l’énoncé de manière à suggérer et guider les inférences qu’il ou elle effectue.

just as one could use a map to suggest the directions that they should prescribe.

(Weber & Alcock, 2004, p. 232)8

Barrier ajoute que l’approche sémantique est également riche pour les processus de validation de type décision (c’est-à-dire se convaincre de la vérité d’un énoncé) :

Les preuves mathématiques ne sont qu’exceptionnellement suffisamment détaillées pour qu’il soit possible de les contrôler en ignorant leur contenu sémantique. Ce type de contrôle construit sur la seule syntaxe n’est pas la méthode la plus sou- vent employée par les mathématiciens professionnels. Par exemple Weber (2008) montre que les mathématiciens utilisent souvent des arguments informels ou construits sur l’instanciation d’un objet, ou de quelques objets pour contrôler les preuves et même pour les valider. (Barrier, 2009, p. 25)

Dans sa thèse, l’auteur a mis en évidence l’apport de la sémantique pour la didactique, notam- ment en termes d’enrichissement du milieu des élèves. Dans notre recherche, nous analysons en particulier les difficultés éprouvées par les élèves et les étudiants lors de l’utilisation d’un outil algébrique pour traiter des questions de théorie des nombres : les limites des méthodes algébriques dans le travail de formulation de conjecture, l’importance de l’articulation des procédures syntaxiques et sémantiques dans la construction de preuve et l’importance du retour à la nature des nombres en jeu dans le contrôle et la vérification des résultats (cf.

chapitre 9 de notre thèse et (M.-L. Gardes, 2012)).