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Le contexte cognitif : influence des capacités et motivations de l’individu et des buts

Chapitre V- Les modérateurs des effets de positivité

2. Effets modulateurs liés au contexte

2.2. Le contexte cognitif : influence des capacités et motivations de l’individu et des buts

2.2.1. Effets des capacités cognitives

L’humeur et le contexte affectif ne sont pas les seuls facteurs relatifs aux individus pouvant jouer sur les mécanismes associés aux effets de positivité. Plusieurs études attestent d’une modulation des effets de positivité observée chez les sujets âgés en fonction de leurs capacités cognitives. Par exemple, dans une tâche de perception visuelle d’images de visages appariés, Isaacowitz et collaborateurs (2009), montrent, via l’analyse de données oculométriques, que les individus les plus à même d’orienter leur regard vers les stimuli positifs sont ceux qui possèdent les meilleurs scores sur des tâches de contrôle exécutif de tests neuropsychologiques. Le même lien entre capacités cognitives et effets de positivité est retrouvé dans une autre étude (Mather et Knight, 2005, expérience 2, figure 17) utilisant une tâche de mémorisation d’images émotionnelles. Un plus grand biais de positivité, en termes de quantité d’images positives rappelées par rapport aux images négatives, est ainsi observé avec l’âge, et plus particulièrement pour les individus âgés affichant les meilleurs scores sur

91 des tests neuropsychologiques évaluant les capacités de contrôle cognitif. Ces résultats sont particulièrement cohérents dans l’hypothèse d’un contrôle cognitif comme source des effets de positivité. En effet, la régulation émotionnelle possède un certain coût cognitif (J J Gross, 1998) et nécessite des ressources cognitives pour sa mise en place. Ainsi, les adultes âgés ayant de bonnes capacités de fonctions exécutives et de contrôle cognitif auraient plus de facilité à mettre en place les processus de régulation pour maintenir un niveau de bien-être satisfaisant reflété par des effets de positivité.

Figure 17 : Proportion d’images rappelées en fonction de la valence, de l’âge et des capacités de contrôle cognitif. En haut les individus avec de hautes capacités de contrôle cognitif, en bas avec de faibles capacités de contrôle cognitif. Extrait de Mather et Carstensen (2005), expérience 2.

Néanmoins, une étude en EEG très récente réalisée sur des personnes âgées (de 53 à 69 ans) semble contredire ces observations (Foster et al., 2013). En effet, il apparait que l’amplitude de la LPP, sensible à l’engagement attentionnel, soit plus importante pour les images négatives pour les individus ayant de fortes capacités de contrôle cognitif par opposition aux individus avec de faibles capacités. Bien que ces résultats soient plus en accord avec l’hypothèse du déclin cognitif (« Aging Brain Model ») comme cause des effets de positivité avec l’âge, cette dernière étude n’inclut pas de sujets jeunes et ne permet donc pas de dire si, chez les participants à hautes capacités de contrôle cognitif, une réduction du biais de négativité avec l’âge est tout de même observée.

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2.2.2. Effets de la tâche

Enfin, l’objectif de la tâche est également un modulateur des effets de positivité, puisqu’elle influence les capacités cognitives du participant et ses motivations. Des auteurs (Knight et al, 2007, Mather & Knight 2005) ont proposé des paradigmes de double tâche afin de diminuer les ressources cognitives disponibles. Dans ces paradigmes, les participants devaient regarder des visages et images émotionnels appariés (Knight et al., 2007), ou mémoriser des images (Mather & Knight, 2005) en même temps que détecter des changements de tons dans un flux auditif diffusé durant toute la durée de présentation des stimuli. Conformément à la littérature utilisant ce type de paradigme, l’analyse des données oculométriques révèle des « effets de positivité » sur les temps de fixations oculaires dans le cas de la simple tâche (sans le flux audio). En revanche, conformément aux hypothèses, ces effets de positivité disparaissent dans le cas de la double tâche (identification d’un bip sonore dans le flux audio), faute de ressources disponibles pour activer les processus de régulation émotionnelle. Un biais de négativité chez les personnes âgées est donc observé (figure 18).

Toutefois, ce résultat n’est pas confirmé lorsque les stimuli de la tâche auditive ne sont diffusés que deux secondes au début de la présentation des stimuli visuels (Allard &

Isaacowitz, 2008), suggérant que le faible coût cognitif de cette deuxième configuration de tâche auditive soit la raison du maintien des effets de positivité . Ce lien entre faible coût cognitif de la tâche et effets de positivité pourrait justifier l’absence d’effet d’âge observé par Wieser dans une tâche de perception de scènes naturelles émotionnelles présentées rapidement à une fréquence de 3Hz. Le flux d’image très rapide a peut-être engendré un coup cognitif trop important pour les participants, ce qui a donc probablement limité les ressources disponibles pour la mise en place d’une régulation émotionnelle dans le sens du modèle du

« contrôle cognitif ».

Ces résultats faisant le lien entre ressources cognitives, motivation et effets de positivité renforcent la validité du modèle du « contrôle cognitif », et sont des arguments de plus pour rejeter le « Aging Brain Model » (pour revue Mather, 2012; Nashiro et al., 2011).

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Figure 18: Proportion des durées de fixation pour des images positives négatives appariées à des images neutres en fonction de l’âge et pour une condition de simple présentation ou d’attention divisée (bip sonore à détecter en même temps que regarder les images). Extrait de Knight et al. (2007).

D’autres auteurs ont manipulé les consignes de tâche, non pas pour moduler les ressources cognitives du participant, mais dans le but de manipuler la pertinence des différentes propriétés des stimuli pour la tâche. A cet effet, dans une étude de prise de décision portant sur le choix d’une assurance vie, Lockenhoff et collaborateurs (2007) ont proposé aux participants diverses consignes. Dans une condition, les participants devaient choisir l’assurance vie qui leur convenait ; les auteurs ont alors observé des effets de positivité sur les critères sélectionnés par les participants. Dans le but d’éloigner la pertinence des critères émotionnels de la tâche, les auteurs ont, par ailleurs, proposé aux participants de choisir une assurance vie uniquement sur la base d’informations objectives et de détails spécifiques. Dans cette condition, les effets de positivité chez les sujets âgés n’ont pas été retrouvés ; un biais de négativité a été maintenu chez les personnes âgées comme pour les sujets jeunes. Dans la troisième condition, les participants devaient prendre conscience de leur état émotionnel avant toute prise de décision, les propriétés émotionnelles des stimuli

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devenaient ainsi plus pertinentes pour l’individu. Dans cette condition, les auteurs rapportent des effets de positivité uniquement chez les sujets jeunes. Des résultats très similaires ont été observés par Kennedy (2004) sur une cohorte de 309 participants âgés de 47 à 102 ans. Les participants devaient rappeler des événements autobiographiques. Les participants ont réalisé le rappel dans trois conditions différentes : 1) soit ils ne recevaient pas d’instructions particulières, 2) soit les participants devaient se focaliser sur leur état émotionnel pendant le rappel, 3) soit ils devaient se focaliser sur la précision de leur récit. Dans la condition sans instruction, un biais de négativité et un biais de positivité ont été observés respectivement chez les participants les plus jeunes et les plus âgés. Quant aux autres consignes, quel que soit l’âge, l’instruction demandant de se focaliser sur la précision du récit a provoqué un effet de négativité alors que la condition focalisant sur l’état émotionnel a induit des effets de positivité.

Ces études suggèrent deux choses : 1) le degré de pertinence des propriétés émotionnelles pour la réalisation de la tâche module l’observation des effets de positivité. 2) les propriétés émotionnelles des stimuli sont plus pertinentes « par défaut » pour l’individu âgé ; le sujet jeune privilégiant une information plus objective et globale. Ces deux points sont en parfait accord avec la TSS. Selon cette théorie, l’individu en vieillissant délaisserait petit à petit la préparation de son avenir, et donc l’extraction d’informations objectives, et privilégierait les aspects émotionnels faisant les plus sens à sa vie et à son objectif d’élever et de maintenir un certain niveau de bien-être.

Il est à noter que les travaux sur ces effets de consignes de tâche dans l’émergence des effets de positivité ont toujours proposé des tâches affectives (e.g., focaliser sur l’état émotionnel) mettant l’accent sur la valeur affective des stimuli, ou du moins le permettant, ou encore des tâches non affectives sans lien avec l’émotion (e.g., focaliser sur la précision du récit).

Toutefois, comme vu en amont de cette introduction, le traitement des stimuli émotionnels dépendrait également de systèmes motivationnels liés au comportement de l’individu et à son adaptation dans l’environnement. L’étude des liens entre des stimuli émotionnels et les réponses comportementales correspondantes repose notamment sur le rôle fondamental adaptatif de la motivation d’approche et d’évitement (Elliot, 2008). Bien que, dans certaines théories psychologiques, les concepts d’émotion et de motivation sont souvent assimilés aux mêmes propriétés fonctionnelles comme l’activation et le guidage des

95 comportements (Roseman, 2008) et sont donc non distincts, d’autres, telles que les théories motivationnelles (dans lesquelles s’inscrivent notamment Lazarus, 1991 et Frijda, 1989) placent les motivations sous-jacentes à cette préparation à l’action (i.e., « tendance à l’action ») comme centrales dans la conception des émotions (voir Chapitre II, 2.2). En d’autres termes, pour certains auteurs un stimuli émotionnel provoque une tendance à l’action spécifique d’approche ou d’évitement selon la valence négative ou positive (Chen & Bargh, 1999) ou encore, engage un des deux systèmes motivationnelles que sont le système appétitifs pour les stimuli agréables et défensif pour les stimuli désagréables (Lang & Bradley, 2010).

Dans ce sens, certains auteurs défendent l’idée que les processus cérébraux de traitement émotionnel soient organisés en fonction de ces états motivationnels d’approche et d’évitement (Harmon-Jones & Gable, 2009; Harmon-Jones, 2003, 2004, 2006). Dans le cadre du présent travail sur la compréhension des effets de positivité avec l’âge, rappelons que la principale théorie actuelle sur laquelle repose la majorité des interprétations des études, la TSS, postule que les effets de positivité résulteraient de changements sur le plan motivationnel poussant les individus âgés à privilégier leur bien-être et à réguler leurs émotions. A la lumière des théories motivationnelles des émotions, il nous parait indispensable de considérer la dimension motivationnelle (i.e., « tendance à l’action ») des stimuli dans le présent travail de thèse. La question sous-jacente consiste à déterminer si les effets de positivité seraient toujours maintenus ou éventuellement renforcés lorsque la dimension « action » et ses motivations sous-jacentes (et non la valeur affective), sont au centre du processus d’évaluation des situations émotionnelles, tel que c’est souvent le cas dans un contexte écologique de l’émotion.

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Résumé

Dans le chapitre III, nous avons mis en évidence des effets de positivité avec l’âge dans les traitements émotionnels. L’augmentation de la préférence pour les stimuli positifs par rapport aux stimuli négatifs serait principalement due à une modification, avec l’âge, dans le traitement des stimuli négatifs. Au niveau expérimental, une réduction du biais de négativité est ainsi observée. Cependant, certaines conditions expérimentales ne conduisent pas à l’observation des effets de positivité.

En effet, plusieurs études montrent que les caractéristiques émotionnelles des stimuli constituent un de ces facteurs. En particulier, le niveau d’activation des stimuli serait un modérateur important. Plusieurs études comportementales, dans des tâches de mémoire, de catégorisation émotionnelle ou encore de Stroop rapportent un biais de négativité préservé avec l’âge lorsque des stimuli fortement activateurs sont en jeu, alors que des effets de positivité sont observés pour des stimuli faiblement activateurs (e.g., Kesinger, 2008).

Des facteurs extérieurs aux stimuli ont aussi été identifiés. Ces facteurs inclus le contexte émotionnel dans lequel le stimulus est traité. L’état affectif négatif et la présence d’autres stimuli émotionnels négatifs non pertinents pour la tâche demandée aux participants âgés semblent favoriser les effets de positivité (e.g., Goeleven & De Raedt, 2010). D’autres facteurs plus cognitifs semblent jouer sur l’observation des effets de positivité. Par exemple, les participants ayant les plus faibles capacités cognitives sont ceux pour lesquels la réduction du biais de négativité est la plus faible (Mather & Knight, 2005). La tâche, peut aussi constituer un frein à l’émergence des effets de positivité, particulièrement quand cette tâche implique des processus davantage centrés sur le traitement d’informations objectives, non émotionnelles.

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Chapitre VI - Les Interfaces Cerveau-Machine