2.4 P OUR UNE APPROCHE CONVERGENTE DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES
2.4.3 Apprendre de soi, des autres, de son activité
2.4.3.3 Rendre formatives les situations de travail
déjà remarqué : l’existence de traces significatives de ce type d’activité, indispensables au démarrage de l’analyse.
A cet égard, si notre dispositif empirique représente une tentative d’adaptation particulière du debriefing aux activités de management hospitalier à travers l’analyse d’une décision prise par des directeurs des soins, il s’en inspire néanmoins très largement.
Schéma 6 Le développement de compétence vu par la théorie sociocognitive
Schéma 7 Le développement de compétences vu par la didactique professionnelle
Il est donc probable que le modelage de maîtrise et l’analyse de l’activité, en tant que moyens de conceptualisation dans l’action, pour la didactique professionnelle, partagent, l’un et l’autre, des caractéristiques similaires pour former les compétences. En fait, les processus mis en branle par l’apprentissage vicariant ou le modelage instructif sont autant de ressources cognitives pour la conceptualisation dans l’action.
Lors du modelage instructif plusieurs paramètres interviennent. Des informations pertinentes sont modelées et présentées à l’individu. Elles sont de nature à
Situations
Apprentissage par
expérience de maîtrise
Apprentissage vicariant
Apprentissage par modelage instructif
Quatre sous- processus : attention, rétention, production, motivation Extraction de règles sous- jacentes du comportement du modèle
Généralisation de ces règles à des situations nouvelles
Augmentation du niveau d’auto-
efficacité Renforcement de la compétence pour agir dans une classe de situations élargie Formation d’une nouvelle compétence pour agir efficacement dans la situation
Tâches et situations
- Recueil de traces
Auto-analyse de l’activité
Création de situations – problème en formation
Analyse des écarts entre école et terrains en formation par alternance
Conceptualisation dans l’action
Développement de compétences
augmenter ou à modifier ses invariants opératoires et son modèle opératif. De nouvelles anticipations se manifestent en termes d’acceptation ou de refus des conséquences. Le professionnel qui modèle la compétence verbalise essentiellement des règles d’action que l’apprenant ne soupçonne pas ou dont il obtient la confirmation. C’est ainsi que la gamme des inférences se développe avec des calculs plus complexes sur les anticipations et les règles d’action nouvelles en fonction des invariants opératoires et des informations sur les situations qui sont disponibles. Le modelage instructif comme l’analyse de l’activité provoquent ainsi les mêmes effets de conceptualisation dans l'action.
Albert BANDURA évoque de manière globale « le passage des structures de connaissance aux comportements efficaces » grâce aux « opérations transformationnelles et productives ». Nous estimons que ces opérations sont le résultat de l’interaction et de la rétroaction des éléments des schèmes, que nous pouvons rapprocher par ailleurs des interactions qu’entretiennent le modèle cognitif et le modèle opératif.
C’est l’objet même de la théorie des champs conceptuels que d’expliquer les opérations cognitives qui déclenchent les actions compétentes mais aussi de proposer une « nouvelle explication du développement cognitif » (PASTRÉ P., 2007). Le schème, dans son ensemble, joue la fonction qu’Albert BANDURA assigne à la structure des connaissances et aux opérations transformationnelles et productives : c’est un guide cognitif. Il se forme par apprentissage. Mais la structure des connaissances ne comprendrait qu’un des éléments constitutifs du schème : les invariants opératoires et plus précisément encore les théorèmes-en-acte, les propositions tenues pour vraies dans l’action en situation.
Les anticipations sont plutôt d’ordre motivationnel et moins de l’ordre des connaissances. Les inférences, couplées aux règles d’action, déclenchent l’action et assurent son exécution en produisant les comportements complexes attendus. Les inférences sont définies comme un calcul sur les règles d’action et les anticipations.
Albert BANDURA définit les anticipations sous l’angle des « attentes de résultats » accompagnées de leurs effets physiques, sociaux ou auto-évaluatifs.
Qu’un certain nombre d’anticipations soit intégré au schème ou que les résultats soient appréciés postérieurement aux comportements, le point focal risque donc de résider dans les processus d’autorégulation des comportements destinés à soutenir l’engagement cognitif dans l’activité. Pour Albert BANDURA et Gérard VERGNAUD, les compétences autorégulatrices peuvent s’exercer soit d’une manière quasi
automatisée soit s’appuyer sur des décisions absolument conscientes. Il s’agit de diagnostiquer les exigences de la tâche, d’élaborer des alternatives à l’action et d’établir des buts ou des anticipations proximales. Albert BANDURA indique que différentes catégories d’activités sont gouvernées par des « sous-aptitudes identiques » et Gérard VERGNAUD soutient que l’utilisation d’un schème se fait à l’intérieur d’un « vaste répertoire de schèmes disponibles et notamment ceux qui paraissent associés aux classes de situations qui semblent avoir une parenté avec la situation actuellement traitée ». En définitive, il est possible d’organiser au plan cognitif les « similitudes » entre diverses activités.
Les deux schémas suivants rappellent les points saillants des méthodes : le modelage instructif décrit par Albert BANDURA et les autoconfrontations à visée d’analyse de l’activité professionnelle proposées par Patrick MAYEN. La structure de ces méthodes est la même : les problèmes professionnels issus de situations remarquables sont à la source d’une progression didactique qui met en scène des situations et des compétences de plus en plus complexes et qui privilégie l’usage d’une pensée réflexive et l’autorégulation des comportements.
Schéma 8 Du modelage instructif au transfert de compétences Étape 1 : le modelage instructif
Étape 2 : le perfectionnement guidé, modelage correcteur Problème professionnel
Situation modelée
Analyse des règles, des procédures de décision et de stratégies de raisonnement
Observation du modèle (vidéo) dans une variété de situations.
Décomposition de la compétence complexe en sous-compétences moins complexes
Formalisation des solutions
Formation de compétences applicables à une classe de situations
Observation de ses comportements
Autoconfrontations simples
Feed-back correctifs
Autoconfrontations croisées
Renforcement du niveau d’auto-efficacité Meilleure résilience
Mise en situation réelle ayant de fortes chances de réussite
Situations simples
Mise en situation réelle avec des caractéristiques rendant la tâche plus difficile
Situations complexes
Transfert de compétences
Routinisation de l’activité.
Performances élevées et stables
Feed-back correcteurs Valorisation de la réussite Étape 3 : le transfert de compétences
Schéma 9 L’analyse de l’activité par les autoconfrontations
Les schémas ci-dessous illustrent la proximité et l’interaction des concepts issus de l’analyse de l’activité du point de vue de la didactique professionnelle et de la théorie sociocognitive au titre du développement de compétences. Passer du niveau de la prescription et de la tâche, avec leurs attentes de performance, à l’activité productrice, c’est-à-dire la production des comportements performants, repose sur la succession de deux phases : les structures de connaissance orientent l’action et déclenchent les opérations cognitives dites transformationnelles et productives.
Cette démarche est étayée par le processus d’autorégulation de l’activité décrit par Barry ZIMMERMAN. Ensuite, il est tout à fait similaire avec le processus formalisé par Pyotr GALPERINE et Alexis LÉONTIEV, celui des trois opérations (orientation, exécution et contrôle) qui structurent le déroulement de l’action.
Les quatre éléments du schème représentent autant de ressources cognitives mobilisées par les structures de connaissance et par les opérations transformationnelles et productives. Les théorèmes-en-acte, qui sont une catégorie particulière d’invariants opératoires mais qui font aussi partie intégrante du modèle cognitif de l’individu, recouvrent les structures de connaissance. Leur fonction est la même : ils sont précurseurs, avec les inférences, des autres opérations cognitives dédiées à l’exécution et au contrôle de l’action. Quant aux autres invariants opératoires, les concepts-en-acte, avec les anticipations et les règles d’action, ils constituent la partie effectrice du schème, autrement dit le modèle opératoire de l’individu.
But
d’évaluation des
compétences
But d’analyse de
l’interaction entre un formateur et un apprenant
Support de modelage constitué de traces vidéo de l’activité (à fortes ou faibles composantes gestuelles)
Verbalisation des prises d’information et des
raisonnements sous-jacents
Interaction entre un novice et professionnel qui instruit le novice
Debriefing, analyse des vidéos et productions de nombreuses interactions centrées sur les apprentissages.
Rétrodiction et reconstruction de l’intrigue But d’analyse
de l’activité de
l’apprenant
L’apprenant verbalise ses modes opératoires
Développement de compétences
Après avoir constaté que ces deux ensembles théoriques convergent sur des points fondamentaux, nous en ajouterons un de plus, à titre d’hypothèse. La notion de classes de situations, si déterminante pour analyser l’application des schèmes et des modèles opératifs, ne joue-t-elle pas le même rôle de définition de périmètre que les « domaines d’activité » quand il s’agit de mesurer et d’analyser l’auto-efficacité ?
Synthèse intermédiaire 3
Pour synthétiser ces éléments de réflexion, rappelons que la compétence critique ne reflète pas seulement l’organisation cognitive de l’activité d’un individu (un comportement efficace est le résultat de l’activité autorégulée de l’individu), elle est aussi le produit d’un jugement social d’attribution porté sur l’efficacité d’un comportement en milieu professionnel.
L’activité autorégulée de l’individu constitue une réponse à la prise en compte d’une prescription et met en jeu les trois opérations d’orientation, d’exécution et de contrôle.
Au vu des analyses précédentes, il est possible d’établir les relations entre les concepts de la théorie sociocognitive et de la théorie de la conceptualisation dans l'action.
Tâche
prescrite Exécution
Comportement efficace
Jugement de compétence
Orientation Contrôle
Environnement
professionnel Activité autorégulée de
l’individu
Comportement efficace
Jugement de compétence
Enfin, il est possible de reclasser l’ensemble de ces éléments en lien avec les trois facteurs : environnement, personne, comportement, constitutifs de la causalité triadique réciproque.
Schéma 10 Vers un modèle de la formation des compétences critiques
Savoir Modèle
cognitif Structures de connaissance
Opérations
transformationnelles et productives
Performance
Modèle opératif Anticipations
Règles d’action Invariants
opératoires Inférences Structure
conceptuelle de la situation
Environnement
professionnel Activité autorégulée de
l’individu
Jugement de compétence
Tâche
prescrite Exécution
Jugement de compétence
Contrôle
Comportement efficace
Comportement efficace
Modèle opératif
Performance Anticipations
Règles d’action Invariants
opératoires Inférences
Opérations
transformationnelles et productives Structures de
connaissance
Environnement Personne Comportement
Structure conceptuelle de la situation
Savoir Modèle
cognitif Orientation
3 Une première approche des compétences critiques et de l’auto-efficacité de cadres et dirigeants
La première phase de la recherche a été exploratoire, au sens où nous nous sommes efforcé de dépasser nos propres questionnements, les plus immédiats. Pour cela, nous avons tenté d’équilibrer une démarche inductive de compréhension du terrain avec un processus plus déductif dans lequel nous voulions illustrer des éléments théoriques structurants de notre problématique. La rencontre de ces deux démarches est issue de la fréquentation des médecins inspecteurs de santé publique et des directeurs des soins. Et même si « comparaison n’est pas raison » travailler avec ces deux populations a été un point de départ très fructueux dans l’empirie. Le dispositif se construisant peu à peu, à mesure que les premiers résultats étaient constitués, nous avons abandonné les médecins inspecteurs de santé publique pour se concentrer sur une seule population et aller plus loin aux fins de vérification de l’hypothèse central de notre recherche.
Des faits se présentaient à nous : des médecins inspecteurs de santé publique, pendant le temps de leur formation statutaire, s’orientent vers l’acquisition de compétences de différentes natures10. En premier lieu, ils acquièrent les compétences nécessaires pour traiter les situations qu’ils rencontrent habituellement sur le terrain. Mais certains aspirent à développer d’autres compétences, ils souhaitent en effet devenir des professionnels particulièrement reconnus par leurs collègues. Recherchant un niveau d’excellence, ils se mobilisent pour acquérir des compétences dites critiques (VERGNAUD G., 1998a), celles que peu d’individus mettent en œuvre et qui, en tout état de cause, nécessitent un plus long apprentissage et dans des circonstances très diversifiées.
Dans un premier temps, il s’agissait de dépasser nos intuitions et de tenter de donner corps à cette notion de compétence critique. Pouvions-nous en donner quelques unes à voir dans le champ de la santé publique et du management ? C’était un préalable
10 Et nous comprendrons rapidement que d’autres élèves de l’ENSP se comportent de la même manière.
évident à la réflexion sur la relation entre l’auto-efficacité et la formation des compétences.