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Attention motivée : influence de la nature intrinsèque du stimulus sur les traitements

Chapitre II Les émotions

4. Emotion et attention

4.1. Attention motivée : influence de la nature intrinsèque du stimulus sur les traitements

De par leur pertinence motivationnelle intrinsèque pour l’individu et ses besoins de survie, les stimuli émotionnels bénéficient d’une sélection perceptive et attentionnelle prioritaire, lesquels ont des répercussions au niveau comportemental comme en attestent différentes études utilisant une diversité de paradigme. Par exemple, dans une tâche de détection de cibles parmi divers distracteurs, les stimuli émotionnels sont ainsi détectés plus rapidement que les stimuli non-émotionnels (Eastwood, Smilek, & Merikle, 2001; Ohman et al., 2001). Il en est de même dans des tâches de clignement attentionnel (« blink attentionnel »), les stimuli cibles émotionnels résistant mieux au phénomène de clignement attentionnel que ceux non-émotionnels, (Anderson, 2005; Keil & Ihssen, 2004). Dans des paradigmes d’amorçage, les temps de réponse sont également plus courts lorsque des items

31 cibles apparaissent du côté de présentation d’une amorce émotionnelle (Armony, 2002;

Koster, Crombez, Verschuere, & De Houwer, 2004; Koster, Verschuere, Crombez, & Van Damme, 2005; Mogg, Bradley, de Bono, & Painter, 1997; Mogg & Bradley, 1998; Karin Mogg & Bradley, 1999). Enfin, dans des tâches de Stroop émotionnel consistant à nommer la couleur dans laquelle un mot émotionnel ou non est écrit, les participants montrent plus de difficulté à nommer la couleur de mots émotionnels que celle de mots neutres (MacKay et al., 2004; Williams, Mathews, & MacLeod, 1996) illustrant ainsi les capacités de distraction des émotions sur la réalisation d’autres processus cognitifs.

Outre cette préférence attentionnelle pour les stimuli émotionnels par rapport aux stimuli neutres, un biais de négativité est parfois observé dans le sens où les stimuli négatifs sont préférés sur le plan attentionnel aux stimuli positifs (Baumeister, Bratslavsky, Finkenauer, &

Vohs, 2001; Rozin & Royzman, 2001). Par exemple, dans une étude de détection de visages émotionnels dans des images de foules, Hansen & Hansen (1988) montrent que les visages négatifs, et plus particulièrement ceux exprimant de la colère, sont plus rapidement détectés que les visages positifs. Des effets semblables de la valence sont retrouvés pour des visages schématiques négatifs et positifs (Ohman et al., 2001). Quelques auteurs ont proposé une fonctionnalité à ce biais de négativité : selon eux, il procurerait à l’individu un avantage certain en termes de survie puisque les conséquences d’un événement dangereux sont souvent plus dramatiques que le fait d’ignorer ou de réagir lentement face à un stimulus appétitif ou neutres (Ekman, 1992; Öhman, 1992).

De nombreuses études d'imagerie fonctionnelle ont, depuis les années 2000, mis en évidence une activation de l’amygdale lors de la perception de scènes visuelles émotionnelles (Britton, Taylor, Sudheimer, & Liberzon, 2006; Kensinger, Schacter, College, & Hill, 2006;

Liberzon, Phan, Decker, & Taylor, 2003; Phan et al., 2004; Phan et al., 2003; Sabatinelli, Bradley, Fitzsimmons, & Lang, 2005; Taylor, Phan, Decker, & Liberzon, 2003). Une méta- analyse basée sur 148 études (Sergerie, Chochol, & Armony, 2008) montre que les stimuli aussi bien négatifs que positifs provoquent une réaction amygdalienne plus importante que les stimuli neutres. Une augmentation de l’activité cérébrale est aussi observée dans les aires sensorielles telles que le cortex visuel (Bradley et al., 2003; Lang et al., 1998; Sabatinelli et al., 2011, 2005; Sabatinelli, Lang, Keil, & Bradley, 2007) et le cortex auditif (Ethofer et al., 2012; Ethofer, Van De Ville, Scherer, & Vuilleumier, 2009; Grandjean et al., 2005) lors de présentation de stimuli émotionnels. Ces augmentations d’activité dans les aires sensorielles et amygdaliennes pour les stimuli émotionnels seraient le reflet de la mise en œuvre de

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processus d’attention sélective qui provoqueraient une modulation dans les traitements. Les stimuli pertinents tels que les stimuli émotionnels provoqueraient un engagement attentionnel plus important qui se traduirait par une augmentation de leur traitement perceptuel, induisant ainsi un traitement plus approfondi de ceux-ci pour permettre de s’y adapter efficacement (Pourtois et al., 2013).

Des études de potentiels évoqués permettent de renseigner sur la temporalité des modulations de traitement de l’information provoquées par les processus d’attention sélective.

Différents potentiels ont été mis en évidence dans diverses tâches de catégorisation affective et non affective ou de simples tâches de perception passive de scènes émotionnelles, reflétant diverses étapes de traitement de l’information visuelle. Parmi les potentiels les plus précoces classiquement observées en EEG, outre la composante N75 appelée aussi C1, sont souvent étudiés les composantes P1 et N1 maximales dans les régions cérébrales occipitales aux alentours de 100 et 170 ms respectivement (pour revue Olofsson, Nordin, Sequeira, & Polich, 2008). Les ondes P1 et N1 auraient pour origine le cortex visuel extra-strié (Di Russo, Martínez, & Hillyard, 2003; Hillyard, Teder-Sälejärvi, & Münte, 1998; Martínez et al., 1999).

Elles reflèteraient les premières étapes de l'analyse visuelle corticale (Hopf & Mangun, 2000) et sont très sensibles aux propriétés structurales des stimuli comme en atteste leur modulation par la complexité géométrique (Bradley, Hamby, Löw, & Lang, 2007), la couleur(Cano, Class, & Polich, 2009), ou la fréquence spatiale des images (Luis Carretié, Hinojosa, López- Martín, & Tapia, 2007). De nombreuses études observent une amplitude plus ample de ces potentiels pour les stimuli émotionnels par rapport aux stimuli neutres (Magali Batty &

Taylor, 2003; Keil et al., 2001; Pourtois, Thut, Grave de Peralta, Michel, & Vuilleumier, 2005; Schupp, Junghöfer, Weike, & Hamm, 2003), suggérant une détection et un traitement précoce et privilégié de ce type de stimuli. Certains auteurs supposent que les variations d’amplitude des ondes P1 et N1 lors des stimuli émotionnels seraient le reflet d’une influence amygdalienne sur les aires visuelles (Rotshtein et al., 2010; Sabatinelli et al., 2005, 2007). Il est à noter, par ailleurs, qu’un biais de négativité est très fréquemment observé sur ces deux composantes avec une amplitude plus importante pour les stimuli négatifs que positifs à niveau d’activation (« arousal ») équivalent (Carretié, Martín-Loeches, Hinojosa, & Mercado, 2001; Delplanque, Lavoie, Hot, Silvert, & Sequeira, 2004; Smith, Cacioppo, Larsen, &

Chartrand, 2003). Ce biais de négativité, présent dès les premières étapes de traitement de l’information soutiendrait l’idée d’un réseau cérébral spécifique aux émotions négatives (Cacioppo & Gardner, 1999; Crawford & Cacioppo, 2002; LeDoux, 1995; Morris, Ohman, &

33 Dolan, 1998; Ohman et al., 2001). Zald (2003) propose que l’amygdale soit le substrat anatomique du "biais de négativité".

Viennent ensuite des composantes à latences « intermédiaires » reflétant des processus de discrimination et de sélection de l’information (Di Russo, Taddei, Apnile, & Spinelli, 2006).

L’onde négative EPN (« négativité postérieure précoce »), apparaissant entre 200 et 300 ms post-stimulus au niveau des sites fronto-centraux, s’observerait pour tout type de tâche visuelle et serait particulièrement sensible au niveau d’activation des stimulus plutôt qu’à la valence (Junghöfer, Bradley, Elbert, & Lang, 2001; Schupp, Flaisch, Stockburger, &

Junghöfer, 2006). L’onde EPN refléterait des processus de sélection attentionnelle naturelle résultant de l’intégration des différentes caractéristiques du stimulus et de son évaluation sur le plan affectif (Dolcos & Cabeza, 2002; Schupp, Junghöfer, Weike, & Hamm, 2004; Schupp et al., 2004). Concernant les ondes P2 et N2 rapportées par diverses études, piquant au niveau des régions cérébrales centro-parietales entre 200 et 300 ms (Cuthbert, Schupp, Bradley, Birbaumer, & Lang, 2000; Delplanque, Silvert, Hot, & Sequeira, 2005), une modulation est fréquemment relevée en fonction des caractéristiques affectives (pour revue voir Olofsson et al., 2008) mais les résultats sont moins consensuels quant à un facteur d’influence spécifique.

Certains rapportent une latéralité de l’onde N2 en fonction du niveau d’activation (Junghöfer et al., 2001; Schupp et al., 2006), d’autres une modulation de sa latence en fonction de la catégorie des images (Codispoti, Ferrari, & Bradley, 2007; Olofsson & Polich, 2007; Schupp et al., 2006). Concernant l’onde P2, certains auteurs mettent en évidence un biais de négativité avec une plus grande amplitude pour les stimuli négatifs par rapport aux neutres (Delplanque et al., 2004; Olofsson & Polich, 2007) ; d’autres trouvent un biais de positivité avec une plus grande amplitude pour les images positives et une absence de différence entre images négatives et neutres (Carretié, Hinojosa, Martín-Loeches, Mercado, & Tapia, 2004; Carretié, Mercado, Hinojosa, Martín-Loeches, & Sotillo, 2004; Spreckelmeyer, Kutas, Urbach, Altenmüller, & Münte, 2006), et, enfin, un biais émotionnel est parfois observé avec une amplitude plus importante pour les stimuli émotionnels indépendamment de leur valence (Hot, Saito, Mandai, Kobayashi, & Sequeira, 2006).

Finalement deux composantes plus tardives sont particulièrement étudiées : l’onde P300 et le potentiel positif tardif (LPP), survenant tout deux au-delà de 300ms (pour revue voir Hajcak, MacNamara, & Olvet, 2010). L’onde P300 est observée au niveau des régions parieto-occipitales entre 300 et 500ms post-stimulus et serait particulièrement visible lors des paradigmes de type « oddball ». Elle est suivie par une autre onde positive plus lente entre

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400 et 900 ms au niveau des sites centro-pariétales, le potentiel positif tardif (LPP). Ces deux ondes P300 et LPP sont souvent confondues de par leurs proximités temporelles et géographiques. La littérature suggère que la source de l’onde P300 pourrait être au niveau du cortex pariétal et cingulaire et que des contributions spécifiques de la modalité visuelle viendraient des cortex temporal inférieur et pariétal supérieur (Linden, 2005). Sur le plan neurochimique, il a été suggéré que la P300 puisse refléter l’activité neuromodulatrice du système à norépinéphrine du locus coeruleus (Nieuwenhuis, Aston-Jones, & Cohen, 2005, pour revue Hajcak et al, 2010). Concernant la LPP, des recherches combinant des méthodes de potentiels évoqués et d’IRM fonctionnelle trouvent que la LPP serait corrélée avec des activités dans les aires visuelles secondaires dans les régions occipitales, inféro-temporales et pariétales (Sabatinelli, Keil, Frank, & Lang, 2013; Sabatinelli et al., 2007). Par ailleurs, bien qu’aucune contribution directe de l’amygdale n’ait été trouvée, il est suggéré qu’elle pourrait contribuer à la LPP via des projections ré-entrantes dans le cortex visuel (Lang & Bradley, 2010). Ces ondes surviennent à des étapes avancées de traitement engageant des processus amodaux de plus haut niveau d’intégration de l’information (Olofsson et al, 2008 ; Hajcak et al, 2010). Toutes deux seraient sensibles à la pertinence motivationnelle des stimuli pour l’individu ainsi qu’à leur niveau d’activation (pour revue Hajcak et al, 2010 ou encore Olofsson et al, 2008). Ainsi, leurs amplitudes sont plus importantes pour les stimuli émotionnels que pour les stimuli non-émotionnels et d’autant plus que le degré d’activation des stimuli augmentent (figure 7) (pour la P300 : Delplanque et al., 2004; Delplanque, Silvert, Hot, Rigoulot, & Sequeira, 2006; Delplanque et al., 2005; Keil et al., 2002; Schupp et al., 2000 ; Pour la LPP : Bradley et al., 2007; Cuthbert et al., 2000; Keil et al., 2002; Olofsson &

Polich, 2007; Schupp et al., 2006, 2004).

Un biais de négativité est parfois rapporté pour ces composantes (Delplanque et al., 2006;

Ito, Larsen, Smith, & Cacioppo, 1998; Kisley, Wood, & Burrows, 2007; Wood & Kisley, 2006) mais cet effet reste assez marginal et viendrait, selon certains auteurs, d’un confondu entre valence et niveau d’activation (Bradley, 2009; De Cesarei & Codispoti, 2011). Ces ondes traduiraient la mise en œuvre de processus d’allocation des ressources attentionnelles (Hajcak et al., 2010; Hajcak, Moser, & Simons, 2006; Lang et al., 1998; Moser, Hajcak, Bukay, & Simons, 2006; Schupp et al., 2006) lesquelles augmenteraient les traitements perceptuels. Une des principales différences entre ces ondes tient au fait que la P300 est particulièrement sensible à la nouveauté contrairement à l’onde LPP qui résiste au phénomène d’habituation (pour revue voir Hajcak et al, 2010). L’onde LPP peut aussi être vue comme le

35 reflet de l’engagement motivationnel de l’individu pour le stimulus et de processus conscient d’évaluation de la pertinence émotionnelle (Bradley, 2009; Codispoti et al., 2007; Ferrari, Bradley, Codispoti, & Lang, 2011; Ferrari, Codispoti, Cardinale, & Bradley, 2008; Hajcak et al., 2010). Il a été montré que les effets sur la LPP sont indépendants de la taille des stimuli (De Cesarei & Codispoti, 2006) et de leurs caractéristiques perceptuelles (Bradley et al., 2007).

Figure 7 : Amplitude de la LPP pour diverses catégories d’images positives (à gauche) et négatives (à droite) hiérarchisées selon leur degré d’activation (les plus hauts niveaux sont aux extrémités de l’axe).

Extrait de Bradley et al., (2009)