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Modèle attentionnel de traitement de l’information émotionnelle

Chapitre II Les émotions

4. Emotion et attention

4.4. Modèle attentionnel de traitement de l’information émotionnelle

Les modulations dans les traitements de l’information émotionnelle au niveau cérébral résultent d’une confrontation entre deux types d’attention. L’une, dite « exogène », est

39 automatique, involontaire et dépend des caractéristiques intrinsèques du stimulus (Hopfinger

& West, 2006; Posner, Snyder, & Davidson, 1980). L’autre, dite « endogène », est volontaire et fait référence à des facteurs contextuels externes au stimulus tels que les buts de la tâche, l’humeur du participant, ses motivations (Folk, Remington, & Johnston, 1992; Posner et al., 1980). Ces deux types d’attention vont interagir lors du traitement des stimuli et conduire à la focalisation ou non de l’attention sur tel ou tel stimulus. Ainsi, une préférence attentionnelle peut être mise sur un stimulus qui se confond avec son environnement parce qu’il est pertinent pour l’individu (Vogt, De Houwer, & Crombez, 2011). A contrario, un individu peut ne pas porter attention à un stimulus contrastant avec son environnement parce que celui-ci n’est absolument pas pertinent dans la réalisation de ses buts.

Plusieurs modèles cérébraux des traitements émotionnels ont alors été proposés afin de rendre compte des interactions émotion - cognition. Une des hypothèses les plus anciennes repose sur l’idée d’une voie sous-corticale spécifique au traitement émotionnel dans laquelle l’amygdale serait centrale et qui justifierait la rapidité de traitement des stimuli émotionnels.

Sur la base de cette hypothèse, Ledoux (LeDoux, 2000; LeDoux, 1996) a proposé que le traitement de l’information émotionnelle se réalise en deux étapes sous-tendues par deux voies de traitements distinctes, comme présenté dans la figure 9a. La première voie sous corticale, dite « courte », passant par le colliculus supérieur et le pulvinar (dans le cas d’une information visuelle) permettrait un acheminement rapide d’une information grossière jusqu’à l’amygdale. Une première interprétation du stimulus pourrait donc être réalisée rapidement et une première réponse émotionnelle automatique pourrait être donnée de sorte à préparer l’organisme à réagir rapidement si nécessaire. En parallèle, une deuxième voie corticale, plus lente, passant par le cortex visuel (dans le cas de stimuli visuel) jusqu’au cortex préfrontal permettrait, quant à elle un traitement « conscient » et plus détaillé du stimulus prenant en compte des informations plus endogènes (but de la tâche, besoins de l’individu…). Ces informations seraient transmises à l’amygdale via des afférences avec le cortex préfrontal médian et le cortex visuel, permettant une modulation de la première réponse émotionnelle rapide. Ce modèle peut expliquer pourquoi une perception consciente des stimuli émotionnels n’est pas nécessaire pour avoir une réponse émotionnelle et peut justifier l’augmentation de l’activité amygdalienne lors de la présentation subliminale d’images émotionnelles (Williams, Morris, McGlone, Abbott, & Mattingley, 2004). Néanmoins, plusieurs arguments vont à l’encontre de ce modèle, en particulier, concernant la temporalité des traitements et

« l’automaticité » de la voie sous corticale. En effet, plusieurs études chez les primates

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montrent que les réponses de l’amygdale propres à l’émotion, et donc de la voie sous-corticale du traitement émotionnel, ne sont pas plus précoces que les réponses corticales (pour revue, voir Pessoa & Adolphs, 2010). D’autres modèles ont donc été proposés et présupposent la possibilité d’un traitement rapide au niveau cortical et d’une influence précoce des structures préfrontales sur le traitement émotionnel.

Figure 9: Modèle de traitement de l’information visuelle émotionnelle. Extrait de Pessoa et Adolphs (2010). a) Diagramme schématique représentant le modèle séquentiel classique de traitement de l'information le long de la voie CGL–V1–V2–V4–TEO–TE, bien que cette organisation ne soit pas strictement hiérarchique.

Selon l'hypothèse standard, une voie sous-corticale impliquant le colliculus supérieur et le noyau pulvinar du thalamus fournit un accès direct et automatique à l'amygdale. b) Proposition alternative de Pessoa & Adolphs (2010) proposant l'existence de multiples voies, comprenant à la fois des voies alternatives (par exemple du LGN à l'aire MT) et des raccourcis (par exemple de V2 à TEO). Le flux de traitement de l'information visuelle correspondrait à de multiples vagues d'activation qui initieraient et affineraient les réponses des cellules à une étape donnée de traitement. En vert : les structures frontales et en bleu (VLPFC et OFC) participant aux traitements avec des connexions bi-directionnelles avec l’amygdale. Abréviations: CGL, corps genouillé latéral;

V, aires visuelles; MT, aire temporale moyenne; TE, aire temporale inférieure; TEO, aire temporale inférieure;

VLPFC, cortex préfrontal ventro-latéral; OFC; cortex orbito-frontal; FEF, « frontal eye-field » ou aire frontale oculaire.

Pessoa et Adolphs (2010) propose un modèle « multi-voies » qui prend en compte les réponses rapides observées dans le cortex préfrontal ainsi que la possibilité d’une transmission directe de l’information visuelle entre le pulvinar et le cortex préfrontal sans passage par le cortex visuel telle que l’ont montré Rudrauf et collaborateurs (2008) dans une étude de connectivité dynamique causale (DCM). Dans ce modèle, l’évaluation de la pertinence d’un stimulus résulterait d’un traitement de l’information au sein de nombreuses

41 voies de traitement parallèles qui interagiraient entre elles, comme présentées en figure 9b.

Dans le cadre de ce modèle, les auteurs proposent, pour l’amygdale, un rôle de coordinateur de ces multiples traitements corticaux. Les nombreuses alternatives et raccourcis neuro- anatomiques dans la voie visuelle ventrale (entre aires visuelles précoces et aires visuelles tardives) et entre le corps genouillé latéral et les aires visuelles plus tardives tendent à conforter ce modèle (Barrett & Bar, 2009; Luiz Pessoa & Adolphs, 2010).

A mi-chemin entre ces deux modèles, un modèle très récent de traitement émotionnel a été proposé par Pourtois et collaborateurs (2013). Ce modèle apparaît particulièrement intéressant du fait qu’il prend en considération le lien avec le système attentionnel et permet de préciser en quoi l’orientation attentionnelle et le traitement de stimuli émotionnels vont résulter d’une intégration compétitive d’effets de type bottom-up et de type top-down relatifs à l’attention exogène et l’attention endogène respectivement (McMains & Kastner, 2011;

Ranganath & Rainer, 2003; Theeuwes, 1994; Wolfe & Horowitz, 2004). Ce modèle (figure 10) conserve l’idée de deux voies de traitement proposée par Ledoux (1996), l’une sous- corticale et l’autre corticale, mais ces deux voies s’exécuteraient en parallèle et interagiraient et leurs effets sur les aires sensorielles seraient additifs. L’information dans la voie sous- corticale serait acheminée jusqu’à l’amygdale via la rétine et le pulvinar (dans le cas d’une information visuelle). Sur la base de cette information, l’amygdale évaluerait la pertinence biologique du stimulus (indépendamment de la valence) et contribuerait à augmenter (ou non) en retour le traitement perceptuel du stimulus réalisé dans les aires sensorielles selon cette évaluation et ce, grâce à des connections directes entre ces aires et l’amygdale (Pourtois et al., 2013). En parallèle, se déroulerait un traitement plus cortical de l’information laquelle serait acheminée jusqu’au cortex préfrontal de manière grossière directement depuis le pulvinar dans un premier temps et de manière plus fine via le cortex visuel dans un deuxième temps (Pessoa & Adolphs, 2010; Pourtois et al., 2013; Rudrauf et al., 2008). Le cortex préfrontal réaliserait une évaluation de la pertinence motivationnelle du stimulus et de sa valeur affective en fonction des buts, besoins et plans de l’individu. En retour, le cortex préfrontal viendrait lui aussi moduler indirectement les traitements perceptuels réalisés par les aires sensorielles par des influences top-down via les aires post-pariétales qui interviennent entre autre dans l’orientation du regard. Les aires sensorielles seraient donc soumises à deux types d’influence, l’une relative à une attention exogène, l’autre à une attention endogène, sous-tendus par des corrélats neuronaux distincts. Il en résulterait, au sein de ces aires sensorielles, une compétition entre ces deux types d’influence qui pourraient se potentialiser comme s’annuler.

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Les deux voies de traitement seraient aussi en interaction directe et s’influenceraient mutuellement via des connections entre le cortex orbitofrontal/ventromédian et l’amygdale. Il faut souligner que, selon ce modèle, le traitement sous cortical via l’amygdale serait spécifique aux stimuli émotionnels, alors que la voie corticale, s’exécutant en parallèle, s’utiliserait pour tout type de stimulus.

Figure 10 : Modèle attentionnel et interaction entre structures cérébrales. Inspiré de Pourtois (2013). OFC : Cortex Orbito-frontal. CPFVM : Cortex Préfrontal ventro-médian.CPFDL : Cortex Prefrontal dorso-latéral.

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Résumé

Les émotions sont importantes pour la survie de l’individu et son adaptation à l’environnement (Dolan, 2002). Leurs rôles sont multiples : orienter l’attention, préparer l’individu à agir, le guider dans ses comportements, etc. Néanmoins, l’émotion reste un concept difficile à définir. Alors que les premiers philosophes séparaient la raison de l’émotion, les théories actuelles tendent à les réunir et conçoivent leur interaction comme nécessaire à l’émergence d’un épisode émotionnelle. Deux courants s’opposent. D’un côté les théories qui mettent l’accent sur une primauté de l’affect sur la cognition, telles que les théories de l’émotion incarnées (Niedenthal, 2007), de l’autre les théories qui proposent que l’émotion émerge de processus cognitif tel que les théories de l’évaluation cognitive. De ces dernières, nous retiendront la théorie des « processus composantes » (Sander & Scherer, 2009) pour laquelle l’émotion émerge d’une succession d’ « évaluations cognitives », qui constituent une des composantes de l’émotion, et qui sous-tendent et sont influencées par les composante de « tendance à l’action », de « réponse motrices », de « sentiment subjectif » et de « réponses physiologiques ». D’autres auteurs définissent les émotions comme étant des états de « tendance à l’action », états préparatoires qui vont faciliter certains comportement pour s’adapter à un stimulus émotionnelle (Frijda et al., 1989).

De nombreuses études montrent que les informations émotionnelles sont traitées de manière privilégiée au niveau cérébral par rapport aux informations non-émotionnelles.

L’émotion provoque une augmentation des traitements perceptuels et facilite les réponses motrices. Les stimuli émotionnels sont détectés plus rapidement que les stimuli neutres, sont plus facilement mémorisés. Au sein des informations émotionnelles, il apparait, par ailleurs, une préférence des informations négatives par rapport aux informations positives, appelée biais de négativité. L’engagement attentionnel et motivationnel pour les stimuli négatifs seraient plus important que pour les stimuli positifs et neutres comme le montrent des études en électroencéphalographie (e.g.,Ito et al., 1998).

Toutefois, cet engagement de l’attention plutôt automatique provoquée par les caractéristiques affectives des stimuli, appelé « attention motivée » (Lang et al., 1992), est à distinguer d’une attention « volontaire » relative aux motivations de l’individu et aux consignes de la tâche (Pourtois et al., 2013). Ces deux types d’attention relèvent de processus distincts caractérisables au niveau neuronal mais qui sont en interaction lors du traitement de

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stimuli émotionnels. Cette compétition entre les deux types d’attention se jouerait principalement entre l’amygdale, qui interviendrait principalement dans l’évaluation de la pertinence émotionnelle des stimuli, et le cortex préfrontal dont l’orbito-frontal, qui permettrait une évaluation de la valeur affective et motivationnelle des stimuli. Ces deux structures interconnectées s’influencent mutuellement et moduleraient directement ou indirectement l’activité des structures sensorielles (Pourtois et al., 2013).

Un stimulus émotionnel peut donc échouer à capturer l’attention dans certaines conditions, comme dans des tâches où il n’est pas pertinent pour celle-ci. La régulation émotionnelle peut aussi contribuer à moduler le traitement de stimuli émotionnels en exacerbant la réponse émotionnelle ou encore en la diminuant via diverses stratégies de régulation (Hajcak et al., 2010). A l’inverse, un contexte affectif, une certaine humeur pourrait augmenter l’attirance pour un certain type de stimuli émotionnels (Smith et al., 2006).

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Chapitre III - Vieillissement et traitements