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Deuxième approche de la conjecture Conjecture forte

5.2 Sur l’émergence de gestes

5.2.3 La notion de « geste » pour analyser les processus de recherche

qui garantit contre l’erreur, il est condition de création dans sa mobilité dans le sensible. (Cavaillès, 1981, p. 94)

Ainsi une analyse en termes de gestes combinatoire et opératoire permet de relire une caté- gorisation syntaxe/sémantique.

En didactique des mathématiques, Durand-Guerrier (2005) a montré la nécessité de l’uti- lisation de cette dialectique syntaxe/sémantique/pragmatique pour analyser l’interprétation des énoncés mathématiques en situation d’enseignement et d’apprentissage d’une part et pour analyser les raisonnements mathématiques dans les discours dans la classe de mathématique d’autre part. Cependant, nous faisons l’hypothèse que cet outil, restant une catégorie langa- gière, est moins efficace pour analyser l’activité effective d’un sujet en situation de résolution de problèmes de recherche. L’aspect actif de l’activité de recherche semble davantage pris en compte avec la notion de « geste » chez Cavaillès et Châtelet, comme l’ont montré Bailly et Longo (2003). Une analyse en termes de gestes combinatoire et opératoire permet ainsi d’analyser le travail mathématique dans l’articulation syntaxe/ sémantique tout en prenant en compte la dimension pragmatique par l’action située au cœur des processus. C’est pour cette raison que nous avons développé notre analyse des processus de recherche en construi- sant une grille de lecture des gestes plutôt que des catégories langagières.

En appui sur l’analyse mathématique de la conjecture d’Erdös-Straus, sur les études épis- témologiques de l’activité de recherche mathématique et sur les premières expérimentations en classe de terminale scientifique (M.-L. Gardes, 2009), nous avons identifié sept gestes per- mettant d’analyser les processus de recherche mis en œuvre par les différents sujets cherchant cette conjecture. Dans la suite, nous détaillons la nature de chaque geste en mettant en évi- dence les « avancées » qu’ils sont susceptibles d’entraîner dans la recherche de la conjecture.

1. Désigner des objets

Désigner un objet, c’est représenter cet objet par le langage ou un signe (définition du Petit Larousse 2001). Cela permet d’indiquer précisément la nature de ces objets. S’effectuant dans la manipulation d’objets mathématiques, ce geste se situe dans l’espace opératoire mais va permettre progressivement de faire passer le travail mathématique sur les objets dans l’espace combinatoire. Il permet ainsi de mettre en évidence le travail mathématique à l’articulation des deux espaces, combinatoire et opératoire. La désignation des objets intervient en premier lieu pour faciliter le travail. En représentant un objet par un signe, on peut ensuite effectuer des opérations sur les signes, sans toujours se référer aux objets qu’ils désignent. Cela facilite donc le travail mathématique sur les objets et par suite les élaborations théoriques. Cela peut également conduire à une reformulation du problème en d’autres termes, ce qui l’enrichit.

Pólya (1945), dans l’articleNotation, met également en avant l’apport de l’introduction d’une notation appropriée ou du choix de certains symboles.

Le choix de la notation constitue une étape importante dans la solution d’un problème ; aussi doit-on la choisir avec soin. [...] Nous serons guidés, dans ce choix, par un examen attentif de tous les éléments d’un problème. Ainsi une notation appropriée pourra-t-elle contribuer de façon primordiale à la compréhension de ce problème. (Pólya, 1945, p. 126)

Ajoutons que ce geste permet d’exploiter les aspects expérimentaux du problème en favorisant la manipulation des objets en jeu. Sans désignation des objets, leur manipulation est rendue difficile. Ce geste nous semble donc primordial pour entrer dans une démarche expérimentale de recherche.

2. Réduire le problème aux nombres premiers

Réduire le problème aux nombres premiers, c’est ramener l’étude du problème (pour tout entier n) à une forme équivalente (étudier la conjecture d’Erdös-Straus pour toutnpremier), ce qui réduit le domaine de l’objet à explorer et apporte de nouvelles informations sur le problème. C’est en ce sens qu’il fournit une avancée à la recherche. Cette réduction se fait à l’aide de deux propriétés d’arithmétique17. Si ces propriétés sont connues et mobilisables par un sujet, alors ce geste se situe dans l’espace combinatoire, il s’agit de manipulation de signes, les objets étant présents mais relégués au second plan. En revanche, si ces propriétés ne sont pas disponibles, le geste peut reposer sur un travail mathématique se situant dans l’espace opératoire, sur des manipulations d’objets mathématiques concrets permettant de construire les connaissances manquantes.

3. Introduire un paramètre

L’introduction d’un paramètre est une forme de désignation mais elle se situe dans l’espace combinatoire. On introduit un signe, dans une modification des écritures mathématiques, sans renvoi explicite aux objets qu’il désigne. Ce geste peut permettre plusieurs avancées dans la recherche d’un problème : simplifier les écritures et donc leurs manipulations ; se ramener à un problème connu dont on connaît la méthode de résolution et/ou les résultats ; effectuer une généralisation. Ce geste est à mettre en parallèle avec une méthode de variation du problème initial que Pólya désigne sous le nom d’introduction d’éléments auxiliaires (Pólya, 1945, p.

74-77).

4. Construire des exemples et les questionner

Ce geste se décompose en deux actions. La première est la détermination d’une méthode de construction des exemples à partir de manipulations des objets mathématiques naturalisés en jeu dans le problème. La seconde est un questionnement de ces différents exemples dans le but d’en dégager des informations. Plusieurs types d’informations peuvent être tirés de ces exemples. Un questionnement sur de nombreux exemples se base sur la recherche de régulari- tés dans le but d’aboutir à une généralisation. Un questionnement des exemples particuliers, par exemple des exceptions à une certaine propriété, permet de mieux cerner les difficultés liées à la résolution du problème. Nous avons regroupé ces deux actions car nous les pensons liées et en interaction : la construction des exemples favorise un questionnement, et en retour le questionnement des exemples permet d’affiner leur méthode de construction. Il n’est pas exclu que l’une des actions puisse être faite sans l’autre, cependant nous considérons que, dans ce cas, l’avancée provoquée serait moindre, voire inexistante. L’étude d’exemples en tant que « produit fini » semble donc moins productive si elle n’est pas précédée d’une phase de construction des exemples. De même, si la construction des exemples n’est pas suivie d’une phase de questionnement de ces exemples, les informations qu’on peut en dégager ne seront pas formalisées, voire identifiées. Selon nous, ce travail sur les exemples se réalise donc dans un processus dialectique qui peut aboutir à différentes avancées dans la recherche du problème : un approfondissement des connaissances sur le problème et en particulier sur les difficultés liées à sa résolution, une élaboration de résultats mais également des améliorations de résul- tats ou de preuves. Ce système de gestes s’effectue sur les objets mathématiques naturalisés en jeu dans le problème et exploite en particulier le caractère expérimental du problème. Il

17. Propriété 1 : tout nombre admet un diviseur premier. Propriété 2 (multiplicativité) : si une propriété est vraie pour deux éléments deZ, alors elle est encore vraie pour leur produit. Ici, c’est la propriétésatisfaire à la conjecture d’Erdös-Straus, pour nZqui est multiplicative.

est porteur de l’articulation des deux espaces, combinatoire et opératoire, dans la mesure où le travail mathématique s’appuyant sur les exemples est un moyen de construire une syntaxe sur les objets.

5. Effectuer des contrôles locaux

Effectuer des contrôles locaux, c’est vérifier les différentes étapes des manipulations et combinaisons de signes dans les écritures mathématiques. Il s’agit de faire référence aux ob- jets désignés par les signes en les positionnant au premier plan. Ce geste se situe donc à l’articulation des espaces combinatoire et opératoire. Lorsque le travail mathématique se si- tue dans l’espace combinatoire, les contrôles locaux permettent « de plonger » ce travail dans l’espace opératoire avec un retour aux objets mathématiques en jeu dans la résolution du problème. Une première avancée est la simplification des écritures mathématiques et donc un travail sur les signes facilité. Mais surtout, ce geste permet de vérifier les étapes des raison- nements et fournit ainsi une aide à élaboration et à la preuve de résultats. Ce geste constitue ainsi un moyen de répondre aux questions de Pólya concernant la vérification : pouvez-vous vérifier le résultat ? Pouvez-vous vérifier le raisonnement ? Il précise qu’« une réponse sa- tisfaisante à ces questions renforcera notre confiance dans l’exactitude de la solution ; elle contribuera également à consolider nos connaissances » (Pólya, 1945, p. 155).

6. Transformer l’équation initiale

La transformation de l’équation initiale s’effectue par équivalence de jeux d’écriture. Les différentes écritures équivalentes à l’équation initiale sont obtenues par manipulations de signes et de symboles. Il s’agit donc d’un geste combinatoire s’exprimant par des manipu- lations algébriques. Il marque des avancées dans la résolution du problème dans la mesure où il permet de le reformuler avec d’autres termes. Il n’y a pas nécessairement simplification du problème mais il y a un approfondissement des connaissances sur le problème. Ce geste peut ainsi permettre de placer le problème dans un autre domaine des mathématiques avec d’autres outils de résolution. Il peut être producteur de résultats.

7. Implémenter un algorithme

Implémenter un algorithme signifie « traduire un algorithme dans un langage de program- mation » (Wikionnaire, consulté le 7 mars 2013)18. Cette terminologie marque une distinction entre la construction d’un algorithme et son système de représentation. Nous choisissons ici ce terme pour insister sur le passage de la construction d’un algorithme « papier-crayon » à sa programmation sur ordinateur. Si la construction d’algorithmes se réalise en appui sur les objets mathématiques en jeu dans le problème, son implémentation se situe davantage dans l’espace combinatoire. Il s’agit d’écrire une syntaxe, dans un langage particulier, qui permet la réalisation de la liste d’opérations pour résoudre un problème.

En particulier, la description d’algorithmes à destination de machines demande la spécification de langages particuliers et leur étude. (Modeste, 2012, p. 27)

18. Le verbe implémenter a été officiellement adopté en France le 20 avril 2007 par la Commission générale de terminologie et de néologie avec pour définition le fait d’« effectuer l’ensemble des opérations qui permettent de définir un projet et de le réaliser, de l’analyse du besoin à l’installation et la mise en service du système ou du produit », définition très large qui couvre toutes les opérations exceptées la vente et la maintenance éventuelle dudit projet.

Ce geste demande donc la connaissance d’un langage de programmation et en particulier celui du logiciel utilisé. Dans la résolution d’un problème de recherche, et en particulier sur celle de la conjecture d’Erdös-Straus, la construction d’algorithmes peut permettre diverses avancées : conjecturer, tester et valider les conjectures, établir un résultat partiel ou intermédiaire, multiplier le nombre d’exemples à étudier, contrôler ou améliorer des résultats. Le recours à l’algorithmique peut donc se faire dans les diverses étapes de la recherche décrites par Pólya : dans la compréhension du problème, dans la conception du plan, dans sa mise à l’épreuve ou dans le retour à la solution. Si nous insistons sur l’implémentation, c’est pour mettre en évidence ses apports dans la résolution de problèmes. La programmation d’un algorithme sur ordinateur offre d’abord un moyen efficace pour faire des calculs coûteux, ce qui peut impliquer un gain de temps. De plus il permet de multiplier le recours à de nombreux exemples et de faciliter ainsi leurs études. L’implémentation rend effectif l’algorithme, en particulier son processus et sa terminaison. Par la puissance des machines, les informations recueillies peuvent être plus nombreuses.