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Chapitre II Les émotions

3. Les corrélats neuronaux

3.3. Le cortex préfrontal

La prise en compte de l’implication du cortex préfrontal dans les traitements émotionnels a débuté avec le cas de Phineas Gage (1823-1860). Cet américain a présenté des troubles émotionnels suite à des dommages du cortex préfrontal gauche dans un accident de travail, sans présenter de séquelles sur le plan cognitif. Il était devenu instable, asocial, colérique. Le cortex préfrontal dans sa globalité participerait à tout ce qui relève des fonctions plus élaborées du processus émotionnel telles que l’évaluation des stimuli en fonction des besoins/motivations de l’individu, prises de décision, verbalisation des émotions, adaptation du comportement social de l’individu et régulation émotionnelle. Le cortex préfrontal englobe plusieurs aires cérébrales : le cortex orbito-frontal (COF), dorso-médian (CPFDM), dorso- latéral (CPFDL), ventro-médian (CPFVM) et ventro-latéral (CPFVL). Selon la littérature (Korb, 2009; Ochsner & Gross, 2005), ces structures préfrontales s’organisent en deux systèmes préfrontaux différents, à savoir i) le système de contrôle ventral incluant le Cortex Préfrontal Ventro-Median (CPFVM) et le Cortex Orbito-Frontal (COF) et ii) le système de contrôle dorsal comprenant le Cortex Préfrontal Dorso-Latéral (CPFDL) et le Cortex

27 Préfrontal ventro- Latéral (CPFVL), contrôlant et modulant par un « effet top-down » les traitements affectifs réalisés par les structures sous-corticales limbiques telles que l’amygdale -Le système de contrôle ventral (CPFVM et COF) aurait pour charge d’évaluer la valeur émotionnelle du stimulus dans son contexte et de contribuer à sélectionner les actions de réponse appropriées (Beer, Knight, & D’Esposito, 2006; Lindquist et al., 2011; O’Doherty, 2007; Rolls & Grabenhorst, 2008). Plus spécifiquement, le COF serait particulièrement impliqué dans les comportements agressifs associés à une émotion de colère (Ferris et al., 2008; Murphy et al., 2003; Vytal & Hamann, 2010). Plusieurs études en neuro-imagerie illustrent un lien étroit entre l’activité du COF et la dimension de valence (Goodkind et al., 2012; Kawasaki et al., 2001) ou plus généralement l’évaluation de la valeur affective (ou valeur de récompense) de la situation telle qu’elle est perçue sur une échelle continue (O’Doherty, 2007; Rolls & Grabenhorst, 2008). D’autres études suggèrent une contribution du COF dans les représentations de valeurs de l’action (pour revue, voir O’ Doherty, 2007).

Le COF (latéral) jouerait également un rôle dans la prise de décision (Adolphs et al., 1996;

Bechara, Tranel, & Damasio, 2000; Koenigs et al., 2008). Le COF associé avec l’évaluation de la pertinence contextuelle de l’information émotionnelle (Beer et al., 2006) permettrait d’aider l’organisme dans le choix des réponses comportementales adaptées aux contextes (Lindquist et al, 2011). Ses nombreuses connections avec les aires sensorielles et les aires responsables des réponses viscérales font du COF une aire d’intégration des informations sensorielles endogènes et exogènes (Lindquist et al, 2011). Le COF possède également des connexions directes avec les autres structures préfrontales telles que le CPFDL et les structures limbiques sous-corticales telles que l’amygdale.

Le CPFVM permettrait, quant à lui, d’attribuer une signification à l’évènement pour l’individu (Brosch & Sander, 2013). En effet, le CPFVM serait particulièrement central dans l’adaptation comportementale au contexte social et dans la prise en compte des motivations intrinsèques de l’individu, c'est-à-dire centrées sur soi (buts, besoins, …), lors de tâches d’évaluation cognitive de situations émotionnelles (Gusnard, Akbudak, Shulman, & Raichle, 2001; Northoff et al., 2006; Phillips, Henry, Hosie, & Milne, 2008). Le CPFVM pourrait être impliqué, entre autre, dans des processus de mise en relation entre un évènement (émotionnel) et des expériences passées stockées en mémoire (Lindquist et al, 2011). Le CPFVM, comme le COF, possède de fortes interconnexions avec l’amygdale, le CCA et les noyaux accumbens, ainsi qu’avec d’autres structures affectives sous-corticales dont il module l’activité,

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notamment lors de processus de régulation émotionnelle ou lors de processus attentionnels (Ochsner & Gross, 2005; Pourtois et al., 2013; Urry et al., 2006).

-Le système de contrôle dorsal (CPFDL et CPFL), quant à lui, serait impliqué dans le raisonnement explicite sur les associations entre stimuli et réponses et sur la manière dont elles peuvent être modifiées (Miller & Cohen, 2001; Ochsner & Gross, 2005). Le CPFDL constitue particulièrement une aire d’intégration importante des informations cognitives et motivationnelles comme en attestent différentes études chez l’homme et le primate (Ichihara- Takeda & Funahashi, 2008; Kobayashi, Lauwereyns, Koizumi, Sakagami, & Hikosaka, 2002;

Szatkowska, Bogorodzki, Wolak, Marchewka, & Szeszkowski, 2008; Wallis & Miller, 2003;

Watanabe, Hikosaka, Sakagami, & Shirakawa, 2002). Selon certains travaux (Coan & Allen, 2003; Gable & Harmon-Jones, 2008; Harmon-Jones & Gable, 2009; Harmon-Jones, 2003, 2004), l’activité du CPFDL serait intimement liée à la direction motivationnelle de la stimulation (tendance à l’action engendrée par la situation : approche/évitement) plutôt qu’au ressenti émotionnel de la situation (agréable/désagréable ou positif/négatif). Par ailleurs, le CPFDL est classiquement vu comme ayant un rôle fondamental dans les fonctions exécutives, les processus stratégiques, la planification, les raisonnements complexes, la mémoire, et la prise de décision (Corbetta, Patel, & Shulman, 2008; Corbetta & Shulman, 2002; Miller &

Cohen, 2001). Sur cette base, le CPFDL participerait également au contrôle cognitif du comportement moteur et à l’exécution de l’action (Cieslik et al., 2012) associée à telle ou telle émotion grâce à ses interconnexions avec le cortex moteur. En outre, alors que le CPFVM serait davantage impliqué dans des évaluations centrées sur soi, le CPFDL (comme le CPFDM d’ailleurs ; Gusnard et al., 2001) serait davantage impliqué dans les évaluations centrées sur la situation, telles que des tâches de catégorisation de type « situation en intérieur ou extérieur » (Ochsner et al., 2004). Alors que le CPFVM permettrait un traitement holistique et général de l’information émotionnelle, le CPFL permettrait un traitement plus spécifique et détaillé (Schaefer et al., 2003). Le cortex CPFVL semble aussi intervenir dans les processus de labélisation de l’émotion (Vigneau et al., 2006) et de régulation consciente de l’émotion (voie intérieure) (Urry et al., 2006; Urry, van Reekum, Johnstone, & Davidson, 2009). Le système de contrôle dorsal entretient peu de connexions avec les structures sous- corticales émotionnelles, mais peut cependant exercer une influence sur celles-ci par l’intermédiaire du système ventral ou à travers des systèmes perceptifs ou mnésiques associatifs. Le CPFDL est connu pour avoir de fortes connexions réciproques avec le COF

29 comme en attestent les études chez le primate (pour une revue, voir Cavada & Schultz, 2000).

Alors que des entrées cognitives issues du CPFDL peuvent biaiser les représentations affectives dans le COF, différentes études chez le primate (Wallis & Miller, 2003) et chez l’homme (Szatkowska et al., 2008) suggèrent que le COF peut relayer l’information de pertinence motivationnelle au CPFDL.